Saint Alexis d'Ugine

Saint Alexis d'Ugine

Saint Alexis d'Ugine

Tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption (Psaume 15, 10).


PRÊTRISE

Alexis Medvedkov naît le 1er juillet 1867 dans un village du nord de la Russie, Fomistchevo, dans le district de Viazma. Jean Medvedkov, son père, est prêtre de campagne et sa mère s’appelle Léonille. Très tôt après la naissance d’Alexis, le père Jean meurt : la famille se retrouve dans la misère. C’est ainsi que grandit l’enfant de Dieu, apprenant la patience dans les difficultés de la vie dès son plus jeune âge.
Comme tous les fils des membres du clergé de l’époque, il suit d’abord le cursus de l’école ecclésiastique, puis il étudie au séminaire de Saint-Pétersbourg. Il en sort en 1889, sans avoir au demeurant révélé de très brillantes capacités. Il n’a jamais eu d’autre perspective pour son avenir que celle du sacerdoce. Aussi, à la fin du séminaire, la question de la prêtrise se dresse devant lui avec force. Or la crainte de Dieu qui l’étreint et la conscience de son indignité l’empêchent de faire le pas décisif. En attendant, pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère, il cherche une place de premier chantre dans une église de la région. En effet Dieu l’a doué d’une oreille musicale et d’une belle voix de basse. Il doit accomplir de nombreuses démarches avant d’aboutir enfin à l’église de Sainte-Catherine, sur l’île Vassilievsky, où il reçoit la charge de lecteur. Là, il sert l’Église pendant environ cinq ans. C’est à cette même époque qu’il se marie.

La douceur et la modestie du lecteur Alexis attirent à lui l’affection et l’amitié de ceux qui l’entourent. Beaucoup le pressent de recevoir le sacerdoce. Lui-même, depuis toujours, nourrit ce désir, cependant la grandeur et la sainteté de ce chemin effraient encore le futur pasteur. Finalement, il décide de s’en ouvrir au père Jean de Cronstadt, dont l’influence spirituelle s’étend sur toute la Russie. Le peuple vient en foule pour le voir, lui demander conseil, se confesser et se faire guérir. Alexis aussi a une profonde vénération pour le père Jean et assiste volontiers à ses liturgies inspirées. Leur rencontre se révèle décisive : le saint pasteur de Cronstadt écoute Alexis, l’incite à aller de l’avant et l’encourage : « C’est une bonne chose que tu aies la crainte de Dieu ». Alexis formule donc sa requête auprès du Métropolite Palladius de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il devient diacre la veille de Noël 1895 et deux jours après, en la synaxe de la fête de la Mère de Dieu, il est ordonné prêtre. Il a alors vingt-huit ans. Le 2 janvier 1896, son Métropolite lui assigne la paroisse de la Dormition de la Mère de Dieu à Vrouda, situé à 95 kilomètres de Saint-Pétersbourg.

C’est là que celui qui est désormais le père Alexis va habiter et servir l’Église durant 23 ans. Il fait venir sa mère, Léonilla Mikhaïlovna Medvedkova, qui confectionnera les prosphores. La grâce reçue lors de l’ordination sacerdotale, ainsi que la précieuse bénédiction de saint Jean de Cronstadt, fortifient et soutiennent le père Alexis dans sa nouvelle responsabilité.

Au fil des années, le père Alexis fait fructifier le talent reçu d’En-haut avec ferveur et crainte de Dieu. Son zèle brûlant rayonne sur toute la vie paroissiale : les fidèles, paysans pour la plupart, lui accordent leur amour et lui sont tout dévoués. Grâce à ses efforts incessants, la vie spirituelle fleurit à Vrouda. Il a l’estime de tous les prêtres, qui le voient se consacrer entièrement au progrès de ses brebis spirituelles. La lecture constante des Saintes Écritures et l’étude des textes patristiques imprègnent l’âme du pieux pasteur. Il reste parfois sans sommeil des nuits entières à lire les œuvres des Pères de l’Église qu’il se fait envoyer. Il s’en inspire pour la rigoureuse préparation de ses sermons. Il a le souci permanent d’instruire ses paroissiens et l’éducation chrétienne lui tient particulièrement à coeur. Le village possède quatre écoles ainsi qu’un orphelinat, où le père Alexis enseigne le catéchisme. Par la suite, il fait ouvrir encore deux nouvelles écoles. Il déverse sur les enfants de l’orphelinat une tendresse particulière et toute sa paternelle sollicitude.

Cependant l’indigence de son foyer familial et le dénuement de la paroisse l’obligent à mener de front et les devoirs de sa charge et tous les travaux agricoles qui emplissent la vie quotidienne d’un paysan. Ce déploiement d’activités et de labeur pastoral, impliquant une vie d’ascèse et d’abnégation, lui valent la reconnaissance de ses supérieurs hiérarchiques, qui apprécient son ardeur pour la prédication et l’enseignement religieux. On lui décerne successivement plusieurs distinctions honorifiques, jusqu’en 1911 où le Saint-Synode lui remet une croix pectorale et en 1914, où il est décoré de l’ordre de Sainte-Anne de troisième classe. Enfin, on lui confère la dignité d’archiprêtre en 1916.

EXILE EN ESTONIE

Arrive l’année 1917 : la révolution. La droiture et la sainteté ne peuvent rester cachées et le père Alexis est bien vite pris au filet par les ennemis de l’Église : on l’arrête, on le jette en prison et commence pour lui le martyre des saints confesseurs de la foi. Dans son cachot, il endure avec douceur et patience la cruauté de ses persécuteurs : il est violemment battu, on le couvre d’outrages, il subit la torture. Ses bourreaux lui rompent les bras et les jambes, il est roué de coups au point que son nerf facial se déchire en partie. Il en gardera les stigmates pour le restant de ses jours, son oeil droit restera toujours plus ouvert que le gauche. Pour finir, on le condamne à mort. Cependant le Seigneur en décide autrement et permet que ses enfants spirituels et sa famille interviennent pour le sauver. Sa fille aînée s’offre pour lui en otage et obtient sa libération.

Les années 1918-1919 sont des temps de grands troubles dans toute la Russie. La famille du père Alexis s’enfuit en Estonie, pays limitrophe qui vient d’obtenir son indépendance politique, et s’installe à Kohtla-larvé, au nord-ouest du pays. Cette région industrielle rassemble de nombreux émigrés à cause de ses mines de schiste, qui attirent la main d’œuvre. L’endroit est malheureusement réputé pour son climat insalubre et son air vicié. Les conditions de travail sont si pénibles dans les mines que les Estoniens s’y refusent et préfèrent employer les fugitifs russes en échange d’une mince rémunération, ainsi que les criminels estoniens condamnés aux travaux forcés, qu’on emmène enchaînés et sous bonne escorte.
Pour les Medvedkov, l’exil en Estonie entraîne une nouvelle vie lourde de souffrances et d’afflictions. Le père Alexis doit travailler dans les mines pour nourrir sa famille. Mais sa santé, déjà tant mise à l’épreuve par les sévices subis durant sa détention, se détériore vite. Le travail harassant joint à la misère accusent la fatigue et la maladie. Il finit par ne plus avoir la force de descendre dans les puits et on l’affecte à d’autres tâches plus légères, à la surface, comme enlever les tonneaux vides. Au bout de quelques années épuisantes, on lui confie un poste de garde de nuit.

En 1923, l’Église orthodoxe estonienne, sous l’omophore du Patriarche Tikhon de Moscou, attribue au père Alexis l’importante paroisse de Levvé, située à quelque distance de Kohtla-larvé, comme prêtre surnuméraire. Cette paroisse est dédiée à la Théophanie. Mais le grand souci pastoral de l’archiprêtre reste dirigé vers ses co-émigrés de Kohtla-larvé, qui forment progressivement une paroisse. Ils se réunissent dans une chapelle mal construite et fort pauvre, consacrée à la Transfiguration. Le père Alexis s’attelle à la tâche : il célèbre régulièrement les offices, il réussit à constituer un choeur. Ensuite il en deviendra le recteur.

Plus tard, on aménage un établissement scolaire pour les enfants émigrés et le père Alexis y prodigue un enseignement religieux de 1922 à 1927. Il s’adonne ainsi pour quelque temps à son occupation favorite : s’entretenir avec les plus jeunes au sujet de Dieu et de ses commandements. Néanmoins son activité religieuse est sans cesse entravée en ces années complexes de l’émergence de la république estonienne. Il est en butte à une profonde incompréhension de la part des représentants du clergé local à tendance nationaliste. L’homme de Dieu est accablé de souffrances, autant physiques que morales. S’exténuant à la besogne jour et nuit, il a du mal à tenir sur ses jambes malades. Il se consume en efforts et en peines, la détresse matérielle le poursuit. Ces dix années d’exil en Estonie ne sont qu’un long calvaire pour lui et pour sa famille. Son épouse tombe malade vers 1926, elle est opérée à la clinique de Tartou et finit par s’éteindre en 1929.
Le 12 août 1929, meurt aussi l’archevêque Eusèbe, tête de l’église orthodoxe en Estonie rattachée au Patriarcat de Moscou.. Le père Alexis perd alors tout soutien, il est profondément seul, mis à l’écart par ses confrères estoniens, abandonné de tous. On ne le laisse pas travailler pour l’Église...

PASTEUR D'UGINE

En désespoir de cause, le père Alexis décide de se tourner vers l’Europe occidentale. En 1929, il s’adresse au Métropolite Euloge qui est, en France, à la tête de la métropole russe rattachée à Constantinople. Il le prie de bien vouloir l’accueillir dans son diocèse. Le 23 septembre 1929, il reçoit du Métropolite une réponse positive et quelques mois plus tard, il arrive à Paris, accompagné de ses filles et de son petit-fils. En attendant une nomination définitive, le Métropolite l’affecte à la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, en tant que prêtre surnuméraire non rémunéré. Puis, le 15 décembre 1930, il l’envoie à Ugine, en Savoie, comme recteur de la paroisse Saint-Nicolas qui vient d’être créée.

Ugine était alors un important centre métallurgique employant nombre d’émigrés russes, estoniens et des Balkans, directement recrutés par l’administration de l’entreprise. L’usine se situait au creux de la vallée, ses turbines étant mises en action par les cascades qui dévalent des hauteurs environnantes. Les volutes d’épaisse fumée tournoyaient au sol avant de s’évanouir à la cime des sapins tapissant les montagnes. À cette époque, parmi les ouvriers on ne comptait pas moins de six cents Russes. Ces derniers avaient sollicité de la direction un lieu de culte. Aimablement on avait mis à leur disposition une vaste baraque de l’établissement, qu’ils eurent vite fait d’aménager, d’embellir et de pourvoir des indispensables objets liturgiques. Enfin, l’église fut consacrée par le Métropolite Euloge en 1927 sous le patronage de Saint Nicolas.

C’est cette communauté que vient desservir le père Alexis. Âgé alors de soixante trois ans, il a l’air vieux et usé. L’usine le loge gratuitement à deux kilomètres de là et lui fournit du charbon pour le chauffage. On lui verse aussi un salaire honnête, en plus de ce que la paroisse peut lui remettre. Son existence matérielle pourrait donc s’améliorer, mais cet homme purifié par le feu des grandes épreuves ne songe plus à modifier son train de vie. Aussi distribue-t-il aux pauvres, en secret, une part de ce qu’il reçoit. Il ne se préoccupe pas du paraître. Son étrange allure, celle d’un prêtre de campagne, avec sa soutane toute élimée, lui vaut les moqueries des petits Français, quand il chemine dans les rues d’Ugine, plongé dans la prière.

Par contre, la beauté de l’église et la dignité des saints offices chantés dans leur intégralité mobilisent toute son attention. Il s’applique consciencieusement à l’exercice de sa charge, tout son soin est porté à la célébration solennelle de la Divine Liturgie, après laquelle bien souvent il reste seul à l’église, pour prier ou bien chanter une pannychide pour quelque enfant spirituel défunt... Il est toujours prêt à s’acquitter, avec joie et gracieusement bien sûr, des demandes de ses paroissiens concernant tel ou tel service liturgique. Il se rend à l’église tôt le matin, bien avent le début de l’office. Entré au sanctuaire, dans un profond recueillement, il commence, à la proscomidie, la commémoration d’une multitude innombrable de noms. Son maître de chapelle, le talentueux Léonce Ivanovitch Tchaplenko, qui devient son fils spirituel, lui restera jusqu’au bout fidèlement dévoué et l’assiste dans se lourde tâche. C’est grâce à lui que le père Alexis peut officier dans la semaine, puisqu’il ne travaille pas à l’usine. Le dimanche, le saint pasteur prêche longuement, généralement sur des thèmes évangéliques. Il parle de façon prégnante, avec flamme; sa pénétration de l’âme humaine étonne. Sa voix est forte quand il prononce les prières, lentement, sans se dépêcher.

Un jour, un fidèle de la paroisse, V.A. d’Annecy, arrive à Ugine bien en avance pour la Divine Liturgie. Dans la rue, il aperçoit de loin le père Alexis marchant vers l’église, car ce dernier parcourt toujours à pied la distance qui le sépare de Saint-Nicolas. V.A. désire s’approcher du prêtre et le saluer, mais quand il comprend que l’homme de Dieu est tout à sa prière - il le voit réciter à voix basse - il se défend de l’interrompre. Néanmoins, il retire son chapeau et s’incline respectueusement dans sa direction. Le père semble bien ne point l’avoir aperçu, mais quelques pas plus loin, il s’arrête et le bénit à distance. Puis il va son chemin.
Le père Alexis est d’un caractère doux et effacé, modeste, presque timide et délicat ; il cherche à faire régner la paix autour de lui, bien disposé à l’égard de tous. Devant les reproches qu’on lui lance, il ne réagit pas mais observe humblement le silence. Envers ceux qui lui sont hostiles, il se montre miséricordieux. Malgré son indigence, il exprime sa reconnaissance pour tout, on ne l’entend jamais se plaindre. En société, il préfère se taire et écouter les autres. Mais si l’on aborde un sujet politique ou si l’on verse dans la médisance, il s’abîme dans la prière et oublie son entourage. Avec ses nombreux amis, pourtant, il s’anime et participe à la conversation. Il a beaucoup lu et partage volontiers sa vaste culture philosophique et théologique, littéraire et scientifique. Il estime particulièrement le penseur russe Khomiakov. Son discours est tout perlé de paroles tirées des Saintes Écritures. Avec prédilection il parle de Dieu et de l’Église. Il évoque la joie découlant de l’accomplissement des commandements du Seigneur. Mais ce qu’il préfère par-dessus tout, c’est le temps qu’il passe en compagnie des enfants : avec tendresse, il communique à leurs âmes pures la foi et l’amour de Dieu. Il n’est pas rare que les adultes viennent aussi et se laissent captiver par ses leçons pleines de vie.
Cependant son égale simplicité et sa discrétion si équilibrée dissimulent son abnégation et son amour de la prière. Menant une existence apparemment « ordinaire » de prêtre de paroisse, le père Alexis moissonne les fruits de l’Esprit mûris au cours de ses nombreuses années de dévotion inconditionnelle au Christ : il vit déjà dans la sainteté, mais dans une sainteté qui ne frappe pas les regards... Par là il est bien l’émule de son saint patron, Alexis « l’Homme de Dieu » (cf. le Synaxaire au 17 mars).

En 1931, sa plus jeune fille épouse un réfugié russe qui s’avère plutôt mauvais garçon. Il s’installe chez les Medvedkov et n’a guère de considération pour son beau-père. Sa présence engendre un climat familial lourd et conflictuel. À la maison, seul le premier petit-fils, qui pourtant n’est pas tout à fait normal, est une source de consolation pour son grand-père. Ce dernier l’affectionne spécialement et cherche à le tirer de son isolement.

Certains paroissiens ne comprennent pas le père Alexis et ne l’aiment guère. Profitant de sa mansuétude et de sa patience exceptionnelles, ils murmurent contre lui, se plaignant de la longueur exagérée des offices, se moquant du piètre état de sa soutane... Sa générosité vis-à-vis des plus démunis n’est pas pour arranger le malaise familial et l’atmosphère pesante qui règne chez lui devient aussi l’objet de sarcasmes. Il est pourtant le premier à la déplorer et à en souffrir. Personne chez les siens ne partage ses intérêts, il vit dans la solitude et l’indifférence.
De plus, il doit composer avec un conseil paroissial difficile constitué de personnes ayant eu l’exercice du commandement en période de guerre. Ses membres se sentent investis des pleins pouvoirs dans l’Église et ignorent le mode de fonctionnement régulier d’un conseil paroissial. Le père au naturel doux et pacifique se voit parfois contraint de clore les débats avant épuisement de l’ordre du jour, de peur que n’éclate une bagarre. L’ambiance malsaine des réunions l’indispose, et il ne juge pourtant pas devoir céder lors de litiges concernant l’église. Chacun tente de l’influencer, de faire pression sur lui, attisant les rivalités. Dans ce cas, il ferme les yeux, cherche refuge dans la prière du cœur et écoute patiemment, sans intervenir, la tête baissée. Un petit noyau de fidèles va même jusqu’à inquiéter le prêtre durant les saints offices. Lui redouble alors d’intensité dans sa prière, où il trouve force et réconfort en Dieu. D’autres fidèles mieux attentionnés désapprouvent la persécution et les calomnies infligées à leur saint pasteur et essaient de le protéger. La situation s’altère au point que le clan hostile à l’archiprêtre porte plainte auprès du Métropolite Euloge : ce dernier convoque le père Alexis à Paris. C’est alors seulement que se manifeste la majorité des fidèles, qui jusqu’à présent ne s’était point mêlée des affaires paroissiales. Puisque l’accusé ne cherche aucunement à se justifier et s’incline devant ses dénonciateurs, ils décident de prendre eux-mêmes sa défense et d’un commun accord rédigent un contre-témoignage vibrant d’amour et de dévouement pour leur bien-aimé père spirituel. Ils recueillent un grand nombre de signatures et confient le précieux manuscrit à l’un des leurs, le très dévoué A.B., qui accompagne le père Alexis à Paris. Durant ce voyage, le malheureux prêtre tremble à la pensée de sa comparution devant le Métropolite. Il ressemble à un petit enfant qui va se faim gronder et ne sait que dire. Il supplie du regard son protecteur et ami A.B., qui le soutient et le rassure, affirmant que la paroisse ne saurait permettre qu’on lui fasse affront. À Paris, l’incident est vite clos : le Métropolite Euloge découvre que les contestataires ne représentent en fait qu’une faible minorité des paroissiens, les défenseurs du père Alexis étant presque quatre fois plus nombreux. Le vieil archiprêtre est donc maintenu à son poste, les mécontents sont écartés et l’on procède à l’élection d’un nouveau conseil paroissial.

MÉMOIRE ÉTERNELLE

La paix se rétablit à Ugine. Ce conflit a largement contribué à ruiner les dernières forces du père Alexis. Ses membres meurtris lui causent de violentes douleurs, ainsi que son nerf facial déchiré en 1917. Un mal profond le ronge et le contraint à s’aliter définitivement. Quelques paroissiens parmi les plus attachés à sa personne le visitent régulièrement ; le père Jean Grigor-Klotchko lui porte plusieurs fois les Saints Dons. Son état va en empirant, jusqu’en juillet 1934 où l’hospitalisation s’impose et on le transfert à Annecy.

Bientôt le médecin ordonne une opération, lors de laquelle le chirurgien constate un cancer incurable de l’estomac. Il se garde bien de divulguer ce diagnostic, de sorte que tous ignorent quel mal dévore le père Alexis. On transfère le mourant dans une petite chambre du service commun, un peu à l’écart, afin de faciliter les visites, même tardives. Pour les derniers jours de sa vie, il jouit ainsi de meilleures conditions pour la prière et pour les conversations privées. Assailli de vives douleurs, l’homme de Dieu fait preuve de courage et montre sa grande endurance : il reste en paix et ne laisse pas échapper la moindre plainte.

En août 1934, les visiteurs se font bien plus nombreux, et à tous le père Alexis fait bon accueil. Les paroissiens d’Ugine viennent recevoir de lui ses derniers conseils. À certains, il recommande instamment de beaucoup prier, à d’autres il dévoile sa clairvoyance. Ses paroles d’adieu sont pleines d’amour et de feu, animées d’une foi solide comme le roc. Il les invite tous à pratiquer le jeûne et à mener une vie sobre et pieuse, dans la concorde et l’affection mutuelle.

La veille de sa mort, le père Jean Grigor-Klotchko demeure à ses côtés, il le confesse, lui administre l’onction des malades et lui donne la Sainte Communion. Ce jour-là, les malades des chambres voisines l’entendent chanter des chants liturgiques à haute voix. Conscient jusqu’à son dernier souffle, il se prépare à mourir dans la paix. Le lendemain, 22 août 1934, à l’aube, il s’éteint discrètement et rend son âme à Dieu.

C’est seulement après son décès que les médecins révèlent que le prêtre d’Ugine souffrait en fait d’un cancer généralisé. Ils ordonnent une mise en bière rapide et la fermeture hâtive du cercueil, étant convaincus de la décomposition quasi-immédiate du corps. Les paroissiens de Saint-Nicolas désirent que leur pasteur repose à Ugine et ils organisent une collecte de fonds pour le transfert du cercueil. Aux funérailles célébrées par le père Georges Choumkine, tous les émigrés d’origine russe se réunissent, sans distinction de juridictions. Tous, et ceux-là mêmes qui l’avaient d’abord critiqué, sont venus honorer le père Alexis et lui rendre hommage. La cérémonie est digne et recueillie, les chants de toute beauté. Chacun peut ressentir que le défunt s’en est allé se réjouir dans les parvis du Seigneur. Une imposante procession accompagne le cercueil jusqu’au cimetière, tout au sommet de la colline. On inhume le père Alexis dans un caveau gratuit et temporaire. Puis, quand arrive le nouveau recteur de Saint-Nicolas, l’archiprêtre Jean Popov, il acquiert une concession trentenaire grâce aux dons des paroissiens et y fait déposer son prédécesseur. Pour effectuer ce transfert, le cercueil attend hors de terre durant trois jours.

Tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption

Une vingtaine d’années passe. En 1953, la municipalité d’Ugine décide de construire des immeubles sur l’emplacement du cimetière communal. On crée un nouveau cimetière et il est proposé aux familles d’y faire transférer les dépouilles de leurs proches, dans un délai de cinq ans. À cette époque, c’est le père Philippe Chportak qui dessert la paroisse d’Ugine, après le père Jean Popov. Il accepte donc de faire déplacer les restes du père Alexis, de bienheureuse mémoire, qu’il n’a pas connu au demeurant. Depuis trois ans déjà, les fossoyeurs travaillent chaque jour avec pelles et pioches à exhumer les ossements des morts. Ils les rassemblent dans des cercueils de petite dimension et les mettent dans le nouveau cimetière.

Le 22 août 1956, sous un soleil brûlant, les fossoyeurs se mettent à l’œuvre sur la tombe de l’archiprêtre Alexis Medvedkov. Parvenus à la profondeur d’un mètre vingt, ils se voient empêchés de poursuivre leur travail par une force inconnue qui les oblige à poser leurs outils et à continuer de creuser à la main. Et bientôt, à leur immense stupéfaction, ils découvrent un homme parfaitement intact, sans le moindre signe de corruption, comme enterré de la veille. Son visage et ses mains sont de cire. Les vêtements sacerdotaux en brocart blanc avec des croix dorées dont le défunt est revêtu, ainsi que l’Évangéliaire posé sur sa poitrine ne présentent aucune altération. On vérifie l’état du tissu : il ne se laisse pas déchirer. Seule la reliure métallique de l’Évangéliaire a noirci. Pourtant le cercueil lui-même est complètement décomposé et la dépouille mortelle gît au contact de la terre froide et humide depuis 22 ans. Les fossoyeurs, en proie à une grande émotion, comprennent que cette « force inconnue » qui les a arrêtés a évité qu’ils abîment le cadavre avec leurs instruments.

On se rappelle que le père Alexis a été mis en terre un 22 août, très exactement vingt-deux ans plus tôt, et que les médecins avaient prédit une décomposition immédiate de son corps... Force est de voir dans la miraculeuse incorruptibilité de la dépouille de l’archiprêtre Alexis un signe de la faveur de Dieu envers son serviteur, qui puisait souvent à la Source de l’incorruptibilité dans la célébration de la Sainte Liturgie, se nourrissant du Corps et du Sang du Christ ressuscité. Le cercueil prévu pour ne recueillir que des ossements s’avère donc trop petit pour le père Alexis. On est bien obligé de lui ramener les poignets sur les épaules et ce faisant, on remarque que son corps est tout à fait souple. Les mains et les jambes se laissent facilement manipuler. On replie aussi légèrement les genoux. Le gardien affirme n’avoir jamais vu un tel phénomène, depuis trente ans de travail quotidien dans le cimetière. On appelle un médecin, qui déclare, bouleversé : « Jamais, un homme mort d’un cancer généralisé n’a échappé à la décomposition. C’est un vrai miracle ! »

Beaucoup cependant pensent que le tombeau ayant été ouvert, le corps mis à l’air et déplacé va maintenant se désagréger. Les muscles ne pouvant plus fonctionner, le corps bien conservé dans la position couchée devrait tomber en poussière. Mais non !

Suivant le programme – il y a encore deux cosaques décédés après lui à exhumer - le père Alexis ne peut être enterré dans le nouveau cimetière que trois jours plus tard. Durant ces trois jours de forte canicule, le cercueil est laissé ouvert, car une foule nombreuse, surtout composée de Russes et de Français, de Polonais et d’Italiens, désire constater de visu ce phénomène inouï. Tous sont frappés de stupeur, les croyants se mettent à genoux et prient, les incroyants hochent la tête d’étonnement. Le jour de l’inhumation dans le nouveau cimetière, une pluie diluvienne se déverse sur Ugine, si bien que le cercueil est simplement déposé au fond du caveau, en présence du père Philippe Chportak. Sans prendre le temps de remplir la tombe de terre, les ouvriers du cimetière, les représentants de la mairie et le marguillier de la paroisse courent se mettre à l’abri. Le prêtre se retrouve seul pour célébrer une pannychide.

À la suite de ces événements, le père Philippe Chportak envoie un rapport circonstancié à son supérieur hiérarchique, l’Archevêque Nicolas, qui se déplace jusqu’à Ugine pour prier sur la tombe du père Alexis. Au printemps de l’année suivante, le journal La Pensée russe publie un court article à ce sujet.
En le lisant, l’aumônier du monastère Notre-Dame de Toute-Protection à Bussy- en-Othe, le père Paul Poukhalsky prend la chose à cœur et se met aussitôt en route pour Ugine. Là, il rencontre le père Philippe Chportak qui lui raconte tous les détails de l’affaire et le met en contact avec plusieurs témoins oculaires. Après les avoir dûment interrogés et obtenu d’eux toutes les informations nécessaires, il fait parvenir un dossier au Métropolite Vladimir, en lui suggérant de faire transférer le corps incorrompu du saint pasteur d’Ugine au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, non loin de Paris. Celui-ci accepte volontiers et met beaucoup d’ardeur à organiser le transfert dans les plus brefs délais. Il choisit la date du 3 octobre 1957.

Le 30 septembre 1957, les fossoyeurs d’Ugine ouvrent à nouveau la tombe du père Alexis, et puisque le père Philippe Chportak, appelé par le devoir, s’est absenté momentanément, ils en profitent pour ouvrir le cercueil, sans son consentement. Ils sont saisis de stupeur en voyant toujours le même prodige : le corps du prêtre russe n’a pas changé depuis la dernière inhumation ! Plusieurs personnes qui n’avaient pas assisté à la première ouverture, l’année précédente, accourent alors et constatent... La volonté divine permet ainsi que de nouveaux témoins contemplent le miracle.

Le 2 octobre 1957, arrivent donc sur place les représentants du Métropolite Vladimir, le secrétaire de l’administration diocésaine, C.M. Kniazeff et le père Paul Poukhalsky, avec la moniale Théodosie de la communauté monastique de Bussy-en-Othe.

Le 3 octobre, tous se réunissent au cimetière, où le père Paul célèbre un office pour les défunts. Puis on place le cercueil dans un autre, zingué celui-ci, et le convoi se rend à l’église Saint Nicolas pour un second service religieux. Une foule très nombreuse est rassemblés pour se recueillir autour de son ancien pasteur et père spirituel, pour le vénérer une dernière fois. Le père Alexis manifeste sa présence vivante en envoyant un signe tangible du Ciel : c’est un jour de semaine et les ouvriers devraient tous être au travail à l’usine. Mais voilà qu’une grève est décidée expressément pour ce jour-là, et la circonstance offre à tous la possibilité de venir. L’assistance entière participe à l’office et chante avec le choeur. Chacun se prosterne devant le père Alexis. Enfin le convoi funèbre part vers la région parisienne. À la prière instante du père Paul Poulmalsky, le cortège fait étape à au Monastère Notre-Dame de Toute-Protection, afin que toutes les moniales et les personnes présentes puissent elles aussi vénérer les reliques du père Alexis.
Après cette brève halte, la voiture parvient finalement à Sainte-Geneviève-des-Bois dans la soirée. Le recteur de l’église du cimetière, le père Alexandre Erguine, fait placer le cercueil dans l’église de la Dormition et célèbre une parastase (Matines des défunts). Le lendemain, vendredi 4 octobre, l’Évêque Méthode concélèbre la Divine Liturgie et une pannychide avec le clergé de trois juridictions. Le père Alexis a donc su réunir autour de lui, dans la prière, ceux qui étaient toujours désunis... Les paroissiens de toutes les églises russes de Paris ont été prévenus de la solennité à venir, et beaucoup viennent y assister. Le père Paul Poukhalsky prononce l’homélie tandis que le père Philippe Chportak félicite l’Évêque Méthode et l’assemblée tout entière à l’occasion de cette très exceptionnelle cérémonie. « Le Seigneur nous appelle tous, par l’incorruptibilité de son bon pasteur, à rester les enfants fidèles de l’Église orthodoxe. » Citons la déclaration prophétique du père Paul :

« Le père Alexis eut la fin d’un juste, et la révélation, à deux reprises, de sa dépouille intacte, sans trace de corruption, est une grande grâce de Dieu manifestée à son fidèle serviteur. Et le temps viendra où ce sera lui que l’on invoquera : Père Alexis, prie Dieu pour nous, qui sommes pécheurs ! »

Suite à la canonisation du père Alexis en janvier 2004, c’est au monastère Notre-Dame de Toute-Protection,à Bussy-en-Othe qu’échoit l’honneur d’accueillir les reliques de notre père parmi les saints Alexis d’Ugine, en son église nouvellement érigée et consacrée, dédiée à la Transfiguration de notre Sauveur Jésus-Christ.

Publié avec la bénédiction de Son Eminence Gabriel de Comane, Archevêque des Eglises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, Exarque du Patriarche oecuménique.

Monastère Notre-Dame de Toute-Protection,
Bussy-en-Othe, 2004.

Voir aussi l'article de père Job Getcha, « Alexis Medvedkov,
un prêtre serviteur du Seigneur », Contacts, vol. 56, no. 208, 2004.


TROPAIRE ET KONDAKION

Tropaire, ton 3

Pasteur bien-aimé du Christ Dieu, tu fus une règle de foi et un exemple de miséricorde. Tu brillas par ta sollicitude envers ton troupeau à l’étranger, et tu fus révélé comme étant glorifié par Dieu. C’est pourquoi reposant avec ton corps dans l’incorruptibilité, et en esprit te tenant devant le trône divin, prie le Christ Dieu de nous affermir dans l’orthodoxie et la piété et de sauver nos âmes.

Kondakion. ton 4

Règle de foi et exemple de miséricorde, par ta vie pieuse tu t’es montré parmi les prêtres le prêtre du Dieu-Roi. C’est pourquoi tu te réjouis maintenant avec les choeurs angéliques, jubilant dans les demeures célestes. Ô Père Alexis, glorieux pasteur, prie le Christ Dieu d’affermir en notre pays l’orthodoxie, la paix et la piété et de sauver nos âmes.


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Dernière mise à jour : 29-04-05