L'Annociation - Icône de la fête
L'Annonciation d'Oustioug. Icône, c. 1120-1130
Tempera sur bois, 238 x 168 cm. Galerie Tretiakov, Moscou.
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
L’Annonciation
Tout comme le récit évangélique (Lc 1, 26-38) et l'office religieux de la fête, l'icône de l’Annonciation est pénétrée d'une profonde joie intérieure. C'est la joie de l'accomplissement de la promesse de l'Ancien Testament par l'Incarnation du Rédempteur du monde. « Aujourd’hui notre salut commence et le Mystère éternel se manifeste. Le Fils de Dieu devient Fils de la Vierge et Gabriel annonce la bonne nouvelle de la grâce. C'est pourquoi clamons-nous aussi avec lui à la Mère de Dieu : Salut, pleine de grâce; le Seigneur est avec Toi » (tropaire de la fête). Cette joie se retrouve clans les couleurs, dans la manière festive de rendre les détails et dans la posture de l'Archange. La plupart des icônes le représentent dans un mouvement rapide : il vient de descendre du ciel et « son expression est celle du serviteur diligent, assidu à accomplir la tâche que lui a confiée son Maître ». Il a les jambes écartées comme s'il courait. Dans la main gauche, il tient un bâton, symbole du messager. Sa main droite, dans un mouvement ferme, est tendue vers la Vierge Marie il lui communique la bonne nouvelle de la part de son Maître, le Mystère de la Divine Providence. La mère de Dieu est représentée soit en position assise, pour souligner sa supériorité par rapport à l'Ange, soit se tenant droit debout « comme si Elle écoutait le commandement du Roi ». En général, Elle tient une pelote à la main: plus rarement, un rouleau. Ces détails sont empruntés à la tradition : ils sont mentionnés, par exemple, dans le Protévangile apocryphe de Jacques, chapitre II. Par opposition à l'aspect extérieur, brillant et festif, la signification interne de l'événement le moment décisif dans l'histoire du monde qui détermine son histoire ultérieure -, est rendue avec une grande retenue et une grande réserve par la pose et les gestes à peine visibles de la Mère de Dieu. En général, l'icône souligne un des trois moments de l'événement. Le premier : l'apparition de l'Archange, sa salutation, la perturbation et la crainte de la Sainte Vierge. Dans ce cas, Elle se retourne et, dans sa surprise, laisse tomber la pelote pourpre qu'Elle filait. Le deuxième moment : la perplexité et la prudence de la Mère de Dieu, particulièrement soulignées dans l'office de la fête qui juxtapose l'Annonciation, commencement de notre salut, et le commencement de la chute de l'homme. À cause de la chute de notre ancêtre Ève, la Vierge Marie est prudente et n'accepte pas immédiatement l'extraordinaire nouvelle qui vient de l'au-delà mais se rappelle les lois de la nature : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme? » L'icône rend cela par le geste de la main qu'Elle tient devant sa poitrine, la paume vers l'extérieur, en signe de perplexité, de non-acceptation. Enfin, d'autres icônes représentent le moment culminant de l'événement: le consentement de la Mère de Dieu. Ici, inclinant la tête, elle appuie la paume de sa main droite sur sa poitrine, geste d'acceptation, de soumission qui décide du destin du monde : « Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole! » Le Métropolite Philarète de Moscou, à propos de la signification de ces paroles, dit ceci : « Aux jours de la création du monde, lorsque Dieu prononçait ses vivifiants et puissants "Que soit ... " ceci et cela, la parole du Créateur amenait les créatures dans le monde. Mais ce jour-là, incomparable dans la vie du monde, quand la divine Myriam prononça son bref et obéissant "Qu'il en soit ainsi", j'ose à peine dire ce qui s'est passé alors : la parole de la créature a fait descendre le Créateur dans le monde. » Cependant, cet accent, mis sur l'un des moments mentionnés, n'est pas la règle générale car beaucoup d'icônes combinent l'ensemble et représentent, en quelque sorte, une synthèse de l'état psychologique de la Mère de Dieu. Elle tend la main dans la direction de l'Ange, demandant une réponse aux doutes qui l'assaillent et, en même temps, inclinant la tête, Elle Exprime sa soumission. Dans notre icône, les yeux de la Mère de Dieu et de l'Archange sont tournés, non pas l'un vers l'autre, mais vers le haut, où nous voyons la portion traditionnelle d'une sphère, symbole des cieux élevés et vers les rayons qui en jaillissent : l'action de l'Esprit Saint. La direction dans laquelle les regards de la Mère de Dieu et de l’Archange sont tournés se rejoignent dans ces rayons descendants. Dans ce détail, la signification fondamentale de l'événement est profondément sentie et transmise, à savoir l'unité de l'action et de la volonté de Dieu et de sa créature dont parle l'office de la fête : « L'Ange sert le miracle, le sein de la Vierge reçoit le Fils, le Saint-Esprit est envoyé (les rayons), le Père envoie sa faveur d'en-haut (la sphère) et la transformation se fait par le consentement mutuel... » Le consentement mutuel signifie l'accord entre Dieu et la créature. En effet, l'Incarnation n'est pas seulement un acte de la volonté de Dieu mais aussi de la libre volonté et de la foi de la Sainte Vierge Marie, comme le dit Nicolas Cabasilas dans son discours sur l'Annonciation. L'angle de la tête de l'Ange montre qu'il ne parle pas de lui-même. S'adressant à la Mère de Dieu, lui révélant le mystère de la Divine Providence, il souligne de son regard qu'il dépend de Celui qui l'a envoyé. Il se tient devant la face de Dieu. Pour la Mère de Dieu, c'est un moment de sanctification, le commencement de sa Maternité Divine. « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. » Acceptant la nouvelle de l'Archange, de son geste Elle répond non pas au messager mais à Celui qui l'envoie. Bien que l'Ange regarde vers le haut, tout son mouvement est tourné vers la Mère de Dieu. Quant à Elle, tout son mouvement et tout son être sont tournés vers le haut. Ce mouvement, en quelque sorte, sert à souligner que le consentement de la Mère de Dieu n'est pas une acceptation passive de l'Annonciation mais une soumission d'Elle-même à la volonté de Dieu, une participation volontaire et indépendante de la Mère de Dieu et, en sa personne, de toutes créatures, à l'œuvre du Salut. L'iconographie de l'Annonciation est l'une des iconographies les plus anciennement connues des fêtes. Il existe déjà une image de l'Annonciation dans la catacombe romaine de Priscille que les archéologues attribuent au IIe siècle. L'iconographie en est restée fondamentalement la même; les différences ne concernent que des détails. Par exemple, selon la coutume de l'époque, l'Ange est représenté sans ailes.
Bien que notre icône manque de l'éclat et de la pureté des couleurs des icônes du XVe siècle, elle possède malgré toutes les qualités de la meilleure tradition et représente un exemple d'une pénétration théologique profonde dans l'essence dogmatique de l'image, caractéristique de la peinture d'icônes russe.
Source : Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky,
Le Sens des icônes, Paris, Le Cerf, 2004, pp. 156-159.
Saint Luc, présumé par la tradition d’être le premier à voir écrit trois icônes de la Vierge, a bien fait de commencer son évangile par le récit de l’Annonciation car c’est à ce moment précis que commence l’histoire de la Seconde Alliance de Dieu avec son peuple, par l’incarnation du Verbe.
Luc a choisi de structurer le péricope de l’Annonce faite à Marie selon un modèle employé par différents auteurs dans plusieurs textes bibliques de l’Ancien Testament : l’appel de Gédéon (Jg 6), ceux d’Abraham (Gn 12 ; 15), de Sarah (Gn 18,9-14), d’Isaïe (Is 6,1-13), de Samson (Jg 13), etc. [3] Ce modèle comporte six phases bien déterminées qui se retrouvent très clairement dans Luc 1,26-38. La première, la manifestation du messager divin : « l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu […] à une vierge » (v. 26,27). La deuxième, les paroles d’introduction : « il entra chez elle et lui dit : Salut comblée de grâce le Seigneur est avec toi » (v. 28). La troisième, la mission réclamée : « Voici que tu concevras et enfanteras un fils […] Il sera grand et on l’appellera le Fils du Très Haut » (v. 31-32). La quatrième, les objections ou les doutes : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » (v. 34). La cinquième, la réassurance : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre » (v. 35). Et finalement la sixième, le signe : « Et voici qu’Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils en sa vieillesse […] car rien n’est impossible à Dieu» (v. 36-37).
Je me souviens d’avoir vu sur un des piliers du monastère de Ferapontov en Russie, les fresques de chacun des quatre états de Marie face à cette annonce très bouleversante pour une jeune fille vierge et déjà promise à un homme ; l’appréhension, l’inacceptation, l’hésitation et finalement l’acceptation « Je suis la servante du Seigneur; qu’il m’advienne selon ta parole » (v. 38).
(1) Extrait : Luc Castonguay, iconographe – 23 mars 2020.
Source internet : www.interbible.org/interBible/source/culture/2020/culture_20200323.html