Nativité du Christ - Homélies et commentaires
Fresque de Léonide Ouspensky
Église des Trois Saints Hiérarques, Paris
HOMÉLIES ET COMMENTAIRES
MÉDITATION SUR LA FÊTE AVEC LE PÈRE LEV GILLET
HOMÉLIE DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR - LE MYSTÈRE TOUJOURS NOUVEAU
MÉDITATION SUR LA FÊTE
AVEC LE PÈRE LEV GILLET
La Nativité du Christ
La célébration de la naissance du Christ a été introduite dans le calendrier ecclésiastique à une date relativement tardive [1]. L’Église des premiers siècles insistait sur l’Épiphanie, première manifestation glorieuse du Sauveur, plutôt que sur sa naissance, événement en quelque sorte privé et enveloppé d’une certaine pénombre, – quoique cette pénombre fût déjà traversée par des rayons de la lumière divine. Dans la vie liturgique des Églises orientales contemporaines, l’Épiphanie continue à avoir la pré-éminence sur Noël, et cette pré-éminence se remarque aussi dans la piété populaire. L’Occident latin assigne officiellement à l’Épiphanie une place qui n’est pas inférieure à celle de Noël ; mais la dévotion des fidèles s’est définitivement concentrée sur cette dernière fête ; il semble même que, pour la plupart des catholiques latins, des anglicans et des protestants, Noël soit devenu plus important que Pâques. Fidèles à la tradition primitive, nous considérons l’Épiphanie comme la célébration la plus haute et la plus complète de la venue de Notre-Seigneur parmi les hommes. Mais nous nous garderons de méconnaître cette inspiration du Saint-Esprit qui a poussé la communauté chrétienne entière à mieux contempler et mieux honorer la naissance même de Jésus. Nous nous efforcerons de recevoir de tout notre cœur le message et la grâce propres de Noël. Nous verrons dans la période qui va de Noël à l’Épiphanie un temps de fête indivisible, dont Noël est le point de départ et l’Épiphanie le point culminant ; la prolongation de cette célébration nous offre des possibilités accrues de nous convertir à Celui qui vient.
Les matines de Noël sont chantées, soit le soir du 24 décembre soit le matin du 25 décembre. On y relit l’évangile, déjà lu pendant les " heures royales " du 24 décembre, qui rapporte le message de l’ange à Joseph (Mt 1, 18-25) ; on chante l’hymne angélique : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre… " et les odes spéciales de la Nativité. Au cours de la liturgie de Noël [2], on répète, au lieu du Trisagion, l’antienne formée des paroles de Saint Paul : " Vous tous, baptisés dans le Christ vous avez revêtu le Christ (Ga 3, 27) ". C’est de la même lettre aux Galates (4, 4-7) qu’est tirée l’épître du jour : " Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme… Et parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ". L’Évangile (Mt 2, 1-12), déjà lu la veille, est celui de l’adoration des Mages [4]. Le début de la bénédiction finale de la liturgie est modifié de la manière suivante : " Le Christ, notre vrai Dieu, qui est né dans une crèche et fut étendu dans une mangeoire, pour notre salut… ".
Nous citerons quelques unes des paroles chantées aux matines de Noël, pour montrer quel esprit anime l’Église en cette fête :
" Aujourd’hui toutes les créatures seront remplies de joie… Acclamez Dieu, toute la terre. "
" Tu as fleuri de la vierge… comme la verge sortie de la racine de Jessé et comme sa fleur… ".
" À ceux qui sont pris dans la nuit des œuvres d’un égarement ténébreux… accorde, ô Christ, l’expiation… "
" J’ai été percé par les flèches du tyran et je cherche un refuge en toi, ô Christ, qui a vaincu le malin… "
" Après avoir contemplé les figures sans éclat et les ombres détournées du Verbe, ô mère toute pure, maintenant qu’il vient de sortir de la porte fermée et que nous sommes jugés dignes de la lumière de vérité, nous bénissons votre sein… ".
" Notre Sauveur nous a visités du haut des cieux, de l’Orient des Orients, et nous qui étions dans les ténèbres et l’ombre nous avons trouvé la vérité… ".
On remarquera ici, une fois de plus, la tendance de l’Église byzantine à penser au Christ en termes de Lumière. Les chrétiens byzantins n’oublient certes pas que le Verbe est devenu un petit enfant couché dans une crèche ; mais, tandis que les chrétiens d’Occident semblent s’attacher avec prédilection (depuis le moyen-âge) à ce petit enfant en chair et en os, l’Orient voit surtout dans l’Incarnation l’apparition de la lumière, son triomphe sur les ténèbres, notre propre conversion de la nuit du péché à la clarté divine. L’Orient veut contempler la réalité éternelle qu’exprime l’événement historique. Cette spiritualisation de Noël, cet état d’âme très différent de celui (non moins légitime) de la plupart des chrétiens occidentaux [5] trouve sa formulation parfaite dans le tropaire de la Nativité :
" Ta Nativité, Christ notre Dieu, a fait luire dans le monde la lumière de la connaissance ; c’est par elle, en effet, que les adorateurs des astres ont appris d’une étoile à t’adorer Soleil de Justice et à te reconnaître comme l’Orient descendant du Ciel, Seigneur, gloire à Toi ! "
NOTES
[1] Les premiers indices de cette célébration viennent d’Égypte. Clément d’Alexandre, vers l’an 200, mentionne que certains Égyptiens commémorent la naissance du Christ le 20 mai. Dans la première moitié du IVe siècle, les constitutions de l’Église d’Alexandrie établissent que le 6 janvier est en même temps la fête de la Nativité et de l’Épiphanie du Christ. Mais nous savons, par des sermons de Saint Grégoire de Nysse, que, en 380, les fidèles de Cappadoce célébraient la date du 25 décembre. Nous savons aussi, cependant, qu’en 385 le 25 décembre n’était pas fêté à Jérusalem. Noël continua à être ignoré par l’Église de Jérusalem jusqu’au VIe siècle. La célébration de Noël fut introduite à Antioche par Saint Jean Chrysostome vers 386. Il semble que ce soit également Chrysostome qui ait introduit Noël à Constantinople entre 398 et 402. À Rome, Noël était célébré dès 354. Cependant le concile espagnol de Saragosse, en 380, ignore encore Noël, et Saint Augustin, au Ve siècle, l’omet d’une liste des fêtes de première classe dressée par lui. Noël fut néanmoins reconnu peu à peu dans tout le monde chrétien. Pourquoi le 25 décembre a-t-il été choisi comme fête de la Nativité du Christ ? Il est plus que possible que l’Église ait voulu adapter et " christianiser " certaines fêtes païennes qui se célébraient vers cette date : ainsi la naissance de Dionysios à Delphes, les Saturnales (1-23 décembre), et surtout le Natalis Invicti, ou fête du soleil " invaincu " (solstice d’hiver) célébrée le jour même du 25 décembre. Les Pères de l’Église, notamment Cyprien, déclarent que cet " anniversaire de l’invaincu " trouve sa réalité dans la naissance de Jésus, le seul " invaincu " et le Soleil de Justice. D’autres considérations ont influé sur le choix du 25 décembre : on a fait dépendre la date de la Nativité de la date de la conception du Christ, et l’on a célébré la Nativité neuf mois après le 25 mars, fête de l’Annonciation. La date de l’Annonciation elle-même a été fixée au 25 mars, parce que l’on a imaginé que le Christ avait été conçu six mois après la conception de Jean-Baptiste ; or on fixait au mois de septembre l’annonce faite à Zacharie, car on faisait arbitrairement de Zacharie un grand-prêtre et l’on se rappelait que les grand-prêtres entrait dans le sanctuaire le jour de l’Expiation, en septembre. De tels calculs sont entièrement fantaisistes. Nous ne connaissons historiquement ni le mois ni l’année de la naissance de Jésus. Ce que nous appelons l’" ère chrétienne ", dont la première année coïncide avec l’an 754 après la fondation de Rome, est une invention du moine Denys le Petit, au VIe siècle. De même nous n’avons aucune certitude historique quant à la date de la mort de Jésus-Christ, ou quant à l’âge de Jésus au moment de sa mort, ou quant à la durée du ministère public de Jésus-Christ. Tout ce que l’on peut dire avec quelque probabilité est que Jésus, lors de sa mort, avait une trentaine d’années et que sa prédication a pu durer d’un an à trois ans.
[2] La liturgie célébrée le 25 décembre est celle de Saint Jean Chrysostome, sauf si le 25 décembre tombe un dimanche ou un lundi : dans ce cas, on célèbre la liturgie de Saint Basile. De Noël à l’Épiphanie, on ne doit ni fléchir les genoux pendant la prière ni jeûner.
[3] Ga 3, 27.
[4] Les Mages étaient, en Perses, une caste sacrée et très influente. L’évangile ne mentionne pas le nombre et les noms des Mages qui vinrent adorer Jésus. L’idée des " trois rois " appartient au domaine de la légende. Diverses explications astronomiques ont été proposées pour expliquer le phénomène de l’étoile apparue aux Mages ; aucun de ces théories n’a pour elle des raisons décisives. Quels que soient les faits historiques exacts, le sens spirituel de cet épisode n’est pas douteux ; l’adoration de Jésus par les Mages symbolise la vocation du monde païen et la réponse divine aux aspirations de tant d’âmes qui ne savent pas nommer Celui qu’elles cherchent. Mais elles ne cherchent pas en vain.
[5] Ce qui est dit ici ne s’applique pas aux anciens Pères de l’Église latine. C’est au moyen âge, surtout avec Saint Bernard de Clairvaux (XIIe siècle), que la piété occidentale s’est profondément attachée à l’humanité de Notre-Seigneur. L’influence franciscaine a été prépondérante dans le développement de la " dévotion à la crèche ", d’ailleurs, si touchante et si spirituellement féconde.
Extrait du livre L'An de grâce du Seigneur,
signé « Un moine de l'Église d'Orient »,
Éditions AN-NOUR (Liban) ;
Éditions du Cerf, 1988.
HOMÉLIE
DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR
Le mystère toujours nouveau
Icône contemporaine de l'iconographe américaine Janet Jaime
La naissance dans la chair du Verbe de Dieu n'a eu lieu qu'une seule fois ; mais sa naissance selon l'esprit se produit sans cesse, ainsi qu'il le désire, chez ceux qui eux aussi le désirent, à cause de sa bonté envers les hommes. Il devient un enfant, qui s'adapte à leurs capacités, et il se manifeste dans la mesure où celui qui le reçoit est capable de lui faire place. C'est sans aucune amertume qu'il réduit l'apparence de sa véritable grandeur : il se conforme à la mesure dont ceux qui désirent le voir sont capables. Ainsi le Verbe de Dieu se manifeste toujours de façon adaptée à ceux qui participent à lui, mais il demeure toujours invisible à tous, parce que son mystère est au-delà de tout. C'est pourquoi le divin Apôtre parle avec sagesse lorsqu'il dit, en considérant la force du mystère : Jésus Christ est le même, hier et aujourd'hui ; il le sera pour l'éternité. Il veut dire que son mystère est toujours nouveau ; il ne vieillit jamais parce qu'il ne peut être embrassé par aucun esprit.
Le Christ Dieu, lorsqu'il naît, se fait homme en prenant une chair dotée d'une âme raisonnable.
Lui qui avait accordé aux êtres créés de tirer leur être du néant, lorsqu'une Vierge l'a mis au monde d'une façon prodigieuse, il n'a aucunement détruit la preuve de sa virginité. ~
L'étoile venue de l'Orient apparaît et elle conduit les Mages à l'endroit où se trouve le Verbe incarné ; elle montre ainsi de façon mystérieuse, au-delà de son apparence, qu'elle dépasse la parole contenue dans la Loi et les Prophètes, et qu'elle conduit les nations vers la lumière d'une connaissance supérieure.
En effet, c'est vers la connaissance supérieure du Verbe incarné que conduit clairement la parole contenue dans la Loi et les Prophètes, de même que l'étoile, considérée avec piété, conduit ceux qui répondent volontiers à l'appel de la grâce. ~
Dieu se fait parfaitement homme, en n'omettant rien de ce qui appartient à notre nature, sauf le péché, lequel n'en faisait pas partie. Il voulait ainsi présenter notre chair comme un appât pour provoquer le dragon insatiable, prêt à engloutir cette chair, devenue pour lui un poison capable de le détruire entièrement, par la puissance de la divinité cachée en elle. Et cette même chair deviendrait un remède pour la nature humaine en la ramenant à la grâce des origines, par la puissance de la divinité unie à elle.
De même en effet que l'homme avait corrompu sa nature en absorbant le venin répandu dans l'arbre de la connaissance, ainsi le démon, en cherchant à manger la chair du Seigneur, serait détruit par la puissance de la divinité qu'elle contient. Le grand mystère de Dieu fait homme demeure toujours un mystère. ~
Comment le Verbe incarné est-il essentiellement le Verbe en personne, en étant substantiellement la même personne demeurant tout entière dans le Père ? Comment lui-même, étant entièrement Dieu par nature, et devenant tout entier homme par nature, n'est-il aucunement privé d'aucune de ces deux natures : ni de la nature divine selon laquelle il est Dieu, ni de notre nature selon laquelle il s'est fait homme ?
La foi seule embrasse ces mystères, car elle est la manière de posséder déjà ces réalités qui sont au-delà de l'intelligence et de la parole.
Source : Centuries de saint Maxime le Confesseur sur la charité (Extrait)
Maxime le Confesseur (580-662) est un moine et théologien byzantin. Il est reconnu saint et Père de l'Église chrétienne « indivise », célébré le 21 janvier par les orthodoxes.Il est, parmi les Pères de l'Église, celui qui a le plus approfondi les questions de la présence de Dieu dans la nature, des relations intimes de tous les êtres créés à Dieu, de la façon dont l'homme peut entrer en relation avec les créatures et à travers elles avec Dieu, et du rôle de médiation que l'homme est appelé à exercer au sein de la création. À partir de la doctrine du salut, il a notamment développé l'idée d’une synergie entre la grâce divine et la liberté humaine qui peuvent se rejoindre à travers les deux volontés, humaines et divines (dyothélisme). Il est appelé « le Confesseur » en tant que confesseur de la foi, par les souffrances qu’il a subies de la part des partisans du monothélisme, qui sans l'amener à la mort (en martyr), lui ont coupé la langue et la main droite, avec lesquelles il défendait l'orthodoxie de la foi chrétienne en paroles et en écrits. (Source : Wikipedia)