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Pourquoi être chrétien ? par père Alexandre Men


Père Alexandre Men baptise un enfant
dans un appartement privé (1987).


L’intervieweur est Mark Makarov, évangéliste américain,
animateur d’une émission de radio
avec participation téléphonique en direct.

MAKAROV : Père Alexandre, j’aimerais vous poser une question qui m’est parfois posée : Est-il nécessaire d’être chrétien et, si la réponse est « oui », pourquoi ?

MEN : Il n’y qu’une réponse à cette question, je pense, et elle revient à ceci : le monde a toujours cherché Dieu ; c’est la condition humaine normale de s’engager d’une façon ou une autre avec ce qui est plus élevé, avec un idéal – même lorsque l’esprit de l’homme déforme ou minimise l’idéal ou le transforme en une quête purement civile. Prenons l’époque du stalinisme, du maoïsme ou tout autre mouvement en « isme » et on verra que quand on prive par la force le peuple de sa recherche de Dieu, le peuple rebranche toujours sur une pseudo-divinité. L’idolâtrie remplace la vraie foi mais l’aspiration instinctive vers Dieu demeure. Mais regardons pourquoi l’on devrait être tout particulièrement chrétien :

MAKAROV : Peut-être à cause de la Bible ?

MEN : Toutes les religions ont leurs livres sacrés, certains sont pleins de sagesse, de poésie, de profondeur spirituelle. Beaucoup des livres sacrés de l’Orient, par exemple dans ceux de l’Inde, la Mahâbhârata, la partie qu’on appelle la Bhagavad Gîtâ, sans oublier les Sûtras bouddhiques, renferment un trésor de connaissances et sont des écrits magnifiques. Alors que peut-il y avoir d’autre ?

MAKAROV : L’art chrétien ?

MEN : De nos jours en Russie les gens sont devenus enthousiastes pour notre art moyenâgeux. Je l’aime bien moi-même, mais pour moi il s’agit d’un aspect de notre culture spirituelle. Si nous regardons objectivement, sans subjectivité, ce qui n’est pas de mon ressort personnel, alors l’art de la Grèce antique est lui aussi religieux, l’art indien est spirituel, […] et les mosquées […] ne sont-elles pas aussi gravées de la Parole de Dieu ? … Si nous nous tenons aux critères esthétiques, alors […] la religion de Zeus et d’Athéna est la meilleure… Toutes les religions ont plein de très beaux édifices anciens (et modernes) et alors le christianisme ne peut pas se vanter d’un atout en ce domaine. Donc nous devons de nouveau nous demander, pourquoi le christianisme ?

MAKAROV : La moralité chrétienne ?

MEN : Oui, d’accord. Et je suis ravi que de nos jours les valeurs morales du christianisme soient reconnues dans notre société. Mais on doit admettre qu’il est tout simplement faux et relève de la propagande que de laisser croire qu’il n’y a pas de valeurs morales en dehors du christianisme […] Ce n’est pas le moment d’énumérer les principes moraux de toutes les sociétés, mais il n’y a aucun doute que l’on retrouvera aussi toutes les idées fondatrices de l’éthique dans les écrits des stoïciens et des bouddhistes, tout comme aussi dans l’Ancien Testament qui, quoique ayant donné naissance au christianisme, est en réalité une religion préchrétienne. […] Il y a une sévérité dans l’Ancien Testament que certains en Russie estiment absente du Nouveau Testament. Mais cette idée est aberrante, car notre Seigneur Jésus n’était jamais sentimental et a souvent été sévère dans ses condamnations. On doit lire les Évangiles avec les lunettes en rose pour ne pas l’entendre dire : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens ! » ou : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel ! » [Mt 23,13 ; 25,41 Cela ne relève pas du sentimentalisme.

Bien sûr, l’éthique chrétienne a ses traits particuliers. Mais si quelqu’un de l’extérieur arrivait et faisait une comparaison de l’éthique chrétienne avec celle, disons, des Stoïciens – par exemple, Épicure, Épictète et autres Sénèque, qui vivaient à l’époque des Évangiles – cette personne trouverait beaucoup de rapprochements avec les Évangiles – bien que les philosophes grecs ne les ont jamais lus.

Alors encore, pourquoi le christianisme ? Devons-nous admettre en fin de compte l’idée du pluralisme religieux ? L’idée que Dieu se révèle ou peut être connu dans n’importe quelle forme de religion ? Dans ce cas, on peut faire son deuil de l’unicité du christianisme; son deuil de la foi chrétienne.

Mais revenons à la question centrale : il me semble que rien ne démontre le caractère unique du christianisme sauf une chose, à savoir Jésus Christ. Car je suis convaincu que tous les fondateurs des grandes religions nous parlent en vérité. Souvenons-nous ce qu’ils ont dit.

Le Bouddha a dit qu’il avait atteint un état de détachement complet après de longs et difficiles exercices. Pouvons-nous le croire ? Oui, nous pouvons le croire. C’était une personnalité hors pair et c’était son accomplissement.

Les philosophes grecs parlaient de la difficulté intellectuelle d’atteindre l’idée de Dieu et du monde spirituel. Cela est vrai. Ou Mohamed, qui disait que devant Dieu il se sentait comme un rien, que Dieu l’a pris et s’est révélé à lui et que devant Dieu il n’était qu’un moucheron. Pouvons-nous le croire ? Mais bien sûr !

Or voici : Seul parmi ces maîtres est celui qui parle en son propre nom comme Dieu lui-même : « Mais moi je vous dis » [Mt 5,22] ; ou comme il est écrit dans Jean : « Moi et le Père sommes Un » [Jn 10,30]. Aucun des grands maîtres des religions du monde n’a jamais dit quelque chose semblable. Cela est donc la seule occasion dans l’histoire que Dieu s’est manifesté en toute sa plénitude par une personne réelle. C’est cela que nous trouvons dans les Évangiles.

Jésus, le prédicateur de moralité – c’est un mythe historique. On ne l’aurait pas crucifié pour cela seule. Jésus, le Messie auto-proclamé ? Pourquoi donc n’aurait-on pas crucifié Bar-Cochba, qui lui aussi se disait être le Messie ? Et il y a eu beaucoup de faux Messies ! Qu’y avait-il en Jésus qui soulevait tant d’amour et tant de haine ? " Je suis la porte ", disait-il, la porte vers l’éternité [cf. Jn 10,9]. Il me semble que tout ce qu’il a de valeur dans le christianisme a de la valeur seulement parce que cela vient du Christ. Ce qui n’est pas du Christ pourrait aussi bien venir de l’islam ou du bouddhisme.

Chaque religion est un chemin vers Dieu, une spéculation concernant Dieu, une approche humaine vers Dieu. C’est un vecteur d’en bas qui se dirige vers le haut. Mais l’avènement du Christ est la réponse, un vecteur venu d’en-haut vers nous. D’une part, un événement situé dans l’histoire, d’une autre, quelque chose qui déborde tout à fait de l’histoire. C’est la raison pour laquelle le christianisme est unique, parce que le Christ est unique. C’est ma réponse à la question.

MAKAROV : Pensons maintenant aux auditeurs qui, à une croisée des chemins, se demanderont : « Eh bien, mais comment vérifier que le Christ était réellement celui qu’il disait être ? Comment puis-je avoir la certitude que la Bible dit la vérité ? Comment puis-je me situer face aux diverses religions ? Quelle sera ma réponse à mes parents athées ou mes professeurs athées, que dirais-je aux dévots de Hare Krishna qui dansent sur la place ? Pourquoi devrais-je venir au Christ ? Simplement parce que le père Alexandre ou Mark Makarov ou quelqu’un d’autre pense que la Bible dit la vérité ? Comment puis-je savoir qu’ils ont raison ? »

MEN : Eh bien, dans le cas d’une personne qui a déjà une idée de ce q’est la religion, ma réponse pourrait bien être ce que je viens de dire : on peut croire en toutes les religions. Si nous croyons que Dieu s’est révélé à Mohamed pourquoi faire une exception pour le fondateur du christianisme et rejeter ce qu’il dit ? Si nous croyons que Dieu se révèle, alors il le fait de différentes manières à tous et chacun. Et je crois que Dieu est à l'œuvre en tous les grands maîtres et il n’y a donc pas lieu de dire : « Mais nous rejetons ce Jésus Christ ». Non, il sont tous vrais et cela veut dire que Jésus dit la vérité quand il dit de lui-même : « Moi et le Père sommes Un » [Jn 10,30].

Mais dans le cas d’une personne sans aucune sensibilité religieuse, je répondrais alors dans les mots de l’Évangile – souvenez-vous ce que les disciples ont dit à Nathanael : « Viens et vois » [Jn 1,46]. Autrement dit, à nous de voir et de sentir, d’expérimenter. Les mathématiques ne peuvent démontrer la beauté de la neuvième symphonie de Beethoven ou d’un grand tableau, ou de la « Trinité » de Roublev. On doit d’abord l’entendre, le voir, faire une rencontre intérieure – et ainsi nous devons chercher le Christ et essayer de le rencontrer. Sans cette rencontre, aucun système de preuves ne saurait nous convaincre, le système demeurera schématique et sans vie. Nous croyons en Christ non parce que on nous a dit que nous devons croire, mais parce que ces paroles nous invitent chacun à « venir et découvrir ».

La foi vient en recevant la parole, a dit l’apôtre Paul. Souvenez-vous de la réaction des Samaritains quand la femme leur a dit : « Voici un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ». Ils étaient étonnés, mais lorsqu’ils sont allés eux-mêmes et ils ont entendu Jésus, ils ont conclu : « Maintenant nous comprenons, non parce que tu nous l’a dit, mais de notre expérience personnelle » [cf. Jn 4,42].

Voilà l’approche scientifique, vraiment scientifique. C’est un fait que la science sans l’expérience ne peut pas avancer très loin. Et en ce qui concerne la croyance religieuse, l’expérience joue un grand rôle. Mais il s’agit d’une expérience intérieure, spirituelle. C’est la réalité dont les êtres humains doivent faire l’expérience. Si on veut exprimer une opinion sur cette réalité sans avoir essayé de la rencontrer, on ne pourra fonder notre opinion que sur des renseignements partiels. Nous ne pouvons voir Jésus qu’avec le cœur ; nous pouvons apprendre scientifiquement d’autres choses sur lui, par des moyens strictement extérieurs ; le fait qu’il a vraiment existé, son milieu, ainsi de suite. Ce sont des questions importantes, mais elles sont secondaires à la foi.

MAKAROV : Que dire à ces personnes – et elles sont nombreuses – qui ont absorbé l’éducation athée à tel point qu’en nous écoutant maintenant ils pensent : « Ce serait bien si tout était comme vous le dites, mais bien sûr tout le monde sait qu’il n’a aucun Dieu ! ».

MEN : Je pense qu’à l’inverse, tout le monde sait précisément le contraire. Comme j’ai dit au début, le nombre de gens auxquels on a enlevé Dieu et qui se sont tournés vers l’adoration d’idoles démontre que le monde ne peut exister sans Dieu – incidemment, Mao Tse-Toung a bien compris cela. Dieu est le point de départ de tout. Les êtres humains vivent dans ce monde seulement parce qu’ils croient à un sens du monde. Albert Einstein a dit que celui qui ne croit pas au sens de l’existence n’est pas apte à la vie. Donc les athées qui disent qu’ils ne croient pas au sens de l’existence, dans le tréfonds de leur âme, dans leur sous-conscience, croient mais ils enfouissent leurs croyances sous d’autres étiquettes.

Les gens ont soif d’eau parce que c’est une nécessité – c’est un fait objectif. Ils ont besoin de nourriture – c’est un fait objectif, comme bien d’autres – et il n’y a rien d’imaginaire. Si les gens ont toujours soif de trouver un sens supérieur à l’existence et de vénérer ce sens, d’orienter leur vie en fonction de ce sens supérieur, cela veut dire que ce besoin n’est pas une pathologie, mais la condition normale de l’humanité.

Quand on regarde en arrière, on voit que toujours, tout au long des siècles, Dieu était présent sous une forme ou une autre. Je viens de penser au fondateur du positivisme, Auguste Comte. Il rejetait les valeurs supérieures, quoique pas agressivement, et il parlait de Dieu comme quelque chose d’inconnaissable et au sujet duquel on ne pouvait rien dire. Il est mort à genoux devant un autel, mais cet autel était le fauteuil où s’assoyait la femme qu’il aimait, qui était morte. Il prodiguait respect et vénération à ce fauteuil. Il était, incidemment, le premier à proposer l’idée d’un temple dédié à l’humanité – le « grand être » – la part de grandiose dans l’humanité, qui devait être vénérée. Si nous examinons l’histoire de toutes les pseudo-religions, nous verrons alors que ce sens du sublime est vraiment inextinguible, qu’il est essentiel à l’humanité. […]

Extrait de : A. Men,
Byt’ Khristianinom
, Moscou, 1992.
Traduit de l’anglais
.


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Dernière mise à jour : 20.04.05