La Sainte Cène. Broderie de Sainte Marie de Paris.
par l’archimandrite Aimilianos de Simonos Petra
Enseignement au monastère de Simonos Petra
du Mont Athos, le 16 septembre 1976. Nos sous-titres.Notre rencontre de ce jour aura pour thème principal la Divine Liturgie. Cela ne veut pas dire que nous naborderons pas lensemble des offices, puisque la Liturgie en constitue une partie ; elle est le noyau, le cur du culte. Cest la partie la plus accessible de nos offices. Nous y porterons une attention toute particulière car elle est nourriture, communion, action de grâces, fête commémorative, que nous célébrons unis mystiquement avec le Christ, avec la sainte Trinité. Tout le monde peut trouver sa joie dans la Liturgie, y communier et lassimiler tout entière, non seulement sous la forme du pain et du vin. Cependant, bien quelle nous soit familière, la Divine Liturgie nous semble parfois difficile à comprendre. Nous allons donc tenter dexpliquer quelques-uns de ses éléments.
1. Écouter la parole de Dieu
.Que pouvons-nous faire pour vivre réellement la Divine Liturgie ? La condition fondamentale à sa compréhension est le travail préparatoire, qui seffectue par la lecture préalable de lÉvangile du jour. Maintes fois je suis obligé de me battre pour convaincre les prêtres et les diacres de lire lÉvangile avant la Liturgie. Et si je leur demande sils lont lu, leur réponse est un " oui ", qui signifie : " Je lai regardé ; il se trouve à telle page. " Ce nest pas du tout ce que jentends lorsque je dis de se préparer avec la lecture de lÉvangile.
Le prêtre et le diacre ont toute possibilité douvrir la sainte Écriture soit après lHexapsalme, soit après le " kairos ", alors quils sont seuls dans le sanctuaire. Plaçant le Christ devant eux, ils seront à même de recevoir ce que celui-ci veut leur dire : " Voici, le Christ mappelle " (cf. Mc 10, 49 ; Jn 11, 28) ; il veut me parler. Le Christ et moi sommes en présence lun de lautre. Ne considérons jamais lÉvangile comme une simple péricope du jour, quil nous faut lire pour la forme. Car, en agissant ainsi, avant même que la Liturgie ait lieu, nous signons son échec. Si lÉvangile ne nous parle pas, la Liturgie nous laissera totalement insensible.
Quest-ce que lÉvangile ? Cest la sainte Écriture dans sa totalité, cest la révélation de Dieu. Dieu sest manifesté à des hommes revêtus de lEsprit Saint, lesquels, poussés par lEsprit, écrivirent ce que Dieu leur révélait, et que les Évangélistes ont transmis à travers les siècles. Lévénement que décrit lÉvangéliste, devient pour moi un événement personnel : jai maintenant, en le lisant, une révélation ; le texte est une parole révélatrice. La révélation nest pas ce que je lis, cest ce que le Christ lui-même me dit quand je lis la parole.
LÉcriture, le Psautier, tous les livres saints accentuent le fait que les idoles nont pas doreilles, ni de bouche, ni dyeux (cf. Ps 113, 12-14 ; 134, 15-17 ; Sg 15, 15). Le Christ, lui, possède une bouche, des oreilles et des yeux. Par conséquent, il voit, il entend, il répond à mon attente.
Lire lÉvangile équivaut à placer le Christ devant soi, à lui demander quelque chose de nouveau, une parole pour le jour présent, une parole dont le contenu sera pour moi une révélation personnelle, laquelle remplira mon esprit, ma pensée. Comme vous le concevez, notre esprit doit rester vide et sans distraction, pour être sensible au souffle divin et accueillir le Saint-Esprit. En quelque sorte, lÉvangile du jour deviendra mon propre évangile. Cest très facile. Tout dépend de ma préparation et de ma réceptivité.
Par conséquent, quand je dis : " Je vais lire lÉvangile ", cela signifie : Quest-ce que jai à entendre de Dieu aujourdhui ? Que va-t-il me dire ? Alors mon cur se remplit, premièrement, des sentiments qui sont en rapport avec le mystère révélé par la Parole, car lÉvangile rend présent le Dieu qui sy manifeste. Ou bien jobtiens que le Christ se révèle maintenant à moi, et me communique, aujourdhui, un message nouveau, qui deviendra le contenu de mon cur, de mes sentiments, lequel constituera ma douceur.
Deuxièmement, lÉvangile donne un contenu à mes décisions. Chaque Liturgie est un martyre, une mort, une participation à la vie du Christ. Nous touchons donc les franges du vêtement du Christ. Si une hémorroïsse (Mt. 9, 20-22), un publicain (Lc 5, 27-28) ont pu, en touchant le manteau de notre Seigneur, en recevoir la force, il est impensable que nous, nous ne puissions la recevoir, parce quelle signifie pour nous de nouvelles décisions. Ces décisions ne se prennent pas intellectuellement, elles germent dans le cur, dans les profondeurs de notre conscience. Ce sont elles qui mamènent à " oser, en toute assurance et sans encourir la condamnation, tappeler Père ". Sans cette assurance, personne ne peut adorer Dieu. Jacquiers de lassurance équivaut à dire " Je suis pécheur, je suis un être coupable. "
En prenant une nouvelle décision, immédiatement, je sépare mon mauvais moi de celui que je présente à linstant devant Dieu, cest-à-dire mon moi renouvelé par la grâce divine, celui qui prie, qui élève les mains ; jacquiers assurance et familiarité auprès du Christ. Cette décision est ensuite une puissance régénératrice dans ma vie après la Liturgie.
Troisièmement, lÉvangile clarifie le contenu de mon intelligence (diania), dans laquelle circulent désormais toutes ces connaissances révélatrices acquises au cours de ma lecture car le Royaume des Cieux est avant tout une connaissance. LÉvangile purifie tout ce qui sest introduit dans mon intelligence pensées : réflexions profondes, offensives et agressions contre mon mauvais moi, mais aussi les joies et les délices que jéprouverai devant ces révélations. LÉvangile est la parole de ma révélation personnelle ; cest mon contact aujourdhui avec le Christ.
La lecture préalable de lÉvangile nest pas réservée exclusivement aux prêtres. Tous les laïcs peuvent facilement connaître les références de lÉvangile du jour, et posséder une Bible. Ils peuvent se préparer à sa méditation en lisant loffice avant le déroulement de la Liturgie ; cest une aide efficace. Si nous insistons tant sur lÉvangile, cest parce que nous parlons tout spécialement de la Divine Liturgie.
Pour ma part, quand je célèbre, jai besoin auparavant dun temps suffisant pour converser avec " mon Évangile ". Puisque je crois fermement que mon Christ est ici je le crois ; ce nest pas une réalité intellectuelle, cest la sensation de tout mon être, de mon âme, de mon corps et de mon esprit , pourquoi ne pas parler avec lui ? Le contraire serait lisolation totale de mon moi davec Dieu.
Je vis donc Dieu, caché et révélé dans lÉvangile, je jouis réellement de sa présence, je le prends dans ma main. Je le laisse me parler. Je peux vous certifier que jamais Dieu ne ma laissé pendant la Liturgie, ne serait-ce quune fois, sans me révéler un contenu nouveau du texte.
Mon dialogue avec lÉvangile aura lieu dans léglise, quand je célèbre, ou lorsque je suis seul dans ma chapelle. Cest tellement facile ! On rencontre le Christ, après on le conduit devant lautel, puis à gauche pour la proscomidie, ensuite à droite. Il est avec nous quand nous sortons du sanctuaire pour la petite et pour la grande entrée, il nous y accompagne de nouveau lorsque nous y pénétrons ; il nous suit partout ! Si nous ne pouvons vivre aussi facilement la présence du Christ, il nous faut alors examiner notre état spirituel.
2. Se concentrer pendant la préparation
à la Divine Liturgie.Autre point fondamental, auquel je voudrais que nous prêtions attention : celui de notre concentration au cours de notre préparation à loffice. Je ne parle pas dune autocritique : " Qui suis-je ? Quai-je fait ? ", car une telle concentration se réduit finalement à une action humaine. Je pense davantage au blâme de soi, comme une plongée dans notre moi pour nous vider de nous-mêmes, comme une offrande de notre être. Il faut que nous disparaissions devant Dieu, pour que Dieu devienne tout.
Quand nous allons à la Liturgie, nous entrons dans le Royaume des Cieux. Cela veut dire que nous entrons en communion directe avec Dieu ; nous participons à Dieu. Mais Dieu est incompréhensible. Sil a quelque chose de compréhensible, cest son incompréhensibilité. Cette incompréhensibilité, cet " au-delà de tout ", nous pouvons merveilleusement les rendre par le mot " sainteté ". La sainteté de Dieu a aussi un sens moral. Mais elle est avant tout la transcendance absolue de Dieu, cest labsolu de la Divinité. " Saint " signifie totalement séparé, absolument seul, radicalement consacré. Dieu est exclusivement consacré à lui-même. Dieu est le seul qui " ne participe à rien et ne soit participé par aucun être dans son essence ". Bien sûr il en est tout autrement de " lextension " et de " la projection " de Dieu dans son économie de salut.
Lorsque nous communions à la sainteté de Dieu, cest comme si nous participions à sa vie, nous approchons, nous touchons le mystère du Dieu au-delà de tout, du Dieu transcendant. Nous vivons désormais comme il vit lui et, alors, nous lui donnons la possibilité de nous combler de ses rayons et de nous faire participer, par économie, à sa sainteté. Quoi quil en soit, nous entrons dans un lieu qui nous est totalement étranger. Si lIncarnation du Verbe est un " mystère étrange ", pensez combien plus étrange, plus mystérieux et inaccessible est le mystère de lÊtre divin, celui de la sainteté de Dieu.
La sainteté de Dieu est donc un lieu dont nous devons nous approcher. La sainteté de Dieu est absolue, tellement visible, si glorieuse, quelle remplit lunivers. Elle se transmet sur-le-champ telle une lumière, tel un resplendissement de la Divinité au triple éclat. Ainsi nous pénétrons, nous aussi, obligatoirement dans cette gloire de la Divinité et, puisque nous vivons la présence du Christ, nous entrons dans sa gloire.
La gloire du Christ nest pas celle que nous obtenons par une préoccupation éthique, avec une notion de grandeur ou de magnificence, cest désormais une participation à la vie de Dieu, quil nous transmet par son énergie incréée. Cest pourquoi notre participation à la gloire de Dieu est un acte que lui-même accomplit. Nous, nous ne pouvons rien faire, sinon nous tenir avec une connaissance majestueuse devant sa sainteté et recevoir sa gloire. Ainsi nous participons au noyau de sa vie et nous entrons dans lamour de la Trinité.
Qui suis-je, moi qui entre dans la gloire et la sainteté de Dieu ? Puisque lui est saint, puisquil est lAbsolu, cela signifie que moi, je ne suis rien. En dehors de lui, je ne suis que ténèbres, je suis le " non existant ". Si aujourdhui jai un certain rayonnement, cest uniquement par grâce divine, car personnellement je nen suis pas digne. Je méteindrai dès quil cessera de jeter sur moi sa lumière. Puisque Dieu demeure " Celui qui est ", moi aussi je dois me tenir devant lui comme je suis, et mon essence est le non-être, cest mon absence dexistence propre.
Pendant la Liturgie, je dois donc découvrir mon moi réel, savoir qui je suis et en face de qui je me tiens ; je dois découvrir qui est ce Dieu que je cherche à rencontrer. Il faut donc que je découvre mon néant, ma nullité.
Vous comprenez maintenant que cela nest pas leffet dune autocritique, qui consisterait à se dire : "Jai fait ceci, jai fait cela, mon Dieu, pardonne-moi ", laquelle peut finalement signifier : " je suis un saint ". La reconnaissance de mon néant advient seulement après la connaissance de Dieu, cest-à-dire de sa sainteté, de sa grandeur inaccessible. Elle se fait aussi par mon entrée dans la gloire de la Divinité. Lorsque je pénètre dans ces ténèbres de lignorance, dans lobscurité de la connaissance comme inconnaissance de Dieu connaissance de Dieu ténébreuse pour moi qui me trouve dans la pénombre, mais en réalité glorieuse et grandiose , je peux avoir une faible idée de ma nullité. Plus je me dépossède de moi-même pendant ma préparation à la Liturgie, plus la sensation de mon néant grandit.
Il faut donc que je me vide de tout ce que je crois être, même de ce que Dieu ma donné : " Quas-tu que tu naies reçu ? Et si tu las reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne lavais pas reçu ? " (1 Co 4, 7). Ce que Dieu ma donné je labandonne à cet instant pour rester écartelé, nu tel que ma mère ma mis au monde, pour pouvoir me tenir devant ce Dieu redoutable, qui doit se pencher sur moi, me recouvrir et donner une forme à lembryon que je suis, le modeler à son image. Alors je découvrirai mon être réel et, en même temps, je trouverai assurance devant Dieu.
Pendant la Liturgie, nous prononçons les paroles suivantes : " Accorde-nous de toffrir les dons et des sacrifices spirituels ". Les dons et les sacrifices se rapportent au Christ que nous offrons. Mais, si vous le voulez, offrons-nous dabord nous-mêmes comme don à Dieu. Offrons aussi des sacrifices ; toutefois le seul sacrifice, le seul holocauste, le parfait sacrifice qui plaise à Dieu, cest de nous offrir nous-mêmes. Ce que nous donnons ne nous appartient plus, ce " moi " que nous estimons tant a désormais disparu, et il ne reste que ce " rien ".
Pour vivre la Divine Liturgie, le blâme de soi, vécu comme une expérience existentielle, est la condition préalable, mais non comme un cri de colère envers nous-mêmes, duquel rien dessentiel ne sortirait. Comme le dit Nicolas Cabasilas : " Nous sommes portés à lui confier nos âmes ". Abandonnons nos âmes à Dieu pour quil en fasse ce quil veut. Même lâme que Dieu nous a donnée, nous la lui rendons ! Nous renonçons à tout ce qui a de limportance pour nous, à tout ce que nous avons vécu, à ce que nous vivrons ; nous remettons toutes choses à Dieu. Nous pourrons alors lui parler en toute assurance et intimité et " prendre contact avec le brasier des saints mystères ". Nous acquérons désormais une pleine intimité avec Dieu, qui se produit par lenlacement de Dieu, lorsque nous avons rejeté notre moi. Dieu nous prend avec lui, Dieu nous comble. Par conséquent, nous avons la certitude que nous ne célébrons pas en vain la Liturgie ; notre Liturgie sera une Liturgie parfaite et porteuse de fruits.
3. La prière pour autrui
.Un troisième élément peut nous aider à nous préparer pour la Liturgie, ou pendant celle-ci, cest la prière. Cependant notre prière ne doit pas être associée aux divers problèmes qui se bousculent dans notre cur, dans notre esprit, ni avec lobjet de nos désirs que nous voulons, à linstant, présenter à Dieu afin dobtenir une réponse. Notre prière ne doit pas être létalage de ce que nous avons déjà abandonné à Dieu pour le reprendre ensuite. Le plus souvent notre prière est lexpression de notre égoïsme. Elle est rarement spirituelle. Elle est, la plupart du temps, corporelle, malade, car elle est à notre mesure. Cest une prière pleine de présomption, une recherche de notre moi.
Que notre prière ne soit pas ainsi ! Quelle soit faite avec plus dattention. Je pourrai prier pour moi, lorsque jaurai découvert ce que je suis : un embryon gisant dans les entrailles du péché, vivant dans les entrailles du monde et non dans le Royaume des Cieux. Je dois prier pour mon moi réel, afin que Dieu lassume, le ressuscite au cours de la résurrection (cest-à-dire la consécration des oblats), qui aura lieu pendant la Liturgie, pour mélever ensuite avec lui vers les cieux, pour que je puisse accueillir lEsprit Saint et vivre dorénavant avec lui.
Je peux prier pour moi, quand je vais à loffice uni à tous les fidèles, aux vivants et aux morts, à la Divinité en sa plénitude, à lÉglise entière. Je prierai également pour lÉglise, pour les autres personnes qui sont aussi moi-même, puisque je forme avec elles un corps unique, le Corps spirituel du Christ : " Nous ne formons quun seul corps dans le Christ " (Rm 12, 4-5 ; 1 Co 12, 12).
Je prierai pour ce peuple, mais sans entrer dans les détails. Je peux prier tout spécialement pour la communauté à laquelle jappartiens, dont je suis un membre inséparable, et qui ma donné le droit de participer à cette assemblée cultuelle. Je peux prier pour telle ou telle personne. Je peux aussi mentionner les problèmes de telle autre, sachant que ses problèmes ne me regardent pas, car ils concernent strictement sa vie personnelle et non celle du Corps du Christ ; je ne dois pas entrer dans les problèmes dautrui, mais les laisser à Dieu, sinon je chasserai Dieu.
Une telle prière sera pour moi une nouvelle kénose et en même temps une attente du Christ, une disposition à communier à son amour, à sa sainteté et à sa gloire.
Une question se pose : Puisque loffice est commun et ne concerne pas chacun séparément, comment pouvons-nous prier en particulier pour quelquun ? Notre office est si long quil nous laisse toutes possibilités de le faire. Pendant quon lit les cathismes du Psautier ou lorsque lon chante le Canon, les prêtres lisent les prières préparant à la communion, ou bien ils se vêtent en disant : " Mon âme se réjouira dans le Seigneur, car il ma couvert dun vêtement de salut ". Il ny a donc pas de problèmes. LÉglise elle-même nous concède ce droit. Une chose est lassemblée qui prie avec les paroles de loffice, autre chose, moi qui, en tant que prêtre, me présente devant Dieu.
Noublions pas que pendant la Liturgie, nous intercédons pour de nombreuses personnes. Il est bon que chaque prêtre et chaque diacre ait ses diptyques, dans lesquels seront inscrits le plus grand nombre possible de noms. Et vous devez trouver un moyen de les lire tous. Les lirez-vous dans votre cellule ou pendant que vous vous préparez ? Les lirez-vous pendant loffice ? Cest votre droit. Dans la tradition russe, tout prêtre sapprêtant à entrer dans léglise, revêt son étole, prend un petit plateau et une prosphore et il fait mémoire des noms inscrits dans ses diptyques. Ensuite, ces plateaux sont rassemblés et les noms sont versés ensemble sur un autre plateau. Cest une très belle tradition. Je ne dis pas quil nous faille agir de même, cependant le prêtre peut et doit commémorer de nombreuses personnes, parce que le peuple lattend de nous, parce quil le veut. Et le vouloir des hommes est une obligation pour nous. Plus les prêtres sont des hommes simples, plus ils commémorent de personnes. Les plus instruits nont pas cette habitude.
4. Vider lesprit
.Nous arrivons au quatrième élément de notre préparation. Nous lavons déjà effleuré et je ne voudrais pas le développer à présent, car cest un sujet des plus difficiles de la vie spirituelle : nous devons essayer dhabituer notre intellect (noûs) à rester vide et sans concepts. Lhomme a détonnantes ressources en lui ; son cerveau à la possibilité de faire de nombreuses choses à la fois. Vous pouvez, par exemple, penser à votre higoumène qui ne vous a pas répondu, vous souvenir de votre mère qui est malade, et en même temps suivre loffice. Mais quand notre intellect séparpille ou se remplit de toutes sortes de pensées, il ne peut contenir autre chose.
Lintellect est absolu, il est passionné. Quand il sattache à quelque chose, il ne peut sen séparer. Lintellect veut quelque chose dentier. Mais Dieu veut aussi notre intellect tout entier ; il ne supporte pas quil soit partagé. Lunion avec Dieu est de lordre de lintellect et, dès lors que la Divine Liturgie est une action de grâces commémorative, il est naturel que lunion saccomplisse dans notre intellect. Notre intellect doit donc être entièrement libre pour être envahi par le Christ au cours de lEucharistie. Et cet envahissement sera dautant plus grand que nous nous efforcerons de vider notre intellect de toute idée et de toute conception. Alors, vivant la plénitude de la présence du Christ, nous sommes remplis de joie.
Nous nous plaignons, en général, de ne pouvoir prier ou de ne rien comprendre de ce qui se passe pendant la Liturgie, ou bien que nous ne recevons rien delle. Comment peut-on prier ? Que peut-on comprendre ? Que recevoir quand notre intellect est surpeuplé ? De même que vous laissez votre filet vide senfoncer dans la mer pour attraper du poisson, laissez votre intellect, vide, attraper le Christ.
Vous devez aussi contrôler vos paroles, vos pensées, votre intelligence (diania), de façon à les canaliser ; elles nont pas le droit daller là où bon leur semble ; elles nont pas le droit de souiller lintellect, ni de remplir lâme.
Par conséquent, lintelligence doit être vide, " notamment dans une prière intense " ; elle ne doit pas séparpiller. Nous ne parlons pas de la prière intérieure, mais de loffice. Notre intelligence (diania) doit avoir son propre contenu, elle doit être indépendante de lintellect (noûs). Toutefois elle ne doit pas comprimer celui-ci. Tout comme laraignée lance un fil que le vent accroche où il veut pour quelle puisse tisser sa toile, ainsi notre intelligence doit rester souple, mais contrôlée, afin que ny entre aucun problème, aucune anxiété, aucune contrariété. Car si je me réjouis, ce sera parce que jai résolu mon problème. Si je suis triste, je le serai parce quune peine moppresse. Si je suis gai, je le serai parce quon ma écouté, parce quon a fait attention à moi, parce quon maime, mais non à cause de la présence de Dieu.
Notre volonté doit être orientée vers le Dieu présent et se révélant à travers lÉvangile, pour être remplie par ce qui devient pour chacun de nous, aujourdhui, un évangile personnel, qui sera le contenu de notre cur, comme je vous lai dit au début de notre entretien. Il formera le contenu de nos décisions, de nos paroles, de notre intelligence. Nous possédons notre propre parole révélatrice. Notre intelligence rationnelle et non notre intellect , comme le fil de laraignée, va saccrocher à notre nullité, à notre péché, à notre inattention, à la gloire de Dieu, à sa sainteté, aux saints de lÉglise, et ainsi Dieu est maintes fois pris au filet. Lindépendance de lintelligence nempêche pas lintellect de sunir à Dieu.
Cette mobilité de lintelligence est tout à fait naturelle dans la vie humaine. Elle se produit chaque jour en nous, dans ses manifestations diverses, et nous ne le faisons pas dans notre vie spirituelle, doù la tragédie de notre vie. Néanmoins, le contrôle de lintellect et de lintelligence est nécessaire au débutant. Si vous allez pour la première fois dans un monastère, par exemple, il faut quon vous conduise jusquà votre chambre, ensuite vous vous y dirigez tout seul, même en discutant. Il en est ainsi pour lintellect et lintelligence : ils apprennent à cheminer tout seuls. Lintellect et lintelligence doivent se vider, ou bien lintelligence doit se diriger librement là où se trouve lintellect.
5. « Je suis Christ. »
Nous arrivons ainsi au cinquième et dernier élément .de notre préparation. Il sagit dune perception, dune compréhension, dune connaissance, dune certitude jusque dans la moindre parcelle de mon âme et de ma conscience, que je suis Christ, ainsi que le disent de nombreux textes patristiques. Je suis Christ, parce que je suis entré en communion avec le Christ, je suis incorporé à lui, comme ce qui entre dans le feu devient feu. Je suis Christ, parce que je suis son temple (cf. 1 Co 3, 16 ; 2 Co 6, 16), parce que jappartiens à lassemblée ecclésiale. Je suis Christ, parce que je suis prêtre donc figure du Christ et non son représentant. Je suis Christ, parce que je suis baptisé, parce que je suis disciple, et disciple signifie Christ ; chrétien signifie " chrismé ", qui a été oint par Celui qui est lonction. Nos lectures, nos conversations, nos réunions, nos veilles, nos métanies et le souffle du Saint Esprit dans nos curs peuvent nous aider à devenir Christs. Il est tellement facile de comprendre que je suis Christ !
Jai donc devant moi le Christ révélé et, à cause de cela, il se manifeste personnellement à moi, qui suis une nullité, qui ne suis rien. Et malgré tout, ce " rien " est devenu Christ. Savez-vous de quelle magnificence se remplira votre âme, si vous le comprenez ? Savez-vous que votre attitude, votre regard, votre cur changeront immédiatement ? Que votre attention aux offices et plus encore à la Liturgie, sera plénitude si vous comprenez le " je suis Christ " ?
Le Christ est tout entier dans le pain, mais il est aussi tout entier dans le pain de chaque église. Je suis Christ ne signifie donc pas que mon voisin nest pas Christ. Chacun de nous peut dire : " Je suis Christ ". Si je vis le " je suis Christ ", je suis immédiatement rempli dune allégresse sans fin, de la joie du Saint Esprit qui est la plénitude de la joie du Christ, la conséquence de sa présence. Là où est le Christ, là sont la joie et lallégresse.
Le sentiment dêtre Christ mamène à toucher le Christ. Une chose est la perception dêtre Christ, une autre est le sentiment de la révélation du Christ en moi, laquelle est un accroissement de la vision de Dieu, de sa compréhension. Le Christ et moi luttons, dansons, jouons, nous enlaçons. Au cours de la Divine Liturgie, le Christ révèle son Père à " celui à qui le Fils veut bien le révéler " (Lc 10, 22), et en eux lEsprit Saint se manifeste.
6. Présence à la Liturgie avant la Liturgie
.Hier soir, un des Pères est venu dans ma cellule et nous nous sommes entendus pour célébrer la Liturgie pendant la nuit. Je peux vous certifier quà partir de cet instant, je suis entré dans latmosphère de la Divine Liturgie, de laquelle je ne suis absolument pas sorti, que je sois éveillé ou pendant mon sommeil. Après ce moine, jai reçu deux autres moines. Jai félicité lun et jai blâmé le second, sans que mon intellect nait cessé dêtre présent à la Liturgie que jallais célébrer. À aucun moment mon intelligence na délaissé la Liturgie puisque je sentais que jy étais déjà entré et ma conscience na cessé de sentir la responsabilité de sa présence devant Dieu.
Jusquà deux heures trente environ, jai écrit. Vers quatre heures trente, je me suis allongé et jai réussi à mendormir. À six heures trente, quelquun a frappé à ma porte pour me réveiller. Certes, il ma réveillé, mais je continuais, dans mon sommeil, à vivre cette expérience. Je lui ai répondu, mais lui, à ce quil paraît, douta que jaie compris, et il attendait de voir si jallais ou non me rendre à léglise. Cependant, jy étais déjà car latmosphère de la Liturgie dans laquelle jétais entré depuis la veille ne sétait nullement dissipée. Cest pourquoi, sans comprendre comment, je suis allé à léglise et je me suis préparé à célébrer. Jai eu besoin dune heure environ pour effectuer cette préparation avant de commencer la Divine Liturgie. Après la consécration des saints Dons, le cataclysme de la joie, de lallégresse qui nest pas toujours le même, car il dépend de nous et de léconomie dont Dieu fait preuve à notre égard , était tel qualors seulement jai compris que je célébrais, quà cet instant jétais devenu Christ.
Ceci peut être et doit être un fait quotidien. Ainsi notre journée sera la continuité de la Liturgie et une préparation pour la Liturgie suivante. Saisissez-vous quel privilège unique est le nôtre, pour nous qui célébrons les Divins Mystères chaque jour ? Seulement, il faut que nous vivions ce que dit Nicolas Cabasilas : " Dieu nous donne en dot toutes les choses saintes ". Quest-ce quune dot ? Un don gratuit ! Ce sont " des grâces qui viennent delles-mêmes ". Ceux qui se crispent dans la prière, ceux qui sexténuent dans le combat ascétique pour voir Dieu ou pour acquérir la grâce de la concentration, par exemple, nobtiendront jamais rien. Tout ce que vous gagnez, tout ce qui vous comble, provient des projections de la sainteté de Dieu, de sa gloire, des énergies divines incréées.
Chaque semaine vous préparez le pain que les ascètes viendront solliciter ; sils ne viennent pas, ils nauront rien. Ainsi Dieu, chaque jour et pour chacun de nous, prépare ses Grâces. Et il nous suffit délever les yeux de notre cur, de notre intellect, de notre esprit pour les recevoir. Mais si nous ne le faisons pas... Pourquoi nous priverions-nous de cette grâce quotidienne ?
Une préparation à la Divine Liturgie telle que nous venons de la décrire, nous rend réellement, et sans artifice, participants de Dieu.
Extrait de : Archimandrite Aimilianos,
Catéchèse et discours 4 : Le Culte divin,
Attente et vision de Dieu, Éditions Ormylia,
Chalcidique, Grèce, 2004.
Introduction à la Divine Liturgie
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Première mise en ligne le 15-12-11.