HYMNE ACATHISTE À SAINT SÉRAPHIM

THAUMATURGE DE SAROV

MÉGALINAIRE

Nous te magnifiions, saint père Séraphim, et nous honorons ta sainte mémoire, toi qui guides les moines et converses avec les anges.

TROPAIRE, TON 4

KONDAKION 1

Thaumaturge élu de Dieu et serviteur merveilleux du Christ, saint Séraphim notre père, tu es notre prompt secours et notre intercesseur. Magnifiant le Seigneur qui t'a glorifié, nous t'adressons des chants de louange. Toi qui as une grande audace auprès de Dieu, délivre-nous de tout malheur, nous qui te disons

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

IKOS 1

Le Créateur des anges t'a élu dès le commencement afin de glorifier par ta vie le nom magnifique de la Sainte Trinité. Tu fus en effet en vérité un ange sur la terre et un séraphin dans ton corps, car ta vie a resplendi de l'éclat éblouissant de l'éternel Soleil de justice. Voyant tes sublimes labeurs, nous te chantons avec dévotion et allégresse :

Réjouis-toi, modèle de foi et de piété,
Réjouis-toi, image de douceur et d'humilité.
Réjouis-toi, gloire et honneur des fidèles,
Réjouis-toi, douce consolation des affligés.
Réjouis-toi, louange bien-aimée des moines,
Réjouis-toi, merveilleux secours de ceux qui sont dans le monde.
Réjouis-toi, gloire et protection de la Russie,
Réjouis-toi, ornement béni de la terre de Tambov.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 2

Lorsque ta mère vit ton brûlant amour pour la vie monastique, saint père Séraphim, elle comprit la sainte volonté du Seigneur à ton égard et t'apportant à Dieu comme une offrande parfaite, elle bénit avec sa sainte croix ton entrée sur l'étroit chemin du monachisme. Tu portas celle-ci jusqu'à la fin de tes jours sur ta poitrine, en signe du grand amour que tu portais au Christ jésus, crucifié pour nous. C'est pour Lui qu'avec componction tous nous nous écrions

ALLELUIA !

IKOS 2

L'intelligence d'En-haut te fut accordée, ô saint de Dieu ne cessant de penser aux choses célestes depuis ton enfance, tu quittas la maison paternelle pour le Royaume de Dieu et Sa justice. Accepte donc de nous ces louanges :

Réjouis-toi, enfant élu de Dieu de la ville de Koursk,
Réjouis-toi, admirable rejeton de pieux parents.
Réjouis-toi, héritier des vertus de ta mère,
Réjouis-toi, élevé par elle dans la piété et la prière.
Réjouis-toi, qui reçus sa croix en bénédiction pour la vie ascétique,
Réjouis-toi, qui conservas comme une relique cette bénédiction jusqu'à la mort.
Réjouis-toi, qui, par amour du Seigneur, quittas la maison paternelle,
Réjouis-toi, qui comptas pour néant toutes les beautés de ce monde.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 3

La puissance du Très-haut t'a protégé dès ton enfance en vérité, saint Séraphim. Le Seigneur te garda sain et sauf lorsque tu tombas du haut de l'église, et lorsque tu connus de cruelles souffrances, la Souveraine du Monde vint elle-même t'apporter du ciel la guérison, par ce que dès ton jeune âge tu avais servi Dieu, Lui criant sans cesse :

ALLELUIA !

IKOS 3

Animé d'un grand désir pour l'ascèse de la vie angélique des moines, tu te hâtas dans la sainte ville de Kiev pour y vénérer les saints pères de la Laure. Ayant reçu de la bouche de saint Dosithée l'ordre de diriger tes pas vers le Désert de Sarov, de loin tu embrassas ce lieu béni avec foi, puis tu y demeuras jusqu'à la fin de tes jours agréables à Dieu. Pour nous, émerveillés par le dessein de Dieu à ton égard, nous te chantons avec componction

Réjouis-toi, qui as renoncé à la vanité du monde,
Réjouis-toi, qui as désiré avec ardeur la patrie céleste.
Réjouis-toi, qui as aimé le Christ de tout ton coeur,
Réjouis-toi, qui as pris Son joug plein de douceur.
Réjouis-toi, parfait accomplissement de l'obéissance,
Réjouis-toi, fidèle observance des saints commandements du Seigneur.
Réjouis-toi, qui en priant as affermi en Dieu ton esprit et ton cœur,
Réjouis-toi, colonne inébranlable de la piété.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 4

Faisant taire la tempête des assauts du malin, tu as parcouru toute la voie étroite et pénible de l'ascèse monastique, portant le joug de la vie érémitique, de la réclusion, du silence et des veilles nocturnes. Ainsi étant monté, par la grâce divine, de puissance en puissance, de la pratique à la contemplation de Dieu, tu as émigré dans les demeures d'en-haut, où tu chantes à Dieu avec les anges :

ALLELUIA

IKOS 4

Entendant et voyant la sainteté de ta vie, saint père Séraphim, tes frères furent dans l'étonnement, puis ils vinrent à toi pour méditer sur tes paroles et tes exploits spirituels, glorifiant le Seigneur, qui est admirable en ses Saints. Et nous aussi, avec foi et amour, nous chantons tes louanges, père saint, en te disant :

Réjouis-toi, qui t'es offert tout entier en sacrifice au Seigneur,
Réjouis-toi, qui t'es élevé sur les hauteurs de l'impassiblité.
Réjouis-toi, soldat du Christ toujours victorieux,
Réjouis-toi, bon et fidèle serviteur du Maître des cieux.
Réjouis-toi, notre médiateur sans reproche devant le Seigneur,
Réjouis-toi, notre intercesseur infatigable auprès de la Mère de Dieu.
Réjouis-toi, lys du désert au parfum sublime,
Réjouis-toi, vase sans défaut de la grâce divine.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 5

La lumière divine a brillé dans ta demeure, ô bienheureux, lorsqu'à ton chevet de mourant la Vierge très-pure est venue en personne avec les saint apôtres Pierre et jean et déclara Celui-ci est de notre race. Puis elle te toucha la tête. Aussitôt guéri, tu chantas ta reconnaissance au Seigneur en disant :

ALLELUIA !

IKOS 5

L'ennemi du genre humain, voyant ta vie pure et sainte, père Séraphim, voulut te faire périr. Il lança contre toi de méchantes gens qui te violentèrent sans pitié et t'abandonnèrent pour mort. Et toi, comme un doux agneau, tu supportas tout, père saint, priant le Seigneur pour ceux qui t'offensaient. Aussi, émerveillés par ta bonté, nous te chantons :

Réjouis-toi, qui as imité le Christ Dieu par ta douceur et ton humilité,
Réjouis-toi, qui as triomphé de l'esprit du mal par ton innocence.
Réjouis-toi, gardien zélé de la pureté du corps et de l'âme,
Réjouis-toi, ermite comblé des dons de la grâce.
Réjouis-toi, ascète à qui Dieu donna gloire et clairvoyance,
Réjouis-toi, guide des moines admirable de sagesse.
Réjouis-toi, louange et joie de la sainte Église,
Réjouis-toi, gloire et fleuron du monastère de Sarov.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 6

Les solitudes de Sarov proclament tes exploits spirituels et tes labeurs, serviteur du Christ et porteur de Dieu, car ta prière en a embaumé les arbres et les forêts. Emule d'Elie, le prophète de Dieu, et de jean, le baptiste du Seigneur, tu es devenu dans le désert une plante chargée des nombreux fruits du Saint Esprit. Par Son opération tu as accompli beaucoup d'actions grandioses, incitant les fidèles à chanter au Dieu dispensateur de tous les biens :

ALLELUIA !

IKOS 6

En toi, ô bienheureux Séraphim, a brillé un nouveau visionnaire de Dieu, semblable à Moïse. Alors en effet que tu accomplissais irréprochablement le service de l'autel divin, tu as été digne de voir le Christ entrer dans l'église, entouré des puissances incorporelles. Admirant pareille bienveillance de Dieu à ton égard, nous te chantons :

Réjouis-toi, très-glorieux visionnaire de Dieu !
Réjouis-toi, qui fus enveloppé de la lumière au triple éclat.
Réjouis-toi, fidèle serviteur de la Sainte Trinité,
Réjouis-toi, harmonieuse demeure de l'Esprit Saint.
Réjouis-toi, qui de tes yeux de chair as contemplé la face du Christ avec les anges,
Réjouis-toi, qui dans ton corps périssable as connu l'avant-goût de la douceur du paradis.
Réjouis-toi, qui fus rassasié du pain de la vie,
Réjouis-toi, qui fus abreuvé à la source immortelle.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 7

Désirant manifester en toi, ô saint, Sa miséricorde ineffable envers les hommes, le Seigneur qui nous aime a fait de toi un vrai flambeau de la lumière divine. Par tes actions et tes paroles, tu amenais tous les hommes à la piété et à l'amour de Dieu. C'est pourquoi, illuminés par l'éclat de tes exploits spirituels et nourris du pain de ton enseignement, de tout coeur nous te magnifions et chantons au Christ qui t'a glorifié :

ALLELUIA !

IKOS 7

Voyant en toi un nouvel élu de Dieu, les fidèles dans la peine et l'affliction accoururent de loin vers toi. Tu ne les as pas rejetés dans leurs pesants malheurs, mais leur as offert la guérison, la consolation et tes prières d'intercession. C'est pourquoi l'annonce de tes miracles s'est répandue par toute la terre russe et tes enfants spirituels te glorifient en chantant :

Réjouis-toi, notre bon pasteur,
Réjouis-toi, notre père plein de douceur et de compassion.
Réjouis-toi, médecin diligent et plein de grâce,
Réjouis-toi, guérisseur miséricordieux de nos faiblesses.
Réjouis-toi, prompt secours dans le malheur et l'adversité,
Réjouis-toi, très doux pacificateur des âmes tourmentées.
Réjouis-toi, qui voyais les choses futures comme présentes,
Réjouis-toi, qui dans ta clairvoyance découvrais les fautes les plus secrètes.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 8

Etrange est la merveille qu'en toi, ô bienheureux, nous contemplons : vieillard faible et chargé de labeurs, tu as passé mille jours et mille nuits en prière sur une pierre ! Qui pourrait faire le récit des souffrances et des luttes que tu as endurées, père saint, élevant tes mains pures vers Dieu afin de vaincre l'Amalec spirituel, et chantant au Seigneur :

ALLELUIA !

IKOS 8

" Tout mon désir, c'est Toi, très-doux Jésus, et toutes mes délices ! ", murmurais-tu dans tes prières au sein de ta solitude silencieuse. Et nous, enténébrés par la vanité du monde et gaspillant toute notre vie dans les péchés, nous célébrons ton amour pour le Seigneur en te chantant :

Réjouis-toi, médiateur du salut pour ceux qui t'aiment et te vénèrent,
Réjouis-toi, qui conduis les pécheurs à l'amendement.
Réjouis-toi, admirable dans ton silence et ta réclusion,
Réjouis-toi, qui intercèdes de tout coeur en notre faveur.
Réjouis-toi, qui as brûlé d'amour pour le Seigneur,
Réjouis-toi, qui as consumé par le feu de la prière les flèches de l'ennemi.
Réjouis-toi, flamme de prière toujours ardente dans le désert,
Réjouis-toi, lampe allumée au feu des dons du Saint-Esprit.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 9

Toute la nature angélique fut saisie d'étonnement à cet étrange spectacle : la Reine du ciel et de la terre apparaissant à un vieil homme dans sa réclusion et lui ordonnant d'en sortir, de ne pas interdire aux fidèles de venir à lui et de leur apprendre à tous à chanter au Christ Dieu :

ALLELUIA !

IKOS 9

Les orateurs les plus habiles ne sauraient dire la puissance de ton amour, bienheureux. Te dévouant au service de tous ceux qui venaient à toi, suivant l'injonction de la Mère de Dieu, tu devins le bon conseiller des incertains, le consolateur des désemparés, le guide plein de douceur des égarés, le médecin et le guérisseur des malades. C'est pourquoi nous te chantons :

Réjouis-toi, qui as fui le monde pour le désert afin d'acquérir les vertus,
Réjouis-toi, qui es revenu du désert au monastère pour semer les graines de la vertu.
Réjouis-toi, qui fus éclairé par la grâce de l'Esprit Saint,
Réjouis-toi, qui fus comblé de douceur et d'humilité.
Réjouis-toi, père qui aimais comme tes enfants ceux qui recouraient à toi,
Réjouis-toi, qui par tes mots d'amour leur dispensais courage et consolation.
Réjouis-toi, qui appelais tes visiteurs " ma joie " et " mon trésor ".
Réjouis-toi, qui par la sainteté de ton amour t'es rendu digne des joies du Royaume céleste.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 10

Tu as atteint le terme de ta vie d'ascèse salvatrice agenouillé en prière, ô bienheureux, et tu as remis ton âme sainte entre les mains de Dieu. Les saints anges l'ont emportée jusqu'au trône du Tout-Puissant, afin que tu prennes place dans la gloire sans déclin avec tous les saints qui chantent au Verbe plus saint que tous les saints l'hymne de louange :

ALLELUIA !

IKOS 10

Rempart de tous les saints et joie des moines, la très-sainte Vierge t'est apparue avant ta fin pour t'annoncer ton proche départ vers Dieu. Et nous, émerveillés par cette visite de la Mère de Dieu, nous te chantons :

Réjouis-toi, qui as contemplé le visage de la Reine du ciel et de la terre,
Réjouis-toi, qui fus rempli de joie par l'apparition de la Mère de Dieu.
Réjouis-toi, qui as reçu d'elle l'annonce de ton transfert au ciel,
Réjouis-toi, dont la fin exemplaire a montré la sainteté de ta vie.
Réjouis-toi, qui, priant devant l'icône de la Mère de Dieu, as remis à Dieu ton humble esprit,
Réjouis-toi, qui as connu une mort douce, ainsi que tu l'avais prédit.
Réjouis-toi, qui des mains du Tout-puissant as reçu la couronne de l'immortalité,
Réjouis-toi, qui avec tous les saints as hérité de la béatitude du paradis.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 11

Elevant une hymne incessante à la Sainte Trinité, bienheureux, tu es devenu par toute ta vie un grand ascète de la piété, pour l'éclairement des égarés et la guérison des malades de l'âme et du corps. Pleins de reconnaissance envers le Seigneur pour pareille miséricorde envers nous, en tout temps nous Lui disons :

ALLELUIA !

IKOS 11

Toi qui fus de ton vivant un flambeau répandant la lumière, père aimé de Dieu, tu as continué après ta mort à illuminer de ton éclat la terre de Russie : tu fais sourdre en effet de tes précieuses reliques des flots de miracles pour tous ceux qui s'approchent de toi avec foi et amour. Aussi nous adressons-nous à toi comme à notre chaleureux intercesseur et puissant thaumaturge en te chantant :

Réjouis-toi, qui fus glorifié par le Seigneur à travers une multitude de miracles,
Réjouis-toi, qui as éclairé le monde entier de ton amour.
Réjouis-toi, fidèle imitateur de la charité du Christ,
Réjouis-toi, consolation de tous ceux qui implorent ton aide.
Réjouis-toi, source inépuisable de miracles,
Réjouis-toi, guérisseur des malades et des infirmes.
Réjouis-toi, puits intarissable des eaux de toute guérison,
Réjouis-toi, qui as embrassé les confins de notre terre en ton amour.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 12

Connaissant la grâce et la grande audace que tu possèdes auprès de Dieu, nous t'en prions, père très-saint, prie avec ferveur le Seigneur pour qu'il garde son Eglise de l'incroyance et du schisme, des malheurs et des tentations, pour que nous puissions chanter au Dieu qui, grâce à toi, nous couvre de bienfaits :

ALLELUIA !

IKOS 12

Nous célébrons ta glorification, saint, nous te vénérons comme notre puissant intercesseur auprès du Seigneur, comme notre consolateur et notre avocat, et nous t'adressons avec amour ces louanges :

Réjouis-toi, gloire de l'Église orthodoxe,
Réjouis-toi, bouclier et rempart de notre patrie.
Réjouis-toi, guide qui conduis tous les hommes vers le ciel,
Réjouis-toi, notre défenseur et notre protecteur.
Réjouis-toi, qui accomplis beaucoup de miracles par la puissance divine,
Réjouis-toi, qui guéris de nombreux infirmes par ton vêtement.
Réjouis-toi, qui as vaincu toutes les ruses du démon,
Réjouis-toi, qui as soumis les bêtes sauvages par ta douceur.

RÉJOUIS-TOI, SAINT SÉRAPHIM,
THAUMATURGE DE SAROV !

KONDAKION 13

Ô merveilleux serviteur et grand thaumaturge, saint père Séraphim, accepte cette pauvre prière que nous élevons à ta louange, et puisque tu te tiens maintenant auprès du trône du Roi des rois, notre Seigneur jésus Christ, prie-Le pour nous tous, afin que nous trouvions grâce devant Lui au jour du jugement et puissions Lui chanter dans la joie :

ALLELUIA, ALLELUIA, ALLELUIA !

Ce Kondakion se dit trois fois.

On dit ensuite l'Ikos 1 et le Kondakion 1.

PRIÈRE A SAINT SÉRAPHIM

Saint Séraphim, notre père merveilleux, grand thaumaturge de Sarov, prompt secours de tous ceux qui recourent à toi ! De ton vivant nul ne t'a quitté les mains vides et sans consolation, mais pour tous, ce fut une douceur de voir ton visage et d'entendre le son des tes paroles indulgentes. Car c'est à eux que s'est manifestée l'abondance de tes dons de guérison, de clairvoyance et de consolation des âmes en peine. Et lorsque Dieu t'a rappelé des labeurs terrestres pour te faire entrer dans le repos céleste, ton amour ne nous a jamais quittés, non plus que les étoiles du ciel, on ne peut dénombrer la multitude de tes miracles : car dans tous les horizons de notre terre, tu apparais aux hommes de Dieu et leur apportes la guérison. C'est pourquoi, nous aussi, nous te chantons : ô serviteur de Dieu plein de douceur et d'humilité, intercesseur hardi auprès de Lui, qui ne rejettes jamais aucun de ceux qui s'adressent à toi, élève pour nous ta prière vigoureuse vers le Seigneur des puissances, afin qu'Il affermisse la foi des chrétiens orthodoxes, afin qu'Il nous accorde tout ce qui convient dans cette vie et tout ce qui contribue au salut de nos âmes, afin qu'Il nous garde de tomber dans le péché et nous enseigne le vrai repentir, afin que nous puissions entrer sans trébucher dans le Royaume céleste et éternel, là où tu brilles maintenant d'une gloire sans déclin, et célébrer avec tous les saints et jusqu'à la consommation des siècles la Trinité, source de vie. Amen.

KONDAKION, TON 2

Texte original (slavon) d’après l’édition synodale de Saint-Pétersbourg, 1904 ; traduction française : Monastère Notre-Dame de Toute Protection, Bussy-en-Othe, France, 1998.

 

Acathiste au vénérable
Séraphim de Sarov le Thaumaturge

http://perso.wanadoo.fr/stranitchka/VO15/Acathiste_Serafim_Sarov.htm

KONDAKION 1

Thaumaturge élu et prodige plaisant au Christ, pour nous prompt secours et force de prière, vénérable père Séraphim ! Magnifiant le Seigneur qui t’a glorifié, nous entonnons tes louanges. Et toi qui jouis d’une grande hardiesse devant le Seigneur, délivre-nous de tout malheur, nous qui te chantons : Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

IKOS 1

Le Créateur des anges t’a élu dès l’origine afin que tu glorifies par ta vie le Nom très merveilleux de la Sainte Trinité. Car tu es apparu en vérité un Ange sur terre et un Séraphim dans la chair : comme un rayon très lumineux du Soleil éternel, ta vie a resplendi. Et nous qui contemplons tes œuvres très louables, avec révérence et allégresse voici ce que nous te proclamons :

Réjouis-toi, règle de foi et de piété !
Réjouis-toi, image de douceur et d’humilité !
Réjouis-toi, très glorieuse magnificence des fidèles !
Réjouis-toi, très douce consolation pour les affligés !
Réjouis-toi, louange aimante des moines !
Réjouis-toi, aide admirable pour ceux qui vivent dans le monde !
Réjouis-toi, gloire et défense de la souveraineté russe !
Réjouis-toi, ornement sacré du pays de Tambov !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 2

Ta mère, en voyant ton amour ardent pour la vie monastique, ô vénérable père Séraphim, reconnut la sainte volonté du Seigneur à ton égard; t’offrant en don parfait à Dieu, elle te bénit pour la voie étroite du monachisme avec sa propre croix, celle que tu portas sur ton sein jusqu’à la fin de ton existence terrestre, en signe de ton immense amour envers celui qui fut crucifié pour nous, le Christ notre Dieu, auquel nous crions avec componction : Alléluia !

IKOS 2

L’esprit céleste te fut donné, saint de Dieu et dès ta jeunesse ne cessant de songer au cieux, tu délaissas la maison paternelle pour le Royaume de Dieu et sa justice. C’est pourquoi tu reçois de nous ces louanges :

Réjouis-toi, enfant de Koursk élu par Dieu !
Réjouis-toi, rejeton très pur de parents pieux !
Réjouis-toi, héritier des bonnes œuvres de ta mère !
Réjouis-toi, éduqué par elle dans la piété et la prière !
Réjouis-toi, béni pour l’exploit spirituel par la croix maternelle !
Réjouis-toi, qui as gardé cette bénédiction comme objet sacré jusqu’à mort !
Réjouis-toi, qui as quitté la demeure paternelle pour l’amour du Seigneur !
Réjouis-toi, qui comptas pour rien toute la beauté de ce monde !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 3

En vérité la Puissance du Très-Haut t’a protégé depuis ta prime jeunesse, ô vénérable : le Seigneur t’a conservé sain et sauf lors de ta chute du toit d’une église, et la Souveraine de l’univers en personne t’est apparue lorsque tu souffrais cruellement, t’apportant des cieux la guérison, car dès l’enfance tu servais fidèlement Dieu, lui clamant sans cesse : Alléluia !

IKOS 3

Éprouvant de l’attirance pour l’exploit de la vie monastique semblable à celle des anges, tu t’es hâté vers la sainte cité de Kiev pour t’incliner devant les vénérables Saints des Grottes, et ayant reçu des lèvres du vénérable Dosithée l’ordre de diriger tes pas vers la Solitude de Sarov, tu as de loin embrassé avec foi ce saint lieu et une fois installé là, tu y achevas ton existence agréable à Dieu. Et nous, émerveillés d’une telle providence divine à ton égard, nous te clamons avec componction :

Réjouis-toi, qui t’es retranché de la vanité de ce monde !
Réjouis-toi, qui as ardemment désiré la patrie céleste !
Réjouis-toi, qui as aimé le Christ de tout de ton cœur !
Réjouis-toi, qui as pris sur toi le bon joug du Christ !
Réjouis-toi, qui fus rempli de la parfaite obéissance !
Réjouis-toi, fidèle gardien des commandements du Seigneur !
Réjouis-toi, qui par la prière as établi en Dieu ton esprit et ton cœur !
Réjouis-toi, colonne inébranlable de la piété !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 4

Calmant la tempête des tentations malines, tu as parcouru tout l’étroit et pénible chemin de l’exploit ascétique des moines, portant le fardeau de la vie solitaire, de la réclusion, du silence et des vigiles nocturnes et t’élevant ainsi, par la grâce de Dieu, de force en force, de l’action vers la contemplation divine, tu as pris demeure dans les lieux très-hauts, où tu chantes avec les anges : Alléluia !

IKOS 4

En entendant et en voyant ta sainte vie, ô vénérable père Séraphim, tous tes frères furent émerveillés par toi et venant à toi, reçurent l’enseignement de tes paroles et de tes exploits, glorifiant Dieu admirable dans ses saints. Et nous tous, avec foi et amour nous te louons, ô vénérable père, et nous te clamons :

Réjouis-toi, qui t’es offert tout entier en sacrifice au Seigneur !
Réjouis-toi, qui as atteint la cime d’impassibilité !
Réjouis-toi, guerrier du Christ vainqueur !
Réjouis-toi, bon et fidèle serviteur du céleste maître de maison!
Réjouis-toi, notre irréprochable avocat devant le Seigneur !
Réjouis-toi, toi qui pries pour nous sans répit la Mère de Dieu !
Réjouis-toi, lys du désert au merveilleux parfum !
Réjouis-toi, récipient sans tache de la grâce divine !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 5

La lumière divine illumina ta demeure, ô vénérable, alors que tu gisais malade sur ton lit de mort, lorsque la Très Pure Vierge vint elle-même à toi, en compagnie des apôtres Pierre et Jean, et dit : " Celui-ci est de notre lignée " puis toucha ta tête. Aussitôt guéri, tu chantas avec gratitude au Seigneur : Alléluia !

IKOS 5

L’ennemi du genre humain, voyant ta vie pure et sainte, vénérable Séraphim, voulut te faire périr ; il dressa contre toi des hommes vils qui te tourmentèrent d’une façon inique et te laissèrent à demi-mort. Mais toi, père saint, comme un doux agneau, tu souffris tout cela en priant le Seigneur pour ceux qui te malmenaient. Voilà pourquoi, émerveillés d’une telle innocence en toi, tous nous te chantons :

Réjouis-toi, qui imites dans ta douceur et ton humilité le Christ Dieu!
Réjouis-toi, qui as vaincu par ton innocence l’esprit de méchanceté !
Réjouis-toi, zélé gardien de la pureté de l’âme et du corps !
Réjouis-toi, ermite débordant des dons de la grâce !
Réjouis-toi, athlète doué de discernement que Dieu a glorifié !
Réjouis-toi, admirable précepteur des moines à la divine sagesse !
Réjouis-toi, louange et allégresse de l’Église !
Réjouis-toi, gloire et joyau de la communauté de Sarov !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 6

La solitude de Sarov proclame tes ascèses et tes labeurs, ô théophore plaisant au Christ : tu as embaumé ses bosquets et ses forêts de ta prière, à l’exemple du divin Prophète Élie et du Baptiste Jean, et tu t’es révélé au désert comme l’épanouissement très fructueux des dons de l’Esprit Saint. Par son action tu as accompli beaucoup de choses glorieuses, incitant les fidèles à chanter à Dieu donateur des biens : Alléluia !

IKOS 6

En toi est apparu un nouveau visionnaire de Dieu, semblable à Moïse, bienheureux Séraphim : accomplissant sans faute le service de l’autel pour le Seigneur, il t’a été accordé de voir le Christ s’avançant dans le temple avec les puissances incorporelles. Nous émerveillant de cette bienveillance divine envers toi, nous te chantons :

Réjouis-toi, très glorieux visionnaire de Dieu !
Réjouis-toi, qui as été illuminé de la Lumière au triple éclat !
Réjouis-toi, fidèle célébrant de la Très Sainte Trinité !
Réjouis-toi, demeure embellie de l’Esprit Saint !
Réjouis-toi, qui as dévisagé de tes yeux corporels le Christ en compagnie des anges !
Réjouis-toi, qui dans ton corps terrestre as goûté par avance la saveur édénique !
Réjouis-toi, rassasié du Pain de vie !
Réjouis-toi, abreuvé de la Boisson d’immortalité !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 7

Le Seigneur ami de l’homme voulant manifester son indicible miséricorde à l’égard du peuple, a révélé en toi un véritable luminaire de divine illumination : par tes actes et tes paroles, tu amenais chacun à la piété et l’amour de Dieu. C’est pourquoi, illuminés par l’éclat de tes exploits spirituels et nourris du pain de ton enseignement, nous te magnifions ardemment et nous chantons au Christ qui t’a glorifié : Alléluia !

IKOS 7

Voyant en toi un nouvel élu de Dieu, les fidèles accouraient de loin vers toi avec leurs afflictions et leurs maux : et ceux qu’accablaient les malheurs tu ne les as pas repoussés, déversant les guérisons, donnant la consolation, intercédant dans tes prières. C’est pourquoi l’annonce de tes miracles s’est répandue sur toute le terre russe et tes enfants spirituels te glorifient ainsi :

 

Réjouis-toi, notre bon pasteur !
Réjouis-toi, père compatissant et doux !
Réjouis-toi, notre prompt médecin plein de grâce !
Réjouis-toi, guérisseur miséricordieux de nos infirmités !
Réjouis-toi, prompt secours dans les malheurs et les nécessités !
Réjouis-toi, très suave pacificateur des âmes troublées !
Réjouis-toi, qui prévois les choses à venir comme si elles étaient présentes !
Réjouis-toi, accusateur plein de discernement des fautes cachées !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 8

Nous voyons en toi un étrange miracle, ô vénérable : car, alors que tu étais déjà un vieillard infirme épuisé par les labeurs, tu as passé mille jours et nuits sur une pierre dans la prière. Qui serait capable d’énumérer les maux et les luttes, bienheureux père, que tu as endurés, lorsqu’élevant tes mains bénies vers Dieu, tu vainquais l’Amalec spirituel et chantais au Seigneur : Alléluia !

IKOS 8

" Tu es tout entier désir, tout entier douceur, très suave Jésus ! " Ainsi clamais-tu en prière, ô père, dans ta tranquillité érémitique. Et nous, enténébrés par les choses vaines et menant toute notre existence dans le péché, nous luons ton amour pour le Seigneur et nous te chantons ainsi :

Réjouis-toi, moyen de salut pour ceux qui t’aiment et t’honorent !
Réjouis-toi, qui amène les pécheurs à se corriger !
Réjouis-toi, très admirable silencieux et reclus !
Réjouis-toi, ardent dans tes prières pour nous !
Réjouis-toi, qui révèles ton amour enflammé pour le Seigneur !
Réjouis-toi, qui consumes les traits ennemis par le feu de la prière !
Réjouis-toi, lampe inextinguible, qui brûle de prière dans le désert !
Réjouis-toi, luminaire qui flambe et illumine de tes dons spirituels !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 9

Toute la nature angélique s’émerveilla de cette étrange vision : alors que l’Ancien se trouvait reclus, la Reine du ciel et de la terre lui apparut, lui enjoignant d’ouvrir sa clôture et de ne pas détourner le peuple orthodoxe de venir à lui mais d’enseigner à tous de chanter au Christ Dieu : Alléluia !

IKOS 9

Les orateurs éloquents sont dans l’incapacité de décrire la force de ton amour, ô Bienheureux : car tu t’es offert toi-même au service de tous ceux qui venaient à toi, accomplissant l’injonction de la Mère de Dieu, et tu es devenu le bon conseiller de ceux qui ne doutaient pas, le consolateur des découragés, la douce réprimande des égarés. C’est pourquoi nous te chantons :

Réjouis-toi, qui du monde es venu t’installer dans la solitude pour acquérir les vertus !
Réjouis-toi, qui de la solitude es revenu au monastère pour semer les graines des vertus !
Réjouis-toi, illuminé par la grâce de l’Esprit Saint !
Réjouis-toi, père plein d’amour pour ceux qui, comme des enfants, accourent vers toi !
Réjouis-toi, qui leur donnes le courage et la consolation par tes paroles aimantes !
Réjouis-toi qui nommes ceux qui viennent à toi " joie " et " trésor " !
Réjouis-toi, qui as reçu pour ton saint amour la joie du Royaume Céleste !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 10

Tu as atteint la fin de ton ascèse salutaire, vénérable, dans la prière à genoux, tu as remis ta sainte âme dans les mains de Dieu, elle que les anges saints ont transportée en haut au trône du Tout-Puissant, afin qu’avec tous les saints tu te tiennes dans la gloire sans couchant et chantes l’hymne de louange au Verbe plus saint que les saints : Alléluia !

IKOS 10

Rempart pour tous les saints et clôture pour les moines, la Très Sainte Vierge t’apparut avant ta fin, t’annonçant ton départ prochain vers Dieu. Et nous, émerveillés d’une telle visite de la Mère de Dieu, nous te chantons :

Réjouis-toi, qui as contemplé face à face la Reine du ciel et de la terre!
Réjouis-toi, dans l’allégresse de cette apparition de la Mère de Dieu !
Réjouis-toi, qui as reçu d’elle la nouvelle de ton transfert céleste !
Réjouis-toi, qui montres par ta juste fin la sainteté de ta vie !
Réjouis-toi, qui dans l’onction de la prière devant l’icône de la Mère de Dieu
as remis ton esprit à Dieu !
Réjouis-toi, qui par ton trépas sans douleur as accompli tes prédictions !
Réjouis-toi, coiffé par le Tout-Puissant de la couronne d’immortalité !
Réjouis-toi, qui as hérité avec tous les saints la béatitude paradisiaque !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 11

Élevant ton chant incessant vers la Très Sainte Trinité, ô vénérable, tu t’es révélé par toute ton existence un grand athlète de piété, le retour à la raison des égarés, la guérison des malades d’âme et de corps. Et nous, reconnaissants au Seigneur d’une telle miséricorde à notre égard, nous lui chantons éternellement : Alléluia !

IKOS 11

Étant de ton vivant un flambeau donateur de lumière, père divinement bienheureux, après ta mort aussi tu as illuminé, comme un luminaire éclatant, le terre russe : car tu as répandu de tes précieuses reliques des flots de miracles sur ceux qui accourent à toi avec foi et amour. C’est pourquoi nous te chantons, à toi le thaumaturge ardent dans ta prière pour nous :

Réjouis-toi, glorifié par Dieu dans une multitude de miracles !
Réjouis-toi, qui as illuminé le monde entier de ton amour !
Réjouis-toi, fidèle adepte de l’amour du Christ !
Réjouis-toi, consolation de tous ceux qui implorent ton secours !
Réjouis-toi, source inextinguible de miracles !
Réjouis-toi, guérisseur des malades et des souffrants !
Réjouis-toi, puits inépuisable d’une eau aux multiples vertus curatrices !
Réjouis-toi, car tu as étreint de ton amour les confins de notre terre !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 12

Voyant ta grâce et grande hardiesse devant Dieu, nous te prions, ô vénérable : prie ardemment le Seigneur qu’il garde sa Sainte Église de l’incroyance et du schisme, des malheurs et des attaques, afin que nous chantions à Dieu, qui nous a par toi prodigué ses bienfaits : Alléluia !

IKOS 12

Chantant ta glorification, nous te proclamons bienheureux, ô vénérable, toi dont la prière pour nous est puissante devant le Seigneur, notre consolateur et notre intercesseur, et nous te clamons avec amour :

Réjouis-toi, louange de l’Église orthodoxe !
Réjouis-toi, bouclier et muraille de notre patrie !
Réjouis-toi, guide qui dirige chacun vers les cieux !
Réjouis-toi, notre défenseur et protecteur !
Réjouis-toi, qui as accompli nombre de miracles par la puissance divine !
Réjouis-toi, qui par ton manteau as guéri nombre de souffrants !
Réjouis-toi, qui as vaincu toutes les embûches diaboliques !
Réjouis-toi, qui as soumis les bêtes féroces par ta douceur !
Réjouis-toi, vénérable Séraphim, thaumaturge de Sarov !

KONDAKION 13

Ô prodige qui a trouvé grâce, grand thaumaturge, vénérable père Séraphim, reçois de nous cette modeste oraison, prononcée à ta louange, et toi qui te tiens maintenant devant le trône du Roi des régnants, notre Seigneur Jésus Christ, prie pour nous tous, que nous obtenions sa miséricorde au jour du jugement, lui chantant dans l’allégresse : Alléluia ! (trois fois)

(Ensuite à nouveau IKOS 1 puis KONDAKION 1)

Première Prière au vénérable Séraphim :

Ô très admirable père Séraphim, grand thaumaturge de Sarov, prompt secours de ceux qui accourent vers toi ! Aux jours de ta vie terrestre, personne ne t’a quitté attristé et inconsolé, mais tous goûtèrent la suavité de contempler ta face et d’entendre le son mélodieux de tes paroles. En outre, le don de guérison, le don de clairvoyance, le don de soigner les âmes infirmes, se sont abondamment manifestés en toi. Et lorsque Dieu t’a appelé à quitter tes œuvres terrestres pour le repos céleste, ton amour ne s’est nullement éloigné de nous, et il est impossible d’énumérer tes miracles qui se sont multipliés comme les étoiles célestes. Car tu t’es manifesté jusqu’aux confins de notre terre aux hommes de Dieu et tu leur as donné la guérison. C’est pourquoi nous aussi te chantons : Ô très paisible et doux plaisant à Dieu, plein de hardiesse dans la prière qui ne rejette aucun de ceux qui te supplient, élève pour nous vers le Seigneur des Puissances ta prière au pouvoir efficace, afin qu’il nous donne tout ce qui est d’un bon usage pour cette vie et tout ce qui est utile pour le salut de l’âme, qu’il nous préserve des chutes dans le péché et nous enseigne la vraie pénitence, pour que nous soyons introduits, sans avoir succombés aux embûches, dans le Royaume céleste et éternel où tu resplendis maintenant dans la gloire inaccessible, et que nous puissions y chanter jusqu’à fin du temps avec tous les saints la Trinité principe de vie. Amen.

Deuxième prière au vénérable Séraphim :

Ô toi qui as trouvé grande faveur auprès de Dieu, vénérable théophore, notre père Séraphim ! Jette du haut de ta gloire un regard sur nous humbles et infirmes, accablés par la multitude de nos péchés, qui te demandons secours et réconfort. Descends sur nous dans la bonté de ton cœur et aide-nous à préserver sans faute les commandements du Seigneur, à conserver fermement la foi orthodoxe, à présenter à Dieu une repentance ardente pour nos péchés, à prospérer par la grâce dans la piété chrétienne et à devenir dignes de l’intercession de tes prières à Dieu. Oui, saint de Dieu, écoute-nous qui te prions avec foi et amour et ne nous dédaigne pas, nous qui demandons ta défense : aide-nous maintenant et à l’heure de notre fin et défends-nous par tes prières des attaques malicieuses du diable, afin que ses puissances ne nous dominent, mais pour qu’il nous soit accordé, par à ton entremise, d’hériter la béatitude des demeures édéniques. En toi nous plaçons à cette heure notre espérance, père au cœur plein de bonté : sois en vérité pour nous un guide vers le salut, et par ton intercession agréable à Dieu devant le trône de la Très Sainte Trinité, amène-nous à la lumière sans déclin de la vie éternelle, afin que nous glorifions et chantions avec tous les saints le Nom digne d’adoration du père, du Fils et du Saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

Saint-Petersbourg, 1904

 

L’OURS DE SAINT SÉRAPHIM par Ivan Loukach

Envahie par la brume du soir, la forêt, mystérieusement figée, parait écouter.

Ils sont deux à marcher dans l’herbe.

Un vieux moine s’avance, courbé par les ans, sa soutane de toile écrue et sa calotte paraissent blanches. Dans la douceur des ténèbres on perçoit son visage ridé, éclairé par des yeux tout bleus. Il semble rayonner d’une pureté non terrestre, d’un silence céleste. On voit parfois cet aspect de sagesse réservée sur les visages des vieux paysans russes. Le visage du vieux moine semble empreint de tous les bruissements de la forêt, de sa lumière, de son silence.

Avec lui, s’avance l’ours.

La main du vieux moine est posée sur l’échine de l’animal, dont le poil rêche fume dans le froid.

L’ours marche a pas doux, sans bruit, ses pattes allongées sont trempées de rosée. Parce qu’il est en contact avec l’herbe mouillée, le poil ébouriffé de son poitrail brun est presque noir. La bête souffle fort dans le brouillard, on aperçoit sa grosse tête humide. Là où la vieille savate en aubier tressé, trempée d’eau, du moine, fait craquer une brindille, la grosse patte griffue de l’ours se pose légèrement, elle frôle à peine le sol. Les feuilles mortes répandent une senteur fraîche, acide. Le feuillage frémit, s’envole, comme si s’effritait un mur de cuivre rougeâtre.

Il y a dans les fourrés une grosse pierre grise. Devant sont coincées deux planches grossières pour que la brise de la nuit ne souffle pas la flamme du cierge.

Le moine s’agenouille sur la pierre, allume un cierge du monastère et on entend sa voix faible, transie par le froid :

" Allons, vieux frère, prions... prions pour tous et pour tout.... ! "

La voix va de feuille en feuille, parcourt les ténèbres.

Le loup dresse l’oreille, se met sur ses pattes arrière, les pattes tremblent, grises, puissantes noueuses, avec des taches bleuâtres sur la peau, là où les ont blessé les plombs des chasseurs.

L’oiseau tressaille, ouvre un oeil, le découvrant de sa paupière blanche. Les bouleaux, translucides, luisent de leur or jaune dans l’obscurité.

Chaque feuille frémit, frémissent aussi les trembles, dont le feuillage est déjà noirci par les premières gelées, les noisetiers chuchotent. Les chênes bruissent dans les hauteurs....

Le jeune lièvre arrivé d’un bond dans les avoines couchées, que la faux du moissonneur n’a pas atteint en bordure du champ, culbute, couche ses oreilles, plisse les paupières – il a entendu, lui aussi ;

" Allons vieux frère, prions.... "

Et le corbeau qui sautait sur une patte dans les chaumes hérissés, bat de ses ailes noires.

Le moine tout blanc prie sur sa pierre. Près de la pierre, l’ours est dressé sur ses pattes arrière. Le poil fait comme une bosse sur sa nuque, les petits yeux couleur de noisette de l’animal regardent le moine esquisser les signes de croix de sa main sèche. Les croix semblent tinter sur sa vieille poitrine sous la soutane de toile écrue.

Aux premières lueurs du jour, quand tout pâlit, enveloppé de brume, dans cette aube qui naît sur la Russie, le moine blanc sort de la forêt, et l’ours avec lui. La main du moine est sur la tête de l’ours. Ils sont tous deux couverts de rosée et enveloppés de brume.

Près des labours, là où le sentier de la forêt devient un chemin, l’ours s’assoit sur ses pattes arrière et reste longtemps à regarder le moine courbé cheminer entre les lisières des champs moissonnés....

Et quand Séraphim quitta la vie terrestre,  quand on le releva agenouillé dans sa cellule, devant l’icône de la Mère de Dieu, embrasée d’une flamme claire, personne n’a rien dit de ce qui était advenu de l’ours.....

On peut supposer que l’animal sortait à l’orée la forêt dans le champ envahi par la nuit. Loin, dans le noir, clignotaient deux ou trois lumières du couvent. L’ours regardait les lumières et attendait la venue du vieux moine.

Il passa bien des nuits à attendre dans le champ.

Le loup, queue basse, se glissait sur les flaques gelées. Il sentait le chagrin de l’ours et son hurlement en était encore plus lugubre et plus fort.

Les bêtes n’ont personne à qui conter leur peine. Bien des nuits, bien des nuits l’ours a attendu au bord du champ.

Il se mit alors à traîner dans les bois. Il n’arrivait pas à se trouver une place. Chez les bêtes il y a aussi des sans-logis et des vagabonds.

Amaigri, le poil en touffes collées par des glaçons, l’ours errait dans les bois, balançant sa grosse tête. Il dormait là où il se trouvait, sans gîte, dans des feuilles mortes, au fond des ravins, sous des branches tombées.

Il n’avait personne à qui confier son chagrin. L’animal grognait doucement, tristement, alors que dans le haut des chênes bruissait le vent de la nuit et que des herbes mouillées s’agitaient entre les griffes de sa patte velue. Alors en chuintant, les feuilles venaient recouvrir son flanc.

L’animal cherchait. Il éternuait, reniflait les flaques, la mousse.

Sur les sentiers de la forêt, tant que le l’eau glacée ne les avait pas inondé, tant qu’une couche de neige ne les avait pas recouvert, il retrouvait parfois, la trace légère de la savate d’aubier tressé, il sentait alors une odeur qu’il connaissait, une odeur de cire et de miel. L’ours s’asseyait près de la trace et attendait.....

Dure était la tête de l’ours - qu’attendait-il donc? Et sortant sa langue râpeuse, fumante dans le froid, il se mettait à lécher son poil, à se faire une toilette, à sa manière d’ours.

La nuit se faisait noire, la forêt bruissait, et il ne venait toujours personne. ....Alors l’ours se couchait près de la trace, la tête entre les pattes et se mettait à geindre.

Quand il a du chagrin, l’ours geint, le loup aussi geint, en serrant ses mâchoires d’acier, le renard aussi, comme les chiens.

De chagrin, on peut penser que l’ours cessa de craindre l’homme, il décida dans sa tête dure de chercher là où on voit des lumières, là où on sent la fumée, la neige fondue, le pain... là où on entend rire et pleurer des enfants, où aboient les chiens....

On était au coeur de l’hiver dans le gouvernement de Simbirsk lorsqu’un jour, un ours apparut en plein marché, efflanqué, soufflant dans la brume froide.

Bien entendu, ce fut la panique parmi les paysans, les cris.

On tentait de le chasser, en lui jetant des pots de terre, des seaux de bois, des bâtons, et lui, montrant les dents, se blottissait contre une charrette.  Contre la même charrette se blottissait un vieux bonhomme, paralysé par la peur. Il avait une blouse grise, les yeux bleus. Il faut croire que le pauvre ours se méprenant, se glissa contre le vieux paysan et mit le nez sur sa moufle gelée.

Mais que pouvait faire le vieux, qui vendait de la choucroute, d’un ours ? Des tziganes le lui échangèrent contre un poulain chétif qui boitait.

Les tziganes lui mirent une chaîne. Les gens du voyage connaissent bien des choses concernant les bêtes. Il percèrent les narines de l’ours avec un anneau de fer et lui apprirent des tours. Mais l’ours les quitta un jour, s’arrachant à sa chaîne, après avoir d’un coup de patte blessé jusqu’au sang, son guide noiraud à la peau basanée, déchirant son gilet rouge aux grelots de cuivre.

Il arriva qu’on vit l’ours sur la grand-route, reniflant les traces des chevaux et des gens – enragé - se disaient les gens. On le poursuivit, on lui tira des coups de fusil. À la tombée du jour, l’animal partit dans les champs, par les chemins de terre.

Or dans les champs, s’était arrêté un convoi de marchands, des maquignons. Ils avaient vendu leur troupeau et après avoir partagé leurs bénéfices, ils étaient tous fins saouls.

Comme le dit le proverbe, quand un homme est saoul, même la mer lui arrive au genou... Un ours est venu à la lumière.... qu’y a t’il à cela ?    c’est drôle ! c’est tout...

On lui donna à boire de la mauvaise vodka dans un seau.... l’ours but à grandes lampées.

Alors l’un des marchands lui mit une chaîne et l’emmena chez lui – c’est drôle un ours qui se saoule....Les gamins lui donnaient de la vodka dans un baquet et le promenaient dans la cour au bout de sa chaîne.

L’ours se clochardisa, saoul, tremblant, il prit froid et ses pattes se mirent à lui faire mal.

Or, pendant le Grand Carême, un pèlerin vint à entrer dans la cour du marchand. Un vieux paysan, tête nue, en blouse. On en voyait parfois, quêtant pour des églises sinistrées. Ils avaient sur la poitrine une icône sur papier collée sur un panneau à deux volets ; sur celui du dessous, à l’horizontale, ils recueillaient des piécettes noircies par l’usage.

C’est dur une tête d’ours....Il lui sembla tout à coup que ce vieux était justement celui qu’il cherchait... Le mendiant sinistré avait quitté la cour depuis bien longtemps, mais l’ours hurla toute la nuit dans sa remise. Il se dressait sur ses pattes arrière et se laissait tomber de tout son poids sur la porte, remuant la grange entière.

La nuit était humide, il tombait de la neige mêlée de pluie et personne ne sortit voir qu’avait l’animal à hurler de la sorte. À force de s‘agiter, il finit par arracher la poutre à laquelle il était attaché et défonça la porte de la grange.

Dans le bourg, passaient encore, sous la neige mouillée quelques calèches, des passants attardés se hâtaient de rentrer chez eux . Ils voyaient bien un être énorme, noir, dans les tourbillons de neige, mais personne ne pouvait penser, et n’aurait jamais cru, qu’il s’agissait d’un ours.

Secouant la tête, il reniflait la neige. Il cherchait toujours la trace du mendiant, mais ne parvenait pas à le retrouver parmi les milliers d’autres traces de la cité. Il courait par les rues, puis par les sombres faubourgs, et parvint enfin dans les champs où la neige s’amassait en congères.

Au delà des champs bruissait la forêt. C’est ainsi que l’animal retourna dans les bois.

Et il finit comme une bête. La battue de la fin de l’hiver encercla le bois. Des jeunes gens, aidés de bonnes femmes en chiffons bariolés, criant et tapant à coups de maillet dans des planches, finirent par faire sortir l’animal de son amas de neige, tout jauni et fumant. Ils le chassèrent vers les tireurs.

Et quand on le traîna, à contre-poil dans la neige, celle-ci lui remplissant la gueule et se mettant dans ses yeux, l’animal ne comprenait pas que c’était la mort, De ses yeux qui s’éteignaient, il cherchait sans doute encore le moine dans son habit clair.

Et c’est un moine tout transparent, dans sa soutane blanche, qui se pencha alors sur lui, posant la main sur son énorme tête d’ours qui ruisselait de sang, et du contact de cette main tout devint si clair et chaud :

- Tu as assez eu de peines. Allons, viens mon frère....

Et ils s’en allèrent, l’ours et le moine, tous les deux transparents....

Ivan Loukach

1892 – 1940

 

Traduction Alexandre Nicolsky pour ma filleule Agapia et sa famille)

Notice biographique - Ivan Sozontovich Lukach

Né en 1892 à St Petersbourg.il passe son enfance près de l’Académie des Beaux-Arts où son père, vétéran de la guerre russo-turque, est concierge et pose comme modèle.

Étudie à la Faculté de Droit.

Son premier recueil de vers, Les fleurs vénéneuses, est publié en 1910. Participe aux publications des " geofuturistes " ( ?), publie des récits dans les revues Sovremennoye Slovo et Ogoniok.

Accueille avec joie la révolution de février 1917 et publie des brochures consacrées à ses héros.

Octobre 1917 marque une crise et un retournement de son attitude. Il combat contre les " Rouges " avec les armées blanches. Participe à la presse des " Blancs " en Crimée Yug Rossi, Golos Tavrii.

Il suit les chemins de l’émigration : Constantinople, Gallipoli, Tarnovo, Sofia, Vienne, Prague, Berlin, Riga, Paris.

Les épisodes de la guerre civile sont reflétés dans " La Mort " et l’ouvrage documentaire " Le champ nu ", tous deux publiés en 1922 ;

À Berlin, il entre dans le cercle des écrivains russes " Vereteno " (le rouet). Il publie un recueil de récits : " Le diable au poste de police ", des nouvelles : " La maison des défunts ", " Le comte Cagliostro ", le roman " Floraison blanche " et un " mystère " : " Le diable ".

En 1925 il part à Riga où il coopère aux revues Slovo et Segodnia. Il publie des récits dans lesquels des histoires pétersbourgeoises figurent à côté de sujets grotesques ou fantastiques de la vie du vieux Riga (recueil Les rêves de Pierre publié en 1931).En 1928 Il s’installe à Paris où il collabore à la revue Renaissance. Les thèmes de ce qu’il écrit alors sont liés à l’histoire et à la culture russes. C’est là que sortent ses recueils : " Les grenadiers du palais " (1928), le récit " L’empereur Jean " (1939) ; les romans " L’incendie de Moscou " (1930), " La tempête de neige " (1936) " Le vent des Carpathes " (1938) " Le malheureux amour de Moussorgsky " (1940). Ivan Loukach est décédé à Paris en 1940

(j’ai trouvé cette notice biographique, suivie de plusieurs commentaires d’écrivains russes contemporains sur " Ivan Loukach " sur le site www.Yandex.ru:)

 

SAINT SÉRAPHIM, NOTRE CONTEMPORAIN Mgr Antoine (Bloom), métropolite de Souroge

Saint Séraphim est quasiment notre contemporain. Il est mort en 1833, mais il fait partie de notre XXe siècle ; il est tout proche de notre époque. Néanmoins, par son zèle spirituel inébranlable, il incarne la tradition monastique la plus ancienne. À l’issue d’un parcours ascétique exemplaire, il est venu offrir au monde son expérience.

Quand nous lisons les vies des saints, nous voyons, la plupart du temps, des hommes qui abandonnent le monde définitivement à la suite de déceptions diverses, et se retirent dans un désert à leur mesure. Désert réel et matériel, ou bien celui d’une ville, petite ou grande. Mais toujours, il y a ce départ, qui marque le début d’une vie nouvelle ou constitue le couronnement d’un passé. Saint Arsène le Grand est du nombre. Haut dignitaire de la cour byzantine, il ressentit soudain le vide de son existence, abandonna tout et se retira dans le désert, où il se fit le disciple d’un moine sans instruction – un des plus grands maîtres spirituels de son siècle. Tous s’étonnaient de voir cet homme cultivé, à la pensée et aux moeurs délicates, choisir un tel modèle. À quoi il répondait : " Il est un autre livre – limpide à mon maître – que je sais à peine déchiffrer ! " L’un avait accès à l’univers des connaissances humaines, et l’autre – au monde de l’esprit. Saint Arsène resta au désert, évitant tout contact avec les hommes, fuyant même les rencontres fortuites. Quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi, il répondait : " Au ciel, les myriades d’anges sont animées d’une volonté unique ; ici-bas, la volonté des hommes est multiple : je ne peux abandonner l’harmonie céleste même au nom du commerce avec les hommes et de l’amour que j’ai pour eux ! " Avec lui, cependant, vivait un moine, qui acceptait, toujours au nom de Dieu, de renoncer, parfois, à la tranquillité du désert par amour pour ses semblables et venait en aide aux voyageurs et aux pèlerins.

À mon avis, le parcours de saint Séraphim a été plus riche encore que celui de ces deux hommes : nulle déception ne lui a fait quitter le monde ; nulle souffrance – si ce n’était de voir ce monde aussi partagé et proche des ténèbres, rempli de Dieu, mais où la lumière divine invincible ne parvient jamais à tout envelopper.

Saint Séraphim n’a pas fui le monde à la suite de quelque infortune. On peut même dire que le sort l’avait comblé : il avait la prestance, la force, la santé et aussi de l’intelligence ; il réussissait ce qu’il entreprenait. Tous l’aimaient et le respectaient. S’il aspirait à s’éloigner du monde, c’était pour avoir pressenti dès l’enfance la beauté, la profondeur, l’harmonie du sacré. Il voulut se plonger dans ce monde harmonieux de façon telle que rien ne puisse jamais l’en arracher. Il s’engagea dans l’ascèse avec courage et une exigence exceptionnelle envers lui-même. Mais quand son objectif fut atteint, suivant l’appel de la Mère de Dieu et la volonté divine, il revint vers les hommes et passa les cinq dernières années de sa vie à les servir. Ce fut le temps de l’accomplissement.

Un certain temps encore il garda le silence, puis il se mit à recevoir les gens et à parler. Il vivait dans le monastère et recevait, chaque jour, jusqu’à deux mille pèlerins venus le révérer. Car il n’enseignait pas, ne faisait pas de discours, et il n’avait pas de disciples qui auraient pu sélectionner les visiteurs selon leurs doléances, canaliser le flot humain. On venait juste pour le contempler. " Nul n’accepterait de se détourner du monde s’il n’avait entrevu sur un visage d’homme le rayonnement de la vie éternelle, la lumière de l’éternité ! " , nous dit un vieux dicton monastique. C’est ce que voyaient tous ceux qui l’approchaient.

Il faisait sortir de la foule ceux à qui il devait dire quelque chose – pour qui Dieu lui avait confié un message. Mais les autres ne restaient pas assoiffés : ils voyaient ! Ils voyaient la paix. Ils voyaient la grandeur. Ils voyaient la joie. Ils voyaient l’amour. Mais ce n’était pas une joie, une paix, une tranquillité humaines ordinaires. Le contexte était tout différent : ils contemplaient ce rayonnement sur le visage d’un homme qui menait une lutte implacable pour l’intégrité de son âme et pour le salut de son prochain. Intégrité conquise chèrement ! Nous trouvons dans la vie du saint cet épisode : il recevait un jour un visiteur qui se tenait assis, en silence, tandis que lui-même priait. Soudain, la cellule fut envahie par les ténèbres et le visiteur – pris d’effroi. Cela dura un certain temps ; Séraphim poursuivait sa prière. Puis, les ténèbres se dissipèrent, de même que l’effroi du pèlerin. Le visiteur interrogea le saint, qui expliqua : " Je priais pour le salut d’une âme, et toute l’obscurité de l’enfer a fondu sur nous pour s’opposer à ma prière et empêcher que l’âme soit sauvée ".

Séraphim éprouvait de l’allégresse là où d’autres n’auraient su sourire ni même survivre normalement. Il recevait tout le monde avec amour, appelant chacun : " Ma joie ! ". Il saluait souvent ses visiteurs par " Christ est ressuscité ! " – ces mots où tout l’Évangile est contenu ! Il n’y avait en lui aucun sentimentalisme, aucune mièvre affectivité. Plus on lit de témoignages sur sa vie, plus on s’efforce de cerner les traits particuliers de sa sainteté et plus on est impressionné par cette figure. Plus on a peur ! Comme nous fait peur tout ce qui nous dépasse trop par sa prééminence. Mais ce n’était pas non plus de la froideur : tel l’air vivifiant des montagnes, il avait en lui une fraîcheur étincelante, chargée d’une douceur d’un autre monde – qui était le feu divin.

Action et contemplation sont-elles conciliables ? Nous trouvons en saint Séraphim la solution à ce problème qui agite chaque génération. On peut s’imaginer faussement que toute la vie du saint ne fut qu’une quête incessante de la contemplation, si l’on peut dire. Mais quand on le voit, dans divers récits, s’astreindre, durant de longues années de solitude, à une règle de prière d’une rigueur telle qu’aucun d’entre nous n’aurait pu la suivre plus d’un jour ; quand on le voit s’infliger des besognes que peu de paysans étaient capables d’accomplir ; alors qu’il n’avait, pour tout chauffage, au cœur des rudes hivers russes, que la petite veilleuse de son icône – on devine combien cela représentait d’effort physique, mental et spirituel, et l’on comprend mieux ce que sous-entend la tradition orthodoxe, quand elle enseigne que toute vie contemplative commence par l’action, l’effort, un combat acharné. Tant que Dieu n’est pas venu lui-même conquérir et dompter le moine, elle ne saurait être assimilée à une attente passive de la grâce : elle n’est que vigilance et concentration permanentes de l’être dans tous les actes de sa vie.

Saint Séraphim lisait beaucoup. Il lisait et méditait la Bible. Il étudiait les écrits des maîtres spirituels et s’efforçait de mettre leur enseignement en pratique, cherchant à mieux les comprendre par l’imitation. Il connaissait à fond la tradition ascétique et mystique orthodoxe. Avec cela, dans la période de sa vie que l’on pourrait appeler " active ", nous constatons que son action était, plus que jamais, empreinte de contemplation. Il est sorti de sa solitude au moment, justement, où s’est fixée en lui la Présence divine. Conscient de cette grâce et capable de prière ininterrompue, il pouvait faire face à tous les problèmes et situations, d’une manière caractéristique aux contemplatifs. Un jour qu’on lui demandait comment il parvenait à dire aux pèlerins, en quelques mots, juste ce dont ils avaient précisément besoin, comme s’il connaissait tout leur passé et leur vie actuelle, leurs problèmes concrets et leurs aspirations, saint Séraphim répondit qu’il priait, qu’il priait sans cesse, demandant à Dieu de bénir chaque rencontre, et ne faisait que prononcer les mots que Dieu lui inspirait.

Action et contemplation sont ici réunies et liées intimement – et c’est là l’unique manière d’être et d’agir du christianisme véritable. Un vrai chrétien n’est pas celui qui accomplit les commandements de Dieu avec application, froideur et rigorisme, comme s’il s’agissait de simples règles de conduite externe. Ni même celui qui accumule des exploits dans ses œuvres au nom de Dieu. Un saint chrétien est un être dont chaque acte et chaque parole sont des manifestations divines accomplies à travers l’homme devenu co-opérant de Dieu. Et cela n’est possible qu’à ceux qui se sont exercés avec zèle à la vie contemplative.

Vous vous rappelez sûrement ces paroles du Christ : " Je juge selon ce que j’entends. Et mon jugement est juste parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé " (Jn 5,30). Jésus écoute et exprime la seule volonté du Père. Ce qu’il a entendu de Dieu le Père, Il le rapporte clair et haut au monde entier dans lequel il se trouve. Nous voyons, dans d’autres passages, que le Père est toujours agissant. Le Seigneur dévoile son projet, et le Christ, Fils de Dieu, exécute l’œuvre du Père et la réalise sur la terre. Les saints parlent et agissent de la même manière : ils prononcent des paroles qui appartiennent à Dieu ; ils accomplissent des actes qui viennent aussi de Dieu. Souvenez-vous des mots superbes qui, dans l’Évangile, désignent Jean le Précurseur : " la voix de celui qui crie dans le désert ". Il s’est à ce point uni à la volonté divine et à ce qu’il doit annoncer de la par de Dieu, qu’on ne peut même plus l’appeler " prophète parlant au nom de Dieu " – c’est Dieu lui-même qui parle à travers l’homme. C’est ce qui frappe, justement, dans les dernières années de saint Séraphim : cet homme est si profondément enraciné dans la vie contemplative, si intimement uni à Dieu, qu’il peut agir. Ou plutôt : Dieu se met à agir en lui et par lui à ce moment. Et cette activité de Séraphim dépasse grandement les capacités humaines. Il y avait bien plus que les paroles qu’il prononçait, les miracles qu’il accomplissait ou les conseils qu’il prodiguait – tout ce par quoi il manifestait son amour évangélique. Cet homme était si recueilli en lui-même et en Dieu qu’en posant sur lui son regard on voyait Dieu !

Bien qu’il fût courageux, Séraphim a connu les épreuves que subissent bien des ascètes : les affres de la nuit, la peur des loups, des ours et autres animaux sauvages, l’effroi où les forces des ténèbres jettent les reclus... Il luttait pour progresser dans la vie intérieure, pour échapper à notre condition ordinaire d’une vie passée hors de nous-mêmes. Car nous nous trouvons rarement concentrés en nous-mêmes, suffisamment attentifs et assurés pour agir librement, parler de façon autonome. La plupart du temps, nous ne faisons que réagir au lieu d’agir ; nous nous contentons de refléter des lumières au lieu de briller par nous-mêmes. Un savant contemporain a dit : " La majorité des gens s’imaginent que nous finissons là où notre corps s’arrête. En réalité, nous ressemblons plutôt aux poulpes – tout vides de l’intérieur, nous étendons autour de nous d’immenses tentacules. Le système digestif du vorace, précise-t-il, ne se trouve pas à l’intérieur de lui-même, il s’étend sur tout ce qui est mangeable sur la terre ; de même, les cinq sens du curieux ne sont pas simplement des moyens d’appréhender le monde : tels des tentacules, ils s’agrippent à tout ce qui excite sa curiosité. "

Le premier devoir de l’ascète est de neutraliser ces tentacules, de s’affranchir du désir de possession, de l’illusion de posséder les choses dont il est en réalité l’esclave. Puis de partir en quête de son " moi " profond. Saint Séraphim a fait tout ce chemin à l’intérieur de lui-même, s’affranchissant peu à peu de tout ce qui le reliait au monde – des choses mauvaises, mais aussi des plus ordinaires et humaines, jusqu’à gagner une totale liberté. Et la lutte extérieure devenait plus intense à mesure que l’âme progressait. Mais ce n’était pas là un exploit spirituel extraordinaire, dans le sens où il ne s’était pas fixé un objectif exceptionnel. C’était une quête opiniâtre du détachement, de l’autonomie et de la constance, qui l’ont rendu capable, en toutes circonstances, de se tenir devant Dieu avec fermeté.

Cet homme avait quitté le monde non parce qu’il le trouvait misérable, mais parce qu’il y avait perçu la présence de Dieu et aspirait à une vie de plénitude. Après s’être consacré quarante années durant à un combat implacable, il s’est retrouvé au cœur du peuple de Dieu qui se mit aussitôt à affluer vers lui. Il guérissait, il bénissait, il enseignait, conseillait, apportait son secours de multiples manières. Rien ne lui semblait insignifiant. " Seul l’Esprit Saint discerne l’importance de ce qui nous paraît négligeable " : on pourrait appliquer ces mots à saint Séraphim. Cet homme a parcouru le chemin que nous sommes tous conviés à prendre ; et, dans la pureté de son cœur, il a trouvé Dieu. Il n’a jamais cessé d’aimer ses proches, jamais il ne s’est détourné des pécheurs, les prétendant indignes du Seigneur. Il respectait et aimait tous les hommes. Il recevait souvent, dit-on, ses visiteurs à genoux, embrassait les mains de simples paysans, les installait même à sa place, les entourant de tous les soins. Il voyait en chacun la dignité de l’homme ; pour lui, chaque être était sacré. Il avait mené ce combat pour devenir lui-même un homme véritable – réceptacle du Saint-Esprit, témoin vivant du Christ, participant à la nature divine – à quoi nous sommes tous appelés.

Il dit un jour, à propos de la prière, ces mots qui semblent d’une audace extrême : " Nous devons prier pour que le Saint-Esprit vienne et fasse en nous Sa demeure. Mais quand il sera là, il ne faudra plus dire "Viens et fais ta demeure en moi" – cela signifierait que tu doutes de la grâce qui t’est offerte. Laisse alors l’Esprit Saint prier et agir en toi ".

Peu avant sa mort, saint Séraphim dit à quelqu’un : " Mon corps est presque mort, mais pas mon âme, j’ai l’impression de venir de naître ". Telle est la vie véritable : une vision achevée de l’homme – l’union parfaite du souffle divin et de la destinée humaine. Voilà pourquoi les foules venaient à lui en si grand nombre, pourquoi tous tenaient à le voir, la plupart sentant que les mots n’étaient pas indispensables. Bien des siècles avant lui, un ascète égyptien, sollicité de dire quelque sainte parole à un évêque de passage, déclara : " Je ne dirai rien ! " Pressé de s’expliquer, il avait répondu aux frères : " Si cet homme ne comprend pas mon silence, il ne comprendra jamais mon discours ".

Nous voyons ici la même chose : les foules innombrables qui venaient à saint Séraphim n’avaient pas besoin de paroles. Son silence et la seule vision de cet homme les comblaient. Cela devrait nous inspirer pour notre époque : nous appréhendons le monde avec trop de passion, comme un bien propre, incapables de nous en détacher, d’y renoncer. Certes, Dieu a, lui aussi, aimé le monde, au point de sacrifier son Fils unique pour le sauver. Mais nous oublions volontiers que nous sommes appelés avant tout à agir sur le monde. Et pour que notre action puisse être, à travers nous, œuvre divine, nous devons travailler sur nous-mêmes sans trêve, lutter avec acharnement et dans la joie – pour pouvoir accéder à la vie véritable dans notre monde somnolent, pour devenir lumière au sein de la pénombre et apporter le feu là où il fait froid. Ainsi agit le Christ à travers tous ses saints.

Je n’avais guère le temps, ici, de vous parler davantage des événements marquants de la vie de saint Séraphim – de ses rencontres, de ses dialogues, des miracles qu’il accomplissait. J’ai voulu vous parler surtout de l’homme, de ses victoires sur lui-même au nom du prochain.

Traduit du russe par Anne Prokofieff.
Le Messager orthodoxe, No 139, 2003.

 

ACTUALITÉ DU MESSAGE DE SAINT SÉRAPHIM par le Père Boris Bobrinskoy

L’actualité du message spirituel du starets Séraphim consiste précisément à rappeler au monde post-chrétien, replié sur sa propre suffisance, que le mystère de l’Église est un mystère de communication véritable entre la vie de Dieu, la vie de son saint et notre expérience quotidienne de prière et de sanctification. C’est à ce niveau d’expérience et de vision spirituelle que nous porte le message du saint sur le mystère de l’Esprit Saint.

Au cours de son histoire, l’homme a été plus ou moins sensible au souffle de l’Esprit. Notre siècle semble particulièrement marqué, au sein de toutes les confessions chrétiennes, par une recherche, une découverte et un retour au sens du Saint-Esprit. Le message sur l’Esprit de saint Séraphim vient donc en son heure. Il est prophète et témoin de l’Esprit Saint dans l’Église pour le monde. Son expérience de l’Esprit n’est pas hétérogène à l’expérience commune de l’Église de la Pentecôte permanente, c’est-à-dire l’expérience de l’effusion en permanence des dons de la Pentecôte sur l’Église dans l’aujourd’hui de Dieu.

Il n’y a pas d’autre moyen de déceler l’œuvre de l’Esprit si ce n’est dans la conversion des cœurs. Dans la communauté ecclésiale comme dans le cœur humain, c’est l’Esprit lui-même qui prie, invoquant en nous le nom béni de Jésus. La description de saint Isaac le Syrien s’applique bien à saint Séraphim, porteur de l’Esprit : " L’Esprit, quand il demeure dans un homme, ne le quitte pas dès lors que cet homme est devenu prière. Car l’Esprit lui-même ne cesse de prier en lui. Que cet homme dorme ou qu’il veille, 1a prière désormais ne s’en va pas de son âme. Qu’il mange, qu’il boive, qu’il dorme, quoi qu’il fasse et jusque dans le sommeil profond, les parfums et l’encens de la prière s’élèvent sans cesse de son cœur. La prière ne le quitte plus. " (Œuvres spirituelles, DDB, pp. 437-438.)

Cette expérience de la prière continuelle de l’Esprit dans nos cœurs fait écho à la parole de l’apôtre Paul sur " l’Esprit priant en nous en des gémissements ineffables " (Rm 8, 26). Le même enseignement est donné par saint Séraphim : " Il faut, dit-il, quand le Seigneur Dieu, l’Esprit Saint nous visite et vient en nous dans la plénitude de son indicible bonté, s’écarter de la prière aussi, supprimer la prière même. L’âme priante parle et profère des paroles. Mais à la descente de l’Esprit Saint, il convient d’être absolument silencieux, afin que l’âme puisse entendre clairement et bien comprendre les annonces de vie éternelle qu’il daigne nous apporter. " (" Entretien avec Motovilov ", in Séraphim de Sarov, DDB, p. 163.)

Cette attention portée à l’expérience et à la théologie du Saint-Esprit, inhérente au monachisme oriental, apparente saint Séraphim aux types spirituels de saint Syméon le Nouveau Théologien (XIe s.), de saint Tikhon de Zadonsk (XVIIIe s.), prophète de la joie et de l’espérance du Royaume du Christ, et de saint Silouane de l’Athos (+1938), dont les écrits témoignent abondamment de l’expérience vivifiante de l’Esprit Saint. La tradition orthodoxe vit intensément la présence continue et réelle de l’Esprit de la Pentecôte dans les cœurs des chrétiens, transformés et embrasés de jour en jour dans le secret de leur vie intérieure par la lumière, la joie, la paix et l’amour de l’Esprit de Dieu. Tant que l’Église durera, son Seigneur suscitera les dons multiples de guérison, d’exorcisme, de prophétie, de jugement, de langues, de discernement des esprits, de compassion à la souffrance.

" Acquiers un esprit de paix, disait saint Séraphim, et des milliers trouveront le salut autour de toi. "

La brise légère et pacifiante de Dieu n’est décelable que par les hommes spirituels qui constituent, de génération en génération, un exemple vivant de communion, d’intégralité intérieure retrouvée, d’humanité régénérée en Christ. Telles les colonnes de prière, ils soutiennent le monde entier et le préservent de la haine destructrice des puissances du mal. Quel relief et quelle réalité tragique ces puissances du mal occupent-elles dans la vision spirituelle du starets ! Car Satan, qui ne découvre pas volontiers son visage dans notre univers quotidien, est contraint à sortir de l’ombre par la " venue " du Christ au sein du cœur humain. Ceux qui, à la suite du Christ, sont engagés dans le " combat invisible " connaissent le pouvoir du Prince de ce monde et la profondeur de sa haine mortelle. À un visiteur qui l’interrogeait sur les démons, le saint répondit simplement : " Ils sont hideux ! Tout comme il est impossible aux pécheurs de supporter la lumière des anges, ainsi les esprits du mal sont redoutables à voir. " Nous ne pouvons que pressentir les abîmes infernaux de ténèbres et de froid dans lesquels les saints sont appelés à descendre, se conformant à la descente aux enfers de leur Maître divin.

Cette connaissance du mal et de son empire contraste avec l’image traditionnelle du saint rayonnant de douceur, nimbé de la joie et de la lumière pascales. Pourtant, aussi bien le combat spirituel que le rayonnement charismatique de saint Séraphim le situe dans la lignée la plus authentique du monachisme oriental, liée au courant philocalique du Mont Athos et à la pratique de la prière de Jésus.

Saint Séraphim a quitté le monde et choisi le dur chemin de la solitude et de la réclusion durant de longues années. Mais c’est pour revenir, au terme de sa vie, vers les hommes, se pencher sur les maladies de leurs corps et de leurs âmes, les engendrer à la vie nouvelle dans l’Esprit Saint. Renonçant aux formes extrêmes d’érémitisme pour retrouver le monde, il transcende, selon l’expression de Paul Evdokimov, le monachisme institutionnel.

" Quant à nos états différents de moine et de laïc, dit-il à son disciple Motovilov dans sa catéchèse du Saint-Esprit, ne vous en souciez pas. Dieu recherche avant tout un cœur rempli de foi en lui et en son Fils unique, en réponse à laquelle il envoie d’en haut la grâce de l’Esprit Saint. Le Seigneur cherche un cœur rempli d’amour pour lui et pour le prochain : c’est là un trône sur lequel il aime s’asseoir et où il apparaît dans la plénitude de sa gloire. " (" Entretien avec Motovilov ", p. 161.)

Tel est l’ultime message de saint Séraphim aux hommes de notre temps. C’est dans l’offrande à Dieu du cœur de l’homme que se manifeste l’Esprit. Une offrande dans l’amour et dans la joie qui nous fasse chanter avec le liturge : " Réjouis-toi, saint Séraphim ! "

Saint Séraphim est entré dans la grande famille des saints comme une nouvelle facette de la sainteté de Dieu parmi les hommes. Tant s’en faut cependant que ce " fils de la lumière " nous ait tout révélé. Il a bien suivi son propre conseil de " ne pas révéler à autrui les secrets de son cœur ". Il se propose à nous comme un message à découvrir, comme une de ces paraboles qui n’en finissent pas de receler des trésors nouveaux. " Selon la mesure avec laquelle vous mesurez, vous serez mesurés, et il vous sera ajouté en plus " (Mc 4, 23). C’est ce " plus ", gratuitement donné en abondance, qui nous permet d’avancer plus loin, de pénétrer plus profondément dans le mystère de sainteté du Père Séraphim, mystère dont les fruits, plus lumineux que le soleil, furent la joie, l’amour et la paix. " À vous, le mystère du Royaume de Dieu est donné " (Mc 4,11) : ce mystère, Séraphim l’a vécu intensément, totalement, en cachette du monde, dans l’intimité du moine seul à seul avec Dieu. Pourtant, par lui, par sa vie et ses paroles et ce qui nous est donné d’en comprendre, les uns et les autres, ce mystère nous est également donné, à chacun selon sa mesure, " une mesure pleine et bien tassée " (Lc 6,38).

 

Le Messager orthodoxe, No 139, 2003.

 

SAINT SÉRAPHIM DE SAROV ET LE SAINT CURÉ D'ARS par Valentine Zander (corrigé)

Le Messager orthodoxe, No 54, 1971.

À notre époque de recherches œcuméniques où un grand nombre de personnes aspirent à l'union des chrétiens, il semble opportun de faire un rapprochement entre deux figures de la sainteté en Russie et en France au XIXe siècle, celles de saint Séraphim de Sarov et de saint Jean-Marie Vianney, curé d'Ars.

Ces deux saints sont contemporains. saint Séraphim, d'après ses biographes, est né le 19 juillet 1759 et il est mort le 2 janvier 1833. Le curé d'Ars naquit le 8 mai 1786 et mourut le 4 août 1859. Si saint Séraphim est l'image de la " sainte Russie ", le saint curé d'Ars représente un des aspects de la sainteté de la France catholique. Tous les deux sont témoins de la grâce divine car, en eux, c'est une révélation de Dieu que nous pouvons découvrir ; certaines manifestations de cette révélation, comme celles qui accompagnaient leurs moments de prière et leur état mystique sous l'apparence de lumière, ont été décrites par leurs biographes.

L'abbé Couturier, le grand œcuméniste, qui nous avait, mon mari et moi, emmenés à Ars en 1938, nous avait dit : " Le curé d'Ars, c'est notre saint Séraphim ". Ces paroles m'avaient d'abord surprise, mais, entrée dans la petite église où le saint avait, pendant dix-sept ans, été " martyr du confessionnal ", où il avait eu des illuminations et des visions, j'eus l'impression de revivre les souvenirs gardés de mon pèlerinage aux lieux saints de Sarov en 1913. La même atmosphère de sainteté y régnait et s'y faisait sentir à chaque pas.

En nous conduisant en ces lieux, l'abbé Couturier nous exprima sa conviction que les lieux saints dépassent les frontières confessionnelles et que plus un homme s'élève vers Dieu, plus les murs qui nous séparent ici bas s'abaissent et finissent par disparaître.

La sainteté est le point de rencontre de l'humain et du divin dans la nature humaine et, si le premier moment dans la vie d'un saint est la reconnaissance de la voix du Seigneur et de son appel, le deuxième est une longue étape de travail et de peines que l'homme se donne pour purifier son corps et son âme afin de les faire transparents à la pénétration divine. La transparence acquise n'est donc pas un état passif où Dieu s'empare de la nature humaine et se la subordonne, mais un état actif de relations vivantes et de pénétration mutuelle.

Pour atteindre cette " élévation d'âme ", les deux saints vécurent des années de contrition, versèrent des larmes, passèrent des jours et des nuits de prière ardente. On pourrait dire que leur sainteté se présente comme une élévation graduelle vers la transfiguration, comme une ascension " de gloire en gloire " afin que le " Christ soit formé en eux ".

LES ENFANCES

Dès leur jeune âge les deux saints étaient conscients de leur vocation. Prokhor Mochnine, le futur saint Séraphim, voulait devenir moine, Jean-Marie Vianney, le futur curé d'Ars voulait " sauver les âmes " et devenir prêtre. Dès qu'ils apprirent à lire, les saintes Ecritures étaient leur lecture préférée ainsi que la vie des saints et, en particulier la vie des Père s du Désert à laquelle tous deux aspiraient. Dès leur enfance, ils avaient manifesté une vénération profonde envers la sainte Vierge et connurent des signes de sa sollicitude. Par deux fois, Prokhor fut guéri en se vouant à sa protection, quant à Jean-Marie, il confia à l'un de ses amis : " la sainte Vierge et moi nous nous connaissons bien ". Cet aveu est presque identique à celui que fit le père Séraphim, évoquant les paroles de la sainte Vierge qui aurait dit, en le désignant " Celui-ci est de notre race ". Cette race est celle des enfants de Dieu qui portent le reflet de sa divinité, de son image et de sa ressemblance. C'est là le fond de toute sainteté. À l'exemple de la Servante du Seigneur, les deux saints ont passé leur vie dans l'obéissance et l'humilité.

L'éducation maternelle eut une influence importante sur la formation de leur âme. " La vertu passe facilement du cœur des mères dans le cœur des enfants ", dira le curé d'Ars. Des six enfants de la famille Vianney, fermiers du village de Dardilly dans le Lyonnais, Jean-Marie était le quatrième. Son frère aîné, François, et sa plus jeune sueur, Marguerite, ont conservé de lui des souvenirs précieux, rapportés par les biographes. Vif et alerte, élevé au grand air de la campagne, cet enfant aux yeux bleus et aux cheveux bruns, hérita de sa mère une douce sensibilité et un grand amour de l'Église. Cet amour, dira-t-il, " après Dieu je le dois à ma mère ". C'est à elle qu'il confia son désir de devenir prêtre et c'est grâce à elle qu'il put fréquenter l'école du village et continuer ses études au-delà, tandis que son père préférait le laisser garder les brebis et les vaches de la ferme et plus tard, aider son frère aîné à cultiver la terre.

LA VOCATION DE SÉRAPHIM

Dans la famille des Mochnine, petits commerçants de la ville de Koursk, c'est aussi à la mère de Prokhor qu'incomba la tâche, après la mort de son mari, d'élever ses trois enfants dont Prokhor était le cadet, et de surveiller les travaux de construction d'une grande église que son mari, entrepreneur en maçonnerie, n'avait pas eu le temps d'achever, lorsque la mort l'emporta. Prokhor aimait accompagner sa mère au chantier et ce fut là qu'il fit une chute dangereuse dont il se releva sans mal ce qui fut considéré comme un miracle. Un autre miracle se produisit lors d'une procession de l'icône de la Mère de Dieu : dès que la mère de Prokhor eut approché son enfant malade de l'icône, la guérison s'opéra. La mère de Prokhor, Agathe, était une femme de grande foi et de grand cœur. Charitable et généreuse, elle s'occupait des pauvres et des orphelins et elle était bien connue en ville pour ses bonnes œuvres. C'est d'elle que Prokhor hérita cet amour du prochain qu'il déploya dans toute sa force lorsque, plus tard, il fut sollicité par la foule des pèlerins. C'est elle aussi qui lui donna sa bénédiction en mettant à son cou une relique familiale, une grande croix en cuivre, lorsqu'elle apprit son désir de se faire moine. Prokhor, devenu hiéromoine Séraphim, portera toute sa vie cette croix sur la poitrine.

Les deux saints, ayant reçu l'ordination sacerdotale, diront que le comportement d'un prêtre envers ses ouailles doit être semblable à celui d'une mère envers ses enfants. Ils considéraient aussi la protection des orphelins comme l'une de leurs plus grandes tâches.

Ayant terminé ses études primaires, Prokhor entreprit un long pèlerinage à pied au monastère des Grottes de Kiev, aux tombeaux des saints moines Antoine et Théodose, pour présenter sa vie au Seigneur avant le pas décisif pour sa vocation future. C'est là qu'il reçut le conseil d'aller faire son noviciat au monastère de Sarov, dans la région de Tambov. Il s'y trouvait déjà quelques moines, originaires de Koursk, issus de la classe marchande de cette ville, tels l'ermite Marc et le supérieur du monastère. Celui-ci, l'abbé Pacôme, avait connu les parents de Prokhor et l'accueillit avec joie lorsqu'il se présenta à lui dans la soirée du 20 novembre 1778, veille de la fête de la Présentation au Temple de la sainte Vierge.

Malheureusement, à cette époque, les temps étaient fort peu favorables au développement de la vie monastique à laquelle la politique gouvernementale, depuis les réformes de Pierre le Grand et de Catherine II, devenait hostile.

Le premier prieur du monastère de Sarov, Jean, inculpé de trahison envers l'état, fut déporté et mourut dans un cachot de Saint-Petersbourg en 1757. Son successeur, Éphrem, fut également détenu pendant seize ans dans une forteresse. Rendu vers la fin de sa vie (+ 1777) à sa communauté, il se consacra surtout aux œuvres de charité. Pendant la disette de 1775 il organisa des distributions de vivres aux pauvres des villages voisins qui venaient chaque jour par centaines. Ce genre d'activités n'était pas toujours apprécié par les autorités civiles, car les épaisses forêts de Sarov abritaient quelquefois des sujets suspects, des déserteurs ou des serfs évadés enclins à la révolte, qui trouvaient refuge au monastère. C'était le temps des guerres interminables et l'état avait besoin de soldats. Pour cette raison le gouvernement procédait à la fermeture d'un grand nombre de monastères et s'opposait à de nouvelles prises d'habit. Grâce à la protection du père Pacôme, très respecté dans la région, Prokhor fut admis au monastère. Au dire de ses contemporains il était un jeune homme robuste et bien bâti, au regard vif et intelligent. Ses cheveux blonds encadraient les traits fins de son visage et ses yeux reflétaient la pureté de son âme.

On le confia à la direction spirituelle du starets Joseph, homme intelligent et grand ascète. Un starets, au sens littéral du mot, est un " ancien ", pas obligatoirement prêtre, mais un homme expérimenté dans la prière et l'ascèse, que les moines choisissent parmi eux pour les guider dans la vie monastique. La tradition des startsi est ancienne et remonte aux temps des Père s du Désert. Un moment délaissée en Russie, elle reçut un nouvel essor grâce au starets Païssi Velitchkovski (1722-1794), contemporain de Prokhor. Païssi rapporta du Mont Athos de nombreux textes concernant la prière, qu'il traduisit du grec en slavon et dont il fit un recueil, intitulé " Philocalie ". Avec la parution de ce recueil en Russie, tout un monde de spiritualité s'ouvrait aux yeux des orthodoxes.

C'était, en premier lieu, la sanctification du Nom de Jésus par la prière, dite " du cœur ", qui a pour fondement les paroles du publicain (Lc 18, 13) auxquelles les chrétiens ont ajouté le Nom de Jésus, et dont la formule est : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pêcheur ". En gardant sa simplicité, cette prière contient l'essentiel de la foi chrétienne : le Nom de Jésus signifie " Sauveur " en hébreu ; sa divinité est soulignée par le mot " Seigneur " ; " Fils de Dieu" exprime sa filiation au père ; la grâce de l'Esprit saint, reposant sur lui, est signifiée par le mot " Christ ", qui veut dire " l'Oint ". C'est donc la connaissance du mystère de la sainte Trinité qui y est implicitement évoquée.

En enseignant cette prière, les Père s attirent l'attention de ceux qui la pratiquent sur le rythme de la respiration à cause de la corrélation intérieure existant entre le souffle humain et le Souffle vivifiant du saint-Esprit. Ils insistent également sur le lieu du " cœur ", centre vital de l'être qui possède la force de transformer l'homme total en ce " corps spirituel " dont parle saint-Paul. La prière doit se faire dans une atmosphère de calme et de silence qui, en grec, s'exprime par le mot " hésychia ", par suite de quoi les ermites qui la pratiquaient jadis étaient connus sous le nom d'" hésychastes ". De même que la tradition des startsi, la pratique de la prière de Jésus ou du cœur, enseignée par eux, existait depuis des siècles et elle était fidèlement conservée au Mont Athos. En Russie, elle avait eu aussi ses adeptes, tels saint Nil de la Sora, mais les différentes calamités survenues dans le pays – guerres, invasions, politique sécularisante de l'état – furent cause d'un certain affaiblissement de sa pratique.

Or, à l'époque où Prokhor passait son noviciat, un souffle nouveau commençait à se faire sentir. L'abbé Théophane (+ 1832) qui avait séjourné à Sarov, écrit dans son autobiographie qu'il y avait en ce temps-là dans ce monastère des startsi de grande sainteté parmi lesquels il nomme les pères Éphrem, Pacôme, Nazaire et autres. C'est donc à leur école que Prokhor reçut sa formation spirituelle. Lorsque, plus tard, un novice lui demandera des conseils pour progresser dans la vie de l'esprit, il lui répondra : " Tu n'as qu'à répéter la prière de Jésus et Dieu s'approchera lui-même de ton cœur ". " Allant et venant, assis ou debout, au travail comme à l'église, laisse ces paroles s'échapper constamment de tes lèvres ; avec cette prière tu trouveras la paix intérieure et ton corps et ton âme seront purifiés. Acquiers la paix, disait-il encore, et des milliers trouveront leur salut autour de toi ".

En s'initiant à la prière perpétuelle, Prokhor devait aussi accomplir certaines besognes. Tour à tour boulanger, menuisier, bûcheron, il s'acquittait avec joie de son travail. Bientôt on le fit lecteur et il chanta avec les moines à l'église. Il aimera plus tard se souvenir de ses premières années de noviciat. " Ah, si tu m'avais vu, lorsque je venais d'entrer au monastère, disait-il, que j'étais joyeux ! Quand le chant n'allait pas dans le chœur à cause de la fatigue, je commençais à encourager les moines par quelques paroles amusantes et voilà qu'ils se mettaient à nouveau à chanter de bon cœur. Car, vois-tu, Dieu aime que l'homme aie devant lui le cœur joyeux. La gaîté n'est vraiment pas un péché. " Cette gaîté juvénile, spontanée, se transforma, au cours des années, en une joie profonde et constante, une joie qui abreuvait son âme comme une source vivifiante. En cette joie chaque visage humain reflétait pour lui l'image du Ressuscité et, grâce à elle, la salutation habituelle du père Séraphim devint : " Ma joie, le Christ est ressuscité ! "

Du temps de son noviciat, Prokhor s'instruisait en lisant les écrits des Père s qu'il pouvait trouver à la bibliothèque du monastère. Il citera plus tard les textes des œuvres des Grands Cappadociens, ainsi que ceux de saint Macaire, de saint Jean Climaque, de saint Isaac le Syrien, de saint Maxime le Confesseur, de saint Syméon le Nouveau Théologien et autres auteurs de la Philocalie. Sa lecture de tous les jours était celle des Evangiles, du Psautier, des livres de la Bible ; il la faisait, d'habitude, en se tenant debout en position de prière et considérait ces veillées comme un " approvisionnement ", de l'âme. À son travail, à ses lectures et à ses prières il ajoutait des jeûnes rigoureux et, bien que robuste, il fut obligé de s'aliter, atteint d'hydropisie. Son corps était enflé et lui causait de grandes souffrances qui ne prirent fin que trois ans plus tard, lors d'une apparition de la Mère de Dieu. Beaucoup d'eau s'écoula alors de son corps et il se trouva guéri. Un an après, en août 1786, il fut autorisé à prononcer ses vœux monastiques de chasteté, de pauvreté et d'obéissance et il reçut alors le nom de Séraphim qui, traduit de l'hébreu, signifie " flamboyant ". D'après la vision du prophète Isaïe, ce nom appartient aux esprits angéliques aux six ailes qui entourent le trône du Seigneur en le glorifiant par le chant du Sanctus (Is 6, 2). Au mois d'octobre de la même année, Séraphim fut ordonné diacre et les sept années de son diaconat, passées à l'autel, ne furent pour lui, comme il le disait, que " clarté et lumière ". " Dans ma joie que rien ne troublait, disait-il, j'oubliais tout et mon cœur fondait en moi comme de la cire à la chaleur du feu. "

Le prieur Pacôme emmenait souvent le jeune diacre avec lui au cours de ses tournées pastorales et il arriva un jour d'été 1789 qu'ils firent une visite à la supérieure d'une petite communauté de femmes dans le village de Divéevo, à 12 km de Sarov. Pressentant l'approche de sa mort, la mère Alexandra pria instamment le père Pacôme et le diacre Séraphim de bien vouloir veiller à la protection de ses " orphelines " – comme elle appelait les sœurs groupées autour d'elle, ce que les deux moines lui promirent.

Ce n'est qu'une trentaine d'années plus tard cependant que le père Séraphim, lorsqu'il fut sorti de la clôture, eut la possibilité d'aider efficacement les sœurs, aidé par son fils spirituel, Michel Mantourov.

Le diacre Séraphim eut, alors qu'il célébrait la Liturgie du Jeudi saint avec le père Pacôme, une vision dont les détails ne furent connus que plus tard. Après la prière de l'entrée du prêtre : " Seigneur notre Dieu... fais que notre entrée se fasse avec l'entrée de tes anges qui concélèbrent et te glorifient avec nous "..., le jeune diacre se figea soudain dans une étrange immobilité et les traits de son visage changèrent d'expression. On le fit entrer dans le sanctuaire où il resta trois heures, immobile, sans pouvoir articuler une parole. D'après les aveux qu'il fit plus tard, on sut qu'il se trouva ébloui comme par un rayon de soleil au milieu duquel il vit le Seigneur Jésus-Christ sous l'aspect du Fils de l'Homme marchant dans les airs, dans une clarté éblouissante, entouré d'armées d'anges et d'archanges, de Chérubins et de Séraphims. L'Église recommandant aux fidèles d'écarter de leur imagination tout phénomène visuel, le père Pacôme conseilla au jeune diacre de n'en parler à personne, mais fut contraint d'expliquer lui-même, plus tard, ce qui s'était passé.

En 1793 le diacre Séraphim reçut l'ordination sacerdotale et toute l'année il célébra la Liturgie quotidiennement, faisant croître en lui les charismes que le Christ avait légués aux apôtres : enseignement de la Parole, guérison des malades, exorcisme des possédés et don de prophétie. Si quelques autorités ecclésiastiques et certains moines de Sarov reprocheront plus tard au père Séraphim d'oindre les malades hors de l'office traditionnel du sacrement de l'onction, il leur répondra qu'il ne le fait qu'en obéissant à l'enseignement du Christ. Du reste il faisait toujours précéder cet acte sacramentel par une profession de foi du malade et par une prière d'intercession.

On ne trouve pas d'indication sur la célébration liturgique par le père Séraphim après cette première année de prêtrise. On sait cependant que, lorsqu'il recevait la sainte Communion à l'église ou dans sa cellule du temps de sa clôture, il portait toujours sur lui les insignes de son sacerdoce : l'étole (épitrachilion), les surmanches et la croix pectorale et c'est ainsi qu'on le représente sur ses icônes. Il insistera avec force sur la communion fréquente des fidèles, ce que fera aussi le curé d'Ars et c'est encore un point qui leur est commun.

En novembre 1794, l'abbé Pacôme mourut et le père Séraphim, profondément affecté par cette mort, prit la décision de se retirer dans la solitude des forêts de Sarov. À cette époque sa santé était de nouveau très éprouvée, il souffrait de maux de tête et ressentait des douleurs dans les jambes. Le nouveau prieur, le père Isaïe, lui fit délivrer un billet de congé et le 20 novembre 1794, seize ans jour pour jour après son entrée au monastère, le père Séraphim le quitta pour aller vivre en ermite. En dehors de son état de santé, une autre raison peut-être l'obligeait aussi à s'éloigner de la communauté. On peut le deviner dans sa réponse au reproche qu'on lui adressait à ce sujet : " Ce ne sont pas les gens que fuient les ermites, mais leurs vices. Nous nous éloignons de la communauté des frères non pas à cause du manque d'amour envers eux, mais parce que l'empreinte angélique à laquelle s'apparente l'état monacal est souvent profanée par les paroles et les actes. " Déjà du temps de son noviciat le père Séraphim aimait s'éloigner pour quelques jours dans la forêt où il s'était construit une cabane à 5 km du monastère et qu'il appelait son " désert ", son Athos ou sa Jérusalem. Cette région rocheuse était une véritable " Thébaïde " remplie de grottes et peuplée d'ermites parmi lesquels le père Séraphim avait des amis. Les bêtes sauvages venaient prendre la nourriture de ses mains et on le voyait quelquefois en compagnie d'un grand ours.

LA VOCATION DE JEAN-MARIE

En France, à la même époque, c'est le temps de la Terreur. On guillotine les prêtres qui n'ont pas prêté serment à la Constitution, on arrête ceux qui les hébergent, on s'attaque à tous les signes du culte et le sang coule à flots. L'horreur du sacrilège que Jean-Marie Vianney voit autour de lui sera le début de cet " amour violent " qu'il aura pour le Dieu que l'on persécute. L'église du village de Dardilly est fermée et son clocher abattu. Ceux des prêtres qui ont échappé à la prison sillonnent les routes de village en village sous divers déguisements pour célébrer la messe dans quelque ferme isolée. La mère Vianney emmenait ses enfants à la tombée de la nuit à ces retraites clandestines et c'est dans une pièce d'un château voisin, aux volets bien clos, que Jean-Marie fait sa première communion à l'âge de treize ans.

Avec l'accession de Bonaparte au consulat, les prêtres qui survécurent à la déportation en Guyane et à l'internement aux îles de Ré et d'Oléron, commencent à revenir d'exil. En 1803 un curé, l'abbé Charles Balley, frère d'un chartreux guillotiné pendant la Terreur, est nommé pour desservir la paroisse d'Écully, voisine de Dardilly. Il y fonda une école presbytérale pour engager des vocations ecclésiastiques et Jean-Marie Vianney y est admis quelques années plus tard grâce aux sollicitations de sa mère. Jusqu'alors il n'a pas eu l'occasion de se préparer aux études : d'abord petit berger dans les pacages de la ferme du vallon de Chante-Merle, ensuite laboureur, il n'a pu faire jusqu'à l'âge de dix-neuf ans que des études primaires et les cours de latin et la philosophie de Descartes qu'on lui imposait lui furent tellement ardus que, pour remédier au découragement qui l'avait envahi, il résolut en été 1806 de faire un pélerinage d'une centaine de kilomètres à pied au sanctuaire de la Louvesc, dans l'Ardèche, au tombeau de saint François de Régis, l'" apôtre du Vivarais " du XVIIe siècle. Jean-Marie pria avec ferveur et, rentré à l'école, reprit ses études avec courage. En 1807, à l'âge de 21 ans, il reçut le sacrement de confirmation et le nom de Baptiste fut ajouté à ses deux autres prénoms. C'est sous ce triple signe de sainteté que vivra désormais Jean-Marie Baptiste Vianney. Cependant, comme l'enseignement théologique en France subissait encore à cette époque l'influence d'un moralisme jansénisant, le futur curé d'Ars portera longtemps dans son comportement et ses sermons l'empreinte du rigorisme moral de son maître, l'abbé Balley.

Pour relever une perspective quelque peu divergente entre le curé d'Ars et le père Séraphim, il est permis de noter que la tradition occidentale, marquée par un spiritualisme désincarné et un intellectualisme doctrinal, hérité de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin, s'était éloignée des sources spirituelles authentiques auxquelles puisait son inspiration la tradition des Père s orientaux, dont l'un des dépositaires fut le père Séraphim.

Toutefois, si le début du ministère pastoral du curé d'Ars porte encore la marque de sa formation scolaire, il est important de remarquer qu'il a pu se libérer au cours des années de la rigidité et des exigences doctrinales de son temps et retrouver, sous l'action du saint Esprit, les racines communes à l'Orient et à l'Occident.

En automne 1809, l'appel sous les drapeaux interrompt les études du jeune Vianney. Quelques jours après son arrivée au dépôt de Lyon, déjà affaibli par les efforts scolaires et les privations, il tombe malade et est transporté à l'hôpital ; puis, il reçoit l'ordre de rejoindre son détachement en partance pour la frontière de l'Espagne. Il part à pied, s'égare dans les monts du Forez, et remet sa destinée entre les mains de Dieu. Or, dans la région lyonnaise on considérait Napoléon comme un usurpateur, on lui reprochait ses batailles sanglantes et la plupart des paysans de la région gardaient des attaches étroites avec l'Ancien régime. Aussi, le maire de la commune de Noës installa Vianney dans la grange de la ferme des Robins qui appartenait à sa cousine et c'est là que le " déserteur malgré lui " passa plusieurs mois sous le nom de " Jérôme Vincent " jusqu'au moment où Napoléon accorda une amnistie aux réfractaires (mars 1810). Lors de son " exil ", Jean-Marie se fit des attaches, se lia d'amitié, forma clandestinement autour de lui un groupe d'enfants et leur donna des cours de catéchisme. Plusieurs fois il courut le risque d'être arrêté par les gendarmes, mais il ne fut jamais dénoncé.

Ce n'est qu'en 1813 qu'il put revenir à Écully et reprendre ses études. L'abbé Balley, qui l'avait pris en affection, le présenta à la première tonsure que l'on donnait aux séminaristes l'année de leur rhétorique et Jean-Marie Baptiste put revêtir la soutane. Il avait près de vingt-cinq ans et, afin d'accélérer ses études, l'abbé Balley l'envoya au petit séminaire de Verrières pour l'année de philosophie, mais le jeune séminariste comprit peu de choses à la dialectique et à la logique qu'on lui enseignait. Pour les cours de " l'année scolastique " de 1813-1814 il entra au grand séminaire saint-Irénée de Lyon. Pour faciliter ses études, on lui donna quelques leçons particulières en lui expliquant les notions de théologie en français, mais, tous les efforts qu'il employa pour saisir cette matière ne donnèrent qu'un résultat médiocre et on fut obligé de le renvoyer.

Comme le diocèse de Lyon manquait de prêtres, les autorités ecclésiastiques se montrèrent plus indulgentes. On se renseigna sur le côté moral et la piété du séminariste et le 2 juillet 1814, le jour de la fête de la Visitation de Notre Dame, on le présenta aux ordres mineurs et au sous-diaconat. L'année suivante il fut ordonné diacre et, aussitôt après, grâce aux démarches de l'abbé Balley, on décida de le présenter à l'ordination sacerdotale à Grenoble. Transporté de joie, c'est à pied que le jeune diacre couvrit les cent kilomètres qui séparent Lyon de Grenoble, par les routes du Dauphiné envahies de soldats ennemis, pour recevoir le 13 août 1815, à l'âge de vingt-neuf ans, l'ordination sacerdotale. Il n'a pas révélé les impressions ressenties lors de cet événement si longtemps attendu, mais il dira plus tard, en parlant du sacerdoce : " Ô, que le prêtre est quelque chose de grand ! Le prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel !... Si on le comprenait sur la terre, on mourrait, non de frayeur, mais d'amour. " Il considérait le mystère du sacerdoce comme une extension de celui de Jésus-Christ et, en dehors de l'offrande eucharistique qui pour lui occupait la première place, c'était la responsabilité devant Dieu du pasteur auquel le salut des âmes était confié qui le faisait frémir. " Sauver les âmes ", tel était son désir ardent dès son jeune âge. À présent que cette tâche se présentait à lui, elle lui paraissait au-dessus de ses forces. " Un prêtre, dira-t-il, doit être un saint, un séraphin. "

Il célébra sa première messe le 14 août, veille de l'Assomption, à Grenoble et, à son retour à Écully, l'abbé Balley lui apprit la nouvelle de sa nomination au poste de vicaire de cette paroisse. Quelques mois plus tard, l'abbé Vianney reçut les pouvoirs nécessaires pour confesser et son premier pénitent fut son vieux maître, le curé Balley.

On peut remarquer une différence dans la conception du sacrement de pénitence du curé d'Ars et du père Séraphim. Pour ce dernier, le prêtre, en recevant la confession des pénitents, n'est que le témoin devant Dieu, tandis que, selon la conception du curé d'Ars, le prêtre est revêtu de tous les pouvoirs de Dieu, il est juge et " après Dieu il est tout ". C'est le poids de cette grande responsabilité qui pesait sur l'abbé Vianney et qui l'obligeait souvent à faire revenir les pénitents plusieurs fois avant de leur donner l'absolution.

Le vicariat de l'abbé Vianney à Ecully ne fut pas de longue durée. Le pasteur Balley, miné par les épreuves du temps de la Terreur et les efforts ascétiques auxquels il se soumettait, s'éteignit le 17 décembre 1817, à l'âge de soixante-cinq ans, pleuré par son disciple dévoué. Comme souvenir de son maître, le futur curé d'Ars conservera jusqu'à sa mort le petit miroir du père Balley " qui avait reflété son visage " et le cilice usé qu'il avait porté.

On garda quelque temps le vicaire Vianney dans la paroisse d'Écully, mais le nouveau curé trouvait son vicaire " exagéré ", à cause de son comportement, sa manière paysanne, son air de " Trappiste ". Au début de février 1818 l'abbé Jean-Marie Vianney apprenait que la chapelle d'Ars-en-Dombes lui était confiée.

Le pauvre village auquel elle appartenait comptait 230 habitants à peine et, parmi les paroisses du département de l'Ain, il était considéré comme une sorte de Sibérie par le clergé de Lyon. La région avait connu les suites déplorables de la Révolution, il y avait eu des apostasies parmi les membres du clergé, le culte de la Déesse raison y avait été pratiqué quelque temps et, par opposition, une secte janséniste s'était organisée à Fareins, à deux lieues d'Ars.

La châtelaine d'Ars, la comtesse des Garets, qui ainsi que son frère, avait été le soutien le plus important au cours des années difficiles du curé, subissait aussi l'influence jansénisante de son temps. En remettant la feuille de nomination à l'abbé Vianney, le vicaire général lui dit : " Il n'y a pas beaucoup d'amour de Dieu dans cette paroisse ; vous y en mettrez. "

Les premiers pas du nouveau curé furent une prise de contact avec les habitants, dont les plus jeunes, grandis pendant la Révolution, ignoraient tout de la religion. Il y avait aussi beaucoup de misère, des orphelins sans secours, des enfants abandonnés. Mais les cabarets du village étaient toujours fréquentés, les danses attiraient la jeunesse et l'église restait vide les dimanches. Pour convertir ses futurs paroissiens, l'abbé Vianney se levait aux premiers rayons de l'aurore, allait tout droit au sanctuaire et commençait à dire ses prières. Quelquefois on l'aperçoit agenouillé dans les bois voisins implorant Dieu de le prendre en pitié, lui et son troupeau. Élevé à la campagne, il aimait la vie des champs et des bois, il aimait le chant des oiseaux et il comparait l'âme qui prie à une hirondelle dans son vol vers le ciel. Plus tard, lorsque les foules l'assiègeront et le " cloueront à la croix de son confessionnal ", il tentera plusieurs fois de quitter sa paroisse. Déchiré entre sa responsabilité pastorale et son désir de " finir sa pauvre vie " dans le désert, il essayera de rejoindre la Trappe ou de retourner dans son village natal de Dardilly. Ses biographes noteront trois de ces " fugues ".

Or, chaque fois qu'il entreprendra de fuir le troupeau innombrable qui le harcelait, ses paroissiens le ramèneront de force au village. Alors il recommencera ses catéchismes, ses sermons, il continuera à passer des heures, jusque tard dans la nuit, à confesser les pénitents et l'afflux des pèlerins deviendra de plus en plus considérable. Les visiteurs remarqueront cependant que l'atmosphère de la petite bourgade d'Ars avait changé au cours des années : " Ars n'est plus Ars, diront-ils plus de gens oisifs dans les cabarets les dimanches, plus de danses la veille des grandes fêtes et l'église est toujours emplie de gens en prière. "

Mais le début du pastorat fut dur pour le jeune curé. À ses prières pour le salut des âmes il ajoutait des pénitences, se croyant toujours pasteur indigne et ignorant et, le soir, avant de s'étendre sur le plancher du grenier de la cure, il se flagellait sans pitié. " Quand on est jeune, dira-t-il plus tard, on fait des imprudences. " Il avait refusé les meubles que la comtesse des Garets lui avait envoyés et tout ce que les paroissiens lui donnaient, il le distribuait aux pauvres. Comme nourriture il faisait cuire des pommes de terre ou des " mâte-faim " pour toute la semaine et il lui arrivait parfois de ne rien prendre pendant deux ou trois jours. Une voisine le surprit une fois en train de cueillir de l'oseille dans le jardin du presbytère. " Vous mangez donc de l'herbe ", lui demanda-t-elle. Un peu confus, il répondit qu'il avait essayé de ne manger que cela, mais qu'il n'avait pas pu continuer.

EN PLEIN SOLEIL

Nous trouvons ici le même comportement que celui de saint Séraphim. " Connais-tu la perce-feuille, demanda-t-il un jour à une sœur de Divéevo, sais-tu qu'elle est bien bonne à manger ? Pendant près de trois ans je ne me suis nourri que d'elle, je la séchais pour l'hiver, et cela faisait un mets excellent. " Tous les deux avaient été impitoyables envers leur corps – que le curé d'Ars appelait " cadavre " ; le père Séraphim ne conseillera pourtant pas aux autres les grandes mortifications, car, dira-t-il, " le corps doit être l'aide et l'ami de l'âme, sinon il peut arriver que le corps s'étant affaibli, l'âme aussi s'exténue ". Saint Séraphim ne portait pas de cilice, comme le curé d'Ars, mais on sait qu'en plus de la croix pectorale donnée par sa mère il portait sur son dos, sous sa soutane, une autre grande croix en cuivre. Il transportait aussi de gros sacs remplis de pierres pour border la rive de la source dans la forêt et disait, lorsqu'on le questionnait à ce sujet : " Je tourmente celui qui me tourmente ".

On doit dire que les " tourments " qu'éprouvaient les deux saints étaient identiques : découragement, angoisses, sentiment d'être abandonné de Dieu. Ils étaient tous deux également poursuivis par les attaques diaboliques. " Celui qui a choisi la vie du désert, disait le père Séraphim, doit toujours être prêt au combat " ; et, s'il menait ce combat en silence, dans son ermitage, les voisins du curé d'Ars, entendant des cris s'élever de la cure accouraient apeurés, croyant que des voleurs s'y étaient introduits. Mais le curé les rassurait tranquillement : " Ce n'est rien, c'est le grappin " – sobriquet qu'il donnait au démon. " Le grappin a une bien vilaine voix ", disait-il. Quant au père Séraphim, lorsqu'on lui demanda comment étaient les démons, il répondit brièvement : " Ils sont abjects ".

Les attaques de Satan devenaient plus agressives dans la cure d'Ars lorsqu'un " gros poisson " – nom par lequel le curé désignait un pécheur incorrigible –, devait arriver. Un souffle froid pénétrait dans la cellule du père Séraphim pendant qu'il priait pour une âme pécheresse, les cierges s'éteignaient et tout semblait envahi par les ténèbres. " Le diable est froid ", disait-il.

Pour repousser les attaques du Malin, le père Séraphim, comme les anciens stylites, resta mille nuits et mille jours agenouillé, les bras en croix, en prière sur un rocher de granit. Durant trois ans, il s'imposa le silence et passa cinq années en reclus. Il fut une fois attaqué dans la forêt par trois paysans qui croyaient trouver chez lui de l'argent. Il fut battu, supporta ses souffrances sans se plaindre et demanda à ce qu'on ne punisse pas ses agresseurs lorsqu'ils furent arrêtés. Ces années de luttes et d'épreuves, de prière perpétuelle et d'ascèse le préparèrent à devenir un " starets " dont l'expérience sera mise au service des hommes. Il commencera alors à réorganiser la communauté des religieuses de Divéevo, accomplissant la promesse donnée à la mère Alexandra.

Au début, sa tâche ne lui fut pas facile, car l'attitude du monastère envers la communauté avait changé depuis la nomination du nouveau prieur, le père Niphonte, qui trouvait encombrant de fournir aux sœurs des vivres en échange du travail qu'elles accomplissaient du temps des précédents prieurs. Le nombre des sœurs avait diminué et la nouvelle supérieure, malgré les règles austères de la communauté, n'arrivait pas à satisfaire à tous les besoins. C'est donc à cette œuvre que le père Séraphim sacrifia ses forces et son temps. Les habitants des villages voisins réclamaient aussi ses conseils et sa direction spirituelle. Il existait dans la région des mines de fer et les ouvriers qui y travaillaient se livraient fréquemment à la boisson, à la débauche et au brigandage. " C'était un nid de Satan, disait le père Séraphim, et il fallait beaucoup prier pour que Dieu veuille faire disparaître les armées du diable de ces lieux. "

À cette époque (1822-1825), les deux saints sont en possession de tous leurs charismes révélés au monde par une suite de miracles, de guérisons, de manifestations de clairvoyance et de prophétie. Si, auparavant ils avaient évité la société des femmes, ils se consacraient à présent à leur éducation et à leur formation spirituelle.

En 1824, le curé d'Ars concentre son activité à la fondation d'une maison pour les jeunes orphelines des villages voisins qu'il appellera " Providence ". Cette œuvre, tout en lui apportant des joies, fut aussi cause de gros ennuis, tant matériels que moraux. Il dut endurer des vexations et des calomnies, on critiquait ses catéchismes, les expressions quelquefois " triviales " qu'il employait, l'absence de règles grammaticales dans ses sermons, la pauvreté et le manque d'hygiène de l'installation. Son juge le plus sévère fut son auxiliaire, l'abbé Raymond, que le curé avait jadis lui-même encouragé dans les études. Le jeune vicaire ne doutait pas de la sainteté de son curé, mais il considérait cette paroisse comme placée sous sa responsabilité personnelle ; il se montrait d'un autoritarisme extrême et traitait son supérieur avec dureté. Il se mêlait aussi des affaires de la " Providence ", usait de son influence et les autorités civiles finirent par éliminer le personnel de cette institution dont la directrice, Catherine Lassagne, avait été pendant des années la collaboratrice fidèle du curé d'Ars. Catherine Lassagne a laissé de précieux témoignages sur son père spirituel. Sous la pression de l'abbé Raymond, la " Providence " fut transmise aux sœurs de la congrégation de saint Joseph.

Des ennuis semblables, concernant la communauté de Divéevo, arrivèrent au père Séraphim. Un jeune homme de la ville voisine de Tambov, Ivan Tikhonovitch, ayant entendu parler des miracles qui se produisaient à Sarov et de la masse des pèlerins qui y affluaient, voulut y faire son noviciat ; il n'y fut pas admis et commença à fréquenter le père Séraphim afin d'être initié par lui à la vie monastique. Il voulait imiter la vie des Pères du désert, porter un cilice qu'il se fit commander, obtenir des charismes de starets. À peine entra-t-il dans la cellule du père Séraphim que celui-ci lui dit : " Si un enfant voulait porter un cilice, crois-tu que cela lui conviendrait ? Le cilice du moine est la patience qu'il exerce. Les moines qui n'ont pas atteint la patience et l'humilité ne sont que des fumerons, car ce n'est pas la chape monacale qui fait le moine. " " La vertu n'est pas une poire que l'on mange d'un seul coup ", disait-il encore. Tout en fréquentant le starets, Ivan Tikhonovitch connut la communauté de Divéevo, s'y introduisit comme chef de chœur pour diriger la chorale des sœurs " à la manière italienne " comme on le faisait à Saint-Pétersbourg, et décida de moderniser l'organisation du couvent. " Tu deviens vieux, disait-il au starets, confie-moi tes orphelines ! " Les intrigues qu'il mena semèrent la discorde parmi les sœurs ; certaines prirent le parti de l'" intrus ", attirèrent l'attention des autorités ecclésiastiques et civiles, et cette histoire causa beaucoup de peine au père Séraphim. Les moines de Sarov, de leur côté, accusaient le starets de tailler le bois dans les futaies du monastère et de le donner aux sœurs, faisaient des perquisitions chez le père et à Divéevo et, si la grâce divine ne s'était pas manifestée à chaque incident pour réhabiliter le comportement du père Séraphim, il aurait été pénible pour le starets de supporter tous ces outrages.

Mais les joies dont furent gratifiées les deux œuvres faisaient oublier les souffrances des deux père s. La " multiplication " du pain et de la farine dans la communauté de Divéevo et dans celle de la " Providence ", sont inscrites dans leurs Annales respectives. Les deux institutions avaient été mises sous la protection de la sainte Vierge dont les apparitions furent nombreuses tant à Divéevo qu'à Ars. " On n'oserait pas mettre le pied sur tel carreau, si l'on savait ce qui s'y était passé " disait le curé d'Ars, et le père Séraphim indiqua aux sœurs cette petite sente qui bordait leur domaine où " les pieds de la Très Pure s'étaient posés ".

C'est dans un climat de " fioretti " et de " légende dorée " que se passait la vie de ces saintes femmes et jeunes filles ; les récits de Catherine Lassagne ainsi que les témoignages des sœurs de Divéevo reflètent avec fidélité et amour l'image lumineuse de leurs père s spirituels.

Il serait trop long de rapporter tous les enseignements des deux saints, les ravissements qu'ils connurent, les visions de la sainte Vierge dont tous deux parlent en habitués de ses apparitions, de décrire l'état lumineux en lequel des témoins les avaient vus, le phénomène de lévitation qui se produisait au moment où ils priaient quand leur corps transgressait le poids de la pesanteur, phénomène du même ordre que l'auréole et le rayonnement.

" Dieu est un feu ", disait le père Séraphim et, pour rendre témoignage de cette vérité et la rappeler au monde, le starets fit participer son ami, Nicolas Motovilov, à la vision de l'éblouissante lumière qui les enveloppa tous deux et au milieu de laquelle le visage du père Séraphim resplendissait, plus étincelant que le soleil. " Ce n'est pas à vous seul que cette manifestation divine a été faite, lui dit le père Séraphim, mais, par vous, au monde entier... parlez-en à tous ! ". Cette manifestation était celle de l'Esprit saint, dont l'acquisition doit être le but essentiel de la vie humaine, pour préparer l'avènement du Royaume.

Si le curé d'Ars a consenti à quelques confidences sur les révélations qu'il avait reçues, toujours il s'empressait de les atténuer. Mais en revivant les souvenirs de sa vie intérieure, il s'exclamait tout radieux, sans préciser : " Ah ! quelle grâce, mais quelle grâce ! ".

Lorsque le curé d'Ars transféra ses catéchismes de la classe de la " Providence " à l'église, à cause des pèlerins, et que ses sermons se trouveront libérés du caractère livresque des sermonnaires utilisés autrefois, car il n'a désormais plus le temps de les préparer, ils prendront un élan et une spontanéité tels que le célèbre prédicateur Lacordaire, venu écouter ce curé qu'on lui avait dépeint de façon fort peu favorable, ne dissimulera pas son admiration. Le sermon portait sur la réception du saint Esprit, sur les effets qu'il produit quand l'homme est admis à le recevoir et sur la félicité qu'il en éprouve. En se séparant du curé, Lacordaire se prosterna devant lui en lui demandant sa bénédiction. Il attesta au château du comte des Garets que le sermon sur le saint Esprit " avait éclairé et développé une idée qu'il poursuivait depuis bien des années ". Les contemporains du curé d'Ars qui le connaissaient de près, l'appelaient " réceptacle du Saint-Esprit ".

Les dons de clairvoyance et de prophétie que possédaient les deux saints provenaient de l'obéissance parfaite à la volonté de Dieu qu'ils avaient acquise. " Je suis comme un rabot dans les mains du Bon Dieu ", disait le saint curé et lorsqu'on voulait savoir comment il arrivait à pénétrer les secrets du cœur humain et prévoir l'avenir, il répondait en s'esquivant : " Bah, c'est un souvenir ", ou bien : " Oh, c'est une idée qui m'est passée par la tête ".

Le père Séraphim, quant à lui, disait : " Pareil au fer entre les mains du forgeron, je me suis donné tout entier à Dieu et je ne dis à celui qui vient que ce que Dieu m'ordonne de lui dire. Le cœur de l'homme est un mystère, Dieu seul le connaît et s'il m'arrivait de chercher la réponse moi-même, je me tromperais. Je ne parle que lorsque la parole m'est donnée ".

RAPPEL À DIEU

Les conditions en lesquelles le Seigneur a voulu rappeler à lui les deux saints furent différentes.

" Prisonnier " des pèlerins qui l'entouraient jusqu'au dernier moment de sa vie, le saint curé d'Ars agonisait, étendu sur son lit en pâture au public. Les habitants de la bourgade, les pèlerins, la foule, s'empressaient dans la cour du presbytère, bousculant les médecins, envahissant la chambre du mourant, demandant de bénir des objets de piété. Le 4 août 1859, par une nuit d'orage et de chaleur torride, " dans le fracas des éclairs et du tonnerre ", le curé d'Ars rendit son dernier soupir, accompagné par les paroles des prières des agonisants : " Que les saints anges de Dieu viennent à ta rencontre et t'introduisent dans la céleste Jérusalem ".

Saint Séraphim mourut dans la nuit du 2 janvier 1833 dans sa cellule du monastère, agenouillé devant l'icône de la Vierge ; l'une des pages de son Évangile ouvert se consumait au feu du cierge allumé. C'est l'odeur du brûlé qui attira l'attention des moines. Le starets avait bien prédit que sa mort serait annoncée par le feu. Dans la soirée, on l'avait encore entendu chanter les hymnes pascales qu'il aimait tant et, lorsque les moines pénétrèrent chez lui, ils le crurent endormi de fatigue, car son corps avait encore gardé sa chaleur.

On rapporte qu'à l'heure de sa mort une lumière extraordinaire éclaira le ciel, et un moine, en la voyant, s'écria " C'est l'âme du père Séraphim qui s'élève vers le trône du Seigneur ! ".

 

Le Messager orthodoxe, No 54, 1971.