Deisis : L'intercession de l'Église |
par Mgr Alexandre Semenoff-Tian-Chansky |
Né en 1890 à Saint-Pétersbourg, Mgr Alexandre Semenov-Tian-Chansky a reçu une solide formation de juriste à luniversité de Saint-Pétersbourg. Il émigre en 1921 et sinstalle en France en 1925 où il fréquente les milieux artistiques et littéraires. Sa vocation sacerdotale fut tardive. Cest à lâge de 47 ans quil entreprend des études de théologie à lInstitut de théologie orthodoxe Saint-Serge. Ordonné prêtre en 1943, il reçoit la consécration épiscopale en 1971 et continue son ministère jusquà sa mort en mai 1979. Mgr Alexandre est lauteur dune étude sur Jean de Cronstadt (éditions russe et anglaise) et dun recueil de sermons.
En 1961, Mgr Alexandre Semenov-Tian-Chansky publia dans un numéro spécial de Contacts (No° 36 bis, 3° trimestre 1961) son Catéchisme orthodoxe : Catéchèse pour adultes (traduction française sous le contrôle de l’auteur et du père Jean Meyendorff ; texte original russe revu par Vladimir Lossky, texte français par le père Boris Bobrinskoy et Olivier Clément).
Le document qui suit constitue la quatrième partie du Catéchisme orthodoxe (ré-édité par YMCA-Press, Paris, 1984). Signalons en particulier -
- Le commentaire sur le Décalogue (ss. 4-11) ;
- Résumé de l'enseignement de Jésus (ss. 12-27) ;
- Commentaire sur les Béatitudes (s. 27) ;
- Commentaire sur le Notre Père (s. 32).Plan du document.
1. Le but de la vie chrétienne. 2. La Révélation (Écriture et Tradition). 3. Les lois fondamentales de la vie spirituelle de lhomme et leur découverte dans lAncien Testament. 4. Le Décalogue. 5. Les deux premiers commandements. 6. Le troisième commandement. 7. Le quatrième commandement. 8. Le cinquième commandement. 9. Le sixième commandement. 10. Le septième commandement. 11. Les huitième, neuvième et dixième commandements. 12. La morale du Nouveau Testament comparée à celle de lAncien. 13. Les uvres du Christ. ses miracles. 14. Comment le Christ nous invite à la charité. 15. Les paraboles sur le Père. 16. Les paraboles sur le Sauveur. 17. Les paraboles sur le Royaume de Dieu, lÉglise et la Grâce. 18. Les paraboles sur la conduite de lhomme. 19. Les origines du péché. 20. La naissance du péché et la lutte contre lui. |
21. " Et Moi je vous dis : Aimez vos ennemis ". 22. " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ". Le pardon. 23. Le souci du lendemain et le danger des richesses. 24. Le sens et le caractère des préceptes évangéliques. 25. Sur la vie dans la grâce. 26. La voie étroite. La Croix. Mort et Résurrection avec le Christ. 27. Dieu reçoit les sacrifices. 28. Les Béatitudes. 29. Le chrétien devant la mort. 30. La plénitude de la vie chrétienne. La multiplication des talents. 31. La vie chrétienne dans laccomplissement de la volonté de Dieu. 32. La prière du Seigneur. 33. La prière en commun et la prière privée. 34. La Prière de Jésus. 35. Les lectures spirituelles. 36. Le culte orthodoxe. 37. La vénération des icônes. 38. La vénération des saintes reliques 39. Le jeûne. |
1. But de la vie chrétienne.
Le but de la vie chrétienne est lunion avec Dieu et avec les autres hommes à limage de lunité de la Trinité. Nous pouvons atteindre ce but en participant à la vie du Seigneur Jésus-Christ ; nous devons nous implanter en lui comme les rameaux au cep (cf. Jn 15,4-9), Cette union saccomplit par la force du Saint Esprit et lon peut dire que le but de la vie chrétienne est dacquérir le Saint Esprit et de recevoir ses dons. Le plus grand dentre eux est lAmour qui unit tous les hommes et est source de sainteté. Celui qui le possède vit selon linspiration de Dieu et non plus poussé par ses considérations individuelles et ses seuls penchants. Cest alors quil est réellement le temple de lEsprit-Saint et il peut dire après lApôtre : " Ce nest plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi " (Ga 11, 20). Ainsi est-il devenu lui aussi fils de Dieu le Père et saint. Voilà pourquoi le but de la vie chrétienne est nécessairement la sainteté.
2. La Révélation : Écriture et tradition.
Par sa Révélation, Dieu lui-même nous montre le but dune vie authentique et le moyen de latteindre. La Révélation est donnée à lÉglise, cest-à-dire à une communauté dhommes et de femmes qui ont déjà désiré lunion avec Dieu et entre eux. Et lEsprit garde la Révélation divine qui est la vivante expérience de lunion avec Dieu. Cest cela que lon appelle la Tradition et son fondement le plus précieux est la Sainte Écriture, cest-à-dire ce qui, de la Révélation, a été consigné par écrit par des hommes choisis exprès pour cela par Dieu. Tenter dassimiler la Sainte Écriture cest le premier pas sur la voie qui mène à Dieu.
LÉcriture est constituée par lAncien et le Nouveau Testament et forme un tout uni ; mais pour les Chrétiens, la base sur laquelle ils sappuient est le Nouveau Testament, qui repose lui-même sur lÉvangile dans lequel est gravée limage de Jésus-Christ : Il est là, dans les événements de sa vie, dans ses paroles et dans ses uvres.
LIncarnation Divine et la descente du Saint-Esprit sur lÉglise ont été accomplies une seule fois et les écrits du Nouveau Testament en portent témoignage. À ces événements uniques, on ne peut rien ajouter ni rien ôter. LÉcriture constitue ainsi le fondement de notre foi.
Une lecture attentive de la Sainte Écriture non seulement nous donne des connaissances sur Dieu, mais encore, dans une certaine mesure, nous fait connaître Dieu lui-même en nous unissant à lui, tout particulièrement lorsque nous lisons lÉvangile.
La Tradition nest pas un recueil de connaissances abstraites transmises par la mémoire. Ce qui se transmet, cest la vérité vivante destinée à être assimilée par un cur vivant. Cette assimilation nest possible quavec le concours de la grâce. Autrement dit, Dieu se révélant au cur de chaque chrétien lui permet de faire sienne la connaissance déjà reçue de la même façon par ceux qui lont précédé : cest là ce qui fait tout le prix de la Tradition. La Vérité divine est toujours la même, ce qui change cest la forme extérieure sous laquelle elle pourra être assimilée et cela dépend de la personnalité de celui qui doit la recevoir, de lépoque et du lieu où se produit cette transmission de la vérité. De là découlent la variété des prières et des rites, de la prédication, des travaux de la théologie et aussi linévitable changement de leur forme.
Cest ainsi que peut sincorporer à la Tradition, outre la Sainte Écriture, toute parole écrite ou orale proposée par IÉglise pour nourriture spirituelle à ses fidèles. Certains rites peuvent également y pénétrer de la même manière. Après la Sainte Écriture, sont venus constituer le corps de la Tradition : les définitions dogmatiques des Conciles cuméniques, les textes et rites liturgiques et aussi les décisions canoniques, les écrits des Pères de lÉglise, les ouvrages théologiques et de prédication, tous nétant pas de même valeur et pouvant, en accord avec lexpérience vivante de lÉglise, acquérir une signification plus ou moins grande dans la manifestation de la Tradition sacrée.
3. Les lois fondamentales de la vie spirituelle de lhomme
et leur découverte dans lAncien Testament.
" Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de tout ton pouvoir " et " Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Mc 12,30-31). Ces deux lois fondamentales de la vie de lhomme " selon lesprit et la vérité " (cf. Jn 4,23), exprimées sous forme de conseils ou de préceptes, apparaissent déjà dans lAncien Testament où elles sont rendues manifestes dans les figures des hommes qui sefforçaient dy conformer leur vie. Mais, dans lAncien Testament, seuls les fils du peuple élu sont tout dabord considérés comme " prochain ". Une telle limitation de lidéal moral est inacceptable pour les chrétiens qui connaissent déjà luniversalité de lamour divin. Cependant, il convient de ne pas oublier que lAncien Testament ne faisait que préparer le Nouveau et quIsraël nétait pas seulement un peuple parmi de nombreux autres, mais aussi une école de fidélité à Dieu, le peuple de Dieu, lÉglise de lAncien Testament, cest-à-dire la semence de lÉglise néo-testamentaire, universelle.
Certaines figures de justes de lAncien Testament sont si belles quelles apparaissent comme la préfiguration du Seigneur lui-même. Ainsi les innocents qui acceptent la souffrance : Abel, Isaac, Job, Joseph et enfin Moïse qui fut le guide et le docteur de son peuple et qui se donna tout entier pour le servir préfigurent luvre rédemptrice du Christ.
Nous trouvons aussi dans lAncien Testament des exemples dinfidélité à Dieu, des méchants et des actions mauvaises. Tel le récit du crime de Caïn dans lequel lassassinat de lhomme par lhomme est stigmatisé avec une vigueur surhumaine (ce qui nexiste dans aucune religion de lAntiquité).
4. Le Décalogue.
Ce que la Révélation nous apprend dans lAncien Testament sur la vie spirituelle de lhomme apparaît encore dans de nombreux préceptes parmi lesquels les dix commandements de Moise ou le Décalogue guident encore aujourdhui les chrétiens les quatre premiers enseignent lamour à légard de Dieu, les autres lamour à légard du prochain. La plupart dentre eux revêtent la forme dinterdictions et indiquent les principaux obstacles sur la voie de la vie véritable.
5. Les deux premiers commandements.
Le premier commandement rappelle la vérité essentielle de lAncien Testament : il y a un seul Dieu et cest en lui seul quest notre vie. " Je suis ton Dieu et il ny aura pas pour toi dautre dieu que moi ". Le second commandement explique le premier : " Tu ne te feras aucune image de quoi que ce soit ; ni de ce qui est dans les cieux, ni de ce qui est sur la terre, ni de ce qui est dans les eaux. Tu ne te prosterneras pas devant elles ni ne les serviras ".
Cest là un avertissement contre le culte païen des faux dieux. Il existe encore maintenant des idolâtres inconscients, même parmi les chrétiens : tous ceux qui prennent pour valeur suprême une quelconque valeur relative, par exemple le triomphe de leur propre peuple, on de leur race ou de leur classe sociale (ainsi toutes espèces de chauvinisme, de racisme ou de communisme). Celui qui sacrifie tout pour largent, la gloire, lambition ou la jouissance personnelle, se forge une idole et ladore. Tout cela est trahison envers Dieu, substitution du mensonge à la vérité et en même temps subordination du tout à une partie, du plus élevé au plus bas.
Cest là une dénaturation de la vie, une maladie, une monstruosité, un péché menant lidolâtre lui-même à sa propre ruine et bien souvent à celle des autres. Voilà pourquoi on peut considérer le second commandement comme un avertissement contre tout péché en général.
6. Le troisième commandement.
Le troisième commandement " Tu ne prononceras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu " sauvegarde la base de nos rapports avec Dieu, la prière. Cest par sa Parole que Dieu a créé le monde. La Parole de Dieu sest faite chair et est devenue notre Sauveur. Cest pourquoi notre parole à nous aussi (noublions pas que nous sommes faits à limage de Dieu) a une grande puissance. Nous devons prononcer toute parole avec prudence et en particulier le Nom de Dieu qui nous a été révélé par Dieu lui-même. Il ne faut sen servir que pour prier, bénir ou enseigner la Vérité.
En prononçant en vain le Nom de Dieu, nous finissons par ne plus savoir lemployer justement et affaiblissons notre faculté dunion avec Dieu. Le Seigneur Jésus-Christ nous met en garde contre le serment (Mt 5,34-37). Plus pernicieux encore sont le blasphème, le murmure contre Dieu, le sacrilège et le jurement. Mais toute parole menteuse ou mauvaise a une puissance destructrice : elle peut détruire lamitié, la famille, des États entiers. Lapôtre saint Jacques affirme vigoureusement la nécessité de contenir sa langue (Jc 3,2-10). Si Dieu et sa Parole sont la Vérité et la Vie, le diable et sa parole sont mensonge et source de mort. Le Seigneur dit que le diable est, dès lorigine, homicide, menteur et père du mensonge (Jn 8,44).
7. Le quatrième commandement.
" Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier. Durant six jours tu travailleras, mais le septième est un sabbat en lhonneur du Seigneur ton Dieu ". Ce commandement nous rappelle que nos occupations constituent une voie qui mène vers Dieu ou en éloigne : en Dieu seul nous trouvons le repos. Dans lAncien Testament, le jour du sabbat était limage du repos de Dieu après la création du monde : en participant au repos de Dieu, lhomme accédait à une vie spirituelle élevée, contemplative, dont il prenait ainsi lhabitude.
Pour les chrétiens, le jour du Seigneur est le dimanche, jour de prière, jour où nous recevons la Parole de Dieu et lEucharistie. Les premiers chrétiens étaient excommuniés (mis hors de la communion de lÉglise) si pendant deux dimanches de suite, ils ne communiaient pas.
Le Christ enseignait quil est impossible de séparer lamour pour Dieu de lamour pour le prochain et le prouvait en guérissant les malades le jour consacré à Dieu, le samedi.
Aujourdhui, le signe de notre amour pour Dieu, inséparable de notre amour pour notre prochain est lEucharistie : cest elle qui nous donne la force de pratiquer le bien. Cest pourquoi le dimanche et les jours de fête nous célébrons lEucharistie.
8. Le cinquième commandement.
" Honore ton père et ta mère afin davoir longue vie et bonheur sur la terre ". Ce nest pas là seulement une invitation à aimer ses parents, mais cest aussi lindication dun point de départ pour aimer tous les hommes. En effet, pour apprendre à aimer les autres, il faut dabord aimer ceux qui nous sont les plus proches (Tm 5,8). Le modèle de lamour parfait nous est donné par lamour du Seigneur pour son Père. Lunité à laquelle nous sommes tous appelés commence dans la famille chrétienne. Cest sur le respect des parents et lattention à leurs conseils quest fondée la culture. Lirrévérence envers eux (personnifiée par Cham, le second fils de Noé) est à lorigine de la décadence de toute société humaine et du détachement envers lÉglise.
9. Le sixième commandement.
" Tu ne tueras point " est un commandement essentiel, lhomicide étant lopposé même de lamour. Aimer signifie désirer pour celui que lon aime la plénitude de tous biens, donc avant tout, la vie éternelle. Lhomicide est aussi un suicide, car il détruit, dans le cur de celui qui tue, le fondement même de la vie : lamour. Quant au suicide de fait cest le plus grave des péchés : cest en effet le refus de toute confiance envers Dieu, de lespérance en lui et aussi de toute possibilité de repentir. Cest proprement de lathéisme mis en pratique et la chose la plus contre-nature que puisse perpétrer un homme. Les moyens de commettre homicide et suicide sont innombrables, surtout si lon considère que ces actes peuvent être commis, non seulement par les armes et la violence, mais aussi indirectement par une parole ou un silence, un regard ou un refus de regarder. Tout péché enfin, en tant que violation des lois de la vie véritable, est un homicide indirect. Homicide également le refus de défendre ou de sauver autrui.
Il arrive cependant que la défense dautrui exige outre le sacrifice personnel, la violence et même lhomicide. Cest ainsi que se trouve justifié le combattant qui tue à la guerre, si toutefois il nest poussé ni par la haine ni par la soif du sang. Mais cela est bien loin de justifier toujours la guerre qui est en elle-même un mal. La principale responsabilité de la guerre est portée par les chefs des gouvernements et des nations. La politique et les moyens de mener la guerre sont eux aussi soumis à une appréciation dordre moral. On loublie de plus en plus de nos jours.
10. Le septième commandement.
Toute union extra-conjugale entre un homme et une femme est une violation directe de ce commandement : " Tu ne commettras pas dadultère " ; mais toute action favorisant un excès des sens le viole également. Dans le mariage chrétien, où la vie sexuelle est conditionnée par des rapports personnels empreints de profond amour, elle ne trouble pas lharmonie morale. En dehors du mariage au contraire, la manifestation de linstinct sexuel sisole facilement dans son propre domaine, ce qui détruit lintégrité de la personne humaine. Et cela est dautant plus dangereux que les élans créateurs élevés de lhomme sont étroitement liés à sa vie sexuelle. La continence augmente les forces spirituelles tandis que le dérèglement les affaiblit ; en outre, il provoque souvent des maladies dont même les descendants de celui qui a ainsi péché portent le poids. Les dérèglements de la vie sexuelle provoquent des désordres dans les rapports avec autrui et parfois une vive agressivité. Dans la lutte avec les tentations du péché, surtout dans ce domaine, les seuls efforts de la volonté ne suffisent pas. Là, il est indispensable dexercer ses meilleures ressources intellectuelles et spirituelles, en particulier, la prière, une participation à la vie de grâce de lÉglise et surtout un amour vivant pour Dieu et le prochain.
11. Les commandements 8, 9, 10.
" Tu ne voleras pas ". Ce commandement nous met en garde contre un péché qui peut nuire fortement à lamour entre les hommes. La propriété est souvent une condition nécessaire à la vie de lhomme, à la sécurité de son avenir et parfois aussi elle est un lien avec son passé, la condition de son travail créateur ou bien le fruit de son uvre. Comme le nom, la propriété peut être le symbole de lhomme lui-même. Cest pourquoi, en volant un homme, on peut atteindre profondément sa personnalité et lui causer ainsi une véritable mutilation morale. Néanmoins, il ne convient pas de donner une portée absolue à des aspects isolés de la propriété particulière ou collective. En elle-même la propriété nest ni un mal ni un bien, mais conformément à lenseignement de saint Cassien, elle ne peut que devenir un bien ou un mal.
Lenseignement du Christ ne permet détablir aucun système économique, mais donne le critère nécessaire pour juger de la propriété dans les divers cas qui peuvent se présenter. Ce critère est le bien spirituel de lhomme.
Le neuvième commandement : " Tu ne porteras pas contre ton prochain de faux témoignages " condamne la déposition mensongère au tribunal, mais en outre, il est interprété par les commentateurs de lÉglise comme un avertissement contre tout péché fait en parole, cest-à-dire quil vient compléter le troisième commandement.
Le dixième commandement nous met en garde contre lenvie et la convoitise, autrement dit contre le mal interne qui est la cause du mal externe. Sous ce rapport, le dernier commandement rappelle ceux du Nouveau Testament.
12. La morale du Nouveau Testament comparée à celle de lAncien.
Si lAncien Testament, dans ses préceptes damour envers Dieu et le prochain, nous révèle déjà le fondement de la vie véritable, il nous découvre à peine ce qui la constitue intérieurement. En effet, le Décalogue nous indique seulement ce qui est contraire à lAmour, et plus encore il nous montre les fruits du mal. Mais le Nouveau Testament nous révèle la vie véritable dans toute sa plénitude comme lamour divin dans sa perfection. Cet amour sest manifesté dans la personne de notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu lui-même devenu homme, dans sa vie et son enseignement et plus tard enfin, par la force du saint Esprit après la Pentecôte, dans le cur des chrétiens.
13. Les uvres du Christ : ses miracles.
Nous avons parlé plus haut de la vie du Christ, de son sacrifice et de sa victoire, mais il nous a lui-même enseigné par ses paroles et ses miracles (quIl appelle ses "" uvres ") comment vivre selon la voie de la vérité.
Les miracles du Christ sont le meilleur témoignage de la perfection et de la puissance de lamour divin qui délivre lhomme de tout mal et lui fait don de la plénitude du bien. Cest ainsi quen changeant leau en vin aux noces de Cana, le Seigneur montre quIl est venu apporter la joie aux hommes et en chassant les démons, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, Il délivre de la souffrance, conséquence tragique du péché. Et dans ses miracles sur la nature da tempête apaisée, la marche sur les eaux, la multiplication des pains, etc...), cest aussi lamour quIl manifeste, rétablissant ainsi le pouvoir de lhomme sur les éléments, pouvoir perdu après la chute. Mais au moyen de ses miracles et de sa parole, cest dabord aux âmes quIl redonne la vie perdue par le péché, car Il fortifie ainsi dans les hommes la foi et lamour, sans lesquels lâme est morte. Pourtant Il refusa de faire des miracles capables de frapper limagination et de forcer la foi ; Il ne les accomplit que pour ceux qui croient déjà, montrant bien ainsi quIl ne contraint jamais, mais invite seulement au bien.
Le Seigneur a donné à ses disciples le même pouvoir de faire des miracles. Ils peuvent les accomplir sils acceptent dêtre les temples de lEsprit Saint. Enfin, ayant institué les sacrements, le Seigneur a donné aux hommes la possibilité (après la descente du Saint Esprit) dêtre toujours les témoins et les participants de ses miracles. Les sacrements de lÉglise, en effet, sont la continuation des miracles du Christ, et dans le sacrement de lEucharistie sacquiert tout ce que le Seigneur donnait aux hommes au temps de sa vie terrestre : puissance de lesprit sur la matière, expulsion des esprits du mal, guérison de lâme et du corps et gage de résurrection dans la gloire.
14 Comment le Christ nous invite à la charité.
LAmour est un acte de notre liberté. Il est impossible dobliger quelquun à aimer son prochain. Cest pourquoi lenseignement du Christ au sujet de lAmour est exprimé sous la forme dexemples, qui sont un appel et non point un ordre. Le Christ lui-même est le grand Exemple de lAmour, le suprême appel à aimer. Les miracles du Seigneur sont encore des exemples de son amour et ses paraboles sont souvent des appels à aimer.
15. Les paraboles sur le Père.
En nous invitant à être parfaits, comme le " Père des Cieux " (Mt 5,48) qui fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons et donne sa pluie aux justes comme aux injustes (Mt 5,45), le Seigneur nous montre en paraboles limage de lAmour divin de son Père. Telle la parabole du Fils Prodigue (Lc 15), qui nous révèle que Dieu est prêt, au premier mouvement de repentir de lâme, à la faire renaître et à lui rendre sa grâce. Cette parabole nous montre aussi que lAmour non seulement compatit, mais encore prend part à la joie-(dans la parabole, Dieu sefforce damener le fils aîné à prendre part à la joie des siens).
Le Seigneur nous parle de la miséricorde de son Père, dans la parabole sur le juge inique (Lc 18,1-8), dans celle sur le fils qui demande du pain et du poisson (Mt 7,7-11) et enfin dans celle des vignerons homicides (Mt 21,33-41 ; Mc 12,1-10 ; Lc 20,9-16) que le Père tente dappeler au repentir en leur sacrifiant son propre Fils. La miséricorde du Père nous est encore montrée dans la parabole des ouvriers loués à des heures différentes et recevant le même salaire (Mt 10). Toutes ces paraboles nous appellent à connaître lamour parfait du Père et à nous unir à sa puissance, à sa félicité.
16. Les paraboles sur le Sauveur.
Dans dautres paraboles, le Seigneur nous parle de lui-même : dans la parabole des vierges folles et des vierges sages (Mt 25), Il est celui qui apporte la Joie, lÉpoux de lÉglise et de chaque âme ; dans la parabole du Bon Pasteur (Jn 10), Il annonce son sacrifice rédempteur pour tous les hommes (" Je donne ma vie pour mes brebis " Jn 10,15), se préoccupe de lunité de lÉglise (" ...elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur " Jn 10,16) et affirme quil est lunique Porte qui mène à la vie (" Cest moi la Porte, qui entrera par moi sera sauvé " Jn 10,9). Enfin, dans la parabole de la brebis égarée, il nous fait part de sa justice selon laquelle une seule âme humaine a pour lui autant de prix que toutes les autres ensemble. Il est particulièrement important pour les prêtres, pasteurs de lÉglise, de sapproprier cette conception de la justice du Christ, puisquils sont appelés à être les vivants exemples de son amour.
Dans la parabole sur le Jugement Dernier à laquelle il convient de sattacher particulièrement, le Seigneur apparaît comme le Juge de tous les hommes et annonce que cest lAmour qui jugera le monde. La meilleure justification de lhomme est dans ses efforts pour parvenir à la miséricorde et dans les fruits de cette vertu. La parabole sur le Jugement indique les signes de lamour compatissant ; donner à manger à ceux qui ont faim, visiter les malades et les prisonniers. Par amour pour nous, le Seigneur sidentifie à chacun de nous et cest pourquoi, selon ses propres paroles, en faisant du bien ou du mal au prochain, cest à lui que nous le faisons. Celui qui aime son prochain, quil en soit conscient ou non, aime le Seigneur, car aimer signifie voir dans lêtre aimé ce qui est infiniment précieux : lImage de Dieu. Mais il arrive un moment où lhomme reconnaît que cest Dieu quil a rencontré lorsquil a aimé son prochain, lorsquil a eu pitié de lui car Dieu est amour. En ignorant la souffrance de son prochain, cest le Seigneur lui-même quIl a repoussé. Toute rencontre avec le prochain, surtout sil est frappé par le malheur et la souffrance est pour nous déjà le Jugement Dernier. Celui qui la compris peut attendre avec confiance la sentence finale.
Le Seigneur nous apprend encore que sans lui, nous ne pouvons rien faire et que la vie chrétienne nest pas quune suite de bonnes actions, pas seulement de la philanthropie, mais une perpétuelle montée vers lui et que dans cette montée, il marche constamment avec nous et nous aide.
17. Les paraboles sur le Royaume de Dieu, lÉglise et la Grâce.
LÉvangile est la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Cest lui que le Seigneur veut nous faire connaître car cest en effet le Royaume quil est venu établir, et cest là quil nous appelle à entrer. Le Royaume de Dieu est celui du Christ, mais il est aussi la Maison du Père, le Royaume de la Grâce et du Saint-Esprit. Il commence déjà sur la terre, dans lÉglise du Christ, mais le Seigneur fait sa demeure dans le cur des hommes et cest pourquoi le Royaume de Dieu, cest non seulement lÉglise au milieu de nous, mais cest aussi lEsprit de Dieu demeurant dans chaque cur pur. Et cest ce bien le plus précieux que le Seigneur nous montre en parabole sous limage du trésor caché dans le champ pour lequel il nest pas possible de ne pas donner tout ce que lon possède (Mt 13,44). Cest encore la perle fine qui vaut tous les autres biens (Mt 13,45), la maison bâtie sur le roc que rien ne pourra détruire (Mt 7,24). Ceux qui sont arrivés à monter jusquaux degrés les plus élevés de la vie spirituelle, les saints, témoignent unanimement de lexcellence des dons de la Grâce.
Ils affirment que rien au monde ne vaut la présence de Dieu. Mais même les pécheurs éprouvent par exemple après la communion ou à loccasion dune action damour désintéressé un vrai sentiment de joie. À bien dautres encore, il est arrivé de vivre intérieurement lapaisement de leur conscience délivrée du péché. Dans les paraboles du grain de sénevé (Mt 13,31 ; Mc 4,31, Lc 13,8), du levain (Mt 13,33) ou encore de la graine jetée dans la terre (Mc 4,26), le Seigneur nous montre davance, pour nous encourager, combien imperceptible sera la croissance de lÉglise et en elle, la croissance spirituelle de lhomme.
18. Les paraboles sur la conduite de lhomme.
Dans dautres paraboles, le Seigneur nous montre quelle doit être ou ne doit pas être la conduite de lhomme. Tout ce qui sy trouve en accord avec la volonté de Dieu brille dune céleste lumière et ce qui sy oppose parait rebutant.
Telles sont les paraboles du pharisien et du publicain (Lc 17,10), du fils prodigue (Lc 15,11-31), du bon Samaritain (Lc 10,30), du roi et du méchant serviteur (Mt 18,23), du mauvais riche et du pauvre Lazare (Lc 16,19), des deux débiteurs (Lc 7,40), des deux fils (Mt 21,28), de la paille et de la poutre (Mt 7,3 : Lc 6, 41) et dautres encore.
19. Les origines du péché.
Le Seigneur na pas parlé quen paraboles : Il a parlé clairement du Père, de lui-même et de lEsprit Saint ainsi que de la vie spirituelle authentique de lhomme. Si lAncien Testament mettait en garde principalement contre les manifestations extérieures du mal Pt ses conséquences, le Seigneur lui, nous montre les racines même du péché. Ainsi le sixième commandement avertit : " Tu ne tueras pas ", et Jésus-Christ nous dit : " Garde-toi de la colère, de la vengeance, pardonne, ne condamne pas " et même : " ne juge pas . De même, le septième commandement ordonne de ne pas commettre ladultère et le Seigneur lexplique ainsi : " Qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis ladultère avec elle dans son cur " (Mt 5, 28). Le Seigneur nous a révélé que le péché prend naissance dans le cur de lhomme, cest pourquoi il faut commencer la lutte contre le péché en purifiant son cur des désirs mauvais et des mauvaises pensées, car r du cur procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. Voilà les choses qui rendent lhomme impur " (Mt 15, 19-20).
20. La naissance du péché et la lutte contre lui.
Suivant cette volonté du Seigneur sur la nécessité de purifier son cur de ses penchants pervertis, les apôtres et, après eux, les Pères de lÉglise, se fondant sur leur propre expérience de la lutte spirituelle, ont élaboré un enseignement détaillé sur la naissance et le développement du péché et sur les moyens de lutter contre lui.
Dabord vient lidée du péché. Ce nest pas encore le péché, mais la tentation. Ensuite lhomme commence à considérer avec sympathie cette idée et déjà le péché commence. Puis il sy attarde complaisamment à mesure quapparaissent les sentiments coupables dont il jouit, enfin sa volonté même penche vers le péché et lhomme laccomplit en réalité. Le péché une fois perpétré se répète facilement, la répétition appelle lhabitude et alors lhomme se trouve dominé par tel ou tel vice ou passion.
Pour vaincre le mal, il faut lutter contre lui dès le début : quand naît lidée du péché. Plus on attend et plus la lutte est dure. La lutte avec une passion, un vice ou une mauvaise habitude est très difficile. Pour chasser les mauvaises pensées à leur début, il faut apprendre à être attentif à soi-même, à se connaître. Lorsquon a reconnu une mauvaise pensée, il convient de la couper à la racine, en centrant son attention sur un objet plus élevé. Ce nest pas facile. Le mieux est, dès quapparaît une mauvaise pensée (quelle soit doffense, de méchanceté, denvie, de cupidité ou de désir charnel) de se tourner aussitôt vers Dieu pour le prier de chasser la tentation.
Le meilleur recours proposé par les Pères de lÉglise est la prière de Jésus : a Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ". Celui qui agit ainsi acquiert peu à peu la maîtrise de soi pour arriver enfin à un état où lâme vit dans la paix et dans la joie.
Ce travail sur soi-même pour une organisation harmonieuse de lâme est appelé par les Pères de lÉglise : " la science des sciences ", " lart des arts ", et sans lui, il ny a pas de vie chrétienne authentique. Saint Hésychius de Jérusalem dit : " Si au dedans de son cur, lhomme ne fait pas la volonté de Dieu.., ce nest pas non plus extérieurement quil la fera ".
21. " Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis. "
Le Seigneur Jésus-Christ non seulement nous appelle à purifier nos curs, mais Il enseigne aussi une conduite nouvelle. Il nous exhorte à ne pas nous venger de ceux qui nous offensent et à céder aux quémandeurs : " Je vous dis de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelquun te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui lautre ; veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse lui même ton manteau... À qui te demande, donne, à qui veut temprunter, ne tourne pas le dos " (Mt 5, 38-42).
Plus encore, le Seigneur nous invite à aimer nos ennemis : " Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent, faites du bien à ceux qui vous haïssent " (Lc 6, 27-28).
Le Seigneur appelait les hommes à la perfection, sachant que lamour ne peut pas être divisé. Celui qui aime les uns et nourrit dans son cur de la haine pour les autres, celui-là ne possède pas lamour véritable, entier et son amour pour ses amis peut demain se transformer en haine. Mais Dieu est tout entier et toujours amour : " Il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons et donne la pluie aux justes comme aux injustes " (Mt 5, 45).
22. " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ". Le pardon.
Ne pas savoir pardonner, mais aussi simplement juger son prochain, tout cela fait obstacle à lamour parfait. Le Seigneur insiste constamment non seulement sur la nécessité de pardonner les offenses (Mt 6, 12, 14-15), mais aussi sur celle de ne pas juger son prochain : " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ". Et" Quas-tu à regarder la paille qui est dans lil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton il à toi, tu ne la remarques pas !... Enlève dabord la poutre de ton il ; et alors tu verras clair pour enlever la paille de lil de ton frère " (Mt 7, 1-5).
La critique malveillante à légard du prochain est déjà la poutre qui empêche de voir dans autrui lImage de Dieu et de laimer. Le Seigneur savait que les péchés sont les maladies des hommes et Il disait souvent quIl était venu pour guérir les pécheurs : " Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades... Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir " (Mt 9, 9-13). Le Seigneur lui-même nous a montré le plus haut exemple de pardon et de refus de juger. Sur la Croix, Il priait pour ceux qui le crucifiaient et Il ne condamne pas la femme prise en flagrant délit dadultère. Il la pardonne par plénitude damour et cest justement cet amour-là qui fait honte au pécheur, embrase son cur et le purifie à sa flamme. " Qui ma établi pour être votre juge ou régler vos partages ? " dit le Seigneur (Lc 12, 14) et encore : " Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde. mais pour que le monde soit sauvé par lui " (Jn 3, 17) et : " Je ne suis pas venu pour condamner le monde, mais pour sauver le monde " (Jn 12, 47-48). Une autre fois, le Seigneur ne nie pas que cest à lui quappartient le Jugement (Jn 5, 22) : " Car le Père ne juge personne ; tout le jugement, Il la remis au Fils ", mais Il explique : " Le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière " (Jn 3, 19) et la lumière, cest le Seigneur lui-même : " Je suis la lumière du monde, car celui qui Me suivra... possédera la lumière de la vie. "
Cest ainsi que nous, qui suivons le Christ, devons rayonner de son Amour, de la lumière qui pardonne tout. Seule cette lumière nous juge. Celui qui a perdu lamour, lamour qui pardonne tout, a perdu la force qui préserve le monde de la corruption : " Vous êtes le sel de la terre ". dit le Christ, " si le sel dAmour) perd sa force il nest plus bon à rien " et enfin : " Vous êtes la lumière du monde... Ainsi votre lumière doit-elle briller aux veux des hommes pour que, voyant vos bonnes uvres. ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les Cieux " (Mt 5, 13-16).
23. Le souci du lendemain et le danger des richesses.
Le Seigneur nous met en garde non seulement contre le mal proprement dit, mais encore contre tout ce qui peut nous détacher de Dieu, les divertissements et les soucis superflus. Il nous montre, par exemple, comment le riche adonné aux plaisirs, ne remarque même pas la présence du pauvre Lazare qui souffre à côté de lui.
" Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... Votre Père Céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez dabord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain sinquiètera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine " (Mt 6, 25-34).
Ce nest pas là, bien entendu, un encouragement à la paresse et à linsouciance, mais une mise en garde contre un souci superflu dun avenir qui peut-être nexistera même pas.
Seul le présent nous appartient, et pourtant lhomme a souvent tendance à le détruire pour un rêve qui concerne le futur incertain. Tels sont les utopistes qui, tantôt pour une soi-disant amélioration de lordre social, tantôt pour le triomphe de leur race, anéantissent le présent, ne sarrêtant ni devant les pires violences, ni même devant les assassinats collectifs. Ce genre dutopisme use souvent de la formule " la fin justifie les moyens ". Dans la vie privée aussi les hommes concentrent leurs efforts sur lavenir, foulant aux pieds le présent. Si cest lintérêt qui les fait agir, le danger est dautant plus grand. " Le temps, cest de largent ", autre formule prisée par ces amateurs davenir. Cette formule dailleurs, suffit par elle-même à dénoncer le péché de ceux qui en usent, largent nétant jamais quun moyen et non un but ni une valeur. Celui qui fait son idole de largent et des moyens, nie par là même les buts et les valeurs véritables.
Chaque instant du temps qui nous est donné peut revêtir une valeur réelle sil nest pas pour nous un simple moyen pour arriver à linstant qui va suivre, si nous sommes prêts à le sacrifier à quoi que ce soit qui ait une vraie valeur. Cela est possible si nous vivons non le souci de lavenir, mais le présent, si nous savons non seulement agir mais contempler. Ce nest que par le présent, si nous y sommes attentifs, que nous pouvons atteindre léternel. Et il nest possible de trouver Dieu que dans le moment présent, non dans des rêves davenir.
Cependant, la civilisation de notre époque avec sa technique et la hâte de son rythme de vie, prive presque entièrement lhomme de la possibilité de vivre le présent, de contempler, de prier, de rencontrer Dieu. Le Seigneur nous avertit de ces dangers dans la parabole du riche qui décide de détruire les greniers à grain quil possède pour en construire des neufs, sans savoir quil va mourir la nuit prochaine (Lc 12,16-21). Connaissant les dangers des préoccupations excessives, le Seigneur nous met en garde contre la richesse en général " Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et Mammon " dit le Christ (Mt 6,24) et encore : " Il est plus facile à un chameau de passer par un trou daiguille quà un riche dentrer dans le Royaume des Cieux " (Mt 19,24). Troublés par cette parole, les apôtres interrogent le Seigneur : " Qui donc peut être sauvé ? "
24. Le sens et le caractère des préceptes évangéliques.
Cette question : " Qui peut être sauvé ? ", cest le tressaillement de limpuissance humaine devant labsolu de lappel évangélique. Cest aussi la question que peut poser celui qui entend cette invitation étrange : " Aimez vos ennemis ". Comment aimer quand il ny a pas damour ? Qui donc peut être sauvé ? La réponse du Seigneur ôte tous les doutes : il sy trouve toute la force, tout le sens de lenseignement du Christ : " Aux hommes cest impossible, mais à Dieu tout est possible ". (Mt 19,26). Les préceptes évangéliques, surtout les préceptes damour ne sont pas des ordres, mais des appels. En réponse à lappel damour, lhomme peut rechercher lamour, mais cest Dieu seul qui le donne. Lamour est le don par excellence du Saint Esprit, mais Dieu ne le refuse pas : " Si vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien le Père du Ciel donnera-t-il lEsprit Saint à ceux qui len prient " (Lc 11,13). Dieu lui-même est Amour. À lhomme, il nest demandé que déloigner tout ce que peut empêcher lamour et cela est au pouvoir de lhomme, comme il est en son pouvoir dimplorer Dieu, de le prier. Il peut même plus encore : il peut sefforcer dagir comme sil aimait déjà. Cest cela justement que le Seigneur nous a recommandé : " Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux voilà la Loi et les Prophètes. " (Mt 7,12).
25. Sur la vie dans la Grâce.
Il convient de ne pas oublier que si les préceptes du Christ et parmi eux les principaux qui concernent lamour envers Dieu et les hommes ne sont pas des ordres extérieurs, mais des appels, ils nen constituent pas moins les lois internes de la vie spirituelle de lhomme, créé à lImage et à la Ressemblance de Dieu. Hors de lamour il ny a pas de vie, mais seulement mort, souffrance infernale, néant. Cest pourquoi, bien que les préceptes évangéliques ne soient pas en eux-mêmes des ordres, en fait il nest pas possible de ne pas les exécuter. Cest le Seigneur lui-même qui les accomplit en nous par la force de sa grâce (par exemple, lorsquil sagit de lamour envers les ennemis) ; bien entendu, rien jamais ne se fait sans nous, mais rien jamais non plus nest exigé de nous qui soit au-dessus de nos forces. Lamour de lhomme pour Dieu ne demeure jamais sans réponse. Et cest la loi de la vie de lhomme : vivre toujours avec Dieu.
La vie chrétienne nest pas du tout constituée seulement par une bonne conduite répondant à des règles extérieures observées par crainte de châtiments particulièrement cruels au delà du tombeau. Elle est une vie effectivement divine et humaine à la fois, menée à deux avec Dieu, semblable à un mariage. Que lhomme demande et Dieu répond, que lhomme safflige et Dieu le console ; que lhomme fasse fausse route et Dieu lui montre le chemin.
La vie chrétienne est la vie dans la grâce et cest là la différence radicale avec toute vie, même moralement élevée, dhommes qui vivent hors de lÉglise. Cest pourquoi le Seigneur nous dit : " Mon joug est aisé et mon fardeau léger " (Mt 11,28-30).
26. La voie étroite. La Croix. Mort et Résurrection avec le Christ.
Oui, le joug du Christ est aisé et son fardeau léger. Cest là toute la félicité de lamour toujours libre. Mais, par suite de la corruption de lhomme, le chemin qui mène au Royaume de Dieu est devenu étroit et pénible. Il faut renoncer non seulement à tout ce qui est mal, à toutes les jouissances superflues et aux vains soucis, mais parfois même à tous ses biens : " Si tu veux être parfait, va, vends tes biens, donne largent aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi " (Mt 19, 21). Le Seigneur parle même de plus grands sacrifices : " Si quelquun vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses surs, et jusquà sa propre vie, il ne peut être mon disciple " (Lc 24, 26). Comment faut-il comprendre ces paroles quand le Seigneur lui-même nous exhorte à honorer nos parents ? Cela signifie que lamour à légard des hommes ne doit pas faire obstacle à lamour pour Dieu, autrement dit ne doit pas être intéressé. Il faut aimer les autres en eux-mêmes sans rien attendre en retour, pas même la joie quils peuvent nous apporter : sinon lêtre aimé nest quun moyen pour atteindre mon bonheur personnel ; un tel amour na pas de consistance et éloigne de Dieu.
Le Seigneur attend enfin de lhomme un renoncement complet à toutes choses et à lui-même. Cest cela être crucifié avec le Christ : " Quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce quil possède ne peut être mon disciple " (Lc 14, 33), dit le Christ, et encore : " Si quelquun veut marcher à ma suite, quil se renonce lui-même, quil prenne sa croix chaque jour, et qualors il me suive " (Lc 9, 23).
Mais tous ces sacrifices nont pas de valeur par eux-mêmes ; ils ne sont que la voie vers un bien plus élevé qui est lamour. Lapôtre Paul écrit : " Que je distribue tous mes biens aux pauvres, que je livre mon corps aux flammes, si je nai pas lamour, cela ne me sert de rien " (1 Co 13, 3). Le renoncement total est indispensable parce que le péché qui nous éloigne de Dieu est laffirmation de soi poussée à lextrême ; cest légoïsme qui nous referme sur nous-mêmes. Pour accueillir Dieu de nouveau, il nous faut rouvrir toutes grandes les portes de notre cur.
27. Dieu reçoit les sacrifices.
Mais Dieu accepte tous les sacrifices sincères et humbles faits pour le Royaume. " En vérité, je vous le déclare, nul naura laissé maison ou femme ou frères ou parents ou enfants, à cause du Royaume de Dieu, qui ne reçoive bien davantage en ce temps-ci, et dans le temps à venir la vie éternelle " (Lc 18, 29-30).
Selon les Pères, cest déjà maintenant, dans cette vie, que le chrétien doit ressentir la joie des dons célestes, sinon il ne la connaîtra pas non plus dans le siècle à venir. Les saints, en effet, non seulement ont été libérés du joug du péché dès cette vie, mais encore, ils ont été remplis de joie spirituelle et de lumière. Pour un cur pur, tout est pur et les saints voient tous les hommes, le monde entier dans leur réalité merveilleuse, car déjà ils goûtent la félicité du paradis. Tout ce dont ils se sont privés en ce monde, leur revient transfiguré. Saint Marc lAscète écrit : " Tu ne perdras rien de ce que tu auras abandonné pour le Seigneur car cela te reviendra en son temps multiplié ! "
28. Les Béatitudes.
Dans les Béatitudes (Mt 5, 3-12), le Seigneur nous indique les attitudes spirituelles nécessaires pour atteindre le Royaume de Dieu. Elles sont à la fois les fruits et les signes dune vie authentique qui permet dès ici-bas de goûter la félicité du siècle futur. Pour croître dans la vraie vie, il faut avant tout lhumilité, la conscience de ses péchés et de sa propre impuissance si on lutte contre eux sans laide de Dieu. Cest là ce quon appelle pauvreté spirituelle :
" Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume de Dieu est à eux ".
Létat opposé, celui du contentement de soi-même, est flétri par le Seigneur dans la parabole du Pharisien et du Publicain (Lc 18, 10) : " Celui qui sent pleinement ses péchés vaut mieux que celui qui ressuscite les morts " ; et " celui qui est arrivé à se voir lui-même vaut mieux que celui qui a vu les anges ", dit le saint évêque Isaac le Syrien. La connaissance de soi-même et de ses péchés amène les larmes de repentir qui lavent les fautes et donnent la consolation. Des saints ont eu le don des larmes qui leur faisait pleurer sans cesse leurs péchés. Plus il a de lumière dans lâme, plus lhomme voit clairement ses taches et remarque ses plus petites fautes.
" Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ".
À ceux qui déplorent leurs péchés, il convient dajouter ici ceux qui pleurent de compassion ou de joie spirituelle.
" Bienheureux les doux, car ils hériteront la terre ".
Ceux qui sont pauvres en esprit, qui saffligent de leur indignité, ne jugent pas autrui, pardonnent les offenses, ceux-là deviennent doux. Patients et bons, ils se trouvent bien partout ; partout ils se sentent chez eux, ils sont " les héritiers ". Vivant en bonne intelligence avec tous, ils vivent souvent plus longtemps que les autres, mais leur véritable bien, leur héritage est la terre nouvelle du siècle à venir où nentreront pas ceux qui sont hostiles à autrui.
" Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ".
Ce sont en premier lieu ceux qui veulent que chacune de leurs actions soit en accord avec la volonté de Dieu, qu’elle ait un sens et que toute leur vie soit illuminée de la lumière d’en-haut... Ce sont aussi ceux qui souhaitent que la justice règne autour d’eux, que la beauté de la justice et de la vérité du Christ triomphent dans la famille, dans la société, dans l’état. C’est à ceux qui ont faim et soif de justice que l’humanité toute entière, comme les peuples, doit les rares périodes de progrès moral qu’elle a connues.
" Bienheureux les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde ".
Des uvres de la miséricorde, fruits de lamour compatissant, le Seigneur nous parle dans sa parabole du Jugement dernier (Mt 25, 31-46) ; lui-même a montré par ses miracles ce quest la miséricorde. Elle est utile à ceux là même qui font le bien, car elle fortifie en eux lamour du prochain : " Les pauvres te harcèlent, cela signifie que cest la bonté de Dieu qui te poursuit ", disait à un juste le père Jean de Cronstadt. Les miséricordieux sont aussi ceux qui savent pardonner. Le rancunier, le vindicatif se torture lui-même, senferme dans la prison de sa méchanceté. Sil ny renonce pas, il ne sortira pas de cette prison quil nait " payé jusquau dernier sou " (Lc 12, 59). Le dernier sou désigne ici le seul tribut qui soit demandé à lhomme : lamour.
" Bienheureux les curs purs, car ils verront Dieu ".
Le cur désigne ici le fond même de la personne humaine. Cest avec son cur que lhomme apprécie lessentiel et fait son choix, quil décide de sa vie. Lapôtre Paul souhaite aux Éphésiens que le Seigneur " illumine les yeux de leur cur " (Ép 1, 17-18). Ces yeux du cur, cest tout dabord notre conscience morale. Cest par le cur aussi que nous connaissons la vérité et la beauté : " La lampe de ton corps, cest lil. Lorsque ton il est sain, ton corps aussi tout entier est dans la lumière ; mais dès quil est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres. Vois donc si la lumière qui est en toi nest pas ténèbres ! " (Mt 6, 22-23). La corruption de lhomme est si profonde quelle sétend jusquà son cur. Celui qui cède constamment au péché cesse de savoir distinguer clairement le bien du mal. Cest par un constant labeur sur lui-même suscité par la grâce de Dieu, sans laquelle il ne peut rien que lhomme obtient finalement la purification de son cur. La perte définitive de la pureté du cur cest la mort spirituelle ; au contraire le salut de lhomme est une illumination de son cur. Cest dans son cur que lhomme rencontre Dieu, car cest là que Dieu envoie son Esprit (Ga 4, 6). Cest là que le Christ habite (Ép 3, 17) y introduisant sa loi. Dieu, qui connaît les curs, juge les hommes sur la qualité de leur cur : " Je suis celui qui sonde les reins et les curs " dit le Seigneur (Ap 2, 23).
" Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. "
Il est bon dêtre doux, il vaut encore mieux semer la paix autour de soi, mais cela nest possible quà ceux qui, au dedans deux-mêmes, ont dépassé déjà le stade précédent, celui de la douceur. Le grand saint russe Séraphim de Sarov disait : " Sois en paix avec toi-même et autour de toi des milliers seront sauvés ! " Et un autre juste du pays russe, le père Jean de Cronstadt écrivait : " Sans paix et sans harmonie avec les autres, on ne peut avoir ni lune ni lautre en soi ". En dehors de ces conditions, nul ne peut donner la paix aux autres. " Dieu nest pas un Dieu de désordre mais de paix " (1 Co 14, 33) ; " Cest lui qui est notre paix " (Ép 2, 14) et cest pourquoi seuls les artisans de paix peuvent être appelés " fils de Dieu ".
" Paix à vous ", disait le Christ et il recommandait à ses apôtres de saluer ainsi tous les autres hommes. Aussi les apôtres disaient-ils toujours à leurs disciples : " Que la grâce et la paix vous soient données de plus en plus " (2 Jn 3 ; Jude 1-2) ; ou simplement : " Que la paix soit avec toi " (3 Jn 15) ; et encore : " Que la paix et la grâce de Dieu, notre Père et Seigneur Jésus Christ soient avec vous " (Rm 1, 1 ; 1 Co 1, 3 ; 2 Co 1, 2 ; Ga 1, 3 ; Ép 1, 2). Ces salutations apostoliques et ces paroles du Seigneur lui-même prononcées particulièrement pendant son dernier entretien avec ses disciples témoignent toujours de ce que la paix du Christ est un don du Saint Esprit.
" Heureux êtes-vous si lon vous insulte, si lon vous persécute, si lon vous calomnie de toutes manières à cause de moi. Soyez dans la joie et lallégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : cest bien ainsi quon a persécuté les prophètes vos devanciers. "
Souffrir pour le Christ est le plus haut exploit que puisse accomplir un homme. Le renier est la chute la plus basse. " Celui qui Me reniera devant les hommes, à mon tour Je le renierai devant mon Père qui est aux cieux " (Mt 10, 33). Celui qui renie le Christ renie Dieu et tout ce quil y a dauthentique en lhomme, car lhomme véritable est limage de Dieu qui a brillé en Christ dans toute sa pureté et sa plénitude. Renier le Christ cest aussi se renier soi-même, ce quil y a de meilleur en soi, autrement dit cest un suicide spirituel. La plus grande fidélité que lon puisse montrer au Seigneur, cest de mourir pour lui, comme le plus grand amour que lon puisse manifester aux hommes, cest de mourir à cause deux. " Il nest pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis " (Jn 15, 13).
29. Le chrétien devant la mort.
La mort est terrible. Mais lattitude dun homme devant la mort donne la mesure de sa dignité, de son courage, de sa fidélité, de son espérance, de son amour et de sa foi. Le vrai chrétien est prêt à accepter la mort violente comme la mort de vieillesse ou de maladie. Cest par son acceptation de la mort que le chrétien témoigne de sa foi dans la Résurrection, dans la bonté de Dieu. Le chrétien doit avoir présent à lesprit lidée de sa mort et se souvenir que le triomphe définitif de la lumière naura lieu quà la Résurrection des morts. Mais être prêt à la mort ne signifie pas que la vie terrestre doive perdre son prix. Au contraire, elle demeure un grand bien et le chrétien est appelé à la plénitude de la vie présente pour autant quil puisse emplir chaque moment de la lumière de lAmour du Christ : seul le véritable chrétien peut le faire.
30. La Plénitude de la vie chrétienne. La multiplication des talents.
Seul lépanouissement de toutes les forces spirituelles de lhomme, cest-à-dire lutilisation totale des dons spirituels (des talents) donne lespoir dune participation à la plénitude de la vie du siècle à venir. Cest ce que le Seigneur nous enseigne dans les paraboles des talents (Mt 25, 14-30) et des mines (Lc 19, 12-27). Lhomme accomplit plus facilement sa destinée sil peut agir selon sa vocation. Les vocations et les talents sont divers... Il y a dabord les dons directs du Saint Esprit, les charismes qui faisaient la richesse des premiers chrétiens : des dons de prophétie, de langues, de guérison, etc... Ensuite viennent les aptitudes personnelles : léloquence, lesprit dorganisation, les dons pédagogiques, artistiques. Il y a aussi les vocations naturelles, propres à lâge, au sexe, à la situation de famille, celles du mariage ou de la virginité, de la paternité et de la maternité. Lactivité créatrice dirigée dans le sens de la vocation a une bonne part dans la formation de la personnalité et aide à réaliser la vocation commune à tous les chrétiens, qui est lédification du Royaume de Dieu.
Cest à ce but essentiel que doivent servir tous les talents, tant particuliers que pris dans leur ensemble. Toute activité humaine, même exercée par vocation, qui séloigne de cette fin, cest-à-dire de la création dune vie avec le Christ et dans le Christ, saltère et dépérit. Ainsi se dessèche lart qui nest pas nourri desprit religieux, ainsi meurent les constructions de létat sans Dieu. Quant au métier militaire, il contribue à la ruine des vainqueurs comme des vaincus, si la justice du Christ y est oubliée.
Mais il ne faut jamais oublier que toute vocation est une croix, quelle exige des efforts et des sacrifices sans lesquels les talents ne se multiplieront pas. Il faut se rappeler que le chemin de la croix est la vocation finale de la vie même du Seigneur, et que son acceptation totale de la Croix, cest la vie arrivée à sa plus haute intensité, son plus haut jaillissement. " La Croix, cest la volonté prête à toute affliction ", écrit un des Pères de lÉglise primitive. Mais cest en même temps la bénédiction de toute vocation et elle est inséparable pour tous les disciples fidèles du Christ de lépanouissement de leurs dons, de la multiplication des talents qui leur ont été confiés.
Mais la croix de tout homme doit être greffée sur celle du Christ. Et cette greffe seffectue le mieux lorsque la croix de toute vocation créatrice devient la croix du service de Dieu et de lÉglise. Cest alors que se multiplient les talents donnés à lhomme.
31. La vie chrétienne dans laccomplissement de la volonté de Dieu.
Si la vie chrétienne a pour but de nous unir à Dieu et en lui aux autres hommes cest cela le Royaume de Dieu la morale chrétienne a pour unique objet laccomplissement de la volonté de Dieu.
Le Seigneur lui-même nous en a donné lexemple et nous la recommandé : " Car Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui ma envoyé " (Jn 6, 38) dit-i1. Quant à nous, il nous avertit : " Ce nest pas en me disant : " Seigneur, Seigneur, quon entrera dans le Royaume des Cieux, mais cest en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux " (Mt 7, 21). Pour faire la volonté de Dieu, il faut la connaître et pour posséder la révélation divine dans laquelle se découvre cette volonté, il faut vivre dans lÉglise, car cest à elle quest donnée la vérité dans sa plénitude, et non à un homme isolé. Alors, lhomme, membre de lÉglise, éclairé par toute la lumière donnée à celle-ci, trouve son propre chemin, la volonté de Dieu à son égard.
Au sommet de la vie spirituelle, le chrétien vit sous lemprise directe du Saint Esprit : guidé constamment par son inspiration, il distingue clairement dans son cur ce que Dieu attend de lui. À des degrés moindres la direction divine paraît moins évidente, mais à mesure que lhomme grandit dans sa vie spirituelle, il la distingue mieux. Cest ainsi, quattentif à la Parole de Dieu, il y découvre toujours mieux ce qui se rapporte aux circonstances de sa vie, et, au hasard des rencontres avec les autres, en tire un profit spirituel.
Pour croître dans la vie spirituelle, pour discerner toujours plus clairement la volonté de Dieu et laccomplir exactement, il est bon duser de tous les moyens proposés par lÉglise : participation aux sacrements, à lEucharistie surtout, lecture de la Parole de Dieu et duvres spirituelles, prières faites en privé et en commun, purification du cur par lexclusion des mauvaises pensées qui cherchent à sy introduire, limitation des exigences naturelles (jeûne), efforts en vue daccomplir les préceptes du Christ, même si on ny est pas encore très bien disposé.
Il est bon aussi dentretenir des rapports personnels avec ceux qui vivent réellement de la vie de lÉglise, de prendre conseil auprès deux et surtout auprès dun père spirituel. Il faut aussi sefforcer de développer en nous les dons que nous avons reçus en les mettant au service de Dieu et des autres.
Parmi tous les moyens datteindre à lépanouissement de notre vie spirituelle, la prière, particulière ou commune, occupe une place à part. Elle constitue en effet le centre de la vie spirituelle sans laquelle celle-ci nexiste pas : la prière peut être prière de demande, daction de grâce, de louange. Le chrétien peut demander pour lui-même et pour les autres tant des biens matériels que des biens spirituels, mais surtout ces derniers et en particulier le pardon de ses péchés, laide pour lutter contre les tentations et enfin que Dieu lui montre comment il faut agir.
Les païens prient surtout pour leur réussite ici-bas et les chrétiens pour quil leur soit donné de faire la volonté de Dieu. Et Dieu répond à leur prière surtout quand elle concerne les autres. La prière pour autrui est le fruit de lAmour et aussi la plus sûre voie vers lAmour. Meilleure encore est la prière commune : " Je vous le dis en vérité, si deux dentre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis pour minvoquer, je suis là au milieu deux " (Mt 18, 19-20).
32. La Prière du Seigneur.
" Seigneur, apprends-nous à prier ", dit un jour à Jésus un disciple. Et il répondit en leur enseignant le " Notre Père ". Cest pourquoi nous lappelons la " Prière du Seigneur " ; cest entre toutes la prière par excellence.
" Notre Père qui es aux cieux " : Dès le premier mot, " Père ", la Prière du Seigneur nous apprend à prier avec amour et confiance en Dieu ; quant au mot " Notre ", il nous rappelle que nous devons prier non seulement pour nous-mêmes mais pour les autres et surtout en union avec les autres. En évoquant le ciel comme la demeure de Dieu, elle nous rappelle la transcendance de la perfection divine par rapport à toutes nos conceptions humaines.
" Que ton Nom soit sanctifié " : Puisque Dieu est parfait, son Nom ne peut être que saint et nous prions afin quil nous soit donné de le glorifier par nos paroles et par nos actes et dêtre les dignes enfants de notre Père céleste. Cette première demande contient toute notre aspiration à la sainteté.
" Que ton règne arrive " : Nous demandons à Dieu de faire rayonner partout sa sainteté : que sa justice triomphe en nous et autour de nous, que le monde devienne le Royaume de lamour. Or celui-ci ne viendra dans sa plénitude quà la résurrection générale des morts. En disant " Que ton règne arrive ", nous appelons donc le second avènement du Christ. Laccès de ce Royaume nest ouvert quà ceux qui font la volonté de Dieu, mais sans laide de Dieu lui-même, nous ne pouvons y parvenir, cest pourquoi il nous faut linvoquer sans cesse.
" Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel " : Non seulement il faut faire la volonté de Dieu, mais encore convient-il de la faire de bon gré, avec joie, comme le font les anges et les saints.
" Donne-nous aujourdhui notre pain quotidien " : Ce que nous demandons dabord à Dieu, cest le pain spirituel, le pain de lEucharistie, le corps très pur du Seigneur dont il nous a dit lui-même " Qui mangera ce pain vivra éternellement " (Jn 6, 58). " Le pain quotidien ", cest aussi la Parole de Dieu dont il est dit : " Lhomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu " (Mt 4, 4). Le pain quotidien cest aussi tout ce qui est nécessaire à notre vie sur terre. Dieu connaît nos besoins et pourtant il nous faut le prier pour cela ; la prière fortifie la foi et limite nos exigences ; quant à la prière pour les besoins des autres, elle nous élève.
" Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés " : Cette demande doit refléter lhumilité sans laquelle on ne peut se corriger et sans laquelle il ny a pas de croissance spirituelle. Le pardon des péchés, cest la délivrance de leur joug. Sil est rappelé ici que nous aussi nous pardonnons, cest là surtout une exhortation au pardon. Le Seigneur ici commente lui-même sa pensée en disant : " Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements " (Mt 6, 15).
" Ne nous induis pas en tentation " : Dieu na pas créé le mal et ne peut en être la cause, mais il permet à Satan de nous tenter pour fortifier notre volonté dans la lutte pour le bien. Lapôtre Jacques écrit : " Heureux homme, celui qui supporte lépreuve ! Une fois éprouvé, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui laiment. Que nul, sil est éprouvé, ne dise : Cest Dieu qui méprouve. Dieu en effet néprouve pas le mal, il néprouve non plus personne. Mais chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui lattire et le leurre " (Jc 1, 12-14). La tentation, en nous faisant lutter, nous incite à prier et Dieu écoute cette prière. Jésus Christ " ayant lui-même souffert par lépreuve, est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés " (Hé 2, 18). Dieu connaît la mesure de nos forces et ne permet jamais que nous soyons tentés au delà. Lapôtre Paul écrit : " Aucune tentation ne vous est survenue qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. À côté de la tentation, il placera les moyens qui vous permettront de résister " (1 Co 10, 13). Par le mot " tentation ", les Écritures nentendent pas seulement celle du péché mais aussi lépreuve par la souffrance. Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu (Ac 14, 22).
Par la dernière demande " Mais délivre-nous du malin ", nous renonçons à tout mal et à celui qui linspire, Satan, et avec laide du Très Haut nous nous engageons à lutter pour le bien comme de véritables soldats de larmée du Christ.
La doxologie finale : " Car à toi appartiennent le Royaume, la Puissance et la Gloire " est un témoignage de notre foi dans le Dieu en Trois Personnes et dans son triomphe certain sur le mal.
33. La prière en commun et la prière privée.
Un grand nombre de prières entrent dans la composition des divers services liturgiques, mais lÉglise sefforce dordonner également la prière individuelle ; cest dans cette intention quelle propose une règle de prière. Si, quant au choix et à lusage de cette règle, il nous est laissé une certaine liberté, nous ne devons pas négliger cette règle non plus que les indications des saints Pères sur ce que doit être leffort de prière et la prière elle-même.
Ne croyons pas que nous puissions prier sans avoir appris à le faire, nous abandonnant uniquement à nos propres dispositions. La prière selon les Pères est une science, un art ; elle exige un apprentissage et une pratique. La prière est la base et le centre de la vie chrétienne.
34. La Prière de Jésus.
LÉglise recommande particulièrement à ses membres la prière de Jésus : " Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ". Les moines doivent la répéter constamment et à ceux qui vivent dans le monde, il est conseillé den user pour combattre tout mauvais mouvement de lâme et au moment daccomplir toute action lourde de conséquences.
35. Les lectures spirituelles.
La lecture de la Parole de Dieu est indispensable. La Sainte Écriture constitue également une part inaliénable de lOffice divin et il convient dy être attentif à lÉglise, car elle a une grande importance pour notre vie spirituelle. Mais, il faut aussi se nourrir de la Parole de Dieu à la maison, surtout lorsque les circonstances ne nous permettent pas daller souvent aux offices.
La prédication du prêtre à léglise et, à la maison, la lecture des uvres des Pères et Docteurs de lÉglise sont les meilleurs moyens pour nous aider à comprendre la Parole de Dieu. La Sainte Écriture nous révèle la vraie vie divine et les Pères nous apprennent comment nous pouvons dans les diverses circonstances, recevoir cette vie et vivre de la vie véritable. Il convient de joindre la prière à la lecture spirituelle.
36. Le culte orthodoxe.
Toute la vie de lÉglise Orthodoxe forme un tout indivisible. Cest une vie humaine et divine à la fois et cest la voie qui mène au salut (rendre lhomme semblable à Dieu). Sur cette voie, il faut, non seulement connaître les Saintes Écritures, participer aux sacrements et vivre conformément à la vérité du Christ, mais encore il est important de se pénétrer de toute la vie cultuelle de lÉglise. Dans le culte orthodoxe, tout concourt au salut : tant les mots des prières que la structure même du culte et les actes sacrés qui accompagnent la prière. Grâce aux offices religieux des jours de fête, non seulement nous évoquons pieusement lévénement célébré, mais encore nous en devenons spirituellement les témoins et les participants et il devient, selon la mesure accessible à chacun, un événement de notre propre vie. Cest par là que notre vie commence à se transfigurer : dans sa trame, apparaît, telle une broderie dor, la vie du Seigneur et de son Église ; à travers notre existence temporelle perce déjà léternité.
Le culte orthodoxe, comme la peinture dicônes, a une profonde signification symbolique. Le sens, salutaire pour nous, des événements de lhistoire sainte, nous y est transmis symboliquement. De même que lon peut dire que la peinture dicônes est une théologie en couleurs, ainsi peut-on dire que le culte est une théologie en gestes et en sons. Mais bien entendu, il renferme également un enseignement direct de la Parole de Dieu. Grâce à lÉglise et au culte quon y célèbre, on apprend à répondre à la Vérité divine et à sa beauté par toutes ses fibres.
Mais les symboles sacrés deviennent pour nous une réalité spirituelle, surtout par notre participation aux sacrements. Cest précisément grâce à eux que les événements de lhistoire sainte et de lhistoire de lÉglise acquièrent la signification dévénements de notre propre vie, tandis que ces derniers peuvent alors être inclus dans la chaîne des événements intéressant lÉglise.
Cest ainsi que par le sacrement du mariage lamour naturel entre lhomme et la femme, et la famille quils fondent ainsi, acquièrent une signification importante pour la vie de toute lÉglise. De même, la maladie dun seul membre de lÉglise, par le sacrement de lonction, devient importante pour toute la communauté ecclésiale en invitant celle-ci à un amour actif, compatissant pour le malade, tandis que ce dernier participe dune façon nouvelle à la vie de lÉglise. Même la chose la plus amère et la plus terrible de notre vie : le péché, peut devenir, par le sacrement de la pénitence, la source dune renaissance profonde du pécheur, source de joie pour lÉglise, puisque dans lÉglise comme au ciel, il y a plus de joie pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes (Lc 15).
Enfin la mort elle-même est vaincue dans la réalité du culte de lÉglise : les défunts qui ne peuvent plus faire pénitence pour leurs péchés, profitent de nos prières et de la puissance du sacrifice eucharistique, offert peur eux. LÉglise orthodoxe mentionne les défunts à la Liturgie, elle possède un rite des funérailles, et célèbre des offices pour les défunts. Ces célébrations apprennent aux fidèles quelle doit être leur attitude devant la mort.
Le culte orthodoxe a une très grande importance dans la vie, mais ce nest que par une participation active quon peut le comprendre dans sa profondeur, encore quil soit impossible dy parvenir jamais tout à fait.
37. La vénération des icônes.
1. La vénération des icônes et liconoclasme. La vénération des icônes occupe une place de choix dans la piété orthodoxe. Non seulement léglise des orthodoxes en est ornée, mais également leurs maisons. LÉglise a établi des fêtes en souvenir de lapparition de certaines icônes. Lart de licône est une sorte dart tout à fait particulière que lon ne saurait réduire au seul art pictural. Devant licône, on prie, on allume cierges et veilleuses ; par licône, on bénit et, par elle aussi, lon obtient des guérisons et parfois une direction spirituelle.
Au VIIIe siècle, en partie sous linfluence de lIslam, qui considérait quil nest pas possible de représenter le Dieu invisible, la vénération des icônes fut interdite dans lEmpire byzantin et les contrevenants furent persécutés jusquau martyre. Mais au VIIe Concile cuménique la vénération des icônes fut rétablie et lon en a posé les bases dogmatiques.
2. Signification de licône. La représentation du Seigneur Jésus-Christ, de sa très pure Mère, des événements de sa vie et aussi des saints, constitue en premier lieu un aspect de la confession de la foi dans lIncarnation (ce point culminant de la Révélation) et dans la présence véritable de lImage de Dieu en lHomme. Le Fils de Dieu lui-même, Verbe de Dieu, est lImage de Dieu le Père. Mais jusquà lIncarnation, la seule image de Dieu accessible à lhomme était sa Parole ; pour cette raison, seule lÉcriture sainte était vénérée dans lAncien Testament, mais aucune image ne létait.
Lorsque le Verbe se fit chair, lorsque le fils de Dieu devint homme, les hommes purent contempler dans son visage, de leurs yeux de chair, Dieu lui-même et même Le toucher de leurs mains. " Montre-nous le Père, et cela nous suffit ", dit lapôtre Philippe au Seigneur pendant la Cène et le Seigneur de répondre : " Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui ma vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ? " (Jn 14, 8-9). Voir le Seigneur, le toucher, et en lui, voir Dieu lui-même, était le grand bonheur dont parle saint Jean dans les premières lignes de sa première épître (1 Jn 1, 1-4). Cest une petite part de ce bonheur que nous transmet lÉglise en nous autorisant et en nous encourageant à représenter Jésus-Christ.
3. Lart des icônes. Mais ne voyons-nous pas sur les icônes du Seigneur un être humain seulement ? Dieu ne reste-t-il pas invisible pour nous et une icône du Christ nhumilie-t-elle pas Dieu ? Il nen est pas ainsi ; en premier lieu, parce que déjà, dans un portrait ordinaire, lartiste veut saisir et représenter lâme et lesprit de son modèle ; en second lieu, parce que sur les icônes, sous laspect visible de lhomme Jésus-Christ, cest sa personne divine qui est représentée. Et cela nest possible que parce que lart de licône est autre chose que lart du portrait : en effet, ce nest pas un corps ou un visage humain ordinaire que représente licône, mais un corps ou un visage transfiguré, spiritualisé, capable de faire place en lui à la divinité.
Pour cette représentation, ont été élaborés depuis longtemps des canons (règles pour la peinture dicônes) grâce auxquels les traits purement charnels de chacun satténuent, de même que tout ce qui peut dénoncer certains penchants trop humains, tandis quau contraire, apparaît tout ce qui peut refléter la spiritualité. Ces canons nen laissent pas moins à la création personnelle la possibilité de sexercer. La peinture des icônes comporte également ses règles pour la représentation des objets et des paysages.
4. Les icônes et lart profane. Le Fils de Dieu, en sincarnant, a restauré en lhomme limage et la ressemblance de Dieu, car, dans lhomme déchu, limage de Dieu était obscurcie. Cest pourquoi, jusquà lIncarnation, la représentation était indigne de vénération et, par conséquent, la représentation des dieux antiques ne pouvait pas ne pas être en horreur aux chrétiens. Ces représentations reflétaient la nature déchue, corrompue par les passions de lhomme, et lon sait que les dieux païens eux-mêmes étaient, dans une certaine mesure, la personnification des passions humaines.
Néanmoins, il est indéniable que lart antique reflétait également les aspirations élevées de lhomme vers lharmonie et la perfection ; cest pourquoi on peut admettre que le peintre dicônes, et lartiste chrétien en général, aient emprunté certaines formes et certains procédés de lart antique. Lart de licône est, dans un certain sens, un art appliqué ; il sert lart suprême : lart de la vie chrétienne, lart de transfigurer, avec laide de la grâce divine, lhomme lui-même et toute sa vie.
5. Sujets iconographiques. Le sujet par excellence de liconographie est le Seigneur Jésus-Christ. Il est lImage parfaite de Dieu le Père. La Mère de Dieu est, en fait, inséparable du Christ : cest, en effet, grâce à elle que devint possible lIncarnation divine et que, par là-même, lhomme peut représenter Dieu. Nous vénérons les saints dans la mesure où ils " représentent " le Christ. Eux-mêmes deviennent de leur vivant les icônes du Seigneur ; cest pourquoi nous vénérons leurs images. On représente aussi sur les icônes les événements de lhistoire sainte. Le peintre sefforce dexprimer leur signification théologique : ce qui, dans chacun deux, nous annonce le salut non le " climat " historique dans lequel ils se déroulèrent. Cest pourquoi on a pu dire que la peinture dicônes est une " théologie en couleurs ".
Pour que le peintre dicônes puisse réussir son uvre, il doit être soumis avec toute son activité à certaines conditions. Le peintre dicônes doit être orthodoxe et travailler dans la prière et dans les dispositions spirituelles convenables. Nombreux sont ceux, parmi les meilleurs peintres dicônes, qui ont été comptés au nombre des saints.
6. La sainteté de licône. Dans lÉglise orthodoxe, les icônes de la Mère de Dieu jouissent dune force de grâce et dune vénération particulières et cela se comprend car la Très Sainte Vierge est le pont, léchelle qui lie le Ciel invisible et notre monde visible dici-bas. Licône nest pas seulement une image, elle manifeste réellement la présence de Celui qui est représenté. Le VIIe Concile cuménique définit lattitude orthodoxe envers les icônes en spécifiant quil ne sagit pas dun culte dont Dieu seul peut être lobjet, mais dune vénération due aux images du Dieu incarné et de ses saints.
38. La Vénération des Saintes Reliques.
Dans lÉglise orthodoxe existe également une vénération particulière des sainte reliques, cest-à-dire des restes des saints. Il arrive que le corps des saints demeure en bon état de conservation, mais ce nest pas labsence de corruption, dailleurs relative et ne se produisant pas toujours, qui justifie la vénération dont les reliques sont lobjet. La puissance de la grâce qui demeure dans les reliques des saints est un témoignage de la puissance vivifiante du Seigneur lui-même et un signe avant-coureur de la résurrection universelle à venir.
39. Le Jeûne.
Le jeûne est un outil important pour mener à bonne fin la vie spirituelle. Cest le Seigneur lui-même qui nous en a donné lexemple, et après lui nombre de saints, à commencer par Jean Baptiste. Le jeûne est un exercice qui contribue à soumettre le corps et lâme à lesprit et par là, à Dieu. En même temps cest une arme puissante dans la lutte contre Satan. LÉglise a établi des périodes de jeûne avant les Fêtes de Pâques, de Noël, de la Dormition et des saints Apôtres Pierre et Paul, ainsi quà certains autres jours et les mercredis et vendredis.
Les Saintes Écritures et les textes liturgiques, surtout ceux du Grand Carême, nous parlent des qualités que doit avoir le jeûne. Les Saints Pères sy attachent également dans leurs écrits. Il faut jeûner sans le montrer et se garder de toute hypocrisie. Le Christ lui-même nous le dit (Mt 6, 18).
Le jeûne favorise en nous le repentir. Le chrétien doit toujours couper court aux envies mauvaises et aux mauvais élans, avoir de la mesure en toutes choses, maîtriser périodiquement les besoins de son corps et le jeûne laide. Le jeûne nest pas seulement un exercice de continence mais il entraîne aussi aux bonnes uvres. Cest sur ce rôle du jeûne que lÉglise met laccent dans ses hymnes de Carême. Par exemple, " en jeûnant avec notre corps, frères, jeûnons aussi avec notre esprit, détruisons toute alliance injuste... donnons du pain aux affamés et conduisons les mendiants et les sans-abris dans les maisons " (mercredi de la première semaine de carême).
Outre les jeûnes destinés à perfectionner la vie spirituelle, lÉglise a établi le jeûne eucharistique. Ce jeûne, qui sexprime en particulier par une abstinence complète de tout aliment, est destiné à nous rappeler vivement que toute notre vie terrestre est une préparation à la plénitude de la vie des justes. LEucharistie est déjà le début de cette vie nouvelle en union avec le Seigneur et avec tous nos frères en Christ. Cest pourquoi ce sacrement ôte le fardeau du jeûne selon la parole de Jésus-Christ lui-même : " Sied-il aux compagnons de lÉpoux de jeûner pendant que lépouse est avec eux ? " (Mc 2, 19). Mais jusquà ce que nous recevions les Saints Mystères, le jeûne nous est indispensable, car nous sommes dans lattente de celui qui va venir et la soif dune nouvelle rencontre avec lui, non seulement dans lEucharistie, mais aussi lors du Second Avènement.
En nous libérant du jeûne après la Communion, lÉglise fortifie en nous la conscience que lÉpoux, dès maintenant, vient à nous. Lattente dune part, de lautre, laccomplissement déjà commencé, sont inhérents à la nature divine et humaine de lÉglise ; cest ce qui trouve son expression dans sa vie liturgique avec lalternance continuelle entre le jeûne et la joie daprès la Communion.
Les jours de fêtes et le dimanche, cest-à-dire les jours destinés à lEucharistie, qui tombent en période de jeûne, par exemple pendant le Grand Carême, la limitation des aliments continue même après la Communion, mais le jeûne est alors allégé.
Première mise en ligne : 15-12-11.