Pères et mères dans la foi

Communion dans le Messie-1

Le « Dialogue avec Tryphon » du père Lev Gillet

LE « DIALOGUE AVEC TRYPHON » DU PÈRE LEV GILLET :
    LEV GILLET ET PAUL LEVERTOFF


PRÉFACE DU VOLUME « JUDAISM AND CHRISTIANITY :
    ESSAYS PRESENTED TO THE REV.PAUL P. LEVERTOFF »

QUESTIONS CONCERNANT LA CHÉKINAH

LE « DIALOGUE AVEC TRYPHON »

DU PÈRE LEV GILLET :

LEV GILLET ET PAUL LEVERTOFF

À l’automne de 1937, père Lev Gillet se rendit à Londres en vue de s’y installer. Son principal contact à ce moment-là était le révérend Paul Levertoff, juif devenu prêtre anglican[1]. À l’âge de 18 ans, Paul Levertoff, né en Russie en 1879 de parents juifs, « accepte le Christ », sans pour autant se détacher de ses racines juives. Après la première guerre, il s’installe en Angleterre et est ordonné prêtre dans l’Église anglicane. Il aspire à « une expression sémitique du message chrétien – un message, à son avis, trop unilatéralement coulé dans le moule de la pensée grecque »[2]. Paul Levertoff réunit autour de lui d’une communauté judéo-chrétienne, il élabore une liturgie judéo-chrétienne pour l’usage de sa communauté, il fait des recherches sur des aspects ignorés ou mal connus du judaïsme, puis, avec la montée de l’antisémitisme en Allemagne et en Autriche sous les nazis, il tente de sensibiliser les chrétiens britanniques à la menace qui pèse sur les juifs. Au moment où père Lev Gillet prend contact avec lui en 1937, Paul Levertoff s’apprête à ouvrir un « foyer » pour des juifs et des chrétiens d’origine juive fuyant le nazisme.

Le père Lev Gillet est déjà familier avec le milieu judéo-chrétien de Paul Levertoff, de par ses contacts à Paris dans la communauté juive, en particulier par sa connaissance qui date d’environ 1933 d’Aimé Pallière. Aimé Pallière était un catholique devenu interprète et porte-parole du judaïsme conçu comme religion universelle. Accepté dans les milieux juifs, Aimé Pallière écrit et prêche sur « l’essence spirituelle du judaïsme », par exemple, sur le thème du « Serviteur souffrant » du second Isaïe, thème repris et approfondi par père Lev, non seulement dans ses écrits sur le « Dieu souffrant », mais aussi comme leitmotiv de toute sa méditation, ses homélies et ses écrits sur « l’Amour sans limites ».

Paul Levertoff propose une collaboration avec père Lev dans le cadre du foyer pour les réfugiés juifs et judéo-chrétiens qui doit s’installer dans le East End de Londres. Sans doute influencé par le foyer de mère Marie (Skobtsov) à Paris, où père Lev a habité et œuvré à coté de mère Marie pendant trois ans, père Lev accepte la proposition de Paul Levertoff, sujet à l’accord de son supérieur ecclésiastique, le métropolite Euloge (Georgievski). Mgr Euloge accorde sa bénédiction, voyant un avantage à l’installation d’un de ses prêtres en Angleterre dans le cadre du dialogue orthodoxe-anglican auquel l’évêque est particulièrement attaché.

En février 1938, père Lev s’installe à Londres, devenant warden du foyer créé par Paul Levertoff. Père Lev aime les jeunes réfugiés du foyer, dont beaucoup poursuivent des études, d’autres l’apprentissage de métiers. Relativement libre même avec ses responsabilités au foyer, père Lev amorce une vaste étude sur les rapports entre le judaïsme et le christianisme, dont le résultat le plus important sera, en particulier, le livre Communion in the Messiah, publié à Londres en 1942, en plein guerre mondiale[3]. Père Lev s’occupera du foyer jusqu’au printemps de 1940, quand les autorités britanniques internent les jeunes, considérés comme citoyens de pays avec lesquels le Royaume-Uni est en guerre, dans un camp dans les îles anglo-normandes, puis les envoient en Australie. L’habitation où était situé le foyer est complètement détruite au cours des bombardements aériens allemands de l’été et l’automne 1940.

En 1939, les amis de Paul Levertoff décident de publier un livre d’essais en son honneur sur le thème général du judaïsme et du christianisme[4]. On demande au père Lev Gillet, à peine en Angleterre depuis un an, d’agir comme « Editor » (directeur de publication) du volume. Le livre réunit dix textes, écrits pour la plupart par des théologiens anglicans, avec une courte Préface et un essai en français de père Lev, « Questions concernant la Chékinah ». Ce texte, remanié, fait partie du chapitre III de Communion in the Messiah, « Judaism and the Christian Creed ». Il semble que « Questions concernant la Chékinah » soit le seul écrit en français de père Lev issu du « dialogue avec Tryphon ».


PRÉFACE DU VOLUME

« JUDAISM AND CHRISTIANITY : ESSAYS PRESENTED

TO THE REV.PAUL P. LEVERTOFF » (1939)

À l’occasion du soixantième anniversaire du Dr Paul Levertoff, quelques-uns de ses amis ont rassemblé les essais qui suivent comme signe de leur admiration pour lui et pour la cause à laquelle il a dédiée sa vie.

Deux des contributeurs au livre sont décédés. Le Canon Gouge est mort peu après la parution dans la revue The Church and the Jews de l’essai reproduit ici. L’essai de Mgr Frere, publié également dans cette revue, n’a pas été rédigé en vue de ce livre, mais eu égard à son amitié de longue date avec le Dr Levertoff, nous avons cru juste d’inclure ici ces lignes, qui datent vers la fin de sa vie. Nous rendons un hommage respectueux à la mémoire de ces deux grands ecclésiastiques anglicans.

Les pages qui suivent parlent longuement du Dr Levertoff et des problèmes judéo-chrétiens et il n’est donc pas nécessaire que nous entamions ces sujets ou que nous les présentions au lecteur. Mais il convient cependant de souligner une question. Les amis de Dr Levertoff sont parfois déçus du retard que prend la publication d’œuvres importantes qu’il prépare depuis bien longtemps. La tache impérieuse de sa vie semble toujours être reportée par des activités secondaires. Le travail en faveur des réfugiés juifs lui impose de plus en plus de responsabilités. Le foyer des étudiants à Shoreditch absorbe une bonne partie de son temps. Avons-nous à le regretter ? L’aspect intellectuel des relations entre juifs et chrétiens a peut-être souffert un peu. Mais, si on a donné abri et on a nourri les corps souffrant, si on a consolé et aidé les âmes en peine, ne devons-nous nous en réjouir ? Ce qui plus est, l’excursus récent et osé du Dr Levertoff hors du domaine de l’érudition fut une leçon à certaines personnes sceptiques. Cela démontre qu’il y a des cas où les personnes soi-disant « pratiques » se révèlent inefficaces ou des trouble-fête, alors que les rêves fantaisistes de l’idéaliste se réalisent.

La responsabilité de la préparation de ce volume fut confiée à un hiéromoine de l’Église orthodoxe, enseignant à l’Institut théologique russe de Paris. Cela se comprend par le fait qu’il collabore étroitement avec le travail de Dr Levertoff au Holy Trinity Students’ Hostel. Au moment où l’on parle beaucoup d’« œcuménisme », la collaboration entre deux prêtres, des Églises anglicane et orthodoxe, peut être considérée comme une petite anticipation sur ce qui est possible à une échelle plus vaste, et aussi comme une indication des possibilités existantes dans le christianisme juif de forger de nouvelles voies vers l’Unité chrétienne. Chaque jour je suis témoin des efforts à la fois modestes et ardus du Dr Levertoff en faveur de « ses » étudiants, et je trouve une joie continuelle à vivre avec ces jeunes hommes doués. Pour cela j’exprime ma profonde gratitude, à lui et à eux.

Puisse le Pasteur d’Israël accorder à Paul Levertoff pour de nombreuses années les bénédictions promises aux doux, aux cœurs purs, aux miséricordieux, et au sage rabbin qui tire du trésor de la connaissance divine des choses vieilles et des choses nouvelles.

Lev Gillet,
Prêtre de l’Église orthodoxe russe.
Holy Trinity Students’ Hostel, 
Shoreditch, août 1939.
Traduit par Paul Ladouceur.


QUESTIONS CONCERNANT LA CHÉKINAH

par père Lev Gillet

Jeter un pont entre la pensée religieuse d’Israël et la pensée chrétienne nous semble être une des tâches essentielles de Paul Levertoff. (Nous ne disons pas que ce soit la sa tâche principale, car jeter un pont entre la prière d’Israël et la prière du Christ, entre l’amour hassidique et l’amour chrétien, importe plus encore à ses yeux que l’œuvre intellectuelle.) Depuis l’époque patristique et conciliaire, le christianisme s’est exprimé dans les termes de la pensée grecque. Une christologie hébraïque n’a pas encore été élaborée. Nous attendons du Dr. Levertoff qu’il fraye la route vers ce but.

On ne peut essayer d’édifier une christologie hébraïque sans considérer longuement la question si complexe de la Chékinah. Ce que fut le Logos pour la pensée hellénochrétienne, la Chékinah pourrait l’être pour la pensée judéo-chrétienne. Cette question de la Chékinah et de ses rapports avec la christologie est, nous le savons, au centre même des préoccupations théologiques du Dr. Levertoff. C’est pourquoi le travail qu’il prépare depuis longtemps sur le thème Christ and the Shekinah sera « le livre de sa vie ».

Il ne nous appartient pas d’anticiper ici sur ce livre. En consacrant dans le présent recueil quelques lignes à la Chékinah, nous ne prétendons ni reprendre ni même résumer les recherches historiques, philologiques, exégétiques dont la Chékinah a été l’objet de la part de spécialistes éminents[5].

Nous ne voulons pas davantage prévoir les conclusions auxquelles aboutira le Dr. Levertoff. Nous supposerons connu de nos lecteurs le dénombrement qui a été fait de tous les passages de la littérature rabbinique où la Chékinah se trouve mentionnée et les discussions de détail auxquelles ces passages ont donné lieu. Notre désir serait d’indiquer simplement sans essayer de les résoudre les principaux problèmes que la notion de Chékinah pose à la pensée chrétienne. Il ne s’agit d’autre chose que d’« introduire » et d’énoncer quelques problèmes avec un peu de clarté.

Des questions d’ordre historique se posaient tout d’ abord. Elles concernent le destin du mot et de la notion de Chékinah dans l’évolution de la pensée juive. Le terme de Chékinah, on le sait, ne se rencontre pas dans la Bible, quoiqu’on y trouve le verbe cheken, « demeurer, résider », d’où a été forme le substantif Chékinah, « demeure, présence ». C’est dans la littérature postbiblique, dans les Targumim, le Talmud, la Midrash, que l’idée de la Présence devient synonyme de Dieu lui-même. Or cette littérature rabbinique est assez tardive pour qu’on puisse poser la question de ses rapports avec les croyances chrétiennes des premiers siècles. Pour ne citer qu’un exemple, le Targum d’Onkelos, qui est un « lieu » classique relativement à la Chékinah, pourrait être contemporain des Synoptiques s’il avait été réellement écrit par Onkelos ; mais nous savons qu’il a été formé après Onkelos, dans les milieux babyloniens, à une époque où existait déjà une pensée chrétienne bien constituée. Nous sommes donc amenés à considérer deux hypothèses. Ou la littérature chrétienne primitive, dans ses passages « immanentistes » (notamment dans le quatrième Évangile), aurait utilisé une idée déjà en circulation dans les milieux juifs. Ou au contraire, la littérature immanentiste juive, a partir de la fin du Ier siècle, se serait inspirée de certaines notions chrétiennes. Cette deuxième hypothèse est elle-même susceptible de variantes. Il se pourrait qu’un emprunt fait par la pensée juive au christianisme ait résulte d’une pénétration naturelle et irénique. Il se pourrait aussi que cette influence ait pris la forme d’une réaction polémique. Peut-être les rabbins ont-ils voulu montrer que la croyance Israël admettait un Dieu aussi proche des hommes, aussi présent parmi eux que le Dieu chrétien (quoique sans Incarnation). Peut-être, au contraire, par opposition a l’idée chrétienne du médiateur, les rabbins ont-ils voulu insister sur la notion épurée et spirituelle de la présence. Cette dernière possibilité mérite d’être prise en sérieuse considération. est remarquable, en effet, que la notion de Chékinah ait fini par absorber complètement certaines autres notions immanentistes telles que celles de la « parole » (memra) et de la « gloire » (yekarakabod). Chose étrange : même dans les versions araméennes, nous voyons le mot hébreu Chékinah se substituer aux mots araméens, memra et yekara. Ne serait-ce point parce que les versions araméennes étant surtout destinées au peuple, il importait de prémunir celui-ci contre les anthropomorphisations ? et ce dernier souci ne viserait-il pas, en derrière analyse, les conceptions chrétiennes ? Ludwig Blau a écrit : « The polemic attitude which the conception of the Shekinah betrays toward the founder and the ideal of Christianity is unmistakable »[6] .

Cette assertion manque de preuves décisives ; il y a là, néanmoins, « quelque chose » qui mérite d’être élucidé et ne manque pas d’une apparente vraisemblance. Mais il faut creuser plus profondément. Même si le développement rabbinique de la notion de Chékinah s’est opéré sous des influences chrétiennes et peut-être en réaction contre le christianisme, il reste à expliquer la genèse de cette notion. Ni les écrivains juifs ni les écrivains chrétiens de la fin du Ier siècle ne l’ont créée de toutes pièces. Elle devait exister déjà dans la tradition israélite. S’est-elle formée à l’époque des Apocryphes ? quelle serait dans cette formation le rôle exact du judaïsme alexandrin ? Autant de questions à résoudre, et dont on saisit le puissant intérêt.

Un autre groupe de problèmes relatifs à la Chékinah se rattache a l’exégèse du Nouveau Testament. Il existe au moins deux textes néo-testamentaires où l’allusion à la Chékinah parait probable. C’est Jean 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous ; et Apocalypse 21, 3 : Voici la demeure de Dieu avec les hommes[7]. Il semble bien qu’il y ait ici un jeu de mots voulu entre les termes grecs eskinosen et skini, d’un emploi assez rare, et la racine hébraïque cheken. Mais ceci n’est pas certain et devrait faire l’objet d’investigations approfondies.

D’autre part, la notion juive de la présence ou de la demeure divines n’auraient-elles pas influé sur certains textes de Paul ? Aussi Colossiens 2, 9 : En lui habite toute la plénitude de la divinité ; et encore 2 Corinthiens 6, 16 : Car nous sommes le temple du Dieu vivant. Même idée dans Jean 14, 23 : Nous ferons chez lui notre demeure. Tous ces textes évoquent l’habitation de Dieu dans le Temple si fréquemment mentionnée par l’Ancien Testament, et à laquelle les Targumim ont substitué le « repos de la Chékinah ».

Il faudrait enfin examiner de près les textes néo-testamentaires parlant de la doxa. L’idée de doxa absorbe celle de kabod ou yekara, le mot se réfère (déjà dans les Septante) à la gloire de Dieu manifestée par la Chékinah. Le patriarche Gamaliel et Rabbi Joshua b. Hananiah ont nettement parlé de la Chékinah comme du rayonnement d’une lumière visible. Cette notion pourrait donc être sous-entendue dans quelques textes du Nouveau Testament relatifs à la gloire. Par exemple Jean 1,14 : Nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique. Nous ne pouvons pas affirmer qu’il s’agisse ici de la Chékinah ; mais nous pensons que l’attention des exégètes devrait se porter davantage sur ce point.

La notion de Chékinah soulève enfin un ensemble de questions de proprement théologiques, si l’on essaie de l’appliquer a la christologie. Nous indiquerons ici quatre de ces questions, qui nous semblent être les principales.

Premièrement, la Chékinah est-elle une simple périphrase pour désigner Dieu, une manière de parler ? En d’autres termes n’implique-t-elle rien de plus que l’omniprésence divine ? Ou, au contraire, s’agit-il d’une présence spéciale, localisée en un point de l’espace, déterminée dans le temps et liée à la libre grâce et condescendance de Dieu ? C’est en ce dernier sens que parlent beaucoup de rabbins, qui associent la Chékinah au Tabernacle, au Sinaï, au buisson ardent, à la colonne de lumière, etc. Il est évident que nous ne pouvons interpréter le Christ en termes de Chékinah que si celle-ci indique une présence divine très spéciale.

Deuxièmement, la Chékinah étant une présence de Dieu spéciale et objectivée, rendue perceptible à l’homme, cette présence est-elle directe et immédiate, c’est-à-dire est-ce l’essence divine elle-même qui s’objective ? Ou cette présence est-elle indirecte et médiate, c’est-à-dire a-t-elle comme support une sorte d’intermédiaire qui ne soit pas d’essence divine, tel que la lumière créée ou les anges ? Les deux thèses ont été soutenues. Au XIXe siècle, Gfrirer voyait dans la Chékinah un intermédiaire dans le genre du logos de Philon, tandis que Maybaum et Hamburger y voyaient la présence de l’essence divine elle-même. Cette question était déjà controversée au Moyen-Âge. Maimonide, dans le Guide des égarés, fait de la Chékinah une lumière créée, intermédiaire entre Dieu et le monde. Nahmanide, au contraire, la considère comme l’essence divine directement manifestée. Si l’on professe que Jésus-Christ est la réalisation suprême de la Chékinah, si l’on cherche à atteindre l’Incarnation par cette voie hébraïque (peut-être plus simple et plus accessible que la voie grecque), la christologie changera de sens selon qu’on adoptera l’interprétation de Maimonide on celle de Nahmanide. Se rallier aux vues de Maimonide, c’est renoncer à la consubstantialité de Jésus et du Père. Soutenir la thèse de Nahmanide, c’est sauvegarder la doctrine de l’homoousios [consubstantiel].

Troisièmement, en supposant que la Chékinah soit l’essence divine elle-même, constitue-t-elle une entité distincte de Jahvé ? [ou] s’identifie elle à lui de telle sorte qu’une relation de « je » à « toi » soit impossible entre eux ? ou faut-il entendre dans le sens littéral, dans le sens d’une distinction personnelle compatible avec l’identité essentielle, ces expressions fréquentes : « Dieu envoya sa Chékinah, Dieu fit reposer sa Chékinah ? » Cette dernière interprétation seule permettrait de poser une distinction réelle entre la personne du Père et la personne de Jésus, leur identité de nature demeurant affirmée.

Quatrièmement, quel rapport y a-t-il entre la Chékinah et le Saint-Esprit ? Les notions de Rouah et de Chékinah ont été parfois identifiées, les deux, Chékinah et Rouah ha Kodesch, constituent des expressions de l’immanence divine. La Chékinah et l’Esprit se manifestaient sous forme visible de lumière. L’Esprit était [sous forme d’]une colombe ; la Chékinah elle-même avait des ailes. La différence entre les deux est difficile à préciser. Cependant une étude attentive des attributs de l’Esprit dans l’Ancien Testament et la littérature rabbinique montre que l’Esprit est bien une réalité sui generis. On pourrait donc concevoir une christologie fondée sur la Chékinah, dans laquelle les trois notions du Père, du Fils, du Saint-Esprit trouveraient leur place.

Nous nous en tiendrons à ces quelques pensées. Nous n’avons fait qu’indiquer des problèmes, formuler peut-être les titres de quelques chapitres d’un traité qui reste à écrire. Mais nous espérons que nous avons fait entrevoir l’importance et la complexité du thème de la Chékinah, spécialement du point de vue de la pensée chrétienne. Espérons que l’œuvre attendue du Dr. Levertoff ouvrira à la théologie judéo-chrétienne sa route propre.

Extrait de : Fr. Lev Gillet, 
Judaism and Christianity, Essays presented 
to the Rev. Paul Levertoff, D.D
., 
Londres, J.B. Shears & Sons, 1939.


NOTES

[1] Sur Paul Levertoff, voir Jorge Quiñónez, “Paul Phillip Levertoff: Pioneering Hebrew-Christian Scholar and Leader” Mishkan 37 (2002), pp. 21-34 (à l’Internet : http://messianicart.com/davar/articles/levertoff.pdf) ; et Élisabeth Behr-Sigel, Un Moine de l’Église d’Orient, père Lev Gillet, Cerf, 1993, pp. 314-317 et 327-329.

[2] Élisabeth Behr-Sigel, Un Moine de l’Église d’Orient, p. 314.

[3] Lev Gillet, Communion in the MessiahStudies in the Relationship between Judaism and Christianity, Lutterworth Press, Londres, 1942 ; 1999 ; 2003. Ce livre, jamais publié en français, garde une certaine actualité, même soixante ans après sa première publication. Il fut réédité en anglais en 1999 et en 2003.

[4] Judaism and Christianity; essays presented to the Rev. Paul P. Levertoff. Edited by Fr. Lev Gillet, J. B. Shears & Sons, London [1939]. Sur la page de titre, père Lev est présenté comme étant « of the Russian Church, Paris » – « de l’Église russe, Paris ». 
[5] Voir en premier lieu J. Abelson, The Immanence of God in Rabbinical Littérature. Londres, 1912. Voir aussi S. Maybaum, Anthropomorphien . . . . mit besonderer Beriicksichtigung der Schechinha, Breslau, 1870; A. F. Gfriirer, Geschichte des Urchrisenthums, Petrograd, 1838; G. Dalman, Die Worte Jesu, Leipzig, 1898; F. Weber, Jüdische Theologie, Lcipzig, 1897; voir enfin les articles consacrés a la Chékinah dans Hastings, Dict. Bible; Herzog-Hauck, Prof. Realencycl.; Schaff-Herzog. The New Encyclopedia; dans la Jewish Encyclopedia.

[6] Jewish Encyclopedia, XI, p. 260. [« L’attitude polémique que la conception de la Chékinah révèle à l’égard du Fondateur et de l’idéal du christianisme est sans équivoque ».]

[7] Nous avons substitué la version française de la Bible de Jérusalem à la place du texte grec utilisé par père Lev Gillet pour les citations néo-testamentaires [NDLR].

 

 

 

Dernière modification: 
Vendredi 22 juillet 2022