Pages Élisabeth Behr-Sigel

 


Élisabeth Behr-Sigel fut la « grande dame » de l'Orthodoxie en Occident au XXe siècle. Née en Alsace en 1907, Protestante d'origine, elle prit contact avec l'Orthodoxie en 1926 et devint Orthodoxe en 1932. Théologienne, conférencière, écrivain, participante à l'histoire de l'Orthodoxie en France pendant plus que 70 ans,  elle enseigna à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et à l'Institut catholique de Paris. Elle est décédée à Paris le 26 novembre 2005 à l'âge de 98 ans.

Nous recommandons la biographie d'Élisabeth Behr-Sigel par Olga Lossky : Vers le jour sans déclin : Une vie d'Élisabeth Behr-Sigel (1907-2005), Cerf, 2007.


UNE FEMME ENGAGÉE AU CŒUR DE SON ÉPOQUE par Olga Lossky
MON ITINÉRAIRE par Élisabeth Behr-Sigel
HOMMAGE À ÉLISABETH BEHR-SIGEL (ici-bas)
BIBLIOGRAPHIE - APERÇU DE L'
ŒUVRE LITTÉRAIRE
     D'ÉLISABETH BEHR-SIGEL
par Paul Ladouceur

TEXTES D'ÉLISABETH BEHR-SIGEL :

UN PROPHÈTE ORTHODOXE, ALEXANDRE BOUKHAREV 1822-1871
L’EXPÉRIENCE DE L'ESPRIT SAINT DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE
LA PRIÈRE D’INTERCESSION
POUR UN TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN RENOUVELÉ
VIVRE LES FÊTES RELIGIEUSES DANS UNE SOCIETE LAÏQUE
LA SIGNIFICATION DU MINISTÈRE et LES LAÏCS DANS L’ÉGLISE
LES ORTHODOXES DANS LE MOUVEMENT ŒCUMÉNIQUE
L’ORTHODOXIE ET LES FEMMES EN FRANCE

LA PRIÈRE DE JESUS : LE MYSTÈRE DE LA SPIRITUALITÉ ORTHODOXE
LE CHEMIN SPIRITUEL DE SAINT SÉRAPHIM
LA CRISE ET LE DÉNOUEMENT : L'ITINÉRAIRE
    DU PÈRE LEV GILLET VERS L'ÉGLISE ORTHODOXE

L'AMI DE MÈRE MARIE (PÈRE LEV GILLET)
MÈRE MARIE ET LE PÈRE LEV GILLET
POUR LE 20e ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE MÈRE MARIE (1981-1945)
HOMMAGE DE L'ORTHODOXIE À SES EXILÉS
SAINTE JULIANA LAZAREVSKAÏA


Mémoire éternelle !


A REAL CHURCH LADY by Jerry Ryan
FLASH-INFO : PARIS – DÉCÈS D'ÉLISABETH BEHR-SIGEL (SOP)
IN MEMORY – ELISABETH BEHR-SIGEl - St. Nina Quarterly
ÉLISABETH EST NÉE AU CIEL par Père Boris Bobrinskoy
SOUVENIR D’UNE MÉMOIRE TOUJOURS VIVANTE par Olga Lossky

TÉMOIGNAGE : Olivier Clément
TÉMOIGNAGE : Véronique Lossky
TÉMOIGNAGE : Diacre Nicolas Lossky
TÉMOIGNAGE : Anne-Marie Graffion
« RENDRE SON ÊTRE PERMEABLE AU CHRIST » Entretien avec Olga Lossky
ÉLISABETH BEHR-SIGEL, THEOLOGIENNE
DE L’ÉGLISE ORTHODOXE - Le Monde, 4 décembre 2005

IN MEMORIAM - ÉLISABETH BEHR-SIGEL par père Michel Evdokimov
IN MEMORIAM - ÉLISABETH BEHR-SIGEL par Olga Dard-Catoire
ELISABETH BEHR-SIGEL (1907-2005) by Marcus Plested


Élisabeth Behr-Sigel


TÉMOIGNAGES ET HOMMAGES

A REAL CHURCH LADY

by Jerry Ryan

Last spring, I finally got to meet Elisabeth Behr-Sigel. At ninety-six, she is the undisputed "grandmother" of Western Christian Orthodoxy and one of its foremost theologians. We had been corresponding for years, yet when she arrived from Paris to deliver a lecture at Boston's Hellenic College, she appeared more frail and diminutive (she is 4' 9") than I had anticipated. Her moral stature is something else, yet her mischievous, self-effacing smile immediately puts you at ease.

Behr-Sigel converted to Orthodoxy when she was twenty-four, but only after she had been one of the first women admitted to advanced theological studies by the Protestant faculty at the University of Strasbourg and the first woman authorized by the Reform Church of Alsace-Lorraine to exercise pastoral ministry.

The Orthodox community which received her--she married an expatriate Russian engineer--was an extraordinary group, composed of immigrants who had been thrown into an entirely foreign culture and context. Freed from the constraints of Russian Orthodoxy's relationship with the state, "Western Orthodoxy" was an idea that began to take shape there.

Behr-Sigel was in the middle of it. She wrote a doctoral thesis on Alexander Bakharev (1822-71), a prophetic figure whose conviction that Orthodoxy should break out of its ghetto mentality cost him his teaching position and led to the proscription of his writings. Behr-Sigel went on to teach at the new Institute of Saint Serge in Paris, and at the Catholic University. Her spiritual father was Lev Gillet (1893-1978), whose major writings appeared under the pseudonym "A Monk of the Eastern Church." She chose that title for her monumental biography of him. With Olivier Clement, she edited, and still edits, Contacts, a review that publishes the best of Western Orthodox theology and spirituality. She was also a close friend of Mother Marie Skobstova (1891-1945), whose efforts on behalf of French Jews led to her death in a Nazi concentration camp.

One of Behr-Sigel's major, ongoing efforts has been to reexamine the role of women in Orthodoxy. Without stridency, she requests a soul searching: Why are women not allowed behind the Royal Doors in the sanctuary? When a male child is "churched," why is he brought into the sanctuary, but a female is not? Why were women traditionally considered impure for forty days after child birth and forbidden to receive the Eucharist? Given such practices, one can imagine the opposition any suggestion that women be allowed to participate in the ministerial priesthood might raise. Yet Behr-Sigel has asked Orthodoxy to consider these issues--and she has been heard. She sees women's rights and egalitarian roles as a cultural phenomenon the church must acknowledge if it is to address the modern world. Nor is the Holy Sprit to be limited by confessional boundaries, she insists. Thus, the ordination of women in other confessions will pose critical ecumenical questions for Orthodoxy, as eucharistic communion among Christians will be definitively compromised if these ordinations are an aberration.

Behr-Sigel's approach to these "hot potato" issues (as she calls them) is consistent with her theology and spirituality. Rather than attack the tradition of the church, she uses what is most venerable and basic in it to bolster her arguments. For example, Orthodox spirituality is centered on the Resurrection, and the great witnesses to this event are Mary of Magdala and the myrrh-bearing women. There is also the theological anthropology of the church fathers, which proclaimed the equality of men and women together as images of God, and the theme of the royal priesthood of all the baptized, who "make" the Eucharist along with the celebrant.

She has also proposed a creative revival of the order of deaconesses that once existed in the Eastern Church. Deaconesses ministered primarily to women, and their role was catechetical and philanthropic. Furthermore, Behr-Sigel urges that the role of priests' spouses in the life of the parish be recognized, dignified, and sacramentalized.

Behr-Sigel is no longer alone in her concerns. In recent years there have been a number of international congresses of Orthodox women to discuss such issues and to make recommendations. Still, her prestige and experience have made her the anchor and natural spokesperson for these groups. While the results have not been spectacular, they are encouraging. Whereas the Catholic Church recently closed the book on any discussion of the ordination of women, Orthodoxy is listening and thinking. In part, that is because of Elisabeth Behr-Sigel. Future generations may well see in her one of the great figures of our time.

Commonweal, January 16, 2004.
Jerry Ryan, a previous contributor on ecumenical
matters, lives in Chelsea, Massachusetts.


FLASH-INFO : PARIS –
DÉCÈS D'ÉLISABETH BEHR-SIGEL (SOP)

Élisabeth BEHR-SIGEL, théologienne orthodoxe française, est décédée, dans la nuit du 25 au 26 novembre, dans son appartement d'Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), près de Paris, à l'âge de 98 ans. Participante et observatrice de l'histoire de l'orthodoxie en France depuis presque quatre-vingts ans, elle a publié de nombreux articles et plusieurs livres portant sur la théologie, l'histoire et la spiritualité de l'Église orthodoxe, dans lesquels elle s'efforcait de provoquer un dialogue constant entre l'orthodoxie et la modernité. Très engagée dans le mouvement oecuménique, elle-même venue à l'orthodoxie du protestantisme, elle a également été la vice-présidente orthodoxe de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) de 1982 à 1991. " C'était un témoin d'une orthodoxie profonde et libre, un témoin de l'événement qu'est la vie de l'Église plus que de l'institution ecclésiale, une femme qui a eu le courage d'exprimer et de témoigner ses convictions profondes, allant jusqu'à toucher certains tabous ", devait déclarer au Service orthodoxe de presse, le père Boris BOBRINSKOY, doyen de l'Institut Saint-Serge et recteur de la paroisse française de la crypte de la Sainte-Trinité, à Paris. "Elle reste pour tous un exemple, une voix courageuse, ramant souvent à contre-courant ", devait-il encore rappeler, qu'il s'agisse de son engagement dans toutes les dimensions du mouvement oecuménique ou encore de son thème de prédilection, le rôle de la femme dans l'Église, un thème au demeurant " fondamental ". Les obsèques d'Élisabeth BEHR-SIGEL devaient être célébrées dans sa paroisse de la crypte de la Sainte-Trinité, le mercredi 30 novembre.

Élisabeth BEHR-SIGEL est née le 21 juillet 1907, à Schiltigheim, près de Strasbourg (à l'époque sous occupation allemande), d'un père alsacien protestant et d'une mère juive originaire d'Europe centrale. Après ses études secondaires, elle prépare une licence en philosophie à l'université de Strasbourg, puis une licence en théologie à la Faculté libre de théologie protestante de Paris, qu'elle complétera plus tard, en 1976, par une thèse de doctorat soutenue à l'université de Nancy II sur Alexandre Boukharev, un théologien russe de 19e siècle. C'est à la fin des années 1920, pendant ses études, qu'elle découvre la pensée orthodoxe, puis prend contact avec les milieux de l'émigration russe où elle rencontre une orthodoxie à la fois "ouverte à la pensée occidentale et ouverte au dialogue avec les autres Églises chrétiennes". Elle se lie alors d'amitié avec Paul EVDOKIMOV, Vladimir LOSSKY et les frères KOVALEVSKY. "Laissant entrevoir un dépassement possible de l'antinomie dont le christianisme occidental me paraissait prisonnier – la "sobornost" orthodoxe russe m'enchantait. Plus profonde encore fut l'impression sur moi de la veillée pascale orthodoxe à laquelle mes nouveaux amis m'entraînèrent. Inlassablement repris par le prêtre, le choeur et les fidèles, la jubilation pascale : 'Le Christ est ressuscité... en vérité, il est ressuscité !' – inonda mon coeur de joie. La lumière de la Résurrection dissipait toutes les ténèbres", devait-elle raconter dans l'avant-propos de son dernier livre, Discerner les signes des temps (Cerf, 2002).

SERVICE ORTHODOXE DE PRESSE


IN MEMORY – ELISABETH BEHR-SIGEL

St. Nina Quarterly

We just received the sad news from her grandson that Elisabeth Behr-Sigel passed away peacefully in her sleep on November 26, 2005.

Elisabeth Behr-Sigel has been referred to as a “mother of the Church” in and for our time. Born in 1907, she was a living memory of the Church in the 20th century. Baptized into the Protestant Church, Madame Behr-Sigel heard the call to follow Jesus at an early age. She followed this call and was one of the first women students of theology in France, graduating from the University of Strasbourg. After graduation she served as the pastor of a country parish in the Reformed Church for one year.

During her studies she had discovered Orthodoxy through her friends and colleagues of the Russian emigration—Metropolitan Evolgy, Frs. Sergius Bulgakov and Lev Gillet, Mother Maria Skobtsova, Vladimir Lossky, and Paul Evdokimov. Elisabeth was especially enchanted by the vision of Church as unity in communion—”a community of men and women…joined in joy and peace of the Holy Trinity.” This introduction eventually led her to embrace the Orthodox Church.

Throughout her lifetime, Madame Behr-Sigel served the Church in many capacities. She was an instructor of theology at St. Sergius Orthodox Theological Institute in Paris and for many years was a theological consultant to the assembly of Orthodox bishops in France. She was also on the Honorary Advisory Board of the St. Nina Quarterly.

In 1976 Madame Behr-Sigel was called to give the keynote address to the first international gathering of Orthodox women at Agapia Monastery in Romania. She was a key presenter at many of the subsequent international gatherings of Orthodox women and continued to reflect on and re-evaluate the place of women in the Church to the end of her life.

May her memory be eternal.

The St. Nina Quarterly


ÉLISABETH EST NÉE AU CIEL

par Père Boris Bobrinskoy

http://j.malliarakis.free.fr/special/pboris051128.html

Il est difficile de s'habituer à l'idée qu'Élisabeth (Behr-Sigel) n'est plus avec nous, si grande et réelle était sa présence. Tristesse et émotion légitime de la séparation avec une grande et fidèle amie ; mais paradoxalement, joie intérieure et gratitude quand je passe en rétrospective toutes ces années où elle nous a marqués de sa personnalité hors pair. Refusant les compromissions, réagissant contre les lourdeurs de nos institutions, rappelant l'exigence de vérité et de transparence de l'Évangile, Élisabeth était profondément ouverte et attentive au dialogue œcuménique avec nos frères chrétiens, et non moins au dialogue interreligieux avec nos frères juifs descendant comme nous de la lignée d'Abraham.

Nous lui devons beaucoup dans notre prise de conscience de notre vie ecclésiale orthodoxe ici en Occident. L'Orthodoxie française fut une de ses préoccupations majeures, qu'elle partageait avec le Père Lev Gillet, ce « moine de l'Eglise d'Orient » auquel elle consacra une monographie monumentale.

Une biographie d'Elisabeth est en préparation. Nous en attendons la parution avec impatience, car nous y trouverons certainement le testament spirituel par lequel, dans l'obéissance à l'Esprit Saint, Élisabeth parle aux Églises de notre temps. Que le Seigneur l'accueille dans les demeures radieuses de son Royaume.

à paraître dans le Bulletin de la Crypte N° 338 décembre 2005.


SOUVENIR D’UNE MÉMOIRE
TOUJOURS VIVANTE

par Olga Lossky

Lorsque j’ai appris la mort d’Élisabeth, je m’apprêtais à partir déjeuner chez elle comme j’en avais pris l’habitude presque chaque samedi depuis une année. Mes visites avaient pour but de recueillir les souvenirs de la doyenne de l’Orthodoxie en France, dont l’impressionnante mémoire évoquait quatre-vingt dix-huit années de vie avec une exactitude peu commune.

Tassée dans son fauteuil, un verre de porto à la main, la frêle silhouette semblait échapper à l’emprise du temps. Dans le petit deux pièces de la banlieue nord qui domine la Seine et les barres d’immeubles, la voix enjouée d’Élisabeth faisait prendre vie aux portraits alignés sur ses rayonnages d’étagère : son grand-père Eugène Sigel en tenue de soldat de la guerre de 70, Paul Evdokimov et Vladimir Lossky : les jeunes gens russes rencontrés dans le Paris des années 30, son mari André Behr, émigré de cette Russie qu’elle affectionne, le père Lev Gillet ami passeur entre tradition d’Occident et d’Orient… Tant d’autres figures encore, dont la voix pleine d’assurance dessine le contour précis. Des photos de famille annuelles aussi, accrochées avec amour, où les descendants s’étoffent au fil des générations.

Les reproductions prennent appui sur des centaines de livres en rang serré, la reliure fatiguée d’avoir été tant sollicités.

« Cet appartement est un véritable estuaire », aimait à répéter Élisabeth en désignant les rayonnages saturés, le bureau disparaissant sous une mer de revues, de lettres, de journaux. Sous les meubles des liasses d’archives témoignent d’une vie consacrée à penser, dialoguer, écrire. À témoigner de sa foi dans le Christ ressuscité non comme une belle idée abstraite mais bien comme l’expérience vécue de la présence de Dieu, qui transfigure les difficultés et les doutes d’un quotidien parfois lourd à assumer.

Ce samedi-là, ce n’est guère la figure hiératique de la théologienne, que l’on évoque dans le salon d’Épinay, en compagnie des petits enfants et de la réserve de vin rosé découverte dans la cuisine. Des souvenirs hauts en couleur de la Babou surgissent. On vient de retrouver le permis de conduire qu’elle a fait refaire à 90 ans, à l’insu de tous, pour conserver sa farouche indépendance. Sur la photo d’identité, les yeux pétillants de malice fendent le visage au front large et plissé d’une mer de petites rides. Ses proches évoquent les habitudes attachantes d’une grande intellectuelle – grande sportive, aussi – peu attentive aux réalités matérielles et cependant curieuse de tout, présente pour chacun. La venue de la voisine juive, qui a tenu elle aussi à prier auprès d’Élisabeth, symbolise toute une vie consacrée à rapprocher les croyants de toutes les traditions dans l’amour du même Dieu.

Dans la chambre attenante, la théologienne repose paisiblement sur son lit. Il semblerait qu’elle se soit endormie là, l’avant-veille au soir, dans sa lecture quotidienne de « La Croix », avant de glisser dans la mort. Elle rentrait à peine d’un déplacement en Grande-Bretagne où elle avait été conviée à Oxford pour une conférence sur le père Lev Gillet. Jusqu’au dernier instant, elle aura pu se consacrer à sa vocation de témoin du Christ, à travers la figure rayonnante du père Lev qu’elle s’est attachée à faire connaître. Le moine de l’Eglise d’Orient et l’ancienne luthérienne avaient en commun le souci de rendre la Tradition toujours plus vivante pour que chacun puisse s’y sentir personnellement appelé à suivre le Sauveur. Si Élisabeth a estimé trouver dans l’Église orthodoxe le lieu d’épanouissement de sa foi, elle fut cependant un aiguillon inlassable pour faire évoluer les faiblesses humaines de l’institution, comme en témoigne son engagement sur tous les fronts : l’église locale, le dialogue œcuménique, la place de la femme dans la communauté…

Au matin du dimanche, alors que nous quittons l’appartement tapissé de livres pour nous rendre à la Liturgie, nous avons le sentiment que la présence vivante d’Élisabeth nous accompagne. L’expérience du Royaume de Dieu qu’il nous est donné de faire par l’Eucharistie, trop vite enfouie sous les mille sollicitations de notre vie encore terrestre, la théologienne y participe désormais en plénitude.


TÉMOIGNAGE : Olivier Clément

Élisabeth Behr-Sigel est une des figures les plus marquantes non seulement de l’Orthodoxie française mais des Français devenus orthodoxes.

Née dans l’Alsace encore allemande d’un père protestant et d’une mère juive venue de Prague, elle s’engagea sans retour dans une voie chrétienne avec le désir de servir l’Église. Inscrite à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg où elle rencontra entre autres le futur P. Louis Bouyer. Ses diplômes acquis elle fut chargée, sans avoir reçu d’ordination pastorale, d’une sorte de suppléance dans une paroisse vosgienne. Quand survint l’émigration russe, elle découvrit l’Orthodoxie et adhéra à cette Église dans laquelle elle se maria, puis fit baptiser ses enfants. Elle participa ainsi à la naissance d’une Orthodoxie francophone autour du P. Lev Gillet dont elle fut une disciple enthousiaste et fidèle.

À Nancy d’abord, à Paris ensuite, elle joua un rôle grandissant dans la pensée orthodoxe de langue française, fécondée par la philosophie religieuse et la grande théologie russes. Elle connut ainsi un Berdiaev et un Boulgakov, elle consacra un ouvrage à la sainteté dans l’Église russe et un autre à un grand penseur religieux de la Russie du XXe siècle, Alexandre Boukharev. Ainsi elle parvint à unir le sens mystique à l’engagement au cours de la modernité comme le faisait Boukharev et les grands philosophes religieux russes. Elle s’intéressa particulièrement à la condition féminine dans notre Église et bien au-delà. Elle consacra au P. Lev Gillet, 10 ans après la mort de celui-ci une biographie à la fois rigoureuse, bien documentée et d’une extrême ferveur.

J’ai noué avec elle, dès ma conversion, une amitié profonde car nous partagions les mêmes exigences unir la tradition et la modernité, intégrer pleinement les femmes dans l’Église et favoriser le dialogue œcuménique.

Elle resta toujours en dialogue avec les grands théologiens protestants et catholiques et avec les femmes nombreuses qui s’inspiraient de son « féminisme spirituel » pour converger avec celui-ci.

Intelligente et dévouée, elle anima ces dernières années un cercle orthodoxe consacré à la condition féminine. Elle fut la collaboratrice constante et exigeante de la revue « Contacts ». Elle intervint dans des publications de langue anglaise, surtout en Australie. Elle voyagea beaucoup en Angleterre, aux Etats-Unis, à Constantinople et en Grèce. et contribua à faire admettre par les plus hautes autorités de l’Église le principe d’un rétablissement adapté du diaconat féminin.


TÉMOIGNAGE : Véronique Lossky

Une photo lointaine. C’est à Abingdon, en Angleterre en 1947 ou 1948. Une grande rencontre entre Anglicans et Orthodoxes, organisée par la Fraternité anglaise de Saint Alban et de Saint Serge, fondée dans les années trente du siècle dernier. On y voit à droite Élisabeth toute jeune et très entourée, et tout au bout nous autres, des adolescents orthodoxes vindicatifs.

C’est une bénédiction que de pouvoir se dire : du plus loin que je me souvienne de mes pérégrinations orthodoxes ou œcuméniques, je l’ai toujours vue, elle était là, je l’ai rencontrée. Je me souviens d’elle toujours élégante et toujours véhémente. Ses beaux cheveux blancs, plus tard, sa façon de se fâcher dès que l’on commençait à ironiser ou à se moquer d’elle ou de son sujet : « Ah mais, laissez-moi parler ! » et elle parlait. Et elle parlait bien. Elle avait toujours une façon simple de dire les choses compliquées, elle était une vraie théologienne et elle n’imposait jamais sa théologie autrement que de façon concrète et biblique : ses racines protestantes nous ont beaucoup appris.

Le premier sujet sur lequel nous nous sommes accrochées était évidemment l’ordination des femmes, en fait, plutôt la place de la femme dans l’Église. Ce qui m’avait heurtée, ce n’était pas tant le sujet, que la façon de l’aborder. Élisabeth devait se rendre en Roumanie pour parler à une première conférence sur le sujet. C’était à la fin des années 1970 elle nous avait demandé, à Nicolas et à moi, de la rencontrer dans un café au quartier latin, un samedi soir, après les vêpres, pour parler de ce sujet avec ...mon mari. Je n’étais pas contente, là, non pas du tout.

Par la suite les choses ont bien changé : elle dirigeait des réunions informelles à Daru le dimanche après la liturgie. Ces réunions « de femmes » donnaient l’occasion à une trentaine de personnes, hommes et femmes ensemble, mais plus de femmes que d’hommes, de formuler des idées saines, souvent aussi des griefs paroissiaux, dans une atmosphère animée mais sans aucune animosité. Ces derniers temps, elle se demandait à chaque fois s’il fallait continuer.

Elle était un peu déçue que durant tant d’années, on n’observât si peu d’évolution dans les mœurs et que tant de décisions prises à un haut niveau n’aient aucun effet et demeurent lettre morte au niveau paroissial. Nous devions souvent la réconforter sur ce point et l’un des éléments les plus joyeux était que des hiérarques puissent changer d’avis et se ranger au sien. Ce fut le cas pour l’évêque Kallistos qui le raconte dans le livre qu’ils ont écrit ensemble en 1998. La grande joie d’Élisabeth, outre de voyager, était de voir ses livres publiés ailleurs, traduits dans de nombreuses langues, notamment en russe.

Et l’un de ses nombreux voyages l’a conduite en Russie. Elle y est allée en ambassadrice de ses idées sur la place des femmes dans l’Église et a été reçue par elles avec tout le respect amical qui lui revenait. Elles comprenaient très bien, ces femmes russes en lutte contre un obscurantisme souvent écrasant, combien les fondements théologiques d’Élisabeth leur étaient profitables, dans un contexte ou tant de choses sont possibles et si peu répond, dans les faits au renouveau auquel tous aspirent.

Mais Élisabeth savait ne pas perdre courage. Et je suis remplie maintenant d’admiration confuse pour l’amitié qu’elle me portait et dont je lui suis reconnaissante.


TÉMOIGNAGE : Diacre Nicolas Lossky

C’est pratiquement depuis ma naissance que j’ai été en contact avec Élisabeth Behr-Sigel. En effet, elle connaissait mes parents depuis la fin des années vingt. Ils étaient parmi les jeunes russes qui venaient prendre part aux liturgies en français célébrées par le Père Lev Gillet.

Du travail que nous avons mené ensemble, je voudrais évoquer une rencontre importante qui, malheureusement, est pour l’instant demeurée sans suite. En 1989, à Rhodes, a eu lieu le grand Congrès Panorthodoxe sur « La place de la femme dans l’Église », organisée par le Patriarcat Œcuménique mais où toute l’Orthodoxie était représentée : des Évêques, des théologiens, des moines (du Mont Athos, par exemple) des moniales de Roumanie, de Russie et d’autres lieux. Le Président était le Métropolite Chrysostome de Myre et j’étais le secrétaire. Élisabeth et moi étions toujours assis côte à côte à toutes les séances plénières et nous nous encouragions à réagir (positivement ou négativement) aux conférences dont les sujets étaient variés et l’argumentation souvent contradictoire. Tout particulièrement, la question de savoir pourquoi les femmes ne doivent pas entrer dans le Sanctuaire, ce qui a provoqué un tollé unanime des moniales présentes ! Également, on l’aura compris, la question de l’ordination à la présidence de l’Eucharistie. C’est là que nous avons été soumis à des exposés très souvent contradictoires. Les contradictions n’opposaient pas des partisans de l’ordination à des adversaires ; tous étaient contre. Mais nous avons pu constater que chaque argument avait un contre-argument. Du coup, Élisabeth et moi (et j’étais dans le comité de rédaction) avons proposé d’ajouter une phrase avouant franchement que pour l’instant, nous ne savons pas vraiment pourquoi nous n’ordonnons pas les femmes à la prêtrise. Inutile d’ajouter que cette proposition n’a pas été acceptée. En revanche, la proposition de rétablir le diaconat féminin a en fin de compte été votée à l’unanimité, bien que l’on ne constate guère de mise en pratique courante de cette antique tradition.

En un mot, plus elle avançait dans la vie d’ici-bas, plus elle apportait aux autres les produits des dons multiples que le Seigneur lui a confiés et qu’elle a fait fructifier. Dieu lui a accordé ce que nous ne cessons de demander : « Une fin chrétienne, sans douleur, sans honte, paisible et une bonne réponse devant le redoutable tribunal du Christ ». Qu’Il lui accorde aussi une mémoire éternelle !


TÉMOIGNAGE : Anne-Marie Graffion

Lorsque je suis arrivée à la Crypte il y a 20 ans, j’avais déjà lu le livre de madame Behr-Sigel Prière et Sainteté dans l’Église Russe. Un jour, à la fin de la Liturgie, je m’attardais dans le recoin de la bibliothèque lorsque je vis arriver une petite dame qui s’excusait de ne pouvoir offrir qu’un seul exemplaire de son dernier livre à la bibliothèque de la paroisse.

J’appris alors qui elle était et j’osais lui dire tout ce que j’avais ressenti à lire son livre. S’ensuivit jusqu’à aujourd’hui une amitié d’une rare profondeur, tout en discrétion et délicatesse, teintée d’un dynamisme et d’un franc-parler de qui connaît l’âme humaine, sans oublier un humour jamais blessant. Car il me semble qu’Élisabeth avait cette particularité de dissocier la personne de l’acte que celle-ci pouvait poser. Ses jugements sur les personnes étaient toujours emprunts de compassion et de compréhension.

Élisabeth aimait les autres et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les aider de manière discrète. A une époque, j’ai tapé à la machine des parties de certains de ses manuscrits car elle savait que j’avais besoin d’argent, un ami proche lui ayant parlé de mes difficultés financières.

Dans mes débuts de direction de la chorale, elle m’encourageait et me poussait en avant se faisant une joie qu’ “enfin” une femme puisse le faire et combien de fois ayant lu l’épître, elle me félicitait. Car dans les deux cas, c’était, au-delà de ma personne, la joie que chacun et chacune serve l’église selon ses capacités et donc ait sa place.

Je ne peux passer sous silence le travail immense qu’elle a fait pour essayer de changer les mentalités dans l’Église. Nous lui devons le premier groupe de travail « Femmes et hommes dans l’Église », qui a fait couler beaucoup d’encre dans le milieu ecclésial depuis sa création dans les années 1986 ou 1987.

Elle avait l’oreille de certains métropolites et évêques et, femme théologienne reconnue dans de nombreux pays, elle parlait avec assurance et force, le regard tendu en avant poussant chacun à sortir de ses cloisons étroites et rappelant sans cesse Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Christ-Jésus. (Gal. 3, 28).

Élisabeth, merci pour votre vie et ce cheminement ensemble !


« RENDRE SON ÊTRE
PERMEABLE AU CHRIST »

Entretien avec Olga Lossky

Qu’est-ce qui vous a amené à rédiger cette biographie sur Élisabeth Behr-Sigel ?

Ce projet est né de la prise de conscience de différentes personnes quant à la nécessité de recueillir le témoignage de vie d’Élisabeth. Lors de sa rencontre avec la théologienne, François Cousin, proche des éditions du Cerf, a été frappé par la richesse de son vécu et s’est étonné qu’Élisabeth n’ait pas en projet de rédiger ses mémoires. La vieille dame a rétorqué, avec la modestie qui la caractérise, qu’elle conservait ses forces pour d’autres rédactions en cours mais qu’elle ne serait pas opposée à l’idée qu’on vienne l’interroger sur sa vie.

François Cousin s’est alors adressé au père Alexis Struve pour concrétiser le projet, que le père Alexis m’a alors proposé de mener à bien. Je ne connaissais jusqu’alors d’Élisabeth que sa petite silhouette vigoureuse entrevue à la tribune des congrès de la Fraternité ou, lors des enterrements familiaux, arpentant les allées du cimetières de Sainte Geneviève des Bois en commentant les tombes. Dès nos premières entrevues dans son appartement d’Épinay, Élisabeth m’a signifié qu’elle ne se sentait pas la force de s’impliquer de façon active dans le projet de mémoire. Plutôt que la retranscription d’un entretien qui la réduirait à borner ses évocations, elle préférait l’idée d’une biographie dont la rédaction m’appartiendrait. De fait, lorsque je lui ai présenté les premiers chapitres à relire, elle les a écarté d’un grand geste en disant : « c’est votre œuvre, je vous fait confiance. » Je crois qu’elle tenait à ne pas s’impliquer du tout dans le récit écrit de sa vie : l’ayant confié à quelqu’un d’autre, il appartenait déjà aux générations postérieures. Elle préférait s’attacher pour sa part aux évocations orales à travers lesquelles revivaient tous ses souvenirs.

Quels sont les grands thèmes et sujets de son œuvre ?

La pensée d’Élisabeth est, je crois, marquée par une démarche constante : le questionnement. C’est ce qui la pousse â étudier la philosophie, puis la théologie. Cette volonté de comprendre, d’aller au bout des choses l’amène â s’intéresser à une très grande diversité de sujets. Le premier grand thème théologique qui retient durablement son attention est l’idée de sainteté dans la spiritualité russe, thème de sa maîtrise de théologie, qui a donné ensuite le livre Prière et sainteté dans l’Église russe. Cette interrogation émane, me semble-t-il, de sa très grande attirance pour la spiritualité russe, attirance qui lui a été communiquée par le père Lev et les amis russes rencontrés dans les années 30. En tant qu’ancienne luthérienne, elle s’interroge aussi beaucoup sur la notion de sainteté, de destinée personnelle dans laquelle on réalise de façon originale le dessein de Dieu à notre égard.

Élisabeth s’intéresse ensuite à une figure de la spiritualité russe : Théodore Boukharev, moine du XIXe siècle revenu ensuite à l’état laïc et qui affirme la nécessité d’un dialogue de l’Église avec le monde contemporain. Ce personnage méconnu, auquel elle était très attachée, est le thème de sa thèse. L’intérêt d’Élisabeth pour Boukharev révèle sa mise en question constante des formes institutionnalisées de l’Église face aux nécessités de notre temps : répond-t-on dans notre pratique religieuse à l’appel du message évangélique ? Notre tradition permet-elle, à nous chrétiens incarnés dans une époque, d’accueillir véritablement Dieu dans nos vies ?

À toutes les époques de sa vie, la théologienne mène une réflexion permanente sur les questionnements d’actualité : la sophiologie de Boulgakov, la nécessité d’une Église de langue et de tradition locale, le dialogue avec les autres confessions chrétiennes pour appréhender les raisons de la fracture et œuvrer au rapprochement. Parallèlement, Élisabeth continue d’approfondir sa réflexion sur les fondements de la foi orthodoxe, comme en témoigne son ouvrage Le Lieu du cœur, sur la spiritualité orthodoxe. Plus tardivement, alors qu’elle a déjà 69 ans, intervient la réflexion sur la place de la femme dans l’Église orthodoxe, née de la confrontation œcuménique avec les anglicans et les protestants. L’itinéraire et le caractère d’Élisabeth la désignent naturellement comme le porte-parole de ce questionnement nouveau et ses derniers ouvrages y sont consacrés.

La figure du père Lev Gillet occupe bien sûr une place prédominante dans son œuvre. Élisabeth s’est sentie la dépositaire du testament spirituel de son ami. À travers la biographie qu’elle lui a consacré, Un moine de l’Église d’Orient, c’est toute la chronique d’une époque qu’elle brosse, témoignant de ce qu’elle a elle-même connu. « Si vous voulez écrire ma vie, prenez ma biographie sur le père Lev, elle y est contenue en grande partie » disait-elle. La proximité de ces deux figures, issues du christianisme occidental et venues à l’Orthodoxie comme à la source originelle enfouie sous la végétation des siècles, est très emblématique du désir de rapprochement entre les Traditions qui s’est fait jour au XIXe siècle.

À l’image de nombreux autres théologiens de son époque, Élisabeth est une passeuse entre Orient et Occident, une médiatrice qui partage avec le père Lev cette originalité d’être issue d’un milieu occidental.

Avec ces quelques thèmes, nous sommes très loin d’avoir épuisé toute la réflexion de la théologienne, dont la richesse provient de cette démarche d’interrogation permanente, qui la faisait réagir aussi bien au sujet de la lettre du patriarche de Moscou quant à la situation juridictionnelle, que sur les problèmes de son immeuble où la surpopulation entraînait une dégradation des services communs.

Pour réaliser cette biographie, vous avez, ces derniers temps, travaillé avec Élisabeth Behr-Sigel : Comment cela s’est-il passé ? Comment a-t-elle réagi ?

Nos déjeuners du samedi commençaient en général par des discussions d’actualité. Un trait caractéristique de la personnalité d’Élisabeth, qui va de pair avec son questionnement permanent, est qu’elle vivait au présent. Ensuite, à ma demande, remontaient les souvenirs. J’ai naturellement orienté les évocations dans une perspective chronologique, ce qui n’était pas toujours évident car Élisabeth possédait ses sujets de prédilection et considérait ses souvenirs personnels comme d’intérêt mineur face au père Lev Gillet ou à la fondation de la Fraternité orthodoxe. La théologienne ne parlait pas volontiers d’elle-même, par pudeur et par certitude sincère que sa personne comptait peu dans l’évocation de ces époques. Cependant, lorsqu’il s’agissait de ses proches, Élisabeth devenait aussi intarissable que sur la première paroisse francophone à Paris. Elle évoquait avec une joie évidente les dernières nouvelles de sa nombreuse descendance.

Durant sa vie ici-bas, Élisabeth a rencontré et a été l’amie des grandes figures de l’Orthodoxie en Europe occidentale. De qui vous parlait-elle ? Comment ? Quelles sont, parmi ces personnes, celles qui l’ont marqué ?
J’ai déjà évoqué brièvement le père Lev Gillet. J’espère parvenir à donner dans la biographie d’Élisabeth une vision juste de ce qu’a été leur amitié très profonde, amitié surtout épistolaire puisqu’ils ont rarement séjourné dans la même ville. Si le père Lev fut au départ le guide d’Élisabeth vers l’Orthodoxie, leur relation les plaça par la suite dans une perspective de soutien mutuel. Alors qu’il était pour un grand nombre le guide spirituel duquel on attendait une parole d’autorité, le père Lev confiait à Élisabeth les doutes et les angoisses d’une vie dont la dimension charismatique n’allait pas sans une certaine solitude.

Outre le père Lev, l’itinéraire d’Élisabeth fut jalonné de rencontres déterminantes : d’abord Suzanne de Dietrich, personnalité protestante que l’adolescente a connu aux camps de la Fédé et qui lui a communiqué sa foi. Ensuite les jeunes gens russes de la première paroisse, ainsi qu’Élisabeth les nomme : Paul Evdokimov, Evgraf Kovalevsky, Vladimir Lossky. Elle gardera avec eux une amitié de toute une vie et chacun jouera ensuite un rôle dans son implication théologique. Par Paul, Élisabeth participera aux dimanches de Massy et à la fondation de la Fraternité, par Evgraf elle rencontrera son mari et s’impliquera dans la revue Contacts pour lui donner en 1959 une dimension plus universelle, par Vladimir elle collaborera à la revue Dieu Vivant et partagera avec lui l’expérience du dialogue entre orthodoxes et anglicans au Fellowship Saint Alban and Saint Sergius.

Élisabeth rencontre aussi Georges Fédotov, le spécialiste de l’hagiologie russe qui va orienter sa réflexion sur la notion de sainteté russe, ainsi que de nombreuses autres personnalités du milieu de l’émigration : mère Marie Skobtsov, le père Serge Boulgakov qui devient son père spirituel au moment où le père Lev quitte Paris pour l’Angleterre, Nicolas Berdiaev... Après la guerre, elle s’implique dans la refondation de Contacts en compagnie d’Olivier Clément et du père Boris Bobrinskoy. Avec Olivier Clément, elle rédige aussi les premiers statuts de la Fraternité orthodoxe. Dans sa réflexion sur la place de la femme, Élisabeth est soutenue par monseigneur Émilianos Timiadis, monseigneur Antoine de Souroge, puis monseigneur Kallistos Ware. Le destin de la théologienne se trouve donc lié à nombre de personnalités orthodoxes du XXe siècle mais aussi des autres confessions avec lesquelles elle entretient des liens étroits : le père Louis Bouyer est l’un de ses condisciples â la faculté de théologie protestante de Paris, bien plus tard elle sera coprésidente de l’ACAT [Association chrétienne pour l’abolition de la torture] avec Guy Aurenche...

En ce qui vous concerne, qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez Élisabeth ? Dans son œuvre ?

Je dirais : sa prestance. Se faire servir à manger par une dame de quatre-vingt dix huit ans qui continue d’allumer son four et de boire du Listel comme si elle en avait vingt-cinq, cela vaut les discours théologiques les plus éloquents. Surtout lorsqu’elle évoque, en sirotant son rosé, la rafle de la Gestapo dans le magasin juif en face de chez elle ou l’accouchement de son troisième enfant sous les canons de la Libération. Dans sa manière d’être au présent, cette petite dame menue qui n’atteignait plus les placards de sa cuisine exprimait une foi en la vie extraordinaire. Lorsqu’elle oubliait un nom ou une date, elle se frappait le front d’un geste brusque en se lamentant sur sa prétendue décrépitude mais cela ne durait qu’un instant. Elle retrouvait aussitôt le pétillement juvénile de ses prunelles. Ce geste exprimait cependant l’angoisse d’Élisabeth de se voir un jour décliner. On sait maintenant que Dieu a exaucé sa prière de n’être jamais rattrapée par son âge et qu’elle a couru plus vite...
L’œuvre d’Élisabeth n’est que l’expression de cette foi en la vie pour la partager avec tous ?

Je crois que ce qui me touche le plus dans sa réflexion est la façon dont elle a fait entièrement sienne toute la Tradition orthodoxe pour tâcher de devenir elle-même un pont entre les expressions orientales et occidentales, parfois si différentes, de la même foi dans le Christ ressuscité. Cela prouve que la foi transcende toute sensibilité qui s’attacherait de façon humaine aux Pères orientaux ou aux grandes figures de la spiritualité russe. Il y a là un message universel : c’est une évidence que de le dire, autrement plus marquant cependant est de voir cette foi à l’œuvre dans une personne.

Quels ont été, pour vous, ses principaux apports, en somme ce qu’elle a légué aux générations présentes et à venir ?

« Étonne-toi », dirait Élisabeth avec le philosophe. « Remercie Dieu pour la beauté du monde », dirait-elle avec le théologien. Questionner la vie pour y discerner la présence divine, voilà sa dynamique profonde. Cet état d’esprit se manifeste à travers toute sa réflexion sur nos interrogations actuelles : comment intégrer le message de l’Évangile si l’on ne comprend pas ce qui se dit à l’église ? Comment vivre les paroles du Christ : « À ceci tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres », lorsque nos divisions se ressentent jusqu’à nos évêques ? Pourquoi poser un regard de discrimination sur la femme qui finalement est autant à l’image de Dieu que l’homme ? On pourrait bien sûr passer en revue les différents domaines théologiques dans lesquels la pensée d’Élisabeth a fait évoluer la réflexion, en particulier le dialogue entre les religions et la place de la femme dans l’Église. En amont de ces thématiques spécifiques, il me semble que sa contribution personnelle est avant tout ancrée dans une nécessité vécue d’aller au bout de soi-même, de rendre son être, avec toute sa singularité et son histoire personnelle, perméable au Christ pour en manifester l’existence au plus grand nombre. C’est là pour moi le véritable testament d’Élisabeth.

Propos recueillis pour Orthodoxie.com.
Publié le 2 décembre 2005.


ÉLISABETH BEHR-SIGEL,
THÉOLOGIENNE DE L’ÉGLISE ORTHODOXE

Le Monde, 4 décembre 2005

Élisabeth Behr-Sigel, théologienne de l’Église orthodoxe, est morte samedi 26 novembre, à Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Elle était âgée de 98 ans.

Née le 21 juillet 1907 à Schiltigheim (Bas-Rhin), d’un père protestant (luthérien) et d’une mère juive originaire d’Europe centrale, Élisabeth Behr-Sigel fut, toute sa vie, passionnée par le dialogue entre les religions. Sa taille menue était connue de tous les milieux oecuméniques à Paris ou à Genève. Elle avait fait ses études de philosophie à l’université de Strasbourg et à la faculté de théologie protestante de Paris. Bien plus tard, en 1976, elle passera son doctorat à l’université de Nancy sur Alexandre Boukharev, théologien russe du XIXe siècle presque inconnu en Occident, pour qui le mystère de l’incarnation du Christ était l’unique réponse à la tentation nihiliste en Russie.

C’est à la fin des années 1920 à Paris qu’Élisabeth Behr-Sigel s’était liée aux intellectuels orthodoxes de l’émigration russe — Paul Evdokimov, Vladimir Lossky, etc. — près desquels elle découvre une Orthodoxie ouverte à la fois à la modernité occidentale et au dialogue avec les autres Églises chrétiennes.

Dans son dernier ouvrage, Discerner les signes du temps (Cerf, 2002), elle raconte qu’elle a vu dans l’Orthodoxie un « dépassement possible de l’antinomie (entre la foi et le monde) dont le christianisme occidental me paraissait prisonnier ». Elle avait également signé en 1993 une somptueuse biographie de Louis (Lev) Gillet (1893-1980), moine catholique converti à l’Orthodoxie, dont le rayonnement spirituel, œcuménique et littéraire fut considérable en France, en Angleterre, au Liban et dans tout le monde orthodoxe.

Élisabeth Behr-Sigel prendra des positions hardies — pas toujours comprises — en faveur d’une place plus grande des femmes dans l’Église, pouvant aller jusqu’au sacerdoce. Elle était toutefois unanimement appréciée dans l’Orthodoxie et chez les « Églises sœurs » par sa culture théologique, sa vigueur spirituelle et son engagement dans les combats séculiers. De 1982 à 1983, Élisabeth Behr-Sigel a présidé l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). Le 27 novembre 1991, en pleine guerre serbo-croate, elle signait dans Le Monde, avec Olivier Clément et d’autres intellectuels orthodoxes, un appel à l’Église de Serbie la suppliant de ne pas devenir « complice de la machine de guerre nationalo-communiste ».

Louant son Orthodoxie profonde et libre, le Père Boris Bobrinskoy, doyen de l’Institut Saint-Serge à Paris, a rendu hommage à son « courage » de femme, qui lui a permis d’exprimer ses convictions « jusqu’à toucher certains tabous ».

Henri Tincq


IN MEMORIAM
ÉLISABETH BEHR-SIGEL

par père Michel Evdokimov

C’était une vieille, et même une très vieille dame, toute menue mais douée d’une intelligence vive, d’une mémoire solide comme un roc — elle était notre « mémoire vivante » de l’orthodoxie au XXe siècle —, d’une vitalité peu commune, d’une capacité d’ouverture et de compassion envers son prochain, qui en faisaient une des personnalités les plus attachantes du monde orthodoxe français et même européen, de ces dernières décennies. Surtout si, comme moi, on a eu l’honneur d’avoir été tenu dans ses bras le jour de son baptême — mais, il y a peu, elle me promettait qu’elle ne recommencerait plus…

Elle est un grand témoin de la rencontre entre la France, et plus généralement l’Occident, et la Russie. Née à Strasbourg en 1907, elle semblait destinée, à l’issue de ses études de théologie à la Faculté protestante, à entrer dans le ministère pastoral pour lequel elle avait déjà reçu une délégation auprès d’une paroisse. En réalité elle deviendra professeur de philosophie. Après son départ à la retraite, et à partir d’une rencontre internationale de femmes orthodoxes, une des premières du genre, au monastère d’Agapia en Roumanie (1976), la voilà intérieurement prête à se lancer dans une vaste réflexion sur la place de la femme dans l’Église. Elle tentera, avec tact et fermeté, de relever l’audacieux défi de la modernité lancé aux Églises orthodoxe et catholique, concernant le possible accès de la femme au sacerdoce ministériel. Quelle que soit son opinion personnelle sur la question, Élisabeth Behr-Sigel a le mérite de porter ce défi devant la conscience orthodoxe. Prudente, car elle n’ignore pas le poids de la tradition et les réactions spontanément négatives de milieux ecclésiastiques qui ne sont pas toujours prêts, ni armés, à le relever, elle invite à repenser, à revaloriser le rôle de la femme dans l’Église à tous les niveaux, y compris la remise en honneur de fonctions spécifiques, comme celles des diaconesses.

Elle-même a exercé une charge d’enseignement de la théologie auprès de l’Institut Saint-Serge à Paris ; elle a assumé, avec tact et dévouement, les fonctions de marguillière dans sa paroisse de la capitale, et fut, pendant quelques années, consultante auprès de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (à l’époque, Comité interépiscopal). Tous ses propos sur la femme n’ont rien de théorique, ils sont le fruit des méditations d’une grande dame qui a mis ses compétences et son abnégation au service de l’Église. Ils illustrent par là, autant que faire se peut dans les conditions actuelles de l’orthodoxie, la parole de saint Pierre sur le sacerdoce royal des fidèles, entendant par là que tout baptisé a une fonction sacerdotale à remplir dans l’Église. « Mal connue, la face féminine du christianisme orthodoxe reste encore à explorer », écrivait-elle à juste titre.

Elle se rapprocha de l’orthodoxie à l’occasion d’événements qui joueront un grand rôle dans sa vie : son mariage avec un Russe, dont elle aura trois enfants qui sont profondément engagés dans la vie de l’Église (une de ses filles est la femme d’un prêtre) ; sa rencontre avec des théologiens russes prestigieux comme le père Serge Boulgakov, dont elle garda un souvenir lumineux ; avec des grands spirituels comme le père Lev Gillet à la mémoire duquel elle a écrit une immense biographie qui retrace la vie de ce moine de l’Église d’Orient conjointement avec celle de l’Église orthodoxe au cours du XXe siècle ; sans oublier Paul Evdokimov, l’ami de longue date, avec lequel elle partageait son enthousiasme pour le monachisme intériorisé (voir Un moine dans la cité, Alexandre Boukharev), la dimension kénotique de la spiritualité russe, sur l’histoire de laquelle elle a fait oeuvre de pionnier en langue française (voir « Le Christ kénotique dans la spiritualité russe » [ in : La Table Ronde, No 250, nov. 1968, p. 204-217]. Aiguillonnée par le besoin de comprendre la modernité, consciente des limites du témoignage d’une orthodoxie pauvre, parfois repliée sur elle-même, elle a toujours voulu penser le monde dans lequel elle vivait à la lumière du Christ et de l’Évangile.

Parmi les multiples facettes de cette riche personnalité, il faut justement souligner l’importance de la Bible, la dimension évangélique de la foi chrétienne, qu’il faut sans cesse rappeler à une Église portée sur le déploiement ritualiste, et dont les rites sont profondément enracinés dans le tuf des Écritures. Dans ce ressourcement évangélique de la vie, elle est très proche du « Moine de l’Église d’Orient » qui portait en lui l’amour et la compassion du Christ après avoir vécu une expérience singulière, comme un éblouissement, au bord du lac de Tibériade. Passionnée par les grandes questions que soulève notre époque, elle ne pouvait qu’être ouverte aux efforts des autres Églises pour les résoudre en commun dans les instances oecuméniques. C’est ainsi qu’elle a inlassablement animé par ses interventions, ses conférences, d’innombrables réunions entre chrétiens de diverses origines, donné des cours à l’ISEO (Institut supérieur d’études oecuméniques), et assumé la charge de vice-présidente orthodoxe au sein de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture).

À la lecture de ses écrits nous entrons dans l’intimité d’une vieille dame pleine de chaleur et de lumière, témoignant de la place irremplaçable que la femme peut, que dis-je, doit, occuper dans l’Église, elle a su ouvrir les plus larges perspectives sur une pensée solidement appuyée sur la Tradition. C’est à Élisabeth Behr-Sigel que l’on fit appel pour tracer les grandes lignes de la tâche qui attend l’orthodoxie à l’aube du troisième millénaire, lorsqu’elle fut invitée à l’ouverture de l’Institut de théologie orthodoxe de Cambridge où elle prononça un discours sur « Les tâches de la formation théologique orthodoxe au XXIe siècle ». Last but not least, tous ces écrits portent la marque d’un style savoureux, d’une richesse et d’une élégance rares sous une plume théologienne, de ce style dont Buffon disait qu’il est « l’homme même » (pardon, « la femme même »).

On appelait affectueusement Élisabeth Behr-Sigel notre « Mère » dans l’Église. Probablement parce jusqu’à la fin de sa très longue vie, elle avait su rester toujours jeune dans sa personne et sa pensée.

Père Michel Evdokimov
http://christophe.levalois.free.fr/fichier/In_memoriam_Elisabeth_Behr_Sigel.pdf


IN MEMORIAM - ÉLISABETH BEHR-SIGEL

par Olga Dard-Catoire

De retour à Paris après une très longue absence j’ai eu le privilège de rencontrer et de devenir l’amie d’Élisabeth. Auparavant je la connaissais surtout par ses nombreux livres et articles et les réunions « Femmes et Hommes dans l’Église » qu’elle animait et auxquelles je participais. L’accompagnant le dimanche à notre paroisse de la Sainte Trinité, nous échangions avec Élisabeth sur nos lectures et ses rencontres. Respectueuse des opinions d’autrui, elle restait ferme dans ses convictions, les exprimant avec clarté et une grande hauteur de vues. Elle gardait une curiosité, un intérêt pour les problèmes de l’Église, et faisait preuve de compréhension, empreinte de cordialité à l’égard de ceux qui se confiaient à elle. Élisabeth, « grande dame de l’Orthodoxie » a témoigné durant sa longue vie avec passion et courage de ses convictions orthodoxes, luttant pour donner à notre Église une image plus ouverte au monde actuel.

Née en Alsace en 1907 d’un père protestant et d’une mère juive, Élisabeth, après une licence de philosophie, fit de brillantes études à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Ses diplômes acquis, elle suppléa, avec succès, à l’absence d’un pasteur. La connaissance d’étudiants russes lui fit découvrir l’Orthodoxie qui l’enthousiasma. Elle écrit : « À l’opposé de la conception de l’unité juridique et autoritaire au sein de l’Église catholique romaine comme aussi de l’individualisme libertaire protestant.... la sobornost orthodoxe russe m’enchantait. » Plus loin elle s’exclame : « La veillée pascale orthodoxe inonda mon cœur de joie, je décidais que je devais mieux faire connaissance de cette étrange Église, à la fois ancienne, archaïque, si jeune et si vivante » (extraits de Discerner les signes des temps).

Devenue orthodoxe, mariée, mère de trois enfants, elle connut les grands théologiens russes du XXe siècle, Berdiaev, le père Boulgakov, elle se lia d’amitié avec Vladimir Lossky, Paul Evdokimov, Eugraph Kovalevski.

Elle consacra sa thèse de doctorat à un grand penseur du XIXe siècle, Alexandre Boukharev, théologien de l’Église orthodoxe russe en dialogue avec le monde moderne.

La rencontre avec un moine bénédictin, devenu orthodoxe, 1e père Lev Gillet, fut décisive pour elle. Il devint son ami, son guide spirituel. Elle participa, avec lui, à la naissance de la première paroisse orthodoxe francophone. Sous le titre Un Moine de l’Eglise d’Orient elle écrivit sa biographie. Sous son influence elle s’engagea à promouvoir la place de la femme dans l’Église (Le ministère de la femme dans l’Église), envisageant pour la femme la possibilité d’accéder au diaconat, et publia avec Monseigneur Kallistos Ware, L’ordination des femmes dans l’Église orthodoxe. En 2001, elle adressa une lettre à tous les patriarches, les sensibilisant au diaconat féminin. Ce courrier eut peu de retombée ; elle n’en continua pas moins son combat avec ténacité.

Élisabeth a toujours été très engagée dans le mouvement œcuménique. Restant attachée au protestantisme de son enfance, elle participait activement aux rencontres entre orthodoxes et protestants organisées par la Fédération protestante de France.

Je garde un souvenir émouvant d’une réunion avec Élisabeth au Conseil œcuménique des Églises, en Suisse, en novembre 2001. Dès son arrivée, elle fut l’objet d’un accueil enthousiaste de la part d treize participantes orthodoxes, venues du monde entier ; l’une d’elle, théologienne australienne, s’écria en la voyant : « Voilà notre mentor ! »

Le sens réel de la tradition était un des sujets que nous abordions. Elle refusait le traditionalisme rituel, s’attachant à 1 tradition née de l’Église, transmission vivante de la parole de Dieu par l’Esprit Saint. Elle aspirait de tout cœur à une Église locale libre, avec une catholicité comprise comme unité, une ecclésiologie dit eucharistique, « avec un peuple composé de personnes humaines, de toutes tribus, de toutes langues, de toutes nations ».
Travailleuse inlassable, elle lisait beaucoup, écrivait à de nombreux correspondants de sa petite écriture précise, incisive, parfois difficile à déchiffrer pour le secrétaire bénévole qu’elle rappelait à l’ordre à la moindre erreur de virgule !

Son séjour en Angleterre, où à 98 ans elle se rendit seule en avion pour participer à un colloque sur le père Gillet, fut son dernier bonheur au sein de sa famille. Rentrée chez elle, elle me confia, deux jours avant sa disparition, sa fatigue. Lucide sur son état, elle envisageait l’avenir avec sérénité.

Le vide est immense, mais Élisabeth restera dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connue.
Maintenant, Maître, laisse aller en paix ta servante, selon ta parole....

Le Messager orthodoxe, No 143, 2005.


ELISABETH BEHR-SIGEL (1907-2005)

by Marcus Plested

Elisabeth Behr-Sigel was one of the last major figures surviving from what is often calied the “golden age” of Orthodox theology in the West, the period ushered in by the Russian Revolution. Behr-Sigel saw the forced migration of so many Russian Orthodox to the West (especially to France) as entirely providential, opening the way as it did for a vastly fruitful interchange between the Orthodox Christian tradition and the modem world.

Behr-Sigel herself was very much at the heart of this process of dialogue and engagement. She was born in 1907 in Alsace, then part of the German Empire, to a Protestant father and a Jewish mother (both of whose religious observances were rather nominal). She became an active Christian as a girl and went on to become one of the first women admitted to read theology at the University of Strasbourg. She later blazed another trail in being appointed assistant pastor in the Reformed Church (1931-32). By this time, however, she was already a member of the Orthodox Church having first been captivated by its worship and theology as a student. Her official ministry came to an end on her marriage to a Russian émigré, André Behr – even in the emergency circumstances of the time it was still unthinkable that married woman should fulfil such a pastoral function.

Her early years as an Orthodox were marked by her contact with some of the most eminent religious philosophers and theologians of the time, most notably Nikolai Berdyaev and Fr Sergius Bulgakov. She was also well acquainted with a number of younger figures such as Vladimir Lossky and Paul Evdokimov. The greatest single influence on her, however, was Fr Lev Gillet, formerly a Catholic monk of the Eastern rite who became a eloquent witness to the universal character of Orthodoxy through his writings, his work as a priest of the first French-language Orthodox parish at Saint-Genevieve-des-Bois, and his long service as Chaplain of the Fellowship.

Behr-Sigel found an especially impressive instance of the inseparability of theology from Christian witness in the life and work of Mother Maria Skobstova (canonised in 2004). Mother Maria ran very unusual monastic household in the rue de Lourmel in Paris, taking in and caring for the unemployed, prostitutes, the poor – short, anyone in need. She also welcomed intellectuals and theologians, making the monastery into a combination of soup kitchen, refuge, and salon. During the Nazi occupation, both Mother Maria and Elisabeth did their utmost to shelter and protect Jews. Elisabeth and André took in a Jewish child after the example Mother Maria. Mother Maria herself was arrested for such activities and was, it is widely believed, gassed at Ravensbrück in another woman’s stead.

In the post-war years, Behr-Sigel rapidly emerged as accomplished Orthodox theologian in her own right. She produced several major studies on Orthodox themes, for instance Prière et sainteté dans l’Église russe (1950), Alexandre Boukharev (1977), and a biography of Fr Lev Gillet (1993), the last of which was published English by the Fellowship (1999). She was an active and passionate participant in the ecumenical arena and devoted campaigner for the abolition of torture. She also taught and lectured widely – for example in Paris at the Institut St-Serge and Institut catholique and, more recently, at the Institute for Orthodox Christian Studies in Cambridge, at which she gave one of the inaugural lectures.

She is certainly best known for her considerable labours in encouraging much-needed reflection on the place of women in the Orthodox Church, although this was very much something that came as part of a wider concern to interrogate and articulate Orthodox tradition for our own time. Behr-Sigel was certainly far from being pre-occupied with the specific question of women’s ordination to the priesthood but it is nonetheless largely thanks to her that it has become, if not exactly an issue, then at least a question, within the Orthodox Church. Her chief concern in this matter was, rather, to draw upon the tradition for a fuller appreciation of the distinctive ministry and gifts of women. She was particularly forceful in calling for an end to the notions of ritual impurity attaching to menstruation and childbirth that still form part of regular Orthodox practice in many quarters. She also argued strongly for the possibility of re-establishing the ordained ministry of the deaconess – a ministry still in evidence in the Orthodox Church well into the early mediaeval period and even, very occasionally, in moderm times.

She was avowedly not a feminist but sought rather to re-imagine what she called a “new humanism” in place of the male-dominated Cartesian humanism that has shaped modern feminism and which lies at the heart of the wider contemporary stand-off between humanism and faith. A humanism, in other words, that would not only fully embrace the feminine dimension of human experience but also balance and direct the “aggressive masculinity” that tends to dominate human affairs to the impoverishment of men and women alike.
A sparky, indomitable, and tiny woman, Behr-Sigel lived in a very modest flat in a shabby Paris suburb – saved by her deafness from the loud music that would often pound through the walls. Above all, she was herself a living example of precisely the kind of humanism she sought to promote.

She is survived by three children, ten grandchildren, and 25 great-grandchildren. Her husband preeceased her in 1968.

Elisabeth Charlotte Behr-Sigel (née Sigel), Orthodox theologian, born 21st July 1907, died 26th November 2005.

Thanks to Bishop Kallistos of Diokleia, Olga Lossky, and Gabriel Behr for their invaluable assistance on a number of points in this obituary.

Sobornost, 27, 2, 2005.


Élisabeth Behr-Sigel - Bibliographie
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