par Élisabeth Behr-Sigel
Ce texte conclut une présentation sur Église orthodoxe dans le cadre dune rencontre de lAction des chrétiens pour labolition de la torture (ACAT) en 1998.
Je conclurai par quelques remarques sur la place des orthodoxes et des Églises orthodoxes face et au sein du grand mouvement vers la restauration de lunité chrétienne qui a marqué notre XXe siècle. En ce domaine comme en dautres, il faut tenir compte de la diversité orthodoxe, de la diversité aussi des époques et des situations.
Je signalerai seulement quelques pistes à explorer. Ainsi le rôle des orthodoxes notamment du Patriarcat cuménique aux origines du mouvement cuménique, juste avant et immédiatement après la Première Guerre mondiale, à une époque où lÉglise de Rome ny participait pas et où ses instances officielles le critiquaient durement (encyclique Mortalium animos, janvier 1928). Des théologiens orthodoxes, le métropolite Germanos de Thyatire et le père Serge Boulgakov, doyen de lInstitut de théologie Saint-Serge a Paris, participent à la première conférence, en 1927 à Lausanne, de Foi et Constitution : conférence qui jette les bases du futur Conseil cuménique des Églises. Quand ce dernier est enfin fondé en 1948, on trouve parmi les Églises fondatrices, avec le patriarcat de Constantinople, lÉglise de Grèce et les antiques patriarcats dAlexandrie et dAntioche. Ce premier groupe est rejoint en 1961, à lAssemblée de New-Delhi, par lensemble des Églises orthodoxes dEurope de lEst, parmi lesquelles lÉglise russe.
La cohabitation, au sein du C, des orthodoxes avec les anglicans et les protestants na pas été toujours facile. Elle a été troublée par diverses crises, notamment à propos du problème de lordination des femmes (1). Mais, à part le cas particulier de lÉglise de Géorgie, une rupture ne semble pas être envisagée. Les Églises orthodoxes, malgré quelques réserves, participeront à la célébration du cinquantenaire de la fondation du C, en décembre prochain à Harare (Zimbabwe). Par ailleurs, instauré après Vatican II et la levée réciproque des anathèmes de 1054, le dialogue théologique entre lÉglise catholique et les Églises orthodoxes au cours des dernières décennies sest révélé particulièrement positif.
Paradoxalement, cest dans le contexte de leffondrement des régimes communistes dEurope de lEst et de lexpérience par les Églises de ces régions dune liberté quelles navaient presque jamais connue, comme aussi dun renouveau spirituel salué avec enthousiasme, notamment en Russie, quapparaissent les nuages qui obscurcissent aujourdhui lhorizon cuménique et semblent parfois le boucher. Tels sont, surtout en Ukraine occidentale et en Roumanie, les lamentables conflits entre communautés orthodoxes et communautés dites uniates catholiques de rite oriental pour la possession des lieux de culte. Telle est laccusation de prosélytisme portée, en particulier en Russie et contre lÉglise catholique et contre des sectes protestantes, surtout américaines, qui, grâce à des moyens financiers importants, envahissent les médias, surtout la télévision. Il y a enfin la réaction passionnelle, xénophobe, anti-occidentale dun peuple confronté au libre marché occidental des religions et qui se croit menacé dans son identité à la fois spirituelle et nationale.
Mais lÉglise orthodoxe universelle connaît aussi une autre expérience : celle de la Diaspora, dune orthodoxie occidentale naissante çà et là, en Europe, en particulier en France, mais aussi en Amérique, aux USA et au Canada. Pour la première fois, après des siècles dignorance réciproque, des millions dorthodoxes partagent avec des catholiques et des protestants la même culture et respirent le même air du temps. Aux défis adressés aux Églises à lÉglise par la modernité et la post-modernité, ils se sentent appelés à chercher des réponses, au nom de la même foi chrétienne fondamentale, ensemble avec leurs frères et surs chrétiens occidentaux.
En France, les orthodoxes sont très minoritaires. Plus nombreux seulement autour de quelques métropoles, Paris, Marseille, Nice, Lyon, Strasbourg ils sont presque inexistants ailleurs. Pourtant la présence orthodoxe en France, en particulier celle de quelques grands penseurs religieux et théologiens de lémigration russe, a été dune importance capitale pour linstauration dans notre pays dun climat, dun dialogue et de collaborations cuméniques. Au début du mouvement cuménique, elle a été un pont jeté entre catholiques et protestants qui sétaient affrontés pendant des siècles. Cest à lInstitut de théologie orthodoxe Saint-Serge à Paris queurent lieu, dès les années 1950-60, les premières réunions en vue dun dialogue irénique entre théologiens des trois confessions. À la même époque, des orthodoxes participent à laction de la CIMADE (Comité inter-mouvements pour laccueil des évacués). Ils sont présents à lACAT presque dès sa fondation.
Aujourdhui, même si quelques poussées intégristes se manifestent ici et là, lcuménisme fait partie de lexistence des orthodoxes en France, à la fois sous sa forme institutionnelle et à travers un immense réseau de relations et damitiés personnelles. Représentant du Patriarcat cuménique de Constantinople, le président de lAssemblée canonique des évêques orthodoxes de France aujourdhui le métropolite Jérémie siège au Conseil des Églises chrétiennes en France, quil préside à tour de rôle avec un évêque de lÉglise catholique et le président de la Fédération protestante de France. Au-delà des séparations, nous sommes conscients de notre fraternité en Christ. Puissions-nous faire partager cette expérience à nos frères et surs orthodoxes des pays de lEurope de lEst.
NOTE
(1) Cf. Élisabeth Behr-Sigel et Mgr Kallistos Ware, LOrdination des femmes dans lÉglise orthodoxe, Cerf, 1998 ; Élisabeth Behr-Sigel, " Lordination des femmes : un problème cuménique ", Contacts, n° 150, 1990.
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