Saint Jean Chrysostome sur le mariage
La Rencontre de Saint Joachim |
(Homélie XX sur |
LE SENS DE L'AMOUR
Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Église (Ép 5, 25).
Vous avez entendu quelle parfaite soumission il prescrit : vous avez approuvé et admiré saint Paul comme un homme supérieur et spirituel, pour avoir resserré ainsi notre solidarité. Écoutez maintenant ce qu’il exige de vous ; il recourt au même exemple.
Maris, dit-il, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Église. Vous avez connu la mesure de l’obéissance ; sachez maintenant celle de la tendresse. Tu veux que la femme t’obéisse, comme l’Église au Christ ? Veille donc sur elle comme le Christ sur l’Église. Fallût-il donner ta vie pour elle, être déchiré mille fois, tout souffrir, tout endurer, ne recule devant rien. Quand tu aurais tout souffert, tu n’aurais point encore approché des sacrifices du Christ. Car avant de te dévouer pour la femme, tu t’es uni à elle : tandis que le Christ s’est immolé pour une Église qui le fuyait et le haïssait. Fais donc pour ta femme ce qu’il a fait pour celle qui le repoussait, le détestait, le méprisait, l’insultait ; sans menaces, sans injures, sans terreur, par sa seule et infinie sollicitude, il a amené l’Église à ses pieds.
De même, quand ta femme ne te témoignerait que dédain, mépris, insolence, il ne tient qu’à toi de la ramener à tes pieds à force de bonté, d’amour, de tendresse. Car il n’eut pas d’attache plus forte, surtout entre homme et femme. Par la crainte on peut lier les mains à un serviteur, encore ne tardera-t-il pas à s’échapper : mais la compagne de ta vie, la mère de tes enfants, la source de ton bonheur, ce n’est point par la crainte, par les menaces qu’il faut l’enchaîner, mais par l’amour et l’affection. Qu’est-ce qu’un foyer où la femme tremble devant son mari ? Quelle joie y a-t-il pour l’époux, quand il vit avec son épouse comme avec une esclave, et non une femme libre ? Te ferait-elle souffrir, ne le lui reproche pas : suis l’exemple du Christ.
LE CHRIST AIME ENCORE PLUS
Il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant (Ép 5, 26).
Elle était souillée, laide, vile et repoussante. Quelque femme que vous épousiez, elle ne ressemblera jamais à ce qu’était l’Église quand le Christ l’épousa ; il n’y aura jamais entre vous la distance qui séparait le Christ et l’Église. Pourtant, le Christ ne prit point en horreur, en aversion, cette effrayante laideur. Voulez-vous savoir jusqu’où allait sa difformité ? Écoutez saint Paul : Vous étiez autrefois ténèbres (Ép 5, 8). Vous voyez si elle était noire ! Quoi de plus noir que les ténèbres ? Voyez maintenant son impudence : Vivant dans la méchanceté et l’envie (Tt 3, 3). Et son impureté : Indocile, insensée. Que dis-je ? Elle était démente et sacrilège. Néanmoins le Christ s’est livré pour cette hideuse épouse, comme si elle avait été la plus belle, la plus chérie, la plus admirable des femmes. Saint Paul s’en étonnait : À peine quelqu’un mourrait-il pour un juste (Rm 5, 7). Et encore : Si, lorsque nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous (Rm 5, 8). Le mariage accompli, il la pare, il la baigne, il ne répugne pas à de pareils soins.
QU'EST-CE QU'EST LA VRAIE BEAUTÉ ?
Afin de la sanctifier en la purifiant par le baptême d’eau, par la parole, pour faire paraître devant lui une Église resplendissante, sans tache ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée (Ép 5, 26-27).
Par le baptême, il lave son impureté. Par la parole, ajoute-t-il : Quelle parole ? Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Et il ne se borne pas à la parer, il la rend magnifique : N’ayant ni tache ni ride, ni rien de semblable.
Recherchons nous aussi cette beauté, et nous pourrons en devenir les créateurs. Ne demandez pas à votre femme ce qui n’est pas son fait. Ne voyez-vous pas que l’Église doit tout au Seigneur ? De lui elle tire son éclat, de lui sa pureté. Ne vous effarouchez pas de la laideur de votre femme. Écoutez l’Écriture : Petite est l’abeille parmi les êtres ailés, et son miel dépasse toutes les douceurs (Qo 11, 3). Votre femme est œuvre de Dieu ! La rudoyer, c’est rudoyer son auteur : l’injure n’est pas pour elle. Ne la louez pas de sa beauté : louer, haïr, aimer pour ce motif, tout cela port d’un cœur déréglé. Rechercher la beauté intérieure : imitez l’Époux de l’Église. La beauté physique est une source intarissable d’orgueil et de vanité : elle provoque la jalousie, les soupçons outrageants. Elle nous charme ? Oui, pour un mois ou deux, un an tout au plus ; après, c’est fini, l’habitude calme notre ravissement, tandis que les maux engendrés par la beauté subsistent, l’orgueil, la vanité, l’arrogance. Rien de tel pour les attraits d’une autre nature : l’amour légitime qu’ils inspirent si justement, garde sa force, attachée à la beauté de l’âme, non à celle du corps.
Qu’existe-t-il de plus beau que le ciel et les étoiles ? Si jolie soit la femme de vos rêves, son corps n’a pas cette blancheur, ni ses yeux cet éclat. Quand les astres parurent, les anges s’émerveillèrent ; aujourd’hui encore nous nous émerveillons, mais ce n’est plus l’émotion des origines. L’habitude qui s’est insinuée en nous a éteint le don de l’étonnement, surtout devant une femme, car une maladie suffit à détruire ses charmes.
Aussi, dans une femme, cherchons la bonté, la modération, la douceur, qui composent la beauté véritable. Restons insensibles aux attraits du corps et ne lui reprochons pas des défauts qui ne dépendent pas d’elle. Notre querelle serait impudente. Étouffons regrets et déception. Combien, liés à des femmes médiocrement jolies, ont mené jusqu’à la vieillesse une vie heureuse et calme. Purifions les taches de l’âme, effaçons les rides intérieures, guérissons les défauts du caractère. Dieu aime cette beauté-là. Parons notre femme de ces charmes qui plaisent à Dieu, plutôt qu’à nous.
L’ARGENT CORROMPT
Soyons indifférents à la fortune, au rang, ne nous soucions que de la noblesse du cœur. Que nul n’attende des trésors de sa femme, profits misérables et mal acquis ! Ne songez pas aux richesses en vous mariant. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans les convoitises insensées et funestes, dans les pièges, la perte et la ruine (1 Tm 6,9). N’attendez pas de votre femme une grande fortune, tout le reste viendra de lui-même. Qui, dites-le-moi, négligerait l’essentiel pour s’occuper de choses vaines ? Hélas ! Que de fois pourtant nous succombons ! Avons-nous un fils ? Nous ne nous inquiétons pas d’en faire un honnête homme, mais de lui trouver une riche épouse. Nous ne cherchons pas à bien l’élever, mais à bien le pourvoir. Exerçons-nous un métier ? Nous désirons moins l’accomplir correctement que le rendre plus lucratif. L’argent est tout, et si la corruption sévit partout, la faute en est à cette passion qui nous dévore.
RIEN DE PEUT ÊTRE MIEUX...
Que chacun de vous aime sa femme comme lui-même mais que la femme craigne son mari (Ép 5, 33).
Oui, c’est un mystère, un grand mystère, qu’on oublie son père, l’auteur de ses jours, celui par qui on a été élevé, celle par qui on a été enfanté dans la souffrance, ceux à qui l’on doit tant et avec qui l’on a toujours vécu, pour s’unir à une femme que l’on n’a jamais vue, avec laquelle on n’a rien de commun, et de la préférer à tout. Oui, c’est un mystère. Et les parents ne sont point affligés, le contraire plutôt les peinerait. Il faut qu’ils se mettent en frais, en dépense, et pourtant ils se réjouissent ! Oui, c’est un grand mystère, rempli d’ineffable sagesse. Dès longtemps Moïse l’avait prophétisé ; et voici que Paul, à son tour, s’écrie : Dans le Christ et dans l’Église.
D’ailleurs, cela n’est pas dit seulement en vue du Christ, mais encore est vue de la femme, afin que le mari en ait soin comme de sa propre chair, comme le Christ a soin de l’Église. Mais que la femme craigne son mari. La femme est l’autorité seconde. Qu’elle ne réclame donc pas l’égalité : elle est au-dessous de la tête. Mais que le mari ne la méprise point comme une sujette : elle est le corps ; si la tête vient à mépriser le corps, elle se perd elle-même. Qu’il fasse de la tendresse le contrepoids de l’obéissance. Que tous deux soient comme la tête et le corps ; celui-ci prêtant à l’autre, pour son service, les mains, les pieds, tous les membres ; celui-là veillant sur le corps, et tenant en soi toute la conscience. Rien de supérieur à cette union...
LA PETITE ÉGLISE
Pourvoyez à tous les besoins de votre femme, ne négligez aucun de ses intérêts, n’épargnez pas votre peine : c’est un devoir impérieux. Paul, ici, ne juge pas à propos d’invoquer l’exemple du monde, comme il le fait souvent. Celui du Christ, qui est grand et frappant, lui suffit, surtout en qui concerne la soumission. Il laissera père et mère. Voilà qui est emprunté au monde. Mais il ne dit pas : " et habitera avec elle, " mais : s’attachera à elle, marquent ainsi une intime union, une vive tendresse. Et il ne s’en tient pas là : parce qu’il ajoute, il représente la soumission sous de telles couleurs, que les deux ne paraissent plus qu’un. Il ne dit pas : " par l’esprit, " ou " par l’âme ". C’est chose évidente, et possible à chacun ; il dit : De telle façon qu’ils ne forment qu’une chair.
La femme est l’autorité seconde, elle détient de grands pouvoirs et à bien des égards elle est l’égale de l’homme ; pourtant celui-ci garde une supériorité. Voilà la meilleure sauvegarde du couple. Car si l’homme a reçu le rôle du Christ, ce n’est pas seulement pour aimer, mais encore pour instruire : Afin qu’elle soit sainte et immaculée ; tendis que ces mots : chair, il s’attachera, regardent l’obligation d’aimer. Si vous rendez votre femme pure et sans tache, tout le reste s’ensuit. Cherchez les choses de Dieu et les humaines viendront d’elles-mêmes. Faites l’éducation de votre femme ; par là l’union s’établit dans le couple. Écoutez saint Paul : Si elles veulent savoir quelque chose, qu’elles interrogent à la maison leurs propres maris (1 Co 14, 35). Si nous gouvernons ainsi nos maisons, nous nous rendrons aptes à diriger aussi l’Église : car le foyer est une petite église. Par là mari et femme peuvent surpasser tout le monde.
" À MOI " : UNE EXPRESSION MAUDITE
Veux-tu donner un repas, un festin ? Au lieu d’inviter des gens grossiers et libertins, va trouver un pauvre en état de sanctifier votre maison, d’y apporter, en entrant, la bénédiction de Dieu, et invite-le. Faut-il ajouter autre chose ? Qu’aucun de vous ne cherche à se marier avec une femme plus riche que lui ; mieux vaut la choisir pauvre. Une femme riche vous apportera moins de jouissance par sa fortune que de tourments par ses insultes, ses demandes d’argent, qui dépasseront sa dot, ses caprices, ses folles dépenses, ses cris de harengère. Elle dira peut-être : " Je n’use rien qui soit à toi, je m’habille à mes frais, sur les revenus qui me viennent de mes parents. " Que dis-tu là ? Tu t’habilles à tes frais ! Quel scandale ! Ton corps ne t’appartient plus et tu fais tiennes les richesses ? Une fois mariés, homme et femme, vous n’êtes plus deux chairs mais une seule, et vous auriez non pas une fortune commune, mais deux séparées ! Ô fatale cupidité ! Vous n’êtes qu’un même être, une même vie, et vous dites encore : " C’est à moi ! " Parole exécrable et criminelle, satanique pensée ! Dieu nous a rendu communes des choses plus nécessaires que les richesses et celles-ci ne le sont point ? On ne peut dire : " La lumière est à moi, le soleil est à moi, l’eau est à moi. " Les biens les plus importants nous sont communs ; l’argent seul ne le serait pas ? Périsse mille fois l’argent, ou plutôt périsse cet attachement, cet aveugle usage, cette passion idolâtre !
Apprends ces choses-là, avec le reste, à ta femme, mais fais-le avec une grande douceur. L’exhortation à la vertu a par elle-même quelque chose de trop sévère, surtout si elle s’adresse à une femme toute jeune et timide. Quand donc tu t’entretiendras avec elle de notre art de vivre, mets-y beaucoup de grâces, et cherche principalement à arracher de son âme le " tien " et le " mien ". Si elle dit : " Ceci est à moi ", réponds : " Que réclames-tu comme étant à toi ? Je l’ignore. Je n’ai, moi, rien en propre. Pourquoi dis-tu c’est à moi, quand tout t’appartient ? " Passe-lui donc cette parole.
Ne vois-tu pas comme l’on fait avec les enfants ? Quand un tout petit nous a pris un objet de la main et qu’il en veut un autre, nous les lui abandonnons tous deux et disons : " Oui, c’est à toi et cela aussi ". Faisons de même pour notre femme, car elle a une âme d’enfant. Si elle dit : " C’est à moi ", dis-lui : " Oui, tout est à toi, et moi aussi je suis à toi. " Ce ne sera pas flatterie, mais profonde sagesse. Ainsi tu pourras tour à tour apaiser sa fougue et guérir son abattement. Il y a flatterie quand on s’abaisse dans une intention coupable ; ici, au contraire, il n’y a qu’une grande sagesse. Dis donc à ta femme : " Moi aussi, je suis à toi, petite fille. " C’est le précepte que m’adresse saint Paul, en disant : Le mari n’est pas maître de son corps, mais l’épouse (1 Co 7, 4). Si je ne suis plus maître de mon corps, s’il t’appartient, l’argent t’appartient plus encore. Par un tel langage, vous la calmez, vous éteignez son courroux, vous humiliez le diable ; ligotée par ces paroles, votre femme devient plus soumise qu’une esclave achetée à prix d’argent. Apprenez-lui donc par vos discours à ne plus employer ces mots de tien et de mien.
ENSEIGNER L'AMOUR
Jamais ne l’appelez par son nom tout court ! Usez de mots tendres, marquez-lui des égards, et surtout une profonde affection. Honorez-la, et elle ne désirera pas d’autres hommages : la gloire extérieure aura peu de prix à ses yeux si vous la glorifiez vous-même. Mettez-la au-dessus de tout en toute chose, beauté, intelligence, vantez-la. Par là, vous l’amènerez à ne faire aucune attention aux étrangers et à se rire de tous les succès du monde.
Enseignez-lui la crainte de Dieu, tout le reste coulera de source, et votre maison regorgera d’une profusion de richesses. Si nous cherchons les biens incorruptibles, les biens périssables ne nous feront pas défaut : Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît (Mt 6, 33). Que devront être les enfants issus des parents aussi vertueux, les esclaves attachés au service de tels maîtres, enfin, tous ceux qui les approchent ? Tous ces gens ne seront-ils pas, eux aussi, comblés de tous les biens ? En général, les serviteurs se modèlent sur leurs maîtres, épousent leurs passions, aiment ce qu’ils leur ont appris à aimer, parlent comme eux, vivent comme eux. Si nous travaillons à nous modeler ainsi nous-mêmes, les yeux fixés sur l’Écriture, nous en recevrons les leçons les plus fortes. Par là, nous pourrons plaire au Seigneur, vivre dans la vertu toute notre vie et obtenir enfin les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous tous en être jugée dignes, par la grâce et l’amour de notre Seigneur Jésus Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint Esprit, aujourd’hui et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
Première traduction dans M. Jeannin, trad.,
Saint Jean Chrysostome : Oeuvres complètes,
Louis Guérin, Éditeur, 1864.
Traduction revue dans le recueil Le mariage
dans l'Église ancienne, Paris, 1969, pp. 82-103 ;
réimprimé dans Jean Meyendorff,
Le mariage dans la perspective orthodoxe,
YMCA Press/ŒIL, Paris, 1986.
Introduction aux Pages du Mariage et
de la Vie Chrétienne dans le Monde