Vie liturgique et sacramentelle

Les bienfaits de la liturgie eucharistique

 

par Paul Ladouceur


La Communion des Apôtres

La Communion des Apôtres
Fresque du Monastère Saint-Antoine-le-Grand
Saint-Laurent-en-Royans, Franc
e


1. L’ENTRÉE DANS LE ROYAUME
2. LA COMMUNION AVEC DIEU 
3. LA COMMUNION AVEC LES HOMMES 
4. LA LITURGIE EUCHARISTIQUE COMME PÉDAGOGIE 
5. LA COMMUNION EUCHARISTIQUE ET LA RÉMISSION DES PECHES 
6. LA FRÉQUENCE DE LA COMMUNION 
NOTES 


1. L’ENTRÉE DANS LE ROYAUME

Béni est le règne du Père, et du Fils
et du Saint Esprit,
maintenant et toujours et aux siècles des siècles (1).

Dès qu’il pénétre dans l’église, le fidèle quitte le monde de tous les jours pour entrer dans le Royaume de Dieu. Le Christ est là pour l’accueillir, et la Mère de Dieu, ainsi que les anges et les saints qui se tiennent devant le Saint des Saints et qui participent à la liturgie éternelle, celle du seul Grand Prêtre, le Christ lui-même ; le chœur céleste chante sans cesse la louange de Dieu et intercède pour nous qui sont sur la terre. Cet " avant-goût " du Royaume permet au fidèle de se ressourcer afin de mener la " vie en Christ (2) ", la vocation de tout chrétien. L’engagement de chacun à l’action de la Divine Liturgie et la grâce divine interviendront selon les modes de participation, qui sont multiples et personnalisés.

Cette entrée mystique dans le Royaume de Dieu est justement un des bienfaits de la Liturgie, que l’on peut nommer eschatologique : le temps de la Liturgie n’est plus le temps de ce monde et l’espace de l’action liturgique n’est plus celui de ce monde, mais ils sont ontologiques, relevant de la nature et de la finalité même du monde et de l’être humain. Nous savons quand commence la Liturgie (à quelle heure) et où elle est célébrée (l’église ou la chapelle), mais par la Liturgie nous pénétrons dans un moment d’éternité, dans le Royaume de Dieu, qui est à la fois partout et nulle part en particulier.

2. LA COMMUNION AVEC DIEU

Nous pouvons considérer d’abord les bienfaits de la Liturgie eucharistique sous deux principaux aspects : l’union ou la communion avec Dieu, et l’union ou la communion avec nos frères et nos sœurs.

Le bienfait principal de la Liturgie eucharistique est la communion avec Dieu. Pour saint Nicolas Cabasilas le mot " communion " signifie le partage de la même réalité par deux personnes (3). La qualité essentielle du partage entre Dieu et l’homme est une relation d’amour, qui se traduit par la réciprocité du don de soi. Quelle est cette relation d’amour manifestée dans l’Eucharistie ? Les paroles de Jésus au sujet du " pain de vie " nous donnent le sens profond de la Liturgie eucharistique :

Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair... En vérité, en vérité, je vous le déclare, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le Père, qui m’a envoyé, est vivant, et que moi, je vis par le Père, de même aussi celui qui me mange vivra par moi (Jn 6, 51 ; 53-57).

En participant à la Liturgie eucharistique, les fidèles participent à l’offrande même du Christ. On reprend ici, pour le dépasser aussitôt, le sens primitif du sacrifice à Dieu, connu dans toutes les traditions spirituelles : l’homme apporte son sacrifice à l’autel pour qu’il soit offert à Dieu, qui en retour sanctifie les offrandes. C’est le prêtre qui présente les offrandes au nom de la communauté, mais les offrandes sont véritablement celles de la communauté toute entière. Les offrandes eucharistiques visibles de la communauté des fidèles sont principalement le pain et le vin, mais comprennent également aussi toute offrande ayant rapport à la Liturgie : les cierges, les chants, les dons en espèces… Les offrandes mystiques sont les fidèles eux-mêmes, signifiés par la phrase que nous répétons maintes fois pendant la Liturgie : " Confions-nous nous-mêmes, les uns les autres et toute notre vie au Christ, notre Dieu ".

Nos offrandes n’ont de valeur et de sens qu’en rapport avec la véritable offrande de la Liturgie, qui est le Christ : Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair (Jn 6, 51). C’est toute la vie du Christ qui est l’offrande, son Incarnation dans le sein de Marie la Mère de Dieu, sa vie publique, sa Passion, sa Mort, sa Résurrection et son Ascension au ciel. La plupart des prières de la Liturgie, en particulier celles du canon ou prière eucharistique (anaphore), sont adressées principalement au Père. Dans la prière de l’offrande nous disons : " Ce qui est à toi, le tenant de toi, nous te l’offrons en tout et pour tout ". Par la Liturgie nous nous associons au Christ et nous participons à sa vie et à sa propre offrande au Père. Nous entrons donc ainsi dans une communion intime avec le Christ, le Grand Prêtre, car nous partageons la même réalité ensemble, le Christ lui-même, en tant qu’offrande à Dieu. Incompréhensible à nos esprits est cette unité de l'offrande avec celui qui la reçoit, comme l’affirme la Liturgie : " Car c'est toi qui offres et qui es offert, toi qui reçois et qui es distribué, ô Christ notre Dieu ".

Jésus nous dit aussi qu’il est venu pour la vie du monde, et les offrandes de la Liturgie deviennent les offrandes de Dieu à l’homme. Dieu sanctifie nos offrandes et nous les donne. Ce que Dieu nous donne est la communion au Saint Corps et Précieux Sang du Christ, par lesquelles les fidèles eux-mêmes sont sanctifiés. La communion au Corps et Sang du Christ nous unit au Christ jusque dans notre chair et nous devenons des véritables enfants de Dieu :

Nous ne partageons pas seulement son Nom, mais aussi son Être même, son Sang, son Corps et sa Vie.... Le Père nous reconnaît pour les membres de son Fils unique. Il retrouve sur nos visages les traits mêmes de son Enfant (4).

Nous sommes rendus " saints " par le Christ, par notre association ou communion avec lui. La sanctification des fidèles, c’est le but même de la Liturgie, comme nous rappelle Constantin Andronikof :

L’effet essentiel, global et concret que... la Liturgie de l’Église vise à produire chez les fidèles... est la sainteté ... Le sommet du processus sacramentel de sanctification sur terre est atteint dans l’Eucharistie (5).

Andronikof, se référant à saint Maxime le Confesseur et à saint Syméon le Nouveau Théologien, précise qu’il s’agit de la sainteté " en puissance " : " Il n’y a là aucun mécanisme ni ‘magisme’. Le sacrement ne constitue pas la sainteté définitive en l’homme, il est pouvoir de sanctification (6) ". Saint Cyrille de Jérusalem écrit : " Si nous sommes saints aussi, nous ne le sommes cependant pas par nature, mais par participation, par ascèse et par prière (7) ". Cabasilas exprime la même pensée :

La grâce, en effet, nous sanctifie par les dons sacrés, à condition qu’elle nous trouve convenablement disposés pour la sanctification. Mais si elle tombe sur des âmes non préparées, elle ne nous apporte aucun profit et nous accable au contraire d’un immense dommage (8).

Cette communion avec Dieu par la participation à la Divine Liturgie est une nourriture spirituelle, un ressourcement essentiel pour le chrétien, surtout celui dans le monde, qui doit faire face à toutes les exigences et assauts d’un monde de plus en plus déchristianisé et matérialiste. C’est le parallèle avec la nourriture corporelle, essentielle pour la survie du corps ; Jésus a bien dit : Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment une boisson (Jn 6,56).

3. LA COMMUNION AVEC LES HOMMES

La Liturgie eucharistique est aussi une communion avec nos frères et nos sœurs, d’abord ceux qui célèbrent avec nous, dans le même lieu et en même temps, et plus généralement, avec tous ceux qui célèbrent la Liturgie partout dans le monde, qui ont célébré ou qui vont célébrer la Liturgie dans tous les temps, sur la terre et au ciel. Tous participent avec le Christ dans la célébration de l’unique Liturgie mystique. Cet aspect de la Liturgie eucharistique est évoqué dans plusieurs prières de la Liturgie, où nous faisons mention de différents groupes de vivants (par exemple, à la Grande Litanie de Paix au début de la Liturgie), ainsi que les saints et les défunts. La participation des anges est explicitement mentionnée à la Petite Entrée, la Grande Entrée et au chant du Chérubikon.

La communion eucharistique est le fondement même de l’Église, tel qu’en témoignent les Actes des Apôtres, les Épîtres de saint Paul et les écrits de l’Église primitive. La Liturgie est avant tout une action communautaire, l’adoration de Dieu, selon ses préceptes, par ceux qui partagent la même foi et qui se réunissent à ce but. Jésus a explicitement béni la prière communautaire :

Si deux d’entre vous sur terre s’accordent pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père, qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (Mt 18,19-20).

La participation du fidèle à la Divine Liturgie est donc une affirmation de sa communion avec tous les membres de l’Église. Les prières pour autrui permettent au fidèle de se dépasser, d’intercéder et de supplier pour sa communauté, sa ville, son pays, les autorités ecclésiastiques et civiles, les moines et moniales, ceux qui souffrent et peinent, les prisonniers, les malades etc., auxquels le fidèle peut ajouter des intentions de prière personnelles. L’amour pour le prochain se traduit dans la prière commune, la prière de tous pour tous, et se manifeste concrètement par le partage de la même coupe eucharistique.

4. LA LITURGIE EUCHARISTIQUE COMME PÉDAGOGIE

Dans son Explication de la Divine Liturgie, saint Nicolas Cabasilas énumère les " effets " des offrandes sanctifiées et agrées par Dieu. Pour les vivants et les défunts, l’effet principal est qu’en échange des oblations " la grâce soit envoyée par Dieu qui les a agrées " ; pour les défunts en particulier, " le repos de leur âme et l’héritage du Royaume en union avec les saints " ; et pour les vivants :

... la participation à la table sainte et la sanctification... ; la rémission des péchés, la paix, l’abondance des fruits de la terre, la concession des biens nécessaires et enfin la suprême faveur de paraître devant Dieu dignes du Royaume (9).

La participation à la Divine Liturgie est le " temps fort " de la vie chrétienne et elle permet de pratiquer la pénitence et l’ascèse, par exemple dans la préparation à la Liturgie et à la communion. La participation à la Liturgie constitue également une affirmation publique de foi et d’adhérence au Christ.

La Divine Liturgie est une occasion de témoigner, d’approfondir et de transmettre la foi chrétienne. La Liturgie orthodoxe, au sens large de tous les offices et rituels de l’Église, abonde en enseignement théologique, ascétique et spirituel, à tel point qu’on dit que toute la tradition de l’Église orthodoxe y est contenue. La Divine Liturgie est la pièce maîtresse de cet enseignement liturgique, ce qui est reflété non seulement dans la Liturgie de la Parole, mais aussi dans la Liturgie de l’Offrande. La Liturgie de la Parole contient des éléments qui ont vraisemblablement, mais non exclusivement, un but pédagogique, notamment les lectures des Épîtres et des Évangiles. Pour certains, les textes bibliques lus à la Divine Liturgie sont souvent les seuls contacts avec la parole de Dieu dans la semaine. Même pour ceux qui lisent la Bible régulièrement, les extraits des Épîtres et des Évangiles lus à la Divine Liturgie constituent un contact privilégié avec la parole de Dieu. L’homélie, souvent un commentaire des lectures de la Parole, aide aussi à consolider la compréhension des Écritures, et à saisir le sens de la foi chrétienne dans la vie de tous les jours.

L’aspect pédagogique des parties " invariables " de la Liturgie est peut-être plus difficile à apprécier. Il s’agit là surtout d’un approfondissement de l’expérience de la foi et d’une compréhension de plus en plus consciente du sens profond du mystère de l’Eucharistie, par exemple par les prières du prêtre, prières que souvent, malheureusement, les fidèles n’entendent pas. Il peut venir une illumination soudaine et nouvelle du sens de quelques mots d’une prière que nous récitons, entendons ou lisons chaque semaine pendant des années. Ou ceci peut prendre la forme d’une compréhension à un autre niveau de la signification profonde de la Divine Liturgie dans son ensemble.

La Liturgie de saint Jean Chrysostome contient cinq " grandes litanies ", dont à première vue nombreuses demandes paraissent semblables, ainsi que plusieurs " petites litanies " identiques. Par une participation active et attentive à leur récitation, nous faisons nôtre les demandes faites par le prêtre ou le diacre au nom de la communauté, et nous apprécierons les différences entre les litanies, la progression des demandes et la pertinence de chaque litanie au moment particulier de la Liturgie où elle est placée. Nous apprenons justement par répétition : si nous n’avons pas compris la première fois, ou si nous n’avons pas été suffisamment attentifs, les mêmes paroles ou les mêmes gestes sont répétés dans l’espoir que nous aurons éventuellement une meilleure compréhension de la Liturgie. L'approche " orientale " de la prière attache une grande importance à la répétition ; " méditer " par la prière, c'est répéter, jusqu'à connaître " par cœur ", c’est-à-dire avec le cœur.

Le déroulement de l’année liturgique, avec les grandes fêtes qui marquent les principaux événements de la vie du Christ et de la Mère de Dieu, ainsi que la commémoraison des saints de tous les temps, est une autre source d’apprentissage des vérités de la foi et de l’histoire du salut. Le cycle pascal et celui des fêtes fixes permettent de vivre en quelque sorte dans un autre temps, car les fêtes sont plus qu’une commémoraison d’événements historiques, elles sont leur actualisation. Dans le temps ontologique, la création du monde n’est pas séparée du jugement dernier, la Nativité du Christ de sa Mort, sa Passion de sa Résurrection, son Ascension de son second Avènement, mais pour nous, mortels, nous comprenons mieux les réalités ontologiques lorsqu’elles sont présentées en " petits morceaux ", un après l’autre, dans le temps historique que nous connaissons – et dans lequel se trouvent les fêtes de l’année liturgique. Même si nous célébrons aujourd’hui la Nativité du Christ, demain sa Passion et sa Mort, et après-demain sa Résurrection, les textes liturgiques nous rappellent constamment que l’un n’est pas séparé de l’autre, que l’histoire du salut est une unité indivisible. La prière de l’anamnèse (souvenir) de la Divine Liturgie, dite juste après les paroles de la consécration, contient ce genre de rappel – y compris le " rappel " d’un événement qui n’a pas encore eu lieu dans le temps historique :

Commémorant donc ce commandement salutaire et tout ce qui a été fait pour nous : la Croix, le Tombeau, la Résurrection au troisième jour, l’Ascension au ciel, le Siège à la droite, la second et glorieux Avènement...

5. LA COMMUNION EUCHARISTIQUE
    ET LA RÉMISSION DES PECHES

Les paroles du prêtre au moment de la communion font allusion à deux buts ou effets de la communion :

Le Corps précieux, saint et vivifiant de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, m’est donné à moi N., prêtre, en rémission de mes péchés et pour la vie éternelle (pour la communion du prêtre).

Le serviteur de Dieu N. communie aux précieux et saints Corps et Sang de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ en rémission de ses péchés et pour la vie éternelle (pour la communion des fidèles).

Dans l’Évangile de saint Jean, Jésus nous dit que le pain de vie donne la vie éternelle et ses paroles instituant l’Eucharistie mentionnent la rémission des péchés : Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour une multitude en rémission des péchés (Mt 26,28). Saint Jean, dans sa première Épître, dit aussi : Le sang de Jésus, son Fils [le Fils de Dieu], nous purifie de tout péché (1 Jn 1,7).

Il y a un sacrement particulier pour la rémission des péchés commis après le baptême, la confession ou la pénitence, qui est souvent une préparation ou un prélude à l'Eucharistie. Si donc nos péchés sont remis par la confession et l’absolution du sacrement de pénitence, quel est l’effet de la sainte communion sur nos péchés ? Nicolas Cabasilas répond à cette question dans sa Vie en Christ :

Parce que c’est avec son Corps et son Sang qu’il [le Christ] tresse au Père cette merveilleuse couronne de gloire, le Corps du Christ est donc le seul remède contre le péché et son Sang la seule libération des offenses... (10)

Citant Denys l’Aéropagite, Cabasilas affirme que " les autres sacrements seraient incomplets et sans capacité de produire leurs propres effets, si on ne leur ajoutait le banquet sacré (11) ". C’est dans cette optique qu’il explique le rapport entre le sacrement de la pénitence et la communion :

Lorsque les pécheurs se repentent de leurs fautes et les confessent aux prêtres, ils se sentent affranchis de tout châtiment de Dieu, leur juge. Ils ne peuvent, cependant, bénéficier pleinement de l’efficacité de cette confession qu’après s’être assis à la Table du banquet (12).

Si la communion eucharistique effectue la rémission des péchés, alors pourquoi le sacrement de la pénitence est-il nécessaire ? La réponse se trouve non seulement dans la pratique le l’Église depuis les premiers temps, mais essentiellement dans la faiblesse de l’homme et la constante nécessité dans la vie spirituelle de ce que les Pères appellent la métanoïa, la conversion, la repentance, le retournement de l’homme vers Dieu. La confession est une reconnaissance explicite des péchés, qui sont identifiés, nommés et dits au ministre de Dieu, ce qui aide non seulement à en prendre connaissance, mais à lutter contre les tentations futures. Il s’agit donc d’un renforcement de la métanoïa alors que la Liturgie eucharistique nous fait dépasser notre état de pécheur afin d’entrer purifiés dans le Royaume de Dieu.

La Divine Liturgie contient des demandes de la rémission des péchés, notamment deux prières juste avant la communion, l'une récitée par le prêtre seul et une autre récitée par le clergé et les fidèles (ensemble ou séparément) :

Voici que je m’approche du Christ, Roi immortel, notre Dieu. Le Corps précieux, saint et vivifiant de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ m’est donné à moi N., prêtre, en rémission de mes péchés et pour la vie éternelle.

Je te prie donc : aie pitié de moi et pardonne-moi les fautes, volontaires et involontaires, commises en paroles, en actes, sciemment ou par inadvertance, et rends-moi digne de participer, sans encourir de condamnation, à tes Mystères très purs, pour la rémission des péchés et la vie éternelle.

Il n’y a pas de confession explicite des péchés dans la Divine Liturgie, ni d’absolution. Dans la pratique, la rémission des péchés par la communion ne doit pas devenir une excuse pour éviter la confession. Nicolas Cabasilas parle du " labeur " exigé par l’Eucharistie et de la préparation personnelle : " Il nous faut être, personnellement, animés des dispositions requises, et d’abord nous purifier avant de participer à ce sacrement (13) ". Il s’agit d’établir un équilibre personnel entre la fréquence de la confession et la communion, équilibre dans lequel le fidèle sera guidé par son confesseur ou son père spirituel.

Ainsi, la rémission des péchés par la communion est nécessaire, même si nous venons juste de nous confesser, car notre confession ne peut être qu’imparfaite. Or, le Corps et le Sang du Christ ne peut venir qu’à ceux qui sont " purifiés de tout péché et résolus à ne plus le commettre (14) ". La communion, c’est le " feu qui consume les épines de tous les péchés " (prière d’action de grâces de saint Syméon le Métaphraste) ; après avoir communié, le prêtre paraphrase les mots du Séraphin à Isaïe (Is 6, 7) : " Ceci a touché mes lèvres ; mes iniquités sont enlevés et mes péchés effacés ". Beaucoup de prêtres répètent cette paraphrase après la communion des fidèles, avant de retourner dans le sanctuaire : : " Ceci a touché vos lèvres ; vos iniquités sont enlevés et vos péchés effacés ".

6. LA FRÉQUENCE DE LA COMMUNION

" Avec crainte de Dieu, foi et amour approchez ". C’est ainsi que le diacre invite les fidèles à la sainte communion pendant le Divine Liturgie. La communion, obligatoire pour le célébrant ou les concélébrants, facultative pour les fidèles, est l’aboutissement normal de la participation de tous, clergé et laïcs, à la Divine Liturgie. Tout le sens de la Liturgie exige que les saints dons offerts à Dieu et sanctifiés par lui soient consommés par ceux qui ont participé à l’offrande. Pourquoi donc, dans beaucoup de paroisses orthodoxes, peu de fidèles communient-ils ? Souvent, les jeunes enfants, avec ou sans leur mère, sont une majorité à communier, la plupart des adultes ne communiant que rarement.

La question de la fréquence de la communion est très ancienne dans l’histoire de l’Église. Dans l’Église primitive, la pratique était celle de la communion universelle des fidèles (les catéchumènes et les pénitents publics n’étaient pas présents à la Liturgie de l’offrande) –, mais cette pratique a cessé d’être la norme assez tôt et le regrettable " processus d’éloignement de la communion (15) " a commencé.

Au cours des siècles, le motif principal qui a servi à décourager la participation à la communion était le sentiment d’" indignité ". Dans la première Épître aux Corinthiens, saint Paul avait déjà soulevé la nécessité d’une préparation et d’un état d’âme adéquats pour la communion. Après avoir décrit l’institution de l’Eucharistie par le Christ, il ajoute :

Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. C'est pourquoi, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du Corps et Sang du Seigneur. Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange alors ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il n’y discerne le Corps (du Seigneur). (1 Co 11, 26-29).

Alexandre Schmemann souligne que saint Paul ne propose pas le choix entre communier et ne pas communier, mais il appelle tous à communier consciemment, à se préparer, de son mieux, pour cet honneur (16). D’autres commentateurs suggèrent que saint Paul visaient surtout ceux qui communiaient sans distinguer la différence entre l’Eucharistie et les aliments de tous les jours, " parce qu’ils ne savent pas discerner qu’il n’est loisible de la recevoir [la communion] qu’avec une âme et un corps purs (17) ".

Souvent un fidèle peut choisir de ne pas communier à la Liturgie à cause d’un sentiment d’indignité personnelle. Sans doute aussi, les exigences canoniques pour la communion, notamment le jeûne préalable, ainsi que la tradition dans certaines Églises et paroisses de se confesser avant chaque communion, jouent un rôle dans la désaffection de la communion fréquente.

Mais est-ce une vraie humilité qui pousse un fidèle pieux, moine ou laïc, à s’écarter de la communion ? Ou est-ce le résultat d’une ruse très sophistiquée de l’Ennemi, le Menteur, qui se déguise en " ange de lumière " pour induire le fidèle en erreur ? L’Église primitive savait que personne n’est digne par ses vertus personnelles de communier au Corps et au Sang du Christ et que " se préparer à la communion consiste non pas à mesurer et à supputer son état de ‘préparation’ ou d’‘impréparation’, mais à répondre par l’amour à l’amour (18) ".

Pour les Pères de l’Église, la conscience d’indignité ne doit pas nous empêcher de communier. Dans ces Conférences, saint Jean Cassien aborde explicitement cette question :

Nous ne devons pas toutefois nous suspendre nous-mêmes de la communion du Seigneur, parce que nous avons conscience d’être pécheurs. Au contraire, nous irons la recevoir avec une avidité plus grande, afin d’y trouver la santé de l’âme et la pureté de l’esprit, mais dans les sentiments de l’humilité et de la foi, nous jugeant indignes d’une telle grâce, et cherchant plutôt le remède à nos blessures.

Si nous attendons d’être dignes, nous ne ferions pas même la communion une fois l’an. Cette pratique de la communion est celle de plusieurs qui demeurent dans les monastères. Ils se forgent une telle idée de la dignité, de la sainteté, de la grandeur des divins mystères, qu’il ne faut pas s’en approcher, à leur sens, que si l’on est saint et sans tache, et non pas plutôt afin de le devenir. Ils pensent éviter toute présomption orgueilleuse. En réalité, celle où ils tombent est plus grande ; car, le jour du moins où ils communient, ils se jugent dignes de la communion. Combien est-il plus raisonnable de recevoir les mystères sacrés chaque dimanche, comme le remède à nos maladies, humbles de cœur, croyant et confessant que nous ne saurions mériter cette grâce : au lieu de nous enfler de cette vaine persuasion, qu’au moins nous en serons dignes au bout de l’an ! (19)

Ce faux sentiment d’indignité doit donc être rejeté comme motif de refuser de communier. Le vrai sentiment d’indignité est plutôt de reconnaître que nous ne sommes jamais dignes de communier au Corps et au Sang du Christ ; par nos seuls efforts, en aucun moment nous ne pouvons être dignes de nous approcher de la sainte Table du Seigneur. Ce sentiment juste est reflété dans la prière de préparation à la communion :

Je crois, Seigneur, et je confesse que tu es en vérité le Christ, le Fils du Dieu vivant, venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. Je crois encore que ceci même est ton Corps très pur et que ceci même est ton Sang précieux. Je te prie donc : aie pitié de moi et pardonne-moi les fautes volontaires et involontaires, commises en paroles, en actes, sciemment ou par inadvertance, et rends-moi digne de participer, sans encourir de condamnation, à tes Mystères très purs pour la rémission des péchés et la Vie éternelle. Amen.

Comme la plupart des saints qui se sont penchés sur cette question, saint Nicolas Cabasilas se fait l’avocat de la communion fréquente, spécifiquement à cause de notre fragilité :

Nous sommes faits de matière si fragile que le sceau [divin] risque d’être effacé, car nous portons ce trésor en des vases d’argile (2 Co 4,7). Nous prenons donc ce remède, non pas une seule fois, mais continûment (20).

Cette ambiguïté entre " digne " et " indigne " revient à plusieurs reprises dans la Divine Liturgie et est le sens du court échange entre le célébrant et les fidèles juste avant la communion. " Les saints Dons aux saints ! " proclame le célébrant. Les fidèles, comme frappés par cette redoutable exigence de sainteté, reconnaissent leur indignité à être considérés " saints " : " Un seul est Saint, un seul est Seigneur, Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père " (cf. 1 Co 8,6 et Ph 2,11). Cet échange éclaire le mystère de la transformation d’une assemblée de pécheurs en la Communion des saints, l’Église. C’est le Christ, le seul Saint, " le seul sans péché ", qui sanctifie ceux qui viennent à lui. C’est le Christ qui nous invite à la communion, malgré notre indignité ; d’une façon mystérieuse et paradoxale, c’est la communion elle-même qui nous rend dignes de communier. Nul ne peut participer au repas de noces du Maître s’il n’est pas invité par le Maître et c’est le Maître lui-même qui revêt les invités de l’habit de noces nécessaire pour prendre place à la table. Ainsi, les fidèles chantent après la communion :

Que nos lèves s'emplissent de ta louange, Seigneur, afin que nous chantions ta gloire. Car tu nous as rendus dignes de communier à tes saints, divins, immortels et vivifiants mystères. Garde-nous dans ta sainteté, afin que le jour entier nous apprenions ta justice. Alléluia, alléluia, alléluia.

 


NOTES

1 Les citations de la Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome sont de la version des Éditions Liturgica (Paris).
2 La Vie en Christ : titre de deux livres de spiritualité, l’un de saint Nicolas Cabasilas (XIVe siècle), l’autre de saint Jean de Kronstadt (fin XIXe - début XXe siècles).
3 Daniel Coffigny, Nicolas Cabasilas, La Vie en Christ, Cerf, 1993, p. 175.
4 La Vie en Christ, p. 175.
5 Constantin Andronikof, Le sens de la liturgie. Cerf, 1988, pp. 303 et 317.
6 Andronikof, p. 310.
7 Cité par Andronikof, p. 318.
8 Nicolas Cabasilas, Explication de la Divine Liturgie, Cerf (SC 4bis), 1967, p. 215.
9 Explication de la Divine Liturgie, p. 209.
10 La Vie en Christ, p. 164. Cabasilas n'aborde pas cette question dans son Explication de la Divine Liturgie.
11 La Vie en Christ, p. 166.
12 La Vie en Christ, pp. 166-67.
13 La Vie en Christ, p. 181.
14 La Vie en Christ, p. 170.
15 Hendryk Paprocki, Le Mystère de l’Eucharistie. Cerf, 1993, p. 362.
16 Cf. Alexandre Schmemann, L’Eucharistie : Sacrement du Royaume. YMCA Press-ŒIL, 1985, p. 268.
17 Cf. Jean Cassien, " Conférence XXII : Des illusions de la nuit ", Conférences XVIII-XXIV. Cerf (SC 64), 1959, p. 120.
18 Schmemann, p. 268.
19 Jean Cassien, " Conférence XXIII : De l’impeccabilité ", pp. 167-68.
20 La Vie en Christ, p. 172.


Introduction à la Divine Liturgie

 


 
Dernière modification: 
Lundi 27 mars 2023