Pages Élisabeth Behr-Sigel

 

Un prophète orthodoxe, Alexandre Boukharev 1822-1871

par Élisabeth Behr-Sigel

Archimandrite Théodore (Alexandre Boukharev)

 


Tu quitteras ces murs, tu séjourneras
dans le monde comme un religieux.
Fiodor Dostoïevski, Les frères Karamazov.

Deux anniversaires importants pour la théologie orthodoxe, non seulement russe, mais en sa dimension universelle, ont marqué l’année 1971. Il y a un siècle, le 2 avril 1871 – Jeudi Saint de la Pâque orthodoxe –, s’éteignait au terme d’une existence douloureuse mais illuminée par la foi, l’espérance et la charité, le grand théologien russe Alexandre Matvéiévitch Boukharev. La même année – coïncidence qui donne à réfléchir – naissait celui qui sera l’un des principaux promoteurs de la « renaissance » religieuse russe du début du XXe siècle et le représentant le plus marquant de la théologie orthodoxe en Occident dans les années 1920-1940 : Serge Boulgakov (1).

Conduisant d’une foi héritée des « pères » à l’athéisme marxiste, puis de nouveau à l’Église, par une prise de conscience neuve de la foi traditionnelle, l’itinéraire spirituel du père Serge a illustré et confirmé les intuitions du génial précurseur Boukharev. Un examen attentif de la pensée théologique des deux hommes révélerait sans doute de nombreux points communs. Boulgakov n’a pas seulement continué directement la « théologie de la culture » – l’expression est de Basile Zenkovski – inaugurée par Boukharev, mais il partage avec ce dernier – les ayant puisés dans 1e courant de pensée qui dérive de lui – l’aperception des virtualités divines déposées dans la créature, selon la grâce et le vif sentiment de la lumière divine répandue dans le monde. Fondées dans la tradition du Palamisme dont Boukharev est proche, ces intuitions constituent, en effet, l’aspect le plus positif et authentiquement ecclésial – en dehors de toute spéculation hasardeuse – de la sophiologie boulgakovienne et, plus généralement, russe.

* * *

Objet d’appréciations contradictoires, le destin étrange et douloureux de l’archimandrite Théodore – nom monastique de Boukharev – a été maintes fois évoqué par les historiens de la pensée russe. Une biographie objective et exhaustive n’a cependant pas encore paru.

[Élisabeth Behr-Sigel préparait à ce moment-là (1973) sa thèse sur Alexandre Boukharev, qui fut publié sous le titre Alexandre Boukharev – Un théologien de l’Église orthodoxe russe en dialogue avec le monde moderne (Beauchesne, 1977). Le livre contient une biographie et une bibliographie d’Alexandre Boukharev, ainsi des lettres écrites à ses amis. NDLR]

Fils d’un pauvre diacre de campagne, Alexandre Boukharev fit des études brillantes d’abord au séminaire de Tver, puis à l’Académie ecclésiastique de Moscou. Tourmenté par le problème du mal, éclaboussé par le raz de marée hégélien qui, à cette époque, déferle sur la Russie intellectuelle, il se sent dédoublé, déchiré entre les aspirations d’un cœur resté croyant et les exigences d’une intelligence critique. Éclairé par les expériences charismatiques, un intense travail de pensée lui permet, avec l’aide d’un de ses maîtres, le prètre-philosophe Théodore Goloubinski, de recouvrer l’intégrité intérieure. Déjà commence à s’élaborer en lui une pensée de la foi, tout à la fois audacieusement libre et respectueuse du Mystère divin.

Au terme de ses études, sous la pression de son confesseur, le jeune Boukharev prend la décision précipitée de prononcer les vœux monastiques. Remarqué et apprécié par le métropolite Philarète de Moscou, le jeune moine érudit semble promis à une carrière ecclésiastique brillante. On le charge d’un enseignement d’Écriture sainte à l’Académie, tâche particulièrement responsable au moment où les méthodes de la critique historique occidentale pénètrent dans les écoles ecclésiastiques russes.

Bientôt cependant l’indépendance d’esprit de Théodore [son nom monastique] et les manifestations de son intérêt pour la culture séculière – ne prétend-il pas publier une lettre ouverte à Gogol ? – inquiètent ses supérieurs. Aussi l’autoritaire Philarète trouve-t-il sage de l’envoyer « en exil » dans la lointaine Académie de Kazan où il enseignera la théologie dogmatique. Chargé des fonctions d’inspecteur qui le mettent en contact direct avec les séminaristes, l’archimandrite Théodore s’efforce de substituer à une discipline formelle extérieure, un ordre intérieur « selon la liberté des fils de Dieu ». Les difficultés inhérentes à une telle expérience le mettent en conflit avec l’administration académique. On le traite d’illuminé naïf, de « fol en Christ ». Mais par son enseignement et le rayonnement de sa personne, il exerce à Kazan une influence profonde et durable sur certains esprits. Débordant le cadre académique, elle touche le milieu laïc cultivé : Théodore devient l’animateur d’un cercle amical et fervent – « monastère dans le monde » comme il l’appelle – où se côtoient des séminaristes et des étudiants de l’université, des femmes du monde et des institutrices, des propriétaires terriens et de hauts fonctionnaires.

En 1858, Boukharev est nommé membre d’un comité de censure ecclésiastique à Saint-Pétersbourg. Le voilà jeté, du milieu clos de l’Académie, en pleine mêlée idéologique, dans l’atmosphère fiévreuse qui caractérise les premières années du règne d’Alexandre II. Après le silence étouffant imposé par son prédécesseur, c’est l’explosion dans la presse d’idéologies opposées, dans un climat de fanatisme et d’intolérance. Imposée à un homme épris de liberté spirituelle, la charge de censeur s’avère dans ces conditions particulièrement crucifiante. Mais « le principal chagrin » de Théodore est d’assister impuissant au « schisme » de l’intelligentsia qui vide l’Église d’une partie précieuse de sa substance. Consommé au début de la décade 1860, ce « schisme » détache définitivement cette intelligentsia de ses racines spirituelles, l’érigeant en une sorte d’« ordre séculier » athée qui met au service d’une volonté nihiliste de destruction les dévouements les plus authentiques.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer la publication en 1860 de l’œuvre la plus connue de Boukharev : L’orthodoxie en ses relations avec le monde contemporain. Perçu comme un appel à la réconciliation, le livre est fondé sur une vision théologique authentiquement ecclésiale : celle de Dieu-Homme assumant et sanctifiant tout l’humain » hormis le péché », pénétrant de ses énergies aussi ce monde moderne qui est en train de naître et dont les spirituels en s’abaissant vers lui, doivent porter et purifier les obscures aspirations. La pensée de Boukharev est reçue avec sympathie par les milieux proches de l’Académie de Moscou où il répond aux aspirations du jeune clergé instruit. Quelques publicistes libéraux, de même, le saluent avec un enthousiasme auquel se mêlent cependant des malentendus. Ainsi est fournie l’occasion à un journaliste réactionnaire V.I. Askotchanski, qui poursuit l’archimandrite Théodore d’une haine morbide, de se livrer contre lui à une attaque féroce. Traité par son adversaire de traître à l’orthodoxie, abandonné – par prudence ou pusillanimité – de ceux qui auraient pu et dû le défendre, tel le métropolite Philarète, Théodore est obligé de se démettre de ses fonctions et de se retirer dans un monastère à Peréiaslavl. Là lui parvient la nouvelle de la confiscation arbitraire du livre où il voit l’œuvre de sa vie, un Commentaire de l’Apocalypse déjà sous presse et autorisé par la censure.

Se sentant atteint en ce ministère de la Parole divine qui est sa vocation, convaincu « de ne pouvoir et devoir en conscience demeurer plus longtemps en des relations fausses de soumission (à des supérieurs inattentifs à la Parole de Dieu) que lui impose le monachisme », il prend alors la décision de demander sa réduction à l’état laïc. Elle ne signifie à ses yeux aucune rupture avec l’Église où il veut trouver, en communion avec la hiérarchie, une demeure nouvelle. Explicable en partie par les circonstances, cette décision folle, qui consterne ses amis, a des motivations profondes. La rencontre avec une jeune fille « qui le comprend et qui est prête à partager son combat spirituel » ne fait que précipiter une longue maturation. Elle lui permet tout à la fois d’assumer et de dépasser, dans un monachisme intériorisé, les vœux jadis imposés de l’extérieur. En même temps s’impose à lui l’urgence d’un témoignage prophétique alors qu’une catastrophe menace l’Église et avec elle le monde, « à moins que nous ne suivions sans tarder et lucidement le mouvement du Christ descendant sur notre monde visible, sur notre terre de péché et remontant de la terre au ciel toute notre nature humaine ». Mais une chose est de proclamer ces vérités « en théorie », une autre d’en témoigner par une « expérience réellement vécue ». Au matérialisme grossier des nihilistes comme à l’idéalisme verbeux et mystificateur, Boukharev dans ses écrits a opposé le réalisme de l’Incarnation. Ne s’agirait-il pas maintenant non seulement de dire en parole mais aussi par des actes, au prix d’un sacrifice et d’une kénose réels, que « la foi en Christ peut radicalement transformer toutes les relations humaines », y compris « celles du couple dans le mariage » et que la lumière du Dieu-Homme éclaire aussi « le domaine obscur de la sexualité » ? (1bis).

La réduction à l’état laïc de l’archimandrite Théodore a lieu en 1863. Elle le prive aussi de ses grades académiques et de la plupart de ses droits civiques. Plus miséricordieuse que l’état, l’Église bénit son mariage avec Anna Boukhareva.

La destinée ultérieure du théologien sera tragique. Miné par la maladie, il écrit encore quelques livres mais qui n’atteignent guère le public. Les revues théologiques refusent de publier ses articles. Privé de ressources régulières, interdit de séjour dans la capitale, le couple mène une existence difficile, errant d’un gîte provisoire à l’autre. La mort de l’unique enfant sera le coup fatal dont Boukharev ne se relèvera plus. Une lumière émane pourtant de cet homme brisé, mais animé d’une foi indéfectible et rayonnante. Oublié des milieux intellectuels et ecclésiastiques (où l’on tente d’effacer le souvenir du « scandale »), mais entouré de l’affection fervente de quelques « proches », Alexandre Boukharev s’éteint dans le silence en 1871.

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Prophète incompris de ses contemporains, Boukharev fut révélé aux « chercheurs de Dieu » de la Renaissance russe du début du XXe siècle par les études que lui consacra l’historien de l’Académie de Kazan, P. Znamenski (2). Trente ans après la mort du théologien, les patientes investigations de Znaimenski dénudaient les fils du drame dont l’« innocent père Théodore » (3) avait été la fois le héros et la victime. Se détachant sur le fond de son destin tragique, « la figure lumineuse de l’archimandrite Théodore » (3), sa « personnalité d’une pureté enfantine », selon l’expression de Znamenski, fascinèrent les hommes de la « nouvelle conscience religieuse ». Pour ceux qui, comme Rozanov, demeuraient « auprès des murs de l’Eglise » (4), elle signifiait l’espérance d’un nouvel âge spirituel, la voie nouvelle d’un christianisme vécu, en toute sa plénitude divino-humaine, dans le monde et dans la solidarité compatissante avec les enfants de ce siècle.

On sait les espoirs suscités à l’aube du XXe siècle par l’amorce d’un dialogue entre l’intelligentsia russe et des représentants éminents de l’Église orthodoxe, dans le cadre des sociétés philosophiques et religieuses de Petersbourg et Moscou. L’échec (ou le demi-échec) de cette tentative n’en fut que plus douloureusement ressenti et ses conséquences se sont tragiquement inscrites dans l’histoire. En effet, si pour quelques-uns (tels P. Struve, S. Frank, N. Berdiaev, S. Boulgakov), ces conversations furent une étape importante de leur longue marche vers l’Église, elles s’avérèrent dans l’ensemble comme un dialogue de sourds. La religiosité confuse et syncrétique des porte-parole de la nouvelle conscience religieuse devait à juste titre inquiéter les théologiens responsables. Mais à leur tour, ceux-ci se montrèrent prisonniers d’une conception du christianisme unilatéralement ascétique et empreinte d’individualisme piétiste. Aux questions brûlantes des « chercheurs de Dieu » sur la relation entre l’Église et le monde, entre la justice et la vérité dans l’ordre terrestre, ils ne surent répondre – à part quelques exceptions, tel le père Florenski – que par une prédication morale et l’appel au salut par le renoncement au monde et la mortification des passions. Comme le remarque Paul Evdokimov, un « monisme moral » avait remplacé pour eux le réalisme métaphysique des Pères, la contemplation des mystères divins qui transcendent radicalement le plan moral vers « l’ontologie de 1a nouvelle créature » (5).

Ainsi, les représentants de l’institution ecclésiale se montrèrent-ils dans l’ensemble impuissants à comprendre et à assumer – pour la purifier – l’aspiration authentique de leurs interlocuteurs à un christianisme prophétique et mystique, capable d’illuminer de l’intérieur toute la vie, y compris l’activité dans le siècle et d’inspirer des recherches créatrices. D’autant plus attirante et proche apparaissait aux mêmes hommes la figure d’Alexandre Boukharev. Un demi-siècle plus tôt, celui-ci n’avait-il pas tenté de répondre par avance aux questions qui seront au centre des « conversations philosophiques et religieuses », questions sur d’attitude de l’Église à l’égard du monde et de la culture séculière moderne ? Et, en fait, n’y avait-il pas déjà répondu à la fois par son œuvre théologique et par le témoignage de sa vie ? Réalisant avant la lettre, en son existence réelle, le destin prédit par le starets Zosime à Aliocha Karamazov, l’archimandrite Théodore avait quitté le monachisme pour vivre saintement dans le monde. Moine irréprochable – même au témoignage d’un censeur aussi sévère que le fut le métropolite Philarète –, porté par tempérament à la vie contemplative et doué de grâces: mystiques, il s’était senti appelé » dans des circonstances particulières » (comme il le souligne lui-même) à choisir, à la place d’une retraite honorable en quelque monastère, l’opprobre de la réduction à l’état laïc et l’ostracisme social qu’elle impliquait : ceci afin d’être le témoin dans le monde du « Dieu ami de l’homme » – théos philanthropos – et de la tendresse mariale de l’Église envers tous ses enfants. Soumis à la loi de l’Église, solidaire de l’institution historique dont il accepte la sanction, Boukharev savait lucidement opté d’aller dans ,le monde « comme un pécheur sans pénitence », selon sa propre expression, » afin de suivre le Christ en sa descente des cieux vers notre terre enténébrée par le péché ». Posant un acte prophétique et acceptant par son sacrifice personnel d’en payer le prix très lourd, n’avait-il d’avance fermé la bouche à ceux qui accusaient l’Église du Christ d’oublier et de négliger (selon l’expression de Ternavtsev) « la vérité au sujet de la terre »... ?

Parmi les représentants de la « nouvelle conscience religieuse », c’est Rozanov qui s’intéressa le plus profondément à Boukharev et qui s’employa à le faire connaître à un public plus large. Écrivant pour les Temps nouveaux un compte rendu religieux de l’étude de Znamenski, il évoque Boukharev comme » l’un des témoins des plus lumineux » de la pensée théologique russe du XIXe siècle (7). Entré en relation avec Anna Boukhareva, il publia également les lettres où celle-ci répond aux questions qu’il lui a posées sur son mari (8).

C’est dans le contexte de ce printemps éphémère, à la fois fulgurant et inquiétant, de la « renaissance russe » du début du XXe siècle qu’il faut situer l’engouement pour Boukharev d’une intelligentsia en quête de ressourcement spirituel. Ainsi s’explique la réédition, à cette époque, de l’ouvrage le plus connu de Boukharev, L’orthodoxie et le monde contemporain (9), ainsi que la publication posthume de celui qui lui était le plus cher, le Commentaire sur l’Apocalypse (10), longtemps interdit par la censure et enfermé dans les archives d’état.

Cette réhabilitation du penseur par les protagonistes de la » nouvelle conscience religieuse » n’était pas dépourvue, cependant, d’une certaine ambiguïté. Ainsi l’interprétation du destin de Boukharev par Rozanov, essentiellement en fonction des propres préoccupations de ce dernier concernant la sanctification de la chair et de l’éros sexuel risqua-t-elle d’oblitérer la dimension proprement théologique de l’œuvre du premier. En même temps se trouvait faussé le sens de la voie spirituelle signifiée par le retour dans le monde de l’archimandrite Théodore. Profondément et très consciemment enraciné dans le tuf de la tradition doctrinale et spirituelle de l’Una Sancta, animé d’une piété centrée sur la personne divino-humaine de Jésus dont, selon Znamenski, « le nom ne quittait pas ses lèvres », Boukharev n’avait rien du moderniste anarchisant annonciateur d’un règne de l’Esprit – succédant à celui du Christ – tel qu’il pouvait apparaître dans l’éclairage de l’intelligentsia.

Parmi les interlocuteurs ecclésiastiques de celle-ci, le plus capable de comprendre ses aspirations et – doué d’une intelligente sympathie – de respecter ses recherches tâtonnantes, était le père Paul Florenski. Mathématicien émérite, alliant à une vaste culture séculière aussi bien littéraire que scientifique, une formation théologique solide et une spiritualité authentique, il représentait certainement ce nouveau type de penseur chrétien responsable dont Boukharev avait souhaité promouvoir l’avènement, afin de réconcilier l’Église, par un juste discernement des esprits, avec les aspects positifs de la culture moderne. Or, il se trouvait – non par hasard, sans doute – que Florenski était aussi le dépositaire d’une importante correspondance de Boukharev avec des « amis de Kazan ». Ces lettres lui avaient été remises par l’archiprêtre Valérien Lavrski, dernier survivant de ce cercle. Investi de la confiance de celui qui se considérait comme le « fils spirituel » de Boukharev, Florenski avait pris la peine de déchiffrer ces feuillets jaunis, parfois difficilement lisibles. Par la suite, profondément intéressé, il s’était penché aussi sur l’ensemble de l’œuvre de Boukharev, œuvre d’accès difficile, de l’avis de son auteur lui-même, à cause d’» un style rocailleux et embrouillé ». Ayant eu de courage de pénétrer au-delà de cette » écorce rébarbative » jusqu’au noyau de la pensée boukharévienne, il y avait découvert un trésor, ou mieux un germe, une annonce prophétique. Prenait-il conscience, en même temps, du gauchissement que cette pensée subissait dans l’interprétation des nouveaux « chercheurs de Dieu » ? On est en droit de le penser en relisant attentivement la note dont il fait précéder » Les lettres de l’archimandrite Théodore à l’archiprêtre Valérien Lavrski et à son épouse », publiées par ses soins au printemps 1917, à la veille de la Révolution russe, dans le Messager théologique de l’Académie ecclésiastique de Moscou (11). Insistant sur le caractère « prophétique » de Boukharev, le père Florenski semble mettre en garde contre toute interprétation hâtive et trop actuelle de sa personne et de son œuvre. En quelques lignes qui aujourd’hui à la lumière des événements (12), prennent le sens d’un testament spirituel, il lègue aux générations futures la tâche de déchiffrer le sens authentique d’un message encore scellé pour les contemporains

À celui qui se penche sur les différents courants spirituels du XIXe siècle... la haute et noble figure de l’archimandrite Théodore s’impose comme l’un des principes les plus féconds de cette époque de la culture russe. Seulement il s’agissait alors – et il s’agit encore maintenant – d’une apparition prophétique. Je suis convaincu qu’il appartient aux générations futures de découvrir l’archimandrite Théodore et de saisir sous l’écorce quelque peu rebutante de ses ouvrages une pensée qui, au-delà de notre présent, anticipe l’avenir.

* * *

Prophétique, telle apparaît en effet la personnalité de Boukharev, en donnant à ce terme son sens le plus riche et le plus profond, qui est aussi son sens biblique. Le prophète, selon l’Écriture, n’est pas seulement l’homme qui prédit les événements futurs. Décryptant des » signes du temps » selon l’exhortation de l’Évangile (14) reprise par Boukharev, le prophète y lit les logoï divins sur le monde. Il est l’annonciateur, ici et maintenant, de la Parole de Dieu adressée à son peuple, Parole qui est toujours annonce de jugement et de grâce. Surgissant aux époques de crise, c’est-à-dire au sens propre, au moment qui précède le jugement, le prophète de l’Ancien et du Nouveau Testament appelle le peuple élu – ou l’Église – à remettre en question, non son élection et des révélations reçues, mais le système où il s’est englué, aliénant la Parole éternellement jeune en des formes sclérosées, inauthentiques, idolâtriques. Le prophète, pour reprendre les paroles du père Yves Congar, « est l’homme qui s’oppose à ce que le moyen dévie en fin, à ce que la forme extérieure soit cherchée et servie pour elle-même ; qui, sans cesse, rappelle qu’elle a sa vérité plus haut et plus loin qu’elle-même; qui, au-delà de toutes les lettres, dégage ardemment l’esprit » (15). S’inscrivant dans le temps, le message prophétique le transfigure. Transcendant chronos et kairos, pour parler le langage de Tillich, il fait du moment transitoire en son écoulement mortel, l’heure de l’offrande, une révélation de l’éternité.

S’opposant comme événement à l’institution sclérosée, la parole prophétique est parfois considérée comme le signe propre d’une spiritualité issue de la Réforme occidentale du XVIe siècle, qui a retrouvé ses racines bibliques. Absorbée dans une contemplation intemporelle, l’orthodoxie d’Orient serait étrangère au prophétisme. S’en tenir à ce schéma simpliste, c’est ignorer lia tension féconde entre ce que Vladimir Lossky nomme l’économie du Fils et celle de l’Esprit qui caractérise le dynamisme de la vie de l’Église. L’orthodoxie a eu ses prophètes, qui furent souvent des moines, parfois des laïcs, des « pères pneumatophores du désert » aux grands pasteurs de l’Église tels saint Jean Chrysostome ou aux « fols en Christ » russes du XVIe siècle. Dans les temps modernes, un évêque réformateur comme Tikhon de Zadonsk, au « siècle des lumières », Païssii Velitchkovski, promoteur de la renaissance philocalique, saint Séraphim de Sarov et les starets russes du XIXe siècle, apparaissent comme d’authentiques prophètes (16).

C’est dans cette longue lignée du prophétisme orthodoxe que s’inscrit la personnalité originale de l’archimandrite Théodore dont la vénération pour Séraphim de Sarov, héraut du Saint Esprit (non canonisé encore à l’époque de Boukharev), est significative. Animé d’une foi profonde et lumineuse, en même temps ardemment à l’écoute de « l’homme contemporain », Boukharev a appelé l’Église à la découverte de voies spirituelles nouvelles pour répondre aux besoins des temps nouveaux. Mais il le fait dans un esprit de fidélité à la fois absolue et créatrice à l’Evangile et à la tradition catholique de l’Église dont il ne cesse de se réclamer. À ceux qui « calomnieusement le traitent de luthérien » (bien entendu au sens péjoratif donné à ce terme dans les milieux ecclésiastiques de l’époque), il répond que son intention n’est nullement d’abolir « ou d’affaiblir la tradition et les règles ecclésiastiques, mais de les restaurer en leur sens authentique ». Plutôt qu’une réforme au sens occidental de ce mot, son appel vise une résurrection, une nouvelle pentecôte de l’Esprit qui « redonnera vie aux formes antiques » et permettra – par la « vertu » du même Esprit qui créa celles-ci – d’inventer « des formes nouvelles » (17). Veilleur lucide au milieu d’une chrétienté assoupie dans le confort de l’establishment, mais secrètement tremblante de peur, Boukharev appelle les chrétiens à se convertir à l’essentiel. Son appel ne vise ni une réforme ni une révolution, mais une metanoïa créatrice de vie nouvelle.

À l’attachement purement formel à « la lettre qui tue » d’une orthodoxie morte, il oppose « l’esprit et la puissance » – termes qui reviennent constamment sous sa plume – d’une orthodoxie authentique qui est « juste glorification », communion spirituelle aimante et intelligente par la méditation des dogmes et des rites de l’Église au mystère du Dieu-Homme. Il est caractéristique de son inspiration que celui de ses ouvrages qui apparaissait le plus révolutionnaire, L’orthodoxie et le monde contemporain, s’ouvre par une série de méditations « sur les douze grandes fêtes de l’Église ».

Comme le montre l’auteur, ces fêtes actualisent liturgiquement et iconographiqueiment l’histoire évangélique du Christ comme révélation et réalisation du destin éternel de l’Amour trinitaire. Telle est la lumière, la lampe dont l’huile ne manquera point, qui guide la Fiancée à travers la ténèbre des temps, vers celui qui vient. Cette attente et cette lumière surnaturelle semblent faire du chrétien, comme le dit l’Écriture, un étranger et un pèlerin sur la terre. Mais en même temps, elles l’unissent à la terre, à ce monde que « Dieu a tant aimé » et à tous les hommes, ses frères, d’une profonde et aimante solidarité. Pris dans les mailles de l’agapé divine, il se sait uni et à tout et à tous, solidaire de toute l’histoire humaine, de tous ceux qui cherchent, qui peinent, qui souffrent et qui pèchent. En cela réside le paradoxe de toute vie chrétienne authentique, mais en lumière par Boukharev. Orientée au Royaume de Dieu, elle sera signe eschatologique tout à la fois par un certain style de détachement libérateur – la mort au monde en Christ – et par une certaine forme de présence du monde, aimante, transfigurante et pleine de compassion pour la création » en travail d’enfantement des fils de Dieu » (Ro 8,22).

Un article de Boukharev écrit à l’époque où, censeur ecclésiastique, il se trouve au centre des luttes idéologiques de sa génération, porte ce titre significatif : « Pèlerins » (18). Il y évoque trois hommes dont l’influence sur sa vie fuit déterminante et en lesquels s’incarne pour lui « l’authentique esprit de pèlerinage » qui doit imprégner toute vie chrétienne. Le premier de ces hommes est son propre père, l’humble diacre de village qui, tout en accomplissant pieusement les devoirs de son ministère ecclésiastique, cultivait la terre comme un simple paysan afin de nourrir sa famille. Le second est un artisan villageois sans instruction mais rayonnant de foi, auprès duquel les « pauvres moujiks » cherchent aide et consolation. Le troisième est le savant prêtre-philosophe Théodore Goloubinski qui aida le jeune séminariste à retrouver la foi et l’intégrité intérieure.

Le trait commun à ces trois êtres si différents est une foi lumineuse unie à une vigilante fidélité aux humbles tâches terrestres que transfigure leur compassion. Tous trois, au regard de Boukharev, accomplissent un véritable « sacerdoce dans le monde », sacerdoce uni pour deux d’entre eux au ministère ecclésiastique, mais qui dépasse celui-ci. « Marchant à la lumière de la Vérité », établis par la foi « durant leur humble pèlerinage terrestre dans la demeure du père céleste » ils connaissent par expérience cependant, comme l’écrit Boukharev au sujet du père Goloubinski, les difficultés inhérentes au pèlerinage terrestre. Aussi » ne les considèrent-ils pas avec mépris, mais dignes de la plus grande compassion ». Ainsi Goloubinski, qui domine la pensée philosophique de son temps, ne dédaigne-t-il pas de dialoguer avec l’étudiant en proie au doute et de se charger, en quelque sorte, du péché de ce doute, en le portant devant Dieu,dans sa prière d’intercession : au terme de leur entretien, le séminariste voit le vieillard prier devant les icônes dans la pièce voisine. Par la suite, « l’étudiant retrouve la foi, la grâce ayant touché sensiblement son cœur et son esprit » (19).

Interprété sur un plan strictement psychologique, le récit serait banal. Mais il possède visiblement pour son auteur une signification ontologique et spirituelle. À travers la simple humanité de ces trois figures paternelles transparaît pour lui la face de celui qui est par essence le Compatissant. L’humain perçu par le regard de la foi comme transparent au divin, l’homme porteur des énergies du Dieu-Homine par la communion au mystère de l’Amour Divin compatissant, ces thèmes traversent toute l’œuvre et toute la vie de Boukharev. Ils constituent de fondement de son message prophétique. Comme beaucoup de penseurs originaux, Boukharev, au fond, n’a prononcé, sous des formes diverses, qu’une seule parole. Ou plus exactement, il a appliqué une intuition unique, mais d’une richesse inépuisable, à tous les aspects de la vie et de la pensée, à la solution de tous les problèmes qui se sont présentés à lui au cours de son existence. Cette intuition, autour de laquelle tout s’ordonne, qui fût le centre dynamique d’intégration de sa culture philosophique et théologique comme des expériences de toute sa vie, c’est la vision évangélique et paulinienne du Christ kénotique, du Fils de Dieu, image substantielle du Père, qui voulut être le Fils de l’Homme, le frère de l’Homme. Elle n’apparaît point pourtant comme le fruit seulement de ses investigations scripturaires ou de sa réflexion théologique, bien qu’elle ait été enrichie par celles-ci. Jaillie de la foi du simple peuple russe, elle lui fuit transmise par son père.

Quand, malade, se sachant condamné, au cours d’une longue agonie il tente de remonter vers cette source oubliée dont le murmure accompagne toute existence, Boukharev a évoqué, ou plutôt il a revu son père se penchant pour le consoler, vers le petit enfant qu’il avait été. Puis, il se rappelle un entretien qu’il eut avec ce père « qui parlait à son fils comme à un égal, à un ami. ».

« Dieu défend les pauvres, n’est-ce pas, père ? », demande gravement l’enfant. « Est-il donc pauvre lui-même ? » Le père lui explique alors que « Dieu est riche », qu’« il est le créateur et le maître de toutes choses », mais qu’il s’est fait pauvre par amour des hommes. « Dieu, par amour pour nous, pauvres pécheurs, est venu visiblement sur terre. Il s’est fait homme : il a été un petit enfant. Il a réellement pris sur lui tous nos malheurs et surtout le pire de tous : notre péché. Il les a pris sur lui, les faisant siens... C’est comme si, regardant par la fenêtre, tu voyais dans la rue un homme qui chancelle et succombe sous un fardeau trop lourd pour lui. Mais toi, tu es assez fort pour soulever le poids. Alors tu te précipites vers le malheureux, tu charges tes épaules de son fardeau comme s’il était tien. Tel est l’amour de Dieu pour ceux qui ont besoin de lui » (20).

Exprimée dans le langage imagé du simple peuple russe, telle est l’intuition de l’amour divin kénotique qui se trouve à l’origine, au témoignage de Boukharev lui-même, de sa théologie. L’essentiel de son message, en effet, est en germe dans cette vision d’un Dieu compatissant qui prend sur lui le fardeau de l’homme, qui s’abaisse vers l’homme pour que celui-ci puisse se relever, d’un Dieu qui, en Christ, se charge de tout l’humain (« hormis le péché » ajoutera le théologien), et dont la force, celle de l’amour oblatif et sacrificiel, éclate en cet abaissement ineffable.

Comme un écho à cette première initiation reçue par l’enfant, voici comment le théologien, parvenu à la pleine maturité, résumera sa vision panchristique du monde : « Savez-vous quelle est la pensée qui me hante en mes entretiens avec vous ? C’est celle de Dieu s’abaissant et se répandant sur tout ce qui est humain, terrestre, et de l’humanité terrestre s’élevant progressivement vers Dieu, l’un et l’autre selon la grâce du Dieu-Homme qui, ayant assumé le fardeau de tout le mal humain, répand aussi de sa propre plénitude tous biens sur l’humanité » (21).

Vision teilhardienne, mais dont le centre de gravité se situe non en l’éros humain, mais en la révélation d’un Dieu qui se donne et dont l’amour généreusement miséricordieux meut et soulève la lourde pâte de l’humanité. En Christ l’amour divin exauce l’aspiration de la création, le désir humain en sa dimension à la fois cosmique et historique. Le Verbe de Dieu se fait chair, s’assimile, se donne et s’abandonne à la mort de la croix. Mais par la puissance de cet amour kénotique, l’humanité se trouve entraînée en lui, à travers lui, par le don de l’Esprit dans sa montée vers le Royaume du Père.

Telle sera en substance toute la théologie de Boukharev en germe dans l’initiation reçue de son père. Intériorisée et approfondie au cours d’une progressive maturation, cette vision initiale deviendra pour Boukharev la clé d’un déchiffrement opératoire de la situation historique – celle de l’Église russe au milieu du XIXe siècle et, en ce contexte de sa propre destinée. Son audace prophétique, où l’on retrouve l’esprit des Pères, consistera en cette application d’une théologie mystique aux réalités concrètes, historiques de l’existence. Levant le regard intérieur vers la vision de sa jeunesse, il percevra l’appel à une kénose personnelle. Elle sera « folie » aux yeux du monde et « scandalisera » les docteurs de la Loi. Mais, ainsi que l’écrit Paul Evdokimov, la folie que l’on a reprochée à Boukharev « était fondée sur les promesses de l’Évangile, réalité ultime de toute intelligence renouvelée en Christ » (22).

« Heureux si l’on vous insulte, si l’an vous persécute, si l’on vous calomnie de toutes manières à cause de moi » (Mt 5,11). « Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 25).

Comme en écho à ces paroles scripturaires « de peur de scandaliser ceux qui repoussent le scandale de la croix », écrit l’archimandrite Théodore, eu moment où il décide d’aller dans le monde, « me détournerai-je de la croix de Jésus-Christ ? » (23).

Contacts, Vol. 25, No 81, 1973.


NOTES

(1) Serge Boulgakov (1871-1944). Fils d’un prêtre orthodoxe, Serge Boulgakov perdit la foi à la suite d’une première crise spirituelle qui l’amène à adopter les positions du matérialisme marxiste. 11 revient à l’Église au terme d’un long cheminement Intérieur. Ordonné prêtre en 1918. il est expulsé d’Union soviétique en 1922, s’installe à Prague puis à Parle où, à partir de 1924. il enseigne la théologie à l’institut Saint-Serge. Il participe activement, entre les deux guerres, au mouvement œcuménique. Il a laissé une ouvre théologique importante dont une partie seulement [en 1973] a été traduite en français : L’Orthodoxie (Paris 1932, réimpression en 1958 par les éditions Enotikon), ainsi que l’importante trilogie Du Verbe incarné, Le Consolateur, L’Épouse de l’Agneau. Trad. fr. des deux premiers vol. Paris, Aubier, 1943 et 1946. Au sujet du père Boulgakov, cf. Basile Zenkovskl Histoire de la philosophie russe, v. II, pp. 456 ss., Paris, 1955 ; Paul Evdokimov, Le Christ dans la pensée russe, pp. 179-194, Paris 1970 ; Le Messager (Vestnik), no spécial 101-102, Paris – New-York, 1971.

(1bis) Toutes nos citations sont tirées de la correspondance de Boukharev avec V. V. Laurski.

(2) P. Znamenski, Les polémiques théologiques des années 1860 sur la relation de l’Orthodoxie avec le monde contemporain, Kazan, 1902 (en russe).

(3) Nom et titre monastique d’Alexandre Boukharev.

(4) Auprès des murs de l’Église est le titre d’un important recueil d’articles de V. Rozanov (Saint-Petersbourg, 1906).

(5) Paul Evdokimov, Le Christ dans la pensée russe, pp. 126-127.

(7) Auprès des murs de l’Église, (en russe), tome II, p. 24, Saint-Petersbourg, 1906.

(8) Ibid. pp. 39-47.

(9) Saint-Petersbourg, 1906. 1re édition : Saint-Petersbourg, 1860.

(10) Serguiev Possad, 1916.

(11) Messager théologique, avril-mal 1917, pp. 525 sq. (en russe).

(12) Demeuré en Union Soviétique, le père Paul Florenski disparut au cours des purges staliniennes, vers 1940. Ses écrits postérieurs à la Révolution n’ont pu être retrouvés et l’on peut craindre qu’ils aient été anéantis.

(14) Luc 13,54-58 ; Mt 16,1-4.

(15) Y. Congar, « Vraie et fausse réforme dans l’Église », Unam Sanctam XX, p. 196 ss, 1960.

(16) Élisabeth Behr-Sigel, « Les startsi russes », Concilium, 37, 1968, p. 55.

(17) Lettre à Lavrski.

(18) Reprenant le même thème, Florenski parle de « la blessure d’une amoureuse pitié pour la créature... pour tout ce qui vit » qui, selon lui, caractérise le véritable chrétien. P. Florenski, La colonne et le fondement de la vérité, Moscou, 1914, p. 288 [aussi en français].

(19) » Stramiki » (pèlerin) in : Stramik, No 1, Saint-Petersbourg, 1860, pp. 1-11.

(20) A. Boukharev, » Matériaux pour une biographie », in Svobonaïa Sevèst I, 15, Moscou, 1906.

(21) Lettre à Lavrski.

(22) Paul Evdokimov, Le Christ dans la pensée russe, p. 89.

(23) Lettre à A.V. Gorskl (juin 1862) In Smirnov, Histoire de l’Académie de Moscou (en russe), Moscou, 1879, 628 notes.

 


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Dernière mise à jour : 20-12-06