Pères et mères dans la foi

Canonisation de Mère Marie Skobtsov

Pages Sainte Marie Skobtsov


Quatre Saints Néo-Martyrs

Saints néo-martyrs Élie, mère Marie,
père Dimitri et Georges (Youri)

Sois fidèle jusqu'à la mort,
et je te donnerai la couronne de vie

Apocalypse 2, 10

 

 

Mère Marie est une sainte
de notre temps et pour notre temps :
une femme de chair et de sang
habitée par l'amour de Dieu,

qui a su faire face sans crainte
aux injustices du siècle.

Métropolite Antoine de Sourozh

CANONISATION DE MÈRE MARIE SKOBTSOV
APERÇU DES VIES DES NOUVEAUX CANONISÉS
L’ORIGINALITÉ DE LA SAINTETÉ : RÉFLEXIONS
SUR SAINTE MARIE SKOBTSOV par Paul Ladouceur
ACTE DE CANONISATION
TROPAIRES ET KONDAKIA
MESSAGE DE L'ARCHEVÊQUE GABRIEL
ARTICLE DU SERVICE ORTHODOXE DE PRESSE (SOP)
LA CANONISATION DES PREMIERS SAINTS
DE LA DIASPORA ORTHODOXE par Antoine Arjakovsky
HOMMAGE DE L'ORTHODOXIE À SES EXILÉS -
Entretien avec Élisabeth Behr-Sigel
LES QUATRE SAINTS MARTYRS DE L’« ACTION ORTHODOXE »
par Hélène Arjakovsky-Klépinine
COLLOQUE SUR LES SAINTS NOUVELLEMENT CANONISÉS,
PARIS, 20 JUIN 2004
SAINTETÉ ET CANONISATION par père Boris Bobrinskoy

CANONISATION DE MÈRE MARIE SKOBTSOV

C’est avec une grande joie que nous pouvons maintenant prier : « Sainte mère Marie Skobtsov, prie Dieu pour nous ! » Le Saint-Synode du Patriarcat œcumén-ique a inscrit au rang des saints de l’Église orthodoxe mère Marie Skobtsov et trois des ses proches collaborateurs à son œuvre humanitaire à Paris avant et pendant la deuxième guerre mondiale : le père Dimitri Klépinine, Iuri (Georges) Skobtsov, fils de mère Marie, et Ilya Fondaminsky. Ils ont été arrêté pour leurs activités en faveur des Juifs en France pendant l’occupation allemande. Déportés dans les camps de concentration en Allemagne, ils y sont morts – mère Marie dans la chambre à gaz au camp de Ravensbrück le Samedi saint 31 mars 1945.

Le père Alexis Medvedkov, décédé avant la deuxième guerre mondiale et dont les reliques ont été retrouvées intactes longtemps après sa mort, a été canonisé en même temps que mère Marie et ses compagnons.

L’annonce des canonisations a été faite à Paris le 11 février 2004 par le Conseil diocésain de l’Exarcat des Églises orthodoxes russes en Europe occidentale, présidé par Son éminence l’archevêque Gabriel (de Vyder). La fête commune des nouveaux canonisés est le 20 juillet – fête du prophète saint Élie – et chacun sera également fêté le jour de son décès.


APERÇU DES VIES DES NOUVEAUX CANONISÉS

Née d’une famille aristocratique dans les dernières heures de la monarchie russe, instruite et cultivée, vedette des salons littéraires de Saint-Petersbourg, mariée deux fois, mère de trois enfants, divorcée, révolutionnaire, menacée de mort pendant la Révolution russe autant par les « Blancs » que par les « Rouges », exilée en Turquie, en Serbie puis en France, mère Marie Skobtsov était une passionnée de la vie. Devenue moniale en 1932 à l’âge de 41 ans, elle dirige sa passion pour la vie vers la Vie, le Crucifié-Ressuscité, et elle devient un apôtre de l’amour du prochain par le « sacrement du frère ». Elle se donne corps et âme pour tous les rejetés de la société : les pauvres, les sans-abri, les handicapés, les alcooliques, les prostituées, les drogués, les criminels, les malades mentaux et, en dernier lieu, en pleine guerre mondiale, les Juifs persécutés pendant l’occupation allemande de la France. Son monastère était nul autre que le « désert du cœur des hommes ». Arrêtée par l’occupant, déportée en Allemagne, elle meurt dans le chambre à gaz au camp de concentration de Ravensbrück le Samedi saint 31 mars 1945. Mère Marie est morte comme elle a vécu, suivant son Maître jusqu’au Golgotha pour ses bien-aimés.

Sainte mère Marie Skobtsov, prie Dieu pour nous !

Le père Dimitri Klépinine, né en 1904, a été l’aumônier à la cantine et foyer établi par mère Marie à la rue de Lourmel à Paris. Marié à et père de deux enfants, Hélène et Paul, le père Dimitri a collaboré avec mère Marie à cacher des Juifs pendant l’occupation allemande de la France. Arrêté le 9 février 1943, quelques jours avant mère Marie, il a été déporté en Allemagne et est mort au camp de Dora le 9 février 1944.

Saint père Dimitri Klépinine, prie Dieu pour nous !

Iuri (Georges) Skobtsov, né en 1920, était le fils de mère Marie. Il servait comme sous-diacre à la chapelle de la rue de Lourmel et se destinait à la prêtrise. Arrêté le 8 février 1943, il a été emprisonné quelque temps avec père Dimitri Klépinine à Compiègne puis déporté au camp de Dora en Allemagne, où il est mort le 6 février 1944.

Saint martyr Iuri Skobtsov, prie Dieu pour nous !

Ilya Fondaminsky, juif d’origine, collaborait, avec mère Marie et d’autres, dans l’Action orthodoxe. Arrêté par les nazis, il a été baptisé dans le camp de détention de Compiègne peu avant d’être déporté à Auschwitz, où il est mort.

Saint martyr Ilya Fondaminsky, prie Dieu pour nous !

Le bienheureux père Alexis Medvedkov (1867-1934), prêtre desservant la paroisse d'Ugine, où il passait presque tout son temps en prière dans l'église- Il mourut d'un cancer. Quand le cimetière d'Ugine fut désaffecté quelques années après sa mort, on retrouva son corps absolument intact, ce qui fut interprété comme un signe de sainteté et son corps fut transporté à la crypte de l’Église Notre-Dame de l'Assomption à Sainte-Geneviève-des-Bois, près de Paris. Biographie (en anglais) : http://www.orthodoxengland.btinternet.co.uk/alexisu.htm

Saint père Alexis Medvedkov, prie Dieu pour nous !


L’ORIGINALITÉ DE LA SAINTETÉ :

RÉFLEXIONS SUR SAINTE MARIE SKOBTSOV

par Paul Ladouceur

Le sang des martyrs coulait autrefois
sur cette terre infertile.
Un lion affamé lèche leurs blessures
et libres ils s’avancent vers leurs bourreaux,
ainsi que par la grâce de Dieu nous aussi.

Sainte Marie Skobtsov

Avec le recul du temps, on réalisera que sainte Marie Skobtsov était une sainte des plus « originales » du XXe siècle, voire même depuis plusieurs siècles. Mère Marie et ses compagnons ont été canonisés comme martyrs – ceux qui ont donné leur vie en témoignage de leur foi en Christ, à l’instar des martyrs des premiers siècles. Mais c’est la vie toute entière de sainte Marie Skobtsov qui lui a permis de porter cette ultime preuve de son attachement au Christ, signalé en particulier par sa conversion, son dévouement au prochain, ses écrits, ses créations artistiques...

Certains seront sans doute mystifiés, comme beaucoup ont été scandalisés du vivant de mère Marie après sa prise d’habit, par sa canonisation, à cause de quelques aspects de sa vie : une femme non seulement mariée, mais mariée et divorcée deux fois, mère de trois enfants, dont une, sa première fille Gaïana (« terre »), née en 1913, – ce qu’on oublie parfois dans les récits de sa vie – était le fruit d’une brève liaison avec un homme dont le nom même nous est inconnu… ; devenue religieuse, elle continuait plusieurs de ses anciennes habitudes : elle fumait, écrivait des poèmes, entretenait de longues conversations jusqu’au petites heures du matin avec des hommes ; elle voyait encore son deuxième mari ; elle fréquentait les milieux défavorisés de Paris et les margi-naux de la société, alcooliques, prostituées, malades mentaux ; elle n’aimait pas les longs offices et souvent les manquait entièrement…

En tant que sainte orthodoxe, sainte Marie Skobtsov dépasse les « types » de saints dont on a l’habitude de parler : sainte ascète ? pas vraiment, du moins pas à premièrement vue… folle-en-Christ ? non… martyre ? oui, mais encore… juste ? Voilà un « titre » qui peut-être lui conviendrait le mieux – c’est d’ailleurs un titre qu’elle possédait bien avant sa canonisation, le titre de « Juste parmi les Nations » lui ayant été accordé par un organisme israélien « Yad Vashem » en 1987 pour ses activités en faveurs des juifs pendant la persécution nazie en France occupée.

Certains questionneront peut-être les raisons pour lesquelles les « compagnons » de mère Marie – le père Dimitri Klépinine, Yuri, le fils de mère Marie et le juif converti Ilya Fondaminsky – ont également été canonisés – il y a des certainement des milliers de fidèles orthodoxes comme eux, victimes des régimes totalitaires du XXe siècle : alors pourquoi eux ? On doit voir dans leur canonisation justement la reconnaissance de ces milliers, ces centaines de milliers, de chrétiens inconnus, qui ont rendu témoignage au Christ par le sang, dans le silence et l’anonymat des chambres à gaz de l’Allemagne nazi et des goulags de l’Union soviétique. Les trois compagnons de mère Marie sont des symboles de toutes ces personnes que l’Église veut reconnaître et célébrer : « Souviens-toi aussi de ceux que nous avons omis de mentionner, par ignorance ou par oubli, ou parce qu’ils étaient trop nombreux. Fais-en mémoire toi-même, Seigneur, toi qui sais l’âge et le nom de chacun, toi qui connais chacun dès le sein de sa mère » (Liturgie de saint Basile).

Sans doute, maintenant que mère Marie est canonisée, allons-nous nous pencher davantage sur ses écrits et ses réalisations artistiques – disponibles en russe –, mais malheureusement une bonne partie des écrits de sainte Marie Skobtsov ne sont pas encore traduits en français, ni la présentation de son œuvre artistique, qui existe maintenant en russe avec la publication récente du livre Cette beauté qui nous sauve en Russie. On sait déjà par ses écrits traduits en français que mère Marie était une vive critique de certains aspects de l’Orthodoxie, notamment le monachisme « conventionnel », retiré et coupé du monde ; elle préconisait surtout l’engagement dans le monde, l’incarnation de l’amour du prochain dans l’action sociale. D’autres grands thèmes de sa pensée se révéleront sans doute en fonction de la publication de ses écrits et de leur étude en profondeur.

À qui peut-on comparer sainte Marie Skobtsov ? Offrons deux pistes de réflexion : sainte Marie l’Égyptienne et saint Silouane l’Athonite. N’oublions pas que le métropolite Euloge, homme sage, profond et perspicace, a imposé le nom et le patronage de sainte Marie l’Égyptienne à mère Marie lors de sa prise d’habit en 1932. Et ce n’est pas pour rien ! Sainte Marie l’Égyptienne est considérée comme le modèle du repentir dans la tradition orthodoxe et elle est fêtée deux fois pendant le Grand Carême, le cinquième dimanche de Carême et le 1er avril. Sainte Marie Skobtsov a elle aussi connu un repentir, une conversion, un retour au Christ, après le décès de sa deuxième fille, Anastasia, en 1926, mais ce repentir s’est exprimé d’une façon complètement différente que celle de sa patronne : alors que Marie l’Égyptienne s’est plongée dans une ascèse extrême, « classique » – renoncement à tout, vie dans le désert, solitude, sans abri, vêtement ou nourriture régulières, seule à Seul pendant des décennies, jusqu’à la fin de sa vie – , sainte Marie Skobtsov a vécu son ascèse, sa purification, son martyre, dans le don de soi pour le prochain : elle s’est donnée entièrement pour ses frères et ses sœurs en besoin. Il y a eu certainement des éléments d’ascèse « classique » pendant la dernière période de sa vie – par exemple, son « logement » au foyer « villa de Saxe » : un pauvre lit dans sa cellule installée dans un renfoncement du mur, derrière la chaudière, où des rats vont et viennent par un trou, qu’elle bouche avec une veille chaussure…
L’autre comparaison qui vient à l’esprit est saint Silouane l’Athonite. Pourquoi ? Le grand moine du XXe siècle, homme rustique et simple, qui a passé presque toute sa vie adulte au monastère Saint-Pantéleïmon du Mont Athos, comment ressemble-t-il à sainte Marie Skobtsov ? Un point commun est certainement l’amour du prochain : un des grands thèmes de saint Silouane était l’amour des ennemis, qu’il considérait comme signe de tout véritable amour du Christ ; pour mère Marie, l’amour du prochain se manifestait concrètement, dans le don de soi pour soulager la souffrance humaine, un don qui pour elle, comme pour son Maître, était sans limites.

La canonisation de mère Marie et de ses compagnons nous incite à regarder parmi les grands spirituels du XXe siècle s’il y a d’autres « candidats » à la canonisation et nous offrons quelques suggestions pour réflexion : Archimandrite Sophrony, père Lev Gillet, Joseph l’Hésychaste du Mont Athos, père Alexandre Men, père Arsène de Rostov…

Sainte Marie Skobtsov reflète vraiment l’originalité de la sainteté, la « nouveauté de l’Esprit » ; elle a connu les « temps modernes » et tous les maux qui les accompagnent : les idéologies totalitaires, la guerre, la pauvreté personnelle, l’instabilité du mariage et de la famille, le rejet social des pauvres, des sans emplois, des sans abri, des alcooliques, des malades mentaux… C’était sa famille, indiquée par le Christ comme son champ d’apostolat : Mgr Euloge n’avait-il pas dit, inspiré par l’Esprit-Saint, au moment de la prise d’habit de mère Marie, que son « désert » sera celui des « cœurs humains » ?

La sainteté est originale et unique, seul le péché est monotone et répétitif. La sainteté révèle la vraie personne, éclatante dans sa beauté originelle, la personne telle que Dieu l’a voulue en la créant, car Dieu souhaite que chacun l’adore et l’aime de sa façon unique. C’est la beauté de la personne : je suis unique, il n'y en a jamais eu un comme moi et il n’y en aura jamais un autre à l'avenir. La réalisation de ma personne, si humble soit-elle, est mon offrande à Dieu, que personne d’autre ne peut faire. Péguy disait : « Il a fallu des saints et des saintes de toutes sortes, et maintenant il en faudrait une sorte de plus » ; et Simone Weil : « Le monde actuel a besoin de saints, de saints nouveaux, de saints qui aient du génie... » – paroles ô combien prophétiques ! Sainte Marie Skobtsov est une sainte d’une sorte nouvelle, une sainte de génie, une sainte dont nous avons besoin.

De la sainteté, du labeur, de la dignité,
on n’en trouve pas chez moi.
Pourquoi m’avoir choisie,
fait ouïr le bruit d’une toute autre armée,
inondé l’âme d’une grâce divine ?
J’écarte les bras d’un geste impuissant car j’ignore
qui a frappé à ma porte et comment,
qui m’appelle à lutter contre tous les maux,
me pousse à terrasser la mort.
Ô cœur, connais ta devise, qu’elle se grave sur mon étendard :
« J’exulterai dans le Seigneur ! »
Car c’est dans l’exaltation et la flamme
que tu reçois la grâce, ô mon cœur.

Mère Marie Skobtsov, Le sacrement du frère


ACTE DE CANONISATION

N° Prot. 927/2003

Acte d’insertion dans la liste des saints (Hagiologion) de l’Église orthodoxe de ceux qui ont servi dans l’Exarchat patriarcal des Paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale : le protopresbytre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie Skobtsov, le fils de celle-ci Iouri Skobtsov, et Élie Fondaminskii.

Ceux qui dans la vie présente se sont conduits de façon sainte et pieuse, et se sont dépensés par le travail et la parole au service, et dans l’amour, de Dieu et du prochain, et qui, après leur départ vers l’Au-delа, par des signes et des miracles ont été attestés par Dieu, la sainte Église du Christ sait les honorer et les célébrer а jamais en toute piété par des hymnes et des louanges, et invoquer leur intercession agréée par le Dieu très bon, pour la rémission des péchés et la guérison des malades. C’est ainsi que sont apparus durant leur vie le protopresbytre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie Skobtsov et son fils Iouri Skobtsov, et Élie Fondaminskii, qui, originaires de Russie, ont servi au sein de notre Exarchat patriarcal des paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale pendant la première moitié du 20e siècle : ils se sont distingués par l’ascèse et la sainteté de leur vie, et, par la dignité de leur vie et leur bon exemple, ils ont contribué а l’édification de l’âme de nombreux fidèles ; ils ont, durant la Seconde guerre mondiale, souffert bien des maux et été soumis а des tourments qu’ils ont supportés avec fermeté, et, de leur vivant et après leur mort, ils ont été jugés dignes par Dieu du charisme d’opérer des miracles. C’est d’eux tous que notre exarque patriarcal le très saint archevêque de Comanes Mgr Gabriel a fait mention par sa proposition а l’Église, faisant en même temps mention du respect dont ils sont entourés par les fidèles de son Exarchat, qui les vénèrent et les honorent comme saints et invoquent leur intercession auprès du Seigneur, ainsi que de la fin comme martyrs de quelques-uns d’entre eux, а cause de l’Évangile du Seigneur. En conséquence, nous avons décidé, suivant la pratique usuelle de l’Église, d’accorder l’honneur qui revient а ces personnes très saintes.

C’est pourquoi nous décrétons et ordonnons en synode, et recommandons dans l’Esprit Saint que le protopresbytre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie Skobtsov et son fils Iouri Skobtsov, et Elie Fondaminskii, qui ont achevé leur vie saintement et en martyrs, soient comptés parmi les bienheureux martyrs et les saints de l’Église, honorés par les fidèles, et célébrés par des hymnes de louanges chaque année le 20 juillet.

En signe et attestation de quoi a été aussi établi par nous le présent acte patriarcal et synodal, d’une part rédigé et signé sur ce registre de notre Sainte et Grande Église du Christ, d’autre part adressé, de façon conforme et identique, au très saint archevêque de Comanes Monseigneur Gabriel, notre exarque patriarcal, pour être lu dans les églises selon la règle et déposé ensuite dans les archives de l’Exarchat patriarcal,

En l’année 2004 du Sauveur, le 16 janvier,
Copie certifiée conforme
Au Patriarcat, le 4 février 2004,
L’Archisecrétaire du Saint-synode.
Tr. fr. MS


TROPAIRES ET KONDAKIA

Hiéromartyr Dimitri, hosiomartyre Marie et martyrs Georges et Élie

Tropaire, ton 1

Par les souffrances que les saints ont endurées pour Toi, * sois imploré, Seigneur, * et guéris toutes nos maladies : * nous t'en prions, ô Ami des hommes.

Kondakion, ton 8 (sur « Comme prémices »)

Comme témoins de la vérité, et prédicateurs de la piété, * honorons dignement par des chants divinement inspirés * Dimitri, Marie, Georges et Élie, * ayant supporté les liens, les souffrances et l'injuste jugement, * et qui par le martyre ont reçu la couronne inflétrissable.

Saint et juste Alexis d'Ugine

Tropaire, ton 3

Pasteur bien-aimé du Christ, Dieu, * tu fus une règle de foi et un exemple de miséricorde. * Tu brillas par ta sollicitude envers ton troupeau en migration, * et tu fus révélé comme étant glorifié par Dieu : * c'est pourquoi reposant avec ton corps dans l'incorruptibilité, * et en esprit te tenant devant le trône divin, * prie le Christ Dieu, * de nous affermir dans l'orthodoxie et la piété, * et de sauver nos âmes.

Kondakion, ton 4  (sur « Toi qui t'es élevé »)

Règle de foi et exemple de miséricorde, * par ta vie pieuse tu t'es montré parmi les prêtres le prêtre du Dieu-Roi, * c'est pourquoi tu te réjouis maintenant avec les chœurs angéliques, * jubilant dans les demeures célestes, ô père Alexis, glorieux pasteur, * prie le Christ-Dieu * d'affermir en notre pays l'orthodoxie, la paix et la piété, * et de sauver nos âmes.


MESSAGE DE L'ARCHEVÊQUE GABRIEL

à l'occasion de la canonisation du père Alexis MEDVEDKOV,
de mère MARIE (Skobtsov) et de ses compagnons

Pour la première fois depuis que l'orthodoxie est présente en Occident à l'époque moderne, l'Église orthodoxe vient de reconnaître solennellement la valeur exceptionnelle du témoignage de sainteté de plusieurs de ses membres, dont certains sont morts martyrs, en les inscrivant sur la liste de ses saints. À cette occasion, l'archevêque GABRIEL, qui dirige l'archevêché des paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, dont le siège est à Paris et qui dispose d'un statut d'autonomie dans la juridiction du patriarcat oecuménique, a publié un message, dont le Service orthodoxe de presse reproduit ici le texte intégral.

Dans sa sollicitude paternelle, Sa Sainteté le Patriarche oecuménique Bartholomée Ier nous a informé que, suite à la demande que nous lui avions adressée par lettre en juillet 2003 et présentée personnellement lors de notre visite au Phanar, siège du Patriarcat, en septembre de la même année, le saint et sacré synode de l'Église de Constantinople a procédé, lors de sa session du 16 janvier 2004, à la canonisation du prêtre Dimitri Klépinine, recteur de la paroisse de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, à Paris, mort martyr au camp de Dora en 1944, et de ses compagnons martyrs, le lecteur Georges Skobtsov, mort à Dora en 1944, le laïc Élie Fondaminsky, mort au camp d'Auschwitz, le 19 novembre 1942, de mère Marie (Skobtsov), moniale, fondatrice du foyer et de l'association caritative "L'Action orthodoxe", à Paris, morte martyre au camp de Ravensbrück, le 31 mars 1945, et de l'archiprêtre Alexis Medvedkov, recteur de la paroisse d'Ugine (Savoie), mort le 22 août 1934, dont le corps fut retrouvé intact dans ses vêtements liturgiques lors de son exhumation en 1956.

« La sainteté possède à la fois une dimension intemporelle
et par la même universelle, mais, simultanément,
elle s'enracine dans le temps »

Mère Marie et le père Dimitri Klépinine ont témoigné de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement son Évangile en sauvant, au prix de leur propre vie, de nombreux juifs sous l'occupation nazie en France. Georges Skobtsov, le fils de mère Marie, fut arrêté en même temps que le père Dimitri et interné avec lui. Élie Fondaminsky, lui aussi engagé dans le travail de "L'Action orthodoxe" aux côtés de mère Marie et venu peu à peu à la foi chrétienne, fut arrêté, dès 1942, en raison de ses origines juives, et déporté ; il devait recevoir le saint baptême peu de temps avant sa mort. Le père Alexis Medvedkov, déjà prêtre en Russie avant la révolution, y échappa à l'exécution sous le régime bolchevique. Émigré en France en 1930, il fut affecté à la petite paroisse d'Ugine (Savoie), où il accomplit son ministère pastoral avec une grande abnégation, faisant preuve d'une constante humilité et d'une grande douceur, vivant dans des conditions matérielles précaires et dans l'indifférence générale.

Tous les cinq, chacun selon les charismes qu'il avait reçus de l'Esprit Saint et suivant les moments et les temps voulus par notre Créateur et Maître, furent des serviteurs dévoués de l'Église du Christ. Conduits par la Providence divine, suite aux tragiques événements qui ensanglantèrent leur terre natale, ils sont venus ici, sur la terre de France, et y ont accompli avec zèle leur ministère pastoral et leur engagement chrétien dans la société, dans le cadre de notre archevêché, sous l'autorité spirituelle et canonique et avec la bénédiction du métropolite Euloge de bienheureuse mémoire. Leur témoignage s'est situé dans un moment crucial où l'orthodoxie russe cherchait à s'organiser en Europe occidentale et, de manière générale, en situation de « diaspora, » en dehors des frontières canoniques de l'Église de Russie. La sainteté possède toujours à la fois une dimension intemporelle et par là même universelle, de participation à la sainteté divine, mais, simultanément, elle s'enracine dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire, notamment, dans l'histoire bénie et douloureuse de la diaspora russe en Occident. Enfin, elle prend racine là où le Seigneur nous a appelés à notre tour à témoigner de notre foi en Lui, en communion avec les saints de tous les temps, en particulier – pour nous – ceux de la terre de France.

« Des serviteurs dévoués de l'Église du Christ qui ont accompli ici
leur ministère pastoral et leur engagement chrétien dans la société »

En cette année, où nous commémorons le 70e anniversaire de la dormition de l'archiprêtre Alexis Medvedkov et le 60e anniversaire du martyre du prêtre Dimitri Klépinine, il nous est donné de prendre conscience combien le père Alexis Medvedkov, le père Dimitri Klépinine, mère Marie et leurs compagnons nous sont proches, non seulement dans le temps, mais surtout par l'enseignement qu'ils nous offrent à travers l'exemple de leur vie sur terre, qui s'est déroulée dans des circonstances effroyables, à une époque marquée par le rejet de Dieu, la négation du don divin de la vie, la déshumanisation de l'homme.

Ainsi, leurs noms et leurs actes restent-ils jusqu'à aujourd'hui gravés dans le coeur et la mémoire des hommes. Face aux épreuves de notre temps, ils nous apportent un message de réconfort et d'espoir, de fidélité absolue à l'Évangile du Christ : humilité, douceur, abnégation, souci du faible et de l'opprimé, service du frère, esprit de sacrifice et d'amour, car il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son prochain (Jn 15,13). "A ceci nous avons connu l'Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères" (1 Jn 3,16).

Depuis de très nombreuses années, bien des prêtres et des fidèles s'adressaient à eux dans leurs prières et espéraient voir reconnaître la sainteté de ces serviteurs zélés, nos intercesseurs auprès du Trône du Roi de Gloire.

En conséquence de quoi et conformément à l'acte patriarcal et synodal que nous avons reçu, nous décrétons :

1) La synaxe des nouveaux saints sera célébrée annuellement le 20 juillet, jour de la fête du saint prophète Elie, date établie par le patriarcat de Constantinople.
2) Leur mémoire sera célébrée également, dans notre archevêché, au jour de leur décès : le saint hiéromartyr prêtre Dimitri et ses compagnons, les martyrs Georges et Élie, le 9 février (27 janvier, selon l'ancien calendrier) ; la sainte osiomartyre Marie, le 31 mars (18 mars, selon l'ancien calendrier; le saint et juste prêtre Alexis, le 22 août (9 août, selon l'ancien calendrier) ;
3) Il sera procédé à la rédaction des offices liturgiques de chacun de ces nouveaux saints, de même que seront peintes leurs icônes, suivant les règles traditionnelles de la Sainte Église. D'ici la rédaction de ces offices, on utilisera dans les célébrations liturgiques le commun des Ménées.
4) La glorification solennelle des nouveaux saints et la proclamation de leur canonisation auront lieu le samedi 1 e mai, au cours des Vigiles, et le dimanche 2 mai 2004, au cours de la Divine Liturgie, en la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, à Paris.
5) Les reliques du saint et juste prêtre Alexis, qui reposent actuellement dans la crypte de l'église de la Dormition-de-la-Mère-de-Dieu, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), seront transférées prochainement au monastère de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, à Bussy-en-Othe (Yonne), afin d'y être exposées en permanence à la vénération des fidèles, dans l'église de la Transfiguration du Christ.

« Nous rendons grâce à Dieu qui est admirable en ses saints »

Nous rendons grâce à Dieu, Lui le seul Saint et source de toute sainteté, de nous avoir révélé l'exploit de ses fidèles serviteurs, qui n'ont pas hésité à aller jusqu'au sacrifice de leur vie, à l'image de notre unique Pasteur, le Christ, dans leur souci de sauver d'autres vies humaines.

Nous rendons grâce à Dieu qui est admirable en ses saints, de nous avoir offert comme un modèle de sainteté son humble serviteur, le prêtre Alexis, dont le corps, même après sa dormition, a continué de rayonner de la grâce divine.

Nous rendons grâce à Dieu qui, dans son infinie miséricorde et malgré toute notre indignité, a fait surgir parmi nous ces intercesseurs que nous pourrons désormais invoquer dans notre prière liturgique, en Église.

Nous remercions Sa Sainteté le Patriarche oecuménique Bartholomée ler et la Grande Église du Christ d'avoir bien voulu entendre notre humble requête et d'avoir procédé à la canonisation de nos Pères et de notre Mère dans la foi.

Nous souhaitons tout particulièrement associer à notre joie la vénérable Église de Russie, qui a toujours été chère à notre coeur, et espérons aussi voir inscrits dans son propre calendrier, comme le veut la Tradition ecclésiale, les noms de ces nouveaux saints qui se sont illustrés sur la terre d'Occident et qui sont "chair de la chair" du peuple russe.

Nous invitons tous nos frères dans la foi vivant dans nos contrées à s'associer eux aussi à notre joie et à participer, notamment en la personne de leurs vénérables évêques, aux célébrations liturgiques solennelles de glorification de ces nouveaux saints qui ont illuminé cette terre d'Occident, où notre Seigneur et Maître les avait appelés à témoigner de l'Évangile et de l'amour du Christ.

L'Église se construit sur le sang des martyrs et par la prière des justes. Ces saints seront pour nous un réconfort dans nos épreuves terrestres, des intercesseurs infatigables auprès du Seigneur notre Dieu, en vue de notre salut, et des guides sur la voie du Royaume céleste.

« Venez, tous les fidèles, célébrons la mémoire des saints qui ont été agréables à Dieu, » prenons-les comme modèles de foi, d'amour et de droiture.

« Saint hiéromartyr Dimitri, sainte osiomartyre Marie, saints martyrs Georges et Élie, priez Dieu pour nous !" "Saint père Alexis, prie Dieu pour nous ! »

(Le titre et les intertitres sont de la rédaction du SOP.)


ARTICLE DU SERVICE ORTHODOXE DE PRESSE (SOP) – FÉVRIER 2004

ISTANBUL : canonisation du père Alexis MEDVEDKOV, du père Dimitri KLÉPININE et de mère MARIE (Skobtsov)

Le Saint-synode du patriarcat oecuménique, dont le siège est à Istanbul (Turquie), a procédé, lors de sa session du 16 janvier dernier, à la canonisation du père Alexis MEDVEDKOV (1867-1934), ainsi que du père Dimitri KLÉPININE (1904-1944), de mère MARIE (Skobstov) (1891-1945), et de leurs compagnons Georges (Youri) SKOBTSOV (1921-1944) et Elie FONDAMINSKIÏ (1880-1942), des personnalités marquantes de l'histoire spirituelle de l'émigration russe en France. Cette canonisation fait suite à la demande présentée au patriarcat, en septembre 2003, par l'archevêque GABRIEL, qui dirige l'archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale. C'est la première fois que le patriarcat oecuménique canonise des personnes qui ont vécu une partie de leur vie en Europe occidentale. Adressant à l'archevêque GABRIEL l'acte synodal de canonisation, le patriarche oecuménique BARTHOLOMÉE Ier a demandé à tous les métropolites des autres diocèses du patriarcat se trouvant en Europe occidentale de faire mémoire de ces nouveaux saints dans leurs diocèses respectifs. Leur commémoration liturgique a été fixée par le patriarcat au 20 juillet, fête du saint prophète Elie. De son côté, l'archevêque GABRIEL a décidé d'inscrire également leurs noms au calendrier liturgique de l'archevêché au jour du décès de chacun d'eux.

"Par notre présente lettre patriarcale et fraternelle […] nous avons l'opportunité de [vous] faire savoir qu'à la suite de la demande que vous nous avez présentée concernant l'archiprêtre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie (Skobtsov) et son fils Youri Skobtsov ainsi qu'Elie Fondaminskiï, lesquels se sont distingués par la pureté et la sainteté de leur vie, en conformité à la pratique et à l'ordre en usage au sein de notre sainte Eglise orthodoxe, nous avons inscrit ceux-ci au registre de ses saints, leur mémoire devant être célébrée le 20 juillet de chaque année", écrit dans sa lettre le patriarche BARTHOLOMÉE Ier . L'acte synodal précise quant à lui que "ceux qui dans la vie présente se sont conduits de façon sainte et pieuse, et se sont dépensés par le travail et la parole au service et dans l'amour de Dieu et du prochain, et qui, après leur départ vers l'Au-delà, par des signes et des miracles ont été confirmés par Dieu, la sainte Eglise du Christ sait les honorer et les célébrer à jamais en toute piété par des hymnes et des louanges, et invoquer leur intercession agréée par le Dieu très bon, pour la rémission des péchés et la guérison des malades".

"C'est ainsi que sont apparus durant leur vie l'archiprêtre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie Skobtsov et son fils Georges Skobtsov, et Élie Fondaminskiï, qui, originaires de Russie, ont servi au sein de notre exarchat patriarcal des paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale, pendant la première moitié du 20e siècle : ils se sont distingués par l'ascèse et la sainteté de leur vie, et, par la dignité de leur vie et leur bon exemple, ils ont contribué à l'édification de l'âme de nombreux fidèles ; plusieurs d'entre eux ont, durant la deuxième guerre mondiale, souffert bien des maux et ont été soumis à des tourments qu'ils ont supportés avec fermeté", poursuit l'acte synodal. "En conséquence, nous avons décidé, suivant la pratique usuelle de l'Eglise, d'accorder à ces personnes très saintes l'honneur qui leur revient. C'est pourquoi nous décrétons et ordonnons en synode, et recommandons dans l'Esprit Saint que l'archiprêtre Alexis Medvedkov, le prêtre Dimitri Klépinine, la moniale Marie Skobtsov et son fils Georges Skobtsov, et Elie Fondaminskiï, qui ont achevé leur vie dans la sainteté et, pour certains, dans le martyre, soient comptés parmi les bienheureux martyrs et les saints de l'Eglise, honorés par les fidèles, et célébrés par des hymnes de louanges", indique encore ce document.

Dans un message au clergé et aux membres des paroisses de l'archevêché, daté du 11 février, l'archevêque GABRIEL a souligné l'importance que revêt pour le témoignage orthodoxe en France et, plus généralement, en Europe occidentale la "glorification" de ces saints, les premiers saints de l'Eglise orthodoxe à l'époque moderne à avoir vécu en Occident. "Tous les cinq, chacun selon les charismes qu'il avait reçus de l'Esprit Saint et suivant les moments et les temps voulus par notre Créateur et Maître, ont été étaient des serviteurs dévoués de l'Eglise du Christ. Conduits par la Providence divine, suite aux tragiques événements qui ensanglantèrent leur terre natale, ils sont venus ici, sur la terre de France, et y ont accompli avec zèle leur ministère pastoral et leur engagement chrétien dans la société, dans le cadre de notre archevêché", écrit-il, avant de dégager la leçon spirituelle de leur vie et de leur engagement : "Face aux épreuves de notre temps, ils nous apportent un message de réconfort et d'espoir, de fidélité absolue à l'Evangile du Christ : humilité, douceur, abnégation, souci du faible et de l'opprimé, service du frère, esprit de sacrifice et amour, car "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son Ami (Jn 15,13)".

"[Le] témoignage [de ces saints] s'est situé dans un moment crucial où l'orthodoxie russe cherchait à s'organiser en Europe occidentale et, de manière générale, en situation de "diaspora", en dehors des frontières canoniques de l'Eglise de Russie. La sainteté possède toujours à la fois une dimension intemporelle et par la même universelle, de participation à la Sainteté divine. Mais, simultanément, elle s'enracine dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire dans l'histoire bénie et douloureuse de la diaspora russe en Occident. Enfin, elle prend racines, là où le Seigneur nous a appelé à notre tour à témoigner de notre foi en Lui, en communion avec les saints de tous les temps, en particulier — pour nous — ceux de la terre de France", poursuit l'archevêque GABRIEL, qui annonce que les célébrations solennelles à l'occasion de la canonisation des nouveaux saints auront lieu les 1er et 2 mai prochain, à Paris, en la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, siège de l'archevêché, et que les représentants des diocèses des différentes juridictions canoniques présentes en France et dans les pays limitrophes seront invités à y participer (lire le texte intégral de ce message en Document, page 21). "L'Eglise se construit sur le sang des martyrs et par la prière des justes. Ces saints seront pour nous un réconfort dans nos épreuves terrestres, des intercesseurs infatigables auprès du Seigneur notre Dieu, en vue de notre salut, et des guides sur la voie du Royaume céleste", déclare en conclusion l'archevêque GABRIEL.

Le père Alexis MEDVEDKOV était, avant la Révolution russe, prêtre d'un petit village de la région de Saint-Pétersbourg. Arrêté par les bolcheviques en 1918, il échappe au peloton d'exécution grâce à l'intervention de ses proches et parvient à émigrer en Estonie, où il doit vivre dans une grande pauvreté, travaillant pendant quelques mois comme mineur, puis en donnant des cours de catéchèse. En 1930, il part pour la France, où il est reçu dans la juridiction du métropolite EULOGE (Guéorguievskiï) (1868-1946), qui dirigeait à l'époque les paroisses russes en Europe occidentale. Nommé recteur de la petite communauté d'Ugine (Savoie), le père Alexis MEDVEDKOV y accomplit son ministère pastoral avec abnégation, dans des conditions matérielles précaires et l'indifférence de la part de bien des membres de la paroisse, avant d'être emporté par un cancer. Tous les témoignages à son sujet s'accordent à dresser le portrait d'un homme de prière et d'une grande humilité. En 1956, lors d'une exhumation à l'occasion d'un réaménagement du cimetière d'Ugine, son corps est découvert intact, de même que les vêtements liturgiques dans lesquels il était enveloppé, ce qui dans la tradition ecclésiale russe est considéré comme le signe d'une élection particulière. L'année suivante, ses restes étaient déposés dans la crypte de l'église de la Dormition, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne).

Le père Dimitri KLÉPININE et mère MARIE (Skobtsov), ainsi que leurs compagnons Georges SKOBTSOV, fils de mère MARIE, et Elie FONDAMINSKIÏ, ont témoigné de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement son Évangile, en sauvant, au prix de leur propre vie, de nombreux juifs sous l'occupation nazie (SOP 276.7). En 1935, mère MARIE, une poétesse et artiste devenue moniale, avait fondé, au 77 de la rue de Lourmel, dans le 15e arrondissement de Paris, un centre d'accueil et un foyer pour personnes sans domicile fixe, donnant ainsi toute sa dimension spirituelle à l'action sociale et prônant le développement d'un "monachisme dans la cité, dans le désert des coeurs humains". Aidée par un groupe de laïcs, membres de l'association "L'Action orthodoxe" qu'elle avait créée, elle était au service des chômeurs et des sans-papiers, organisant une cantine, des ateliers, un bureau d'aide sociale. Le père Dimitri KLÉPININE, jeune prêtre parisien, diplômé de l'Institut Saint-Serge, marié et père de deux enfants, fut chargé, à partir de 1939, de la paroisse dédiée à la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, qui avait été ouverte auprès du foyer. Durant l'occupation, de nombreux juifs persécutés y furent accueillis et cachés. En 1942, lors de la rafle du « Vél' d'hiv' », mère MARIE réussit à pénétrer à l'intérieur de l'édifice et à sauver la vie de quelques enfants.

Le 8 février 1943, une perquisition eut lieu dans les locaux de la rue de Lourmel. En l'absence des dirigeants de l'association, le fils de mère MARIE, Georges, âgé d'une vingtaine d'années, fut emmené en otage par la Gestapo. Le 9 février, soit un an jour pour jour avant sa mort, le père Dimitri KLÉPININE célébrait une dernière liturgie eucharistique dans la chapelle du foyer, avant de se rendre à la convocation de la Gestapo. Le lendemain, mère MARIE, venue obtenir la libération de son fils était elle aussi arrêtée. Tous trois furent internés, d'abord au fort de Romainville, puis au camp de Compiègne, avant d'être déportés en Allemagne. Le père Dimitri KLÉPININE mourut d'une pneumonie au camp de Dora, le 9 février 1944 (SOP 186.30), tout comme Georges SKOBTSOV, qui lui aussi avait été déporté à Dora. Proche collaborateur de mère MARIE à "L'Action orthodoxe", Élie FONDAMINSKIÏ, un intellectuel russe d'origine juive, venu peu à peu à la foi chrétienne, avait été quant à lui arrêté par les nazis dès 1941. Il reçut le baptême alors qu'il était interné au camp de Compiègne (Oise), avant d'être déporté à Auschwitz où il devait périr le 19 novembre 1942. Mère MARIE fut gazée à Ravensbrück, le 31 mars 1945, selon certains témoignages elle aurait pris la place de l'une de ses codétenues (SOP 171.29). Un appel en vue de sa canonisation, recueillant de nombreuses signatures de personnalités orthodoxes, mais aussi catholiques et protestantes, avait été adressé au patriarche ALEXIS II de Moscou en août 1993 (SOP 171.18). Mère Marie SKOBTSOV et le père Dimitri KLÉPININE ont reçu de l'Etat d'Israël le titre de "Justes parmi les nations" et leurs noms sont inscrits au mémorial Yad Vashem, à Jérusalem. Une biographie spirituelle de Mère MARIE ainsi qu'un choix de poèmes et essais de sa main traduits en français ont été rassemblés dans un ouvrage publié par Hélène ARJAKOVSKY-KLÉPININE sous le titre Le sacrement du frère (éditions "Le Sel de la Terre", 1995, 2e éd. 2001) (SOP 197.26). Une autre biographie, de Laurence VARAUT, Mère Marie Skobtsov est parue aux éditions Perrin en 2000."


LA CANONISATION DES PREMIERS SAINTS
 DE LA DIASPORA ORTHODOXE

par ANTOINE ARJAKOVSKY

Dans Ut unum sint Jean-Paul II affirme que la sainteté est l’une des expressions prophétiques du témoignage chrétien de l’unité. Encore fallait-il que l’Eglise Orthodoxe reconnaisse parmi les siens les authentiques témoins du Christ. Or depuis 1988 l’Eglise russe a canonisé plus de saints qu’au cours des dix siècles de son histoire ! Et le patriarche de Constantinople vient quant à lui de canoniser un petit groupe de martyrs ayant vécu en France dans l’entre-deux guerres. Parmi eux on trouve des disciples de Nicolas Berdiaev et du père Serge Bulgakov, ayant travaillé étroitement avec les milieux protestants (John Mott), anglicans (bishop Walter Frere), et catholiques (Emmanuel Mounier et Jacques Maritain). Membres de la Résistance, ayant sauvé de nombreux juifs pendant la guerre, ils représentent une sainteté orthodoxe œcuménique et ouverte (avec saint Silouane de l’Athos, saint Nectaire d’Egine, etc…). La chaîne d’or des saints permettra-t-elle un renouveau de la conscience ecclésiale ?

Le saint-synode du patriarcat œcuménique de Constantinople a procédé, le 16 janvier dernier, à la canonisation de personnalités marquantes de l'histoire spirituelle de l'émigration russe en France, les pères Alexis Medvedkov (1867-1934) et Dimitri Klépinine (1904-1944), la mère Marie (Skobstov) (1891-1945), son fils Georges Skobtsov (1921-1944) et Elie Fundaminski (1880-1942). Cette canonisation fait suite à la demande présentée au patriarcat par Mgr Gabriel, archevêque de Comanes, qui dirige l'archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale. Il s’agit des premiers saints de la ‘diaspora orthodoxe’ répandue partout dans le monde depuis deux siècles. Leur commémoration liturgique a été fixée par le patriarcat au 20 juillet, fête du saint prophète Elie selon le calendrier grégorien. De son côté, l'archevêque Gabriel a décidé d'inscrire également leurs noms au calendrier liturgique de l'archevêché au jour du décès de chacun d'eux.

Dans une lettre du 11 février, publiée par le Service Orthodoxe de Presse sur son site internet annonçant la célébration des nouveaux saints à Paris les 1er et 2 mai prochains, l’archevêque Gabriel a dégagé le sens spirituel de cette canonisation : "Face aux épreuves de notre temps, ils nous apportent un message de réconfort et d'espoir, de fidélité absolue à l'Evangile du Christ : humilité, douceur, abnégation, souci du faible et de l'opprimé, service du frère, esprit de sacrifice et amour, car "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son Ami (Jn 15,13) (…) L'Eglise se construit sur le sang des martyrs et par la prière des justes. Ces saints seront pour nous un réconfort dans nos épreuves terrestres, des intercesseurs infatigables auprès du Seigneur notre Dieu, en vue de notre salut, et des guides sur la voie du Royaume céleste ".

Le père Alexis Medvedkov, arrivé en France en 1930, fut nommé recteur de la petite communauté d'Ugine en Savoie par Mgr Euloge. Il y accomplit son ministère pastoral avec abnégation, dans des conditions matérielles précaires et l'indifférence de la part de bien des membres de la paroisse, avant d'être emporté par un cancer. Tous les témoignages à son sujet s'accordent à dresser le portrait d'un homme de prière et d'une grande humilité. En 1956, lors d'une exhumation à l'occasion d'un réaménagement du cimetière d'Ugine, son corps est découvert intact, de même que les vêtements liturgiques dans lesquels il était enveloppé. L'année suivante, ses restes étaient déposés dans la crypte de l'église de la Dormition, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Les quatre autres saints faisaient partie de l’Action orthodoxe, mouvement créé à l’automne 1935 à Paris par mère Marie Skobtsova (présidente) avec la bénédiction de Mgr Euloge. Mère Marie était une poétesse et artiste de l’Age d’argent, amie de Alexandre Blok, mariée puis séparée de son mari, première femme à être élue maire d’une ville russe en 1917. Dans l’émigration, elle devint ‘moniale dans le monde’ en 1932. Pour créér l’Action Orthodoxe, elle obtint le soutien du philosophe N. Berdiaev, le directeur de la revue Put’ (il trouva le nom de l’association), du père S. Bulgakov doyen de l’Institut saint Serge, du critique littéraire K. Motchoulski (vice président), de F. Pjanov (secrétaire), et de la jeune génération : G. Kazatchkine, T. Bajmakova, l’assistante de N. Berdiaev et l’auteur de la bibliographie des œuvres du philosophe, S. Jaba, membres de la revue Novig Grad de G. Fedotov, le fondateur de l’hagiologie orthodoxe, ou du Krug créé par I. Fundaminskij. Le mouvement installé dans l’immeuble du 77 rue de Lourmel accueillait chaque jour des centaines de personnes en situation de détresse physique et morale et leur apportait réconfort, soins médicaux et repas chauds. Dans le même foyer se pressaient les étudiants de l’Académie de philosophie religieuse et les congrès de la Ligue de la culture orthodoxe. Dans son manifeste l’Action orthodoxe proposait une nouvelle conception de l’engagement intellectuel. Celui-ci devait se faire non au service d’une grande cause ou d’un énorme Etat. Il devait être modeste, concret et paradigmatique.

Le père Dimitri Klépinine, apparenté à la poétesse Zinaida Hippius, diplômé de l'Institut Saint-Serge, marié à T. Bajmakova et père de deux enfants, Hélène et Paul, fut chargé, à partir de 1939, de la paroisse dédiée à la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, qui avait été ouverte auprès du foyer. Durant l'occupation allemande, de nombreux juifs persécutés y furent accueillis et cachés. En 1942, lors de la rafle du Vélodrome d'hiver, mère Marie réussit à pénétrer à l'intérieur de l'édifice et à sauver la vie de quelques enfants. Le 8 février 1943, une perquisition eut lieu dans les locaux de la rue de Lourmel. En l'absence des dirigeants de l'association, le fils de mère Marie, Georges, âgé d'une vingtaine d'années, fut emmené en otage par la Gestapo. Le 9 février, soit un an jour pour jour avant sa mort, le père Dimitri célébrait une dernière liturgie eucharistique dans la chapelle du foyer, avant de se rendre à la convocation de la Gestapo. Le lendemain, mère Marie, venue obtenir la libération de son fils était elle aussi arrêtée. Tous trois furent internés, d'abord au fort de Romainville, puis au camp de Compiègne, avant d'être déportés en Allemagne. Au camp de Dora le père Dimitri, refusa le signe qui le désignait comme français, mais voulut porter la marque des soviétiques, les plus maltraités. Il mourut, le 9 février 1944, tout comme Georges Skobtsov. Elie Fundaminski, un intellectuel russe d'origine juive, venu peu à peu à la foi chrétienne, avait été quant à lui arrêté par les nazis dès 1941. Il reçut le baptême alors qu'il était interné au camp de Compiègne, avant d'être déporté à Auschwitz où il devait périr le 19 novembre 1942. Mère Marie fut gazée à Ravensbrück, le 31 mars 1945, le jour de Pâques.

Très vite après leur mort se multiplièrent les signes de leur vénération dans le monde à travers de nombreuses publications et films, commémorations et appels œcuméniques en faveur de leur canonisation. En Occident, le père Serge Hackel, Stratton Smith, Heinrich Boll, Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Olivier Clément, Hélène Klépinine, le père Boris Bobrinskoy, Nikita Struve firent connaître la spiritualité ouverte de l’Action Orthodoxe . En 1985 l’Etat d’Israël accorda à Yad Vashem le titre de Justes parmi les nations au père Dimitri et à la mère Marie. La même année en URSS mère Marie fut réhabilitée puis un film fut réalisé sur elle. Mais son action y était présentée comme idéologique plus qu’ecclésiale. En revanche les métropolites Antoine Blum et Cyrille de Smolensk insistèrent sur le caractère à la fois traditionnel et moderne de la piété du groupe de l’Action Orthodoxe. Et le père Alexandre Men’ parla de la sainteté de mère Marie et du père Dimitri lors d’une conférence organisée à Moscou le 2 septembre 1990, …une semaine avant son propre martyr.

Le 9 février 2004, de façon providentielle, sans que cela n’ait été prévu de la part de l’exarque de Constantinople, la famille du père Dimitri Klépinine a appris la nouvelle de sa canonisation, soit soixante ans, jour pour jour, après sa naissance au ciel.

Article paru dans France Catholique,
n° 2921, 12 mars 2004.


HOMMAGE DE L'ORTHODOXIE À SES EXILÉS

Entretien avec Élisabeth Behr-Sigel

Les cinq premiers saints orthodoxes de l'émigration russe en France seront « glorifiés » à Paris dimanche 2 mai 2004. Entretien du journal La Croix avec Élisabeth Behr-Sigel, théologienne orthodoxe.

Le 2 mai aura lieu à la cathédrale russe Alexandre-Nevski, à Paris, la « glorification solennelle » de cinq nouveaux saints, canonisés cette année par le patriarcat œcuménique de Constantinople. Parmi eux, la figure emblématique de mère Marie Skobtsov, et ses trois compagnons de l’Action orthodoxe, le père Dimitri Klépinine, Youri Skobtsov, Élie Fondaminsky, tous morts en camps de déportation pour avoir voulu sauver des juifs. Ils rendirent témoignage ainsi, selon l’acte de canonisation, « de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement l’Évangile ». Le cinquième est un prêtre, le père Alexis Medvedkov, mort en 1934 en Savoie et vénéré pour son humilité. En les glorifiant, l’Église orthodoxe rend hommage à une génération d’exilés qui, en Occident, ont contribué à la renouveler.

- La Croix : La canonisation de cinq personnalités marquantes de l’histoire spirituelle de l’émigration russe en Europe par le patriarcat œcuménique, dont la figure emblématique de Mère Marie Skobtsov, est-elle une manière de reconnaître la spiritualité de l’Orthodoxie française ?

– Élisabeth Behr-Sigel : On ne peut dire que mère Marie soit une figure représentative de l’Orthodoxie française, tant elle est restée russe jusqu’au plus profond d’elle-même. Mais son « exploit spirituel » (podvig) s’est déroulé dans le contexte occidental. Elle et ses compagnons – son fils Youri, le père Dimitri Klépinine et Élie Fondaminsky – représentent une Orthodoxie intégrée dans l’histoire occidentale qui, après avoir fui le bolchevisme, s’est dressée contre la barbarie nazie. Mère Skobtsov a aimé la France, elle a assumé la réalité française, jusqu’au bout. C’est la première fois que l’Église orthodoxe canonise des gens dont la partie essentielle de la vie s’est réalisée en Occident. C’est un honneur fait à l’émigration russe. C’est peut-être aussi une manière de reconnaître qu’il existe en France une Église locale, au-delà des différentes juridictions auxquelles appartiennent les personnes.

– Quel est l’apport de cette génération à l’Orthodoxie ?

– En France, après la Révolution bolchevique, se sont retrouvés les acteurs du concile local de l’Église orthodoxe de Moscou, qui avait eu lieu en 1918. Au début du XXe siècle, l’Église russe a connu une « renaissance » spirituelle importante, qui s’est traduite par le retour d’intellectuels à la pratique religieuse, comme le philosophe Nicolas Berdiaev ou l’économiste marxiste Serge Boulgakov, qui devint prêtre et fut le confesseur de mère Marie.

Cette élite intellectuelle, autour de Serge Boulgakov, est venue en France et a continué à réfléchir. Elle s’est enrichie au contact des autres Églises, dans un contexte de laïcité. Jacques Maritain a joué un grand rôle par ses liens avec Nicolas Berdiaev, tout comme le pasteur réformé Wilfred Monot, qui venait souvent dans cette communauté exilée. Il y a donc eu, dès le départ, une ouverture œcuménique. Mère Marie témoigne de cette préoccupation. Geneviève de Gaulle-Anthonioz, qui l’avait connue lors de ses derniers jours à Ravensbrück, m’a confié combien mère Marie tenait à l’unité de l’Église, jusqu’au bout.

Parmi ces exilés, de jeunes intellectuels, tels Vladimir Lossky et Paul Evdokimov, ont cherché le sens de leur venue en Occident. Pour eux, c’était le témoignage de l’Orthodoxie. C’était quelque chose de profond, la recherche de racines spirituelles communes pour un profond renouvellement.

– Cette génération avait tout à construire !

– Elle a vécu l’écroulement de l’ancienne Russie dans des conditions particulièrement dramatiques. Tout comme la disparition de l’institution ecclésiale. Elle a aussi connu le sort difficile des apatrides, la pauvreté, l’insécurité… Cela leur a donné un trésor, à savoir une immense liberté. C’est une expérience qui manque à l’Orthodoxie dans son ensemble. Mère Marie est particulièrement caractéristique de cette liberté. Tout en restant dans l’Église, elle a pu dire des paroles de liberté.

– Ne fut-elle pas trop dure à l’encontre de certains aspects de l’Orthodoxie ?

– La tentation de l’Orthodoxie, c’est de s’en tenir à une spiritualité liturgique. Mère Marie voulait que sa foi soit un témoignage vécu dans la pratique. Pour elle, le monachisme traditionnel s’était renfermé sur le culte. Elle rêvait d’un monachisme créatif, renouvelé, en réponse à l’appel déchiffré dans les « signes des temps », un monachisme vécu non au désert ou derrière les murs protecteurs, mais dans le monde. Un monachisme intégré dans la cité. Pour elle, l’injonction « Partez en paix » est une invitation de l’Église à entrer dans le monde. Le père Lev Gillet, qui fut aumônier de la rue de Lourmel à Paris, s’amusait à me raconter l’immense capharnaüm qu’était la maison de l’Action orthodoxe qu’elle avait fondée là : des épaves de l’immigration russe, des prostituées, mais aussi un chœur grégorien, des séances de l’académie philosophique de Nicolas Berdiaev y trouvaient refuge.

– Ce qu’elle a appelé le « sacrement du frère »…

– À la mort de sa fille Anastasia, mère Marie a eu le sentiment qu’il lui fallait tout donner et se donner elle-même entièrement. Il y a là, pour nous aujourd’hui, un appel à l’absolu authentique. Au fond, elle est restée jusqu’au bout socialiste-révolutionnaire. L’appel à la sainteté de Dieu passe, chez elle, par une aspiration à la justice sociale profonde. Elle voulait réveiller l’Orthodoxie à cette réalité.
– A-t-elle une postérité ?

– Au sens strict, non. Sa vie pourrait sembler un échec : deux mariages brisés, ses enfants morts prématurément… Au sein du monachisme orthodoxe, elle n’a pas eu de disciples, et l’Action orthodoxe qu’elle avait créée n’a pas eu de suite. Mais son rayonnement est désormais immense. Elle est comme une invitation incessante à aller dans le monde. Au-delà de toutes les structures paralysantes, elle continue de nous appeler à aller vers Celui qui vient.

– Une Église dans le monde ?

– Je rapprocherais sa spiritualité de celle de Dietrich Bonhoeffer : celle d’une Église sécularisée, d’un culte qui se réalise à travers la vie sociale. C’est, pour elle, l’occasion de transformer les œuvres de la culture en culte, en offrande.
– Avec mère Marie, c’est aussi une femme que l’Église orthodoxe honore… Une figure féminine de spiritualité.

– Je n’aime pas beaucoup attribuer aux femmes des charismes spécifiques qui les opposeraient aux hommes. Cependant, il est vrai que mère Marie avait ceci de féminin qu’elle était très ouverte à la rencontre, à l’écoute. Elle eut une grande activité de conseil spirituel, souvent d’ailleurs auprès d’hommes, envers qui elle était très maternelle. Comme avec tous…

– Mère Marie et ses trois compagnons canonisés sont morts parce qu’ils avaient voulu protéger des juifs. Est-ce une invitation pour l’Église orthodoxe à mieux vivre son lien avec le judaïsme ?

– L’intérêt pour le judaïsme existait au sein de cette génération d’exilés, et il fut approfondi, notamment avec la rencontre de juifs convertis au christianisme. C’est la première fois que l’Église orthodoxe propose à la vénération de ses fidèles des saints qui sont honorés du titre de « Justes des Nations » par le peuple d’Israël. Il reste malheureusement encore des réflexes antisémites dans le peuple orthodoxe, en Russie. L’enjeu est important. D’autant plus que, parmi les chrétiens présents aujourd’hui en Israël, il y a un nombre croissant de Russes orthodoxes.

Isabelle DE GAULMYN

Repères : La canonisation ou glorification dans l’Église orthodoxe

Au sein de l’Orthodoxie, c’est au saint-synode de chaque Église autocéphale que revient la décision de canoniser, ou plutôt de « glorifier » ses futurs saints et de les insérer à la liste des saints (hagiologion) de l’Église orthodoxe. La vénération du saint peut ensuite se limiter à cette Église autocéphale, ou bien s’étendre à toute l’Orthodoxie. Dans le cas des cinq saints d’origine russe dont la glorification solennelle aura lieu le 1er mai, la cause a été introduite en 1993 auprès du Patriarcat de Moscou. Leur vie de sanctification s’étant cependant déroulée en émigration en Europe occidentale, c’est finalement auprès du Patriarcat œcuménique de Constantinople – dont dépend une partie des paroisses de tradition russe en Europe occidentale – que leur cause a été introduite par Mgr Gabriel, archevêque de cette juridiction. Le Saint-Synode du Patriarcat œcuménique de Constantinople a prononcé le décret de canonisation le 16 janvier 2004.


LES QUATRE SAINTS MARTYRS  DE L’« ACTION ORTHODOXE »

par Hélène Arjakovsky-Klépinine

Le Bulletin No 16 de Lumière de Thabor annonçait la canonisation par le Saint-Synod de l’Église de Constantinople de cinq ressortissants de l’immigration russe en France : le père Alexis Medvedkov (1867-1934), le père Dimitri Klépinine (1904-1944), mère Marie (Skobstov) (1891-1945), son fils Georges (Youri) Skobtsov (1921-1944) et Élie (Ilya) Fondaminsky (1880-1942). La glorification des nouveaux saints a eu lieu à Paris les 1er et 2 mai 2004. Nous présentons ici un texte de Mme Hélène Arjakovsky-Klépinine, fille du père Dimitri, qui nous fait part de témoignages concernant sainte Marie Skobtsov et ses trois compagnons de l’« Action orthodoxe », œuvre de bienfaisance fondée par mère Marie dans les années 1930. Ce texte vient en complément de la vie de mère Marie par Mme Arjakovsky, ainsi que les souvenirs et les témoignages concernant mère Marie, et les informations sur la canonisation, qui figurent aux « Pages Sainte Marie Skobtsov ».

L’Acte de canonisation du 16 janvier 2004 est devant moi ! Comment exprimer mon immense joie à l’annonce de l’événement que nous attendions avec impatience, sans néanmoins oser y croire : la canonisation de mère Marie et Youri Skobtsov, d’Élie Fondaminsky et de mon propre père, Dimitri Klépinine ?

Certes, les documents préalables à la canonisation avaient été mis en route en 1993, ils avaient été élaborés avec l’aide de nombreux amis : prêtres, moines et moniales, laïcs, amis paroissiens, éditeurs, responsables d’associations qui m’ont souvent invitée à parler de mère Marie en France, en Belgique, en Suisse et ici en Allemagne, où je vis maintenant.

Je veux les remercier du fond du cœur de m’avoir soutenue et encouragée. Je traversais une période difficile de ma vie, et ce travail de recherche sur la vie et l’exploit d’Élisabeth Skobtsov, devenue mère Marie, en l’honneur de sainte Marie l’Égyptienne, a été pendant ces dix ans un approfondissement spirituel qui m’a aidée à sortir de la phase d’épreuves que je traversais. Ce fut un miracle, je n’ai pas peur du mot. En rédigeant, à la demande de l’archevêque Serge (Konovaloff) les documents en vue de la canonisation, j’ai été amenée à réfléchir sur la sainteté.

La sainteté n’est pas synonyme de vie sainte, le bon larron a mérité le paradis pour une parole à l’extrême pointe d’une vie chargée sans doute de bien des crimes, mais la sainteté est une réponse adéquate au plan de Dieu sur nous, la capture d’un signe de Dieu à un moment crucial de notre vie. Nous sommes tous appelés à la sainteté, mais trop souvent, nous ne captons pas ce moment décisif où il faut faire basculer notre quotidien, nous « tourner » vers Dieu, nous « convertir » et prendre notre croix.

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans le cas du « groupe de l’Action orthodoxe », c’est que ce fut une réponse croisée, une réponse polyphonique, une « conversion » qui s’est propagée de l’un à l’autre, le destin de ces quatre martyrs s’est providentiellement entrecroisé, et cela aussi est un miracle ! Les voir réunis sur la même icône est un encouragement fantastique pour notre temps. Les saints sont au milieu de nous. Et chaque jour et en tout lieu, nous sommes appelés au sacrement du frère.

YOURI : L’APPEL

Pour mère Marie et son fils Youri, ce lien est non seulement biologique, mais spirituel : si Youri a accepté à quatorze ans la profession monastique de sa mère, il a aussi adhéré à ses projets ecclésiaux, il est devenu sous-diacre, a appris non seulement à lire en slavon, mais à comprendre l’ordo. C’est d’ailleurs à son intention que fut composée, à l’église de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, rue de Lourmel, à Paris, une table des lectures suivant les cycles liturgiques et que furent initiés des cours de formation de psalmistes. C’est Youri qui, à vingt ans, orna la cour de la paroisse de « Lourmel », lors de leur dernière semaine sainte, célébrée ensemble en 1942, lorsque la Guerre et l’Occupation attirant de si nombreux paroissiens à l’église, il fut décidé de vénérer l’épitaphion [voile sur lequel est représenté la mise du Christ au tombeau et qui est porté en procession et vénéré par les fidèles durant les célébrations liturgiques du vendredi et du samedi de la semaine sainte] et de célébrer les vêpres de Pâques à l’extérieur.

C’est en toute connaissance de cause que Youri est entré en résistance active contre les persécutions nazies. C’est dans la poche de son imperméable que l’officier S.S. Hoffmann a trouvé un mot qu’une dame juive adressait au père Dimitri, le suppliant, en février 1943, de lui fournir un certificat d’appartenance à la paroisse : preuve accablante ! Youri aurait pu se disculper, il ne l’a pas fait ; comme il a refusé plus tard l’offre d’un officier du camp de transit de Compiègne qui lui proposait la vie sauve contre un engagement dans l’armée d’intervention en Russie du général Vlassov. « Je suis fier de partager le sort de maman », écrivit Youri à son père, à l’heure où il savait déjà sa mère déportée en Allemagne. Lors de leur dernière entrevue en mars 1943, mère Marie et Youri, en se disant « À Dieu », ont convenu de réciter à la même heure la prière qui ponctue les 40 Kyrie eleison de l’office des heures : « Toi qui en tout temps et à toute heure, au ciel et sur la terre, es adoré et glorifié, Christ Dieu... » À Ravensbrück, en janvier 1944, mère Marie ne pouvait pas savoir - humainement savoir - que son fils venait de mourir, mais pourtant elle l’a su mystiquement. Elle a dit à son amie française Rosane Lascroux : « Youri est mort ».

ÉLIE FONDAMINSKY : LA CONVERSION

Quant aux liens entre Élie (Ilia Isidorovitch Fondaminsky-Bounakov) et Élisabeth Skobtsov, future mère Marie, ce fut d’abord une fraternité d’armes : tous deux avaient été en Russie membres du parti socialiste révolutionnaire, tous deux y avaient eu des responsabilités importantes au comité central, y représentant leur région : Moscou pour Élie, Anapa pour Élisabeth. Tous deux avaient senti le danger du dérapage de l’action révolutionnaire terroriste vers une folie de destruction et finalement une folie dominatrice qui allait tomber dans les travers qu’elle était censée combattre dans l’autocratie : la dictature. Ils avaient adhéré à l’aile modérée du parti puis, voyant l’extrémisme triompher, avaient pris leurs distances. Élisabeth et Élie se sont retrouvés à Paris ; en 1930, de révolutionnaire qu’il avait été, Elie était en train de se rapprocher des chrétiens démocrates ; en 1932, Élisabeth Skobtsov devenait la moniale Marie.

Il y a une photographie émouvante des Skobtsov et des Fondaminsky qui date du printemps 1932, juste après la prise de voile de mère Marie. Élie et sa femme Amalia accueillent mère Marie à Cabris-sur-Grasse, dans les Alpes-Maritimes, où les enfants Eltchaninoff, Youri Skobtsov et sa grand-mère Sophie Pilenko passent des vacances. De son écriture d’enfant, Youri note au bas du cliché : « Maman vient nous visiter habillée pour la première fois en moniale ». On peut imaginer ce que représenta pour Fondaminsky de voir sa compagne de lutte revêtue de la tenue monastique ; ce fut un jalon de plus sur son chemin vers l’Église. Aussitôt Élie, qui était fortuné, se mit à financer beaucoup de projets de la moniale orthodoxe. Il le fera avec discrétion et tact, de même qu’il aidera beaucoup de Russes dans le besoin. Marie Struve-Eltchaninoff se souvient qu’à la mort de son père, le père Alexandre Eltchaninoff [prêtre à la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, à Paris, après avoir commencé son ministère pastoral à Nice ; décédé en août 1934], ils habitèrent encore un certain temps rue Daru. Élie venait les voir, les bras chargés de cadeaux. En entrant, il annonçait : « On va au cirque. Quand je me lève en sachant que je vous emmène au cirque, je me lève le coeur en fête ». À Tamara Eltchaninoff il demandait avec malice : « Acceptez-vous dans votre maison, rue Daru, un juif non encore converti ? » Certains des assistés d’Élie ne sauront pas d’où vient l’argent : « Ils seraient bien capables de le refuser », disait Élie à mère Marie avec humour.

Mais c’est sur le plan spirituel que leurs liens vont être les plus forts : comme mère Marie, Élie assiste aux réunions de la Société philosophique et religieuse fondée par Nicolas Berdiaev et il finance sa revue Put’ (« La Voie »), ainsi que la revue de Georges Fedotov, Novyi’ Grad (« Cité nouvelle »), dont il est membre du comité de rédaction. Des revues orthodoxes... D’aucuns s’étonnent : « Fondaminsky, le juif, se serait-il converti ? » Il se serait sûrement converti sans les Allemands, il le dit à ses amis de Novyi’ Grad et du « Cercle » (Kroug), qu’il a créé, et qui se réunissent à la barbe des nazis, tantôt à Clamart, chez Berdiaev, tantôt chez les Fondaminsky, en plein Paris. Oui, il se sent chrétien, se juge « indigne » du baptême, mais surtout il ne veut pas que son baptême soit interprété comme une échappatoire à la souricière nazie. Il assiste aux offices à l’église, rue de Lourmel, où sa haute silhouette se remarque aussitôt, d’autant qu’il aime se mettre toujours à la même place. Ce n’est que lorsque la souricière se referme sur lui, en été 1942, et qu’il est prêt au martyre, qu’il demande le baptême. Le père Constantin Zambrjitskiï, qui le baptise en prison, rapporte à mère Marie son message : « Jamais je n’ai été aussi heureux. Merci ». Mère Marie, avec sa fougue habituelle, veut à tout prix le faire évader pendant son transfert à l’hôpital du Val-de-Grâce, rendu nécessaire par son état de santé. Mais Élie envoie un autre message à la moniale : « Ne faites rien, je veux être auprès de mes frères ». Quand Constantin Motchoulsky interroge mère Marie sur leur ami commun, la moniale lui dit : « Élie Fondaminsky est de la pâte dont on fait les saints ». « L’idée juive » de mère Marie, qu’elle exprime dans son poème de 1942 « L’étoile de David », est que les persécutions que subissent les juifs sont un appel, un signe :

Israël, tu es encore persécuté
Mais qu’importe la haine des hommes
Si, dans l’orage du Sinaï ;
Elohim à nouveau te questionne.

Elle va développer cette idée dans deux pièces, deux « mystères » qu’elle écrira au plus fort des persécutions nazies contre le peuple juif : « Les Soldats » et « Les Sept Coupes ». La dernière coupe de la colère de Dieu ne se déverse pas sur l’humanité, car un juif reconnaît en Jésus le Messie. Il est évident qu’elle pense à son ami Élie qui, interné à Compiègne, vient de recevoir le baptême.

MÈRE MARIE ET PÈRE DIMITRI : COMPLÉMENTARITÉ

Quant aux liens qui unirent mère Marie et le père Dimitri, ils furent providentiels. Leur archevêque, le métropolite Euloge, avoua dans l’homélie qu’il prononça en juillet 1944, lors de l’office funèbre célébré à la mémoire du père Dimitri, son angoisse d’avoir dû nommer ce jeune prêtre inexpérimenté recteur d’une paroisse « difficile », dans un foyer dirigé énergiquement par mère Marie qui avait eu maille à partir avec d’autres prêtres, mais, ajoute le métropolite : « Grâce à Dieu, mes craintes étaient vaines : j’appris à ma grande joie qu’entre mère Marie et le père Dimitri s’était établie une solide amitié qui reposait sur une compréhension et un respect réciproque et en outre, sur une qualité rare dont Dieu avait largement pourvu père Dimitri : sa totale abnégation et son absence complète d’amour-propre, purement humain. Il était curieusement indifférent à ce genre d’amour-propre, et cette haute et rare qualité chrétienne le rendait invulnérable et invincible ».

Une paroissienne malade, dont le père Dimitri s’était beaucoup occupé dans les premières années de sa prêtrise, en 1937-38, témoigne : « Je rencontre le père Dimitri sous une pluie battante, il est trempé, mais il rayonne : il vient d’être nommé recteur à "Lourmel". Mère Marie, ravie, offre un logement à sa famille ».
Ils se connaissaient, en fait, depuis longtemps, s’étaient croisés à Constantinople, puis en Serbie, mais surtout dans les congrès et les camps de l’ACER : à Montfort-l’Amaury, à Bierville, à Boissy-L’Aillerie. Le père Dimitri s’était rendu aux conférences que Nicolas Berdiaev organisait rue de Lourmel, il y avait déjà célébré, il en avait humé l’air si particulier. Il se sentait prêt à travailler avec cette moniale pas tout à fait ordinaire. De plus, ils avaient le même confesseur, le père Serge Boulgakov.

Le roman d’Élena Mikoulina, Mère Marie, paru en URSS dans les années soixante-dix, qui dépeint le jeune prêtre Dimitri totalement écrasé par la personnalité de la moniale de treize ans son aînée, qui lui dicte la conduite à tenir à l’égard des juifs pendant l’Occupation, est complètement fantaisiste : tous deux ont agi de concert, car, de tempéraments opposés, ils se complétaient. Mère Marie proclamait haut et fort sa « résistance », le père Dimitri agissait dans la discrétion et la conspiration. Il acquit assez vite son autonomie, tant dans sa paroisse qu’au sein de l’Action orthodoxe, et il lui est arrivé de tempérer l’ardeur guerrière de mère Marie. Un jour où, dans la cantine pleine de monde, ils écoutaient à la radio des collaborateurs notoires donner libre cours à leur amour pour Hitler, mère Marie ne put s’empêcher de souhaiter qu’une fois la guerre terminée, on leur fasse payer leur traîtrise. Le père Dimitri la reprit : « Ne pensez-vous pas, mère Marie, qu’il y a eu suffisamment de haine et de sang ? » Constantin Motchoulsky [critique littéraire, professeur à l’Institut Saint-Serge et membre de l’Action orthodoxe], qui rapporte cet échange, écrit que mère Marie rougit et s’excusa. Pleine d’égards pour la pastorale de son recteur, la moniale lui confectionnait avec amour de splendides vêtements sacerdotaux (on peut les admirer encore dans la paroisse Saint-Séraphin, rue Lecourbe, à Paris).

PÈRE DIMITRI ET YOURI : LE SACERDOCE

Les liens entre le père Dimitri et Youri se sont tissés d’abord rue de Lourmel, où le jeune prêtre, récemment ordonné, est nommé en automne 1939, recteur de la paroisse créée par mère Marie. Youri est aimé par tous les pensionnaires du foyer, car il est gai, doux et serviable. Le père Dimitri célèbre souvent avec lui comme enfant de chœur, puis l’encourage à être lecteur, et bientôt Youri est ordonné sous-diacre. Mais leur destin va se nouer lors de la rafle du 8 février, car ce matin-là, c’est Youri seul qui est arrêté : le plus jeune d’entre eux, le plus fragile, est pris comme otage. Mère Marie est absente de Paris. Le père Dimitri est sommé de se rendre le lendemain à la Gestapo, rue des Saussaies. Il connaît cet endroit sinistre, il y a accompagné beaucoup d’amis et de paroissiens sommés de prouver leur qualité d’ariens. Cette fois, il sait qu’il faut absolument sauver Youri que Hoffmann a promis de libérer, si les véritables responsables se dénoncent. Le prêtre est à son tour arrêté et c’est avec Youri qu’il sera emprisonné au fort de Romainville, près de la Porte des Lilas, d’où ils seront convoyés vers la rue des Saussaies, siège de la Gestapo, pour y être interrogés. Ils reconnaissent qu’ils ont aidé les juifs et, chose aggravante, qu’ils recommenceront, si on les relâche.

Théodore Pianov, le bras droit de mère Marie, qui a été, lui aussi, arrêté, mais qui a eu la chance de réchapper de Buchenwald et de raconter la teneur des interrogatoires de la Gestapo, a laissé ce témoignage émouvant : « Votre rôle de prêtre ne comportait pas l’obligation d’aider ces Youpins », hurlait l’officier au père Dimitri après l’avoir frappé. - « Et ce juif-là, le connaissez-vous ? », - lui répondit le père Dimitri en désignant sa croix pectorale. Une gifle envoya le prêtre par terre. Dimitri, Théodore et Youri furent convoyés dans la cour au moment où les secrétaires allemandes sortaient pour leur pause de midi. Apercevant le prêtre dont la soutane était déchirée et les cheveux en bataille, elles se mirent à se moquer de lui : « Jude, Jude ! ». Youri se mit à pleurer. « Ne pleure pas, lui murmura le père Dimitri, songe que Jésus a subi bien pire dans le prétoire ».

Internés ensemble à Romainville, mère Marie, Youri et le père Dimitri connurent un internement paradoxalement heureux, car vécu comme une forme nouvelle d’apostolat. La tension durant l’hiver 1942-43 à Paris avait été intense. Anastasie Stegelman-Lebedev rapporte ces paroles de mère Marie prononcées au plus fort des rafles et des arrestations. La jeune Anastasie, qui vivait à Lourmel, s’était inquiétée : « Et que va-t-il arriver si les Allemands débarquent ici ? » Sur quoi, la moniale avait dit calmement : « Ils vont sûrement nous arrêter et nous envoyer dans l’un de leurs camps ». Ils étaient prêts, les membres de l’Action orthodoxe, et maintenant, à Romainville, ils étaient prisonniers tous ensemble et ils organisèrent aussitôt des réunions de prière et d’aide aux autres prisonniers les plus éprouvés.
Puis, ce fut le transfert des hommes à Compiègne et, quelques semaines plus tard, le départ des femmes vers l’Allemagne. L’administration du camp de Royallieu réunit le clergé, tant catholique qu’orthodoxe, dans le même baraquement et plaça le père Dimitri et Youri ainsi que deux autres prêtres dans la même chambre. La caserne avait servi de camp dès le début de l’Occupation et une chapelle y existait, avant d’être fermée en 1943. Le père Dimitri et Youri entreprirent d’en aménager une aussi dans leur baraquement : par l’entremise d’André Morozov [membre actif de l’Action chrétienne des étudiants russes (ACER)], qui travaillait à Compiègne, le métropolite Euloge [(Guéorguievsky), qui dirigea l’archevêché des paroisses russes en Europe occidentale de 1921 à 1946] leur fournit un antimension [voile liturgique, placé sur l’autel, dans lequel sont cousues des reliques de saints et sur lequel est célébrée l’eucharistie], Tamara Klépinine put transmettre à son époux les vases sacrés, l’encens, quelques icônes en papier, des partitions liturgiques, son diapason. Ils purent ainsi célébrer deux liturgies quotidiennes : l’une avec Youri avant la levée du couvre-feu, l’autre avec les autres orthodoxes du camp qui purent ainsi chanter dans le chœur et communier. Des Grecs, des Serbes et des Géorgiens participèrent à ces offices. Youri se préparait à la prêtrise, ses lettres à son père en témoignent, de même que celles, clandestines, que le père Dimitri envoyait à sa femme : « Je prépare Youri à la prêtrise, j’essaie de lui transmettre tout ce que j’ai reçu du père Serge Tchétvérikov [aumônier de l’ACER de 1924 à 1939] et de la spiritualité de l’archevêque Vladimir [(Tikhonitsky), évêque auxiliaire du métropolite Euloge à Nice, auquel il succédera en 1946]. [...] Dis à babouchka [Sophie Pilenko, la mère de mère Marie] que Youri se conduit très bien, qu’il est courageux et joyeux ». Quant à Youri, il écrivait à son père : « Nous vivons ici comme dans un monastère ; grâce aux liturgies quotidiennes, notre vie s’est transfigurée. [...] Dima [le père Dimitri Klépinine] et moi, nous nous tutoyons et il me prépare au sacerdoce. [...] Il faut savoir comprendre la volonté de Dieu, or être prêtre m’a toujours attiré, simplement la vie parisienne avait émoussé ce rêve, ainsi que l’illusion de "quelque chose de mieux", comme s’il pouvait y avoir quelque chose de mieux ! »

En décembre 1943, Youri et le père Dimitri furent convoyés vers Buchenwald, placés ensemble dans le « petit camp » pour la quarantaine et l’enregistrement. Le voyage éprouvant, le spectacle de ce camp de travail forcé, où les détenus étaient traités pire que des bêtes, fut un choc. Youri commença à se couvrir de furoncles ; il fut immédiatement repéré comme malade et chargé dans un camion avec d’autres invalides qui revint vide. Père Dimitri fut d’abord immatriculé comme « Français », mais voyant comment étaient traités les détenus russes, il arracha le triangle « F » et demanda un « R », ce qui lui valut immédiatement d’être affecté au camp annexe de Dora où, dans le fameux tunnel, étaient fabriquées les fusées V2. Son affectation au commando « Terrassement » était une condamnation à mort, l’espérance de vie y était de quinze jours. Le 9 février 1944, il expirait. Mère Marie est passée au chambre à gaz du camp de Ravensbrück le 30 mars 1945, jour du Vendredi saint.

SOP 287, avril 2004.


COLLOQUE SUR LES SAINTS
NOUVELLEMENT CANONISÉS,
PARIS, 20 JUIN 2004

Un colloque sur les nouveaux saints de l’Église orthodoxe en Europe occidentale s’est tenu, le 20 juin dernier, dans les locaux de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, sous la présidence de l’archevêque GABRIEL, qui dirige l’exarchat du Patriarcat oecuménique pour les paroisses d’origine russe en Europe occidentale. Près de cent trente personnes, dont une dizaine de prêtres de la région parisienne, ont pris part à ce colloque, auquel était associée une exposition de photos et d’archives concernant les nouveaux saints, notamment de nombreuses oeuvres de la sainte moniale MARIE (Skobtsov) - icônes, broderies liturgiques, dessins, manuscrits, recueils de poésie. C’est le 16 janvier dernier que le Saint-Synode du Patriarcat oecuménique a procédé à la canonisation du père Alexis MEDVEDKOV (1867-1934), ainsi qu’à celles du père Dimitri KLÉPININE (1904-1944), de mère MARIE (Skobtsov) (1891-1945) et de leurs compagnons, Georges (Youri) SKOBTSOV (1921-1944) et Élie FONDAMINSKY (1880-1942), des personnalités marquantes de l’histoire spirituelle de l’émigration russe en France (SOP 286.1). Les célébrations liturgiques solennelles à l’occasion de leur glorification ont eu lieu les 1er et 2 mai 2004, en la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, rue Daru, à Paris (SOP 189.4).

Dans son allocution d’ouverture, l’archevêque GABRIEL a souligné que « Dieu a rendu visite à son peuple » ; quand les membres de l’émigration russe sont arrivés en France, « dans des conditions de vie difficiles, souvent d’extrême pauvreté », « obligés de quitter leur patrie pour sauver leur vie, pour garder leur foi et pour défendre la dignité de l’être humain » ; en suscitant parmi eux des personnalités exceptionnelles, comme les cinq saints récemment canonisés, qui ont été pour beaucoup des sources de réconfort spirituel. « Ces saints ont célébré dans leur vie le sacrement du frère, ils ont servi le Christ par leur service des pauvres », a-t-il rappelé, avant de lancer une exhortation à méditer leur exemple. « Aujourd’hui nous les prions et nous commémorons leurs noms, mais c’est également pour nous un appel à suivre l’exemple de leur vie, parmi nos frères", a-t-il dit.

Le père Boris BOBRINSKOY, doyen de l’Institut Saint-Serge, a ensuite introduit le thème général du colloque avec une communication sur « Sainteté et canonisation ». Il a insisté sur le double caractère de la sainteté, à la fois universelle et locale, enracinée « dans le temps et dans l’espace », là où les saints, « connus ou inconnus, manifestés ou cachés », ont vécu.

La personnalité et l’œuvre du saint prêtre Alexis MEDVEDKOV ont été présentées par le père JOB (Getcha), professeur à l’Institut Saint-Serge. Il a dressé le portrait d’un « simple prêtre de province, très dévoué et très pieux, qui se voulait être un véritable serviteur du Seigneur, en quelque sorte [...] une icône de ce clergé de l’émigration russe, rempli de crainte de Dieu, qui partageait les joies et les peines de son troupeau ». Rappelant comment ce dernier avait accompli son ministère pastoral auprès de la petite communauté d’Ugine (Savoie), au début des années 1930, dans des conditions matérielles précaires et dans l’indifférence, voire l’hostilité, de la part de bien des membres de sa paroisse, il a souligné que « la sainteté qui émane de sa vie correspond tout à fait à la sainteté contemporaine » - discrétion, humilité, patience dans l’épreuve -, jusqu’à ce que l’on découvre son corps intact, en 1956, lors d’une exhumation à l’occasion d’un réaménagement du cimetière d’Ugine, ce qui, dans la tradition ecclésiale russe, est considéré comme le signe d’une élection particulière.

Le père Serge HACKEL, prêtre de la paroisse de Lewes (diocèse du patriarcat de Moscou en Grande-Bretagne), auteur d’un des premiers ouvrages sur mère MARIE, paru en russe et en anglais, a évoqué, dans deux interventions successives, l’engagement social et ecclésial de mère MARIE et de son fils Georges, à partir de nombreuses citations tirées de leurs écrits et de leur correspondance. Se donnant pour vocation d’accomplir « l’œuvre inlassable de l’amour », pour reprendre l’une de ses expressions, mère MARIE « était prête à mourir pour son prochain, prête à accomplir jusqu’au bout le don sacrificiel de soi », a-t-il dit, ce qui l’a conduite à aider les démunis durant la crise économique des années 1930, puis les juifs persécutés durant l’occupation allemande. « C’est ce qui a mené à l’arrestation de son fils Georges, du père Dimitri Klépinine et d’elle-même. [... ] Ainsi ont été confirmées ses paroles : ‘la liberté oblige, elle appelle à se sacrifier ; la liberté exige l’honnêteté et la sévérité vis-à-vis de soi, de sa vie’ ».

Le témoignage de deux résistantes françaises déportées au camp de Ravensbrück, Jacqueline PERY et Suzanne LASCROUX, qui ont côtoyé mère MARIE durant ses deux années de détention, a été écouté avec beaucoup d’émotion. Parmi les souvenirs poignants rapportés, l’évocation des réunions de jeunes codétenues autour de mère MARIE, qui « essayait de nous faire comprendre la prière du cœur et nous parlait de la Sainte Russie » ou encore ce « visage du Christ que mère MARIE avait tracé à l’aide d’une brindille brûlée sur un morceau de tissu » et qui fut confisqué par les kapos lors d’une fouille.

Un autre témoignage devait être donné par Élisabeth BEHR-SIGEL, auteur de nombreuses études sur la théologie et la spiritualité orthodoxes, qui elle aussi a bien connu mère MARIE, avant-guerre, à Paris et à Nancy (Meurthe-et-Moselle), où celle-ci se rendait pour aider les Russes disséminés en Lorraine. Elle a associé l’image évangélique de mère MARIE à celle, tout aussi prophétique, d’un autre grand témoin de l’orthodoxie en Occident, le père Lev GILLET, fondateur de la première paroisse orthodoxe française à Paris, en 1928, qu’une profonde amitié liait à mère MARIE. Tous deux enseignaient que « la liturgie après la liturgie est quelque chose d’essentiel, elle permet de reconnaître le Christ dans n’importe quel homme ou femme que l’on rencontre », a-t-elle expliqué.

Hélène ARJAKOVSKY-KLÉPININE a pour sa part retracé l’itinéraire de son père, saint Dimitri KLÉPININE, sa découverte de la foi dans l’émigration et son engagement ecclésial au sein de l’Action chrétienne des étudiants russes (ACER), son ordination à la prêtrise après des études de théologie à l’Institut Saint-Serge, son travail aux côtés de mère MARIE en tant que recteur de la paroisse de la rue de Lourmel, à Paris, et comme aumônier de l’association « Action orthodoxe » qu’elle avait fondée. Arrêté en février 1943, en même temps que mère MARIE et son fils Georges, en raison de l’aide qu’ils apportaient à de nombreux juifs persécutés, le père Dimitri trouve la force de célébrer la liturgie quotidiennement dans une chapelle de fortune, pour les orthodoxes russes, grecs et serbes détenus dans le camp de transit de Compiègne (Oise). Puis, déporté en Allemagne, il meurt de maladie et d’épuisement au camp de Dora, le 9 février 1944 (SOP 186.30).

Nikita STRUVE, professeur émérite de l’université Paris X-Nanterre et directeur de la revue orthodoxe Vestnik (Le Messager), a quant à lui présenté le parcours paradoxal d’Élie FONDAMINSKY, un intellectuel de gauche, russe d’origine juive, collaborateur proche de mère MARIE, venu peu à peu à la foi chrétienne et arrêté par les nazis dès 1941. Il reçut le baptême alors qu’il était interné au camp de Compiègne, avant d’être déporté à Auschwitz, où il devait périr le 19 novembre 1942. Nikita STRUVE insista sur trois facettes d’un « homme de bien », un philanthrope désintéressé, engagé également dans un véritable « apostolat laic », qui vit s’accomplir dans l’émigration son « destin christique », allant jusqu’à l’acceptation paisible et radieuse de « la mort sacrificielle ». Ce « juste dans la vie et martyr dans la mort » voulait « vivre avec les chrétiens et mourir avec les juifs », devait-il souligner.

SOP 290, juillet - août 2004.


SAINTETÉ ET CANONISATION

par père Boris Bobrinskoy

Texte de la communication présentée par le père Boris BOBRINSKOY, doyen de l’Institut de théologie orthodoxe de Paris (institut Saint-Serge), lors du colloque sur les nouveaux saints de l’Église orthodoxe en Europe occidentale, qui s’est tenu le 20 juin dernier, à Paris.

Le père Boris BOBRINSKOY enseigne la théologie dogmatique à l’Institut Saint-Serge, dont il est le doyen depuis 1993, tout en étant également le recteur de la paroisse francophone de la crypte de la Sainte-Trinité, rue Daru, à Paris. Il est l’auteur de nombreuses études sur la théologie trinitaire, l’ecclésiologie et la théologie sacramentaire, dont Le mystère de la Trinité (Cerf, 1986), Communion du Saint-Esprit (Bellefontaine, 1992), La compassion du Père (Cerf/Sel de la Terre, 1999), Le Mystère de l‘Église (Cerf, 2003). Marié, il est père de trois enfants et huit fois grand-père.

Dans cette réunion consacrée à la mémoire des cinq nouveaux saints de l’Église orthodoxe en Europe occidentale, j’aimerais m’arrêter sur quelques notions fondamentales concernant la sainteté dans l’Église, ainsi d’ailleurs que sur la signification de l’acte de canonisation.

« Un seul est saint, un seul est Seigneur, Jésus-Christ, pour la gloire de Dieu le Père », chante l’Église avant la communion eucharistique. L’Esprit-Saint est la puissance de sainteté et de sanctification qu’il communique à la création, sanctifiant les hommes, consacrant les choses, les lieux, l’espace lui-même.

La sainteté, vocation de la destinée humaine

Ainsi, la sainteté est à la fois une qualité, un attribut exclusif de la divine Trinité, mais aussi une énergie, un don et une vocation où l’homme créé à l’image de Dieu est appelé à participer à la vie divine. Être saint, c’est être enfant de Dieu, vivre de la vie en Christ : Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi (Ga 2,20).
La sainteté est bien le programme, la vocation de la destinée humaine. Cette vocation est enfouie dans nos profondeurs comme un germe qui doit grandir, une semence qui croît et qui remplit peu à peu notre espace intérieur. Depuis la Pentecôte où l’Esprit souffle sur la terre, celle-ci est embrasée par le feu de l’Esprit et elle est irriguée par les flots d’eau vive.

C’est dans l’Église que la sainteté de Dieu se manifeste et s’incarne, car l’Église, comme Corps du Christ ou Épouse du Christ glorifié a été lavée par son sang et elle apparaît désormais comme une Épouse glorieuse et sans tache. Il y a pourtant une tension toujours douloureuse entre la sainteté de l’Église et les péchés de ses membres. La sainteté de l’Église implique une unité profonde du ciel et de la terre, de ceux que l’Esprit a marqués de son sceau et qu’il a révélés comme porteurs de l’image du Christ.

C’est en particulier dans la communion eucharistique que se manifeste cette communion des saints, et l’Église est tout entière en marche vers son accomplissement dans le Royaume qu’elle annonce dès maintenant.

La « profonde et mystérieuse continuité entre les saints »

Il n’y a pas de frontière étanche entre les saints et les vivants, et encore moins entre les saints « canonisés » et ceux qui ne le sont pas, car les saints sont parmi nous. Ceux qui sont dans la gloire et la vision du face à face, connus ou inconnus, intercèdent et accompagnent leurs frères terrestres, d’autres sont encore parmi nous, humbles et anonymes, porteurs de la grâce de l’Esprit et c’est par leur prière à tous que le monde tient toujours.

Ainsi, il y a une profonde et mystérieuse continuité entre les saints, glorifiés par l’Église ou non, et les chrétiens en labeur et ascèse sur terre. Si, d’une part, les saints militent pour leurs frères sur terre, nous avons déjà l’avant-goût de la victoire pascale du Christ ressuscité dans notre vie liturgique et sacramentelle, vie qui embrase notre existence tout entière. II est bon d’insister sur la transparence à l’Esprit-Saint de toute notre existence, refusant ainsi toute dichotomie ou dualisme entre le sacré ecclésial et le profane du monde dans lequel nous sommes plongés, ce monde que « Dieu a tant aimé ».

Les saints, « un pont véritable entre le ciel et la terre »

Pour en venir à l’événement qui nous rassemble aujourd’hui, je soulignerai que toute sainteté, connue ou inconnue, manifestée ou cachée, est de caractère universel et constitue le levier unique et nécessaire de transformation du monde. Mais, en même temps, elle s’enracine toujours dans l’histoire humaine la plus concrète, dans le temps et dans l’espace, là où les saints ont vécu, oeuvré, souffert, là où ils ont exorcisé et sanctifié la terre en la faisant ciel. « La sainteté est toujours personnelle, elle révèle la vraie personne, éclatante dans sa beauté originelle, la personne telle que Dieu l’a voulue en la créant, car Dieu souhaite que chacun l’adore et l’aime de sa façon unique. C’est la beauté de la personne : je suis unique, il n’y en aura jamais un autre comme moi. La réalisation de ma personne, si humble soit-elle, est mon offrande à Dieu, que personne d’autre ne peut faire [...] Sainte Marie Skobtsov est une sainte d’une sorte nouvelle, une sainte de génie, une sainte dont nous avons besoin » (Lumière du Thabor, Montréal, juin 2004, n° 18, p. 3).

Ainsi, les saints sont un pont véritable entre le ciel et la terre, en particulier en ce XXe siècle où la terre a été sanctifiée (en Russie, en Orient, en Occident) par tant de souffrance, de sang, de témoignage d’amour et de vie. On peut en vérité s’interroger sur les flots de douceur et d’amour qui ruissellent de ces visages de saints qui ont essuyé tant de larmes et dont les icônes exhalent une telle paix.

La canonisation, « un témoignage de l’Esprit qui inspire l’Église »

L’acte de canonisation est un témoignage de l’Esprit qui inspire l’Église et qui lui ouvre les yeux sur les porteurs de l’Esprit. Il constitue à la fois une confirmation ecclésiale d’une certitude intérieure du Peuple de Dieu, confirmation qui vient en son temps, selon les vues de l’Esprit, en consolation et rappel de notre vocation commune. Il faut bien souligner que la canonisation ne fait pas un saint, ni ne décide de sa destinée éternelle. « Par la canonisation, écrit Elisabeth Behr-Sigel, l’Église terrestre ne prétend pas conférer au saint une certaine part de gloire supraterrestre. Il s’agit en réalité d’un acte tourné non pas vers l’Église céleste, mais vers l’Église terrestre, pour l’inviter à vénérer le personnage canonisé dans les cadres et selon les formes traditionnelles du culte public. En vertu d’un acte de discipline ecclésiastique, la prière pour le repos de l’âme d’une personne défunte (la pannykhide) se trouve transformée en prière pour les vivants adressée à cette personne (moleben) » (ibid., p. 5).

La prière d’intercession n’est pas la prérogative unique des saints auprès du Trône de l’Agneau, car les vivants et les défunts, tous nous intercédons les uns pour les autres. Mais la canonisation suggère qu’une nuée de témoins connus ou inconnus entoure le Trône de l’Agneau. Il est important pour nous, orthodoxes en Europe occidentale, de connaître le labeur, les souffrances, les couronnes de ceux que l’Église a glorifiés durant ce siècle à la fois douloureux et glorieux.

Un modèle du sacerdoce contemporain
et une image d’un monachisme prophétique

Cette réunion d’aujourd’hui ne devrait-elle pas n’être que le début d’une découverte d’innombrables justes qui ont vécu dans l’humilité et la prière, qui ont fait le don de leur vie et qui ont imprimé dans leur coeur le visage ensanglanté et lumineux du Sauveur. C’est à ce titre que j’aimerais retenir la figure humble et effacée du père Alexis, le saint prêtre d’Ugine, modèle du sacerdoce contemporain.
De sainte mère Marie, je retiendrai l’image d’un monachisme non traditionnel, mais profondément évangélique et même prophétique. Sa vocation fut discernée par le métropolite Euloge [Guéorguievskiï, (1868-1946)] qui, lors de sa profession monastique, lui conféra le nom de sainte Marie l’Égyptienne en lui enjoignant d’aller dans le désert des coeurs humains. Désert, ou enfer, ou nuit noire où elle portait la lumière, la joie et le feu de l’Esprit qui embrasa sa vie entière jusqu’à son dernier souffle.

SOP 290, juillet - août 2004.


Introduction aux Pages Sainte Marie Skobtsov
fl-rouge.gif (101 octets) La joie du don : Vie de Mère Marie Skobtsov par Hélène Arjakovsky-Klépinine
fl-rouge.gif (101 octets) Souvenirs et témoignages de Mère Marie
fl-rouge.gif (101 octets) La piété évangélique par Mère Marie Skobtsov
fl-rouge.gif (101 octets) Le second commandement de l'Évangile par Mère Marie Skobtsov
fl-rouge.gif (101 octets) De l'imitation de la Mère de Dieu par Mère Marie Skobtsov
fl-rouge.gif (101 octets) Pour le 20e anniversaire de la mort de Mère Marie par Élisabeth Behr-Sigel
fl-rouge.gif (101 octets) Le sacrement du frère par Métropolite Daniel (Ciobotea) de Moldavie

 



Dernière modification: 
Samedi 23 juillet 2022