Vie spirituelle

La Prière de Jésus: Le mystère de la spiritualité orthodoxe

Prière de Jésus - Prière du Coeur


Icône du Christ Pantocrator

Christ Pantocrator
(Icône grecque)

 

 

par Élisabeth Behr-Sigel

1. L'ŒUVRE SPIRITUELLE

Un des éléments les plus importants de toute règle d'oraison monastique dans l'Église orthodoxe, est la « Prière de Jésus »  appelée aussi « prière »  ou « action spirituelle »  (1). Sa forme extérieure - on peut dire sa « matière »  - est la répétition aussi fréquente que possible du Nom de Jésus Christ, associé à la prière du péager (Lc 18,14) en ces termes : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ». Son essence spirituelle est « la descente de l'intelligence dans le cœur », aboutissant, par la purification de la pensée et la mémoire constante de Jésus Christ, à l'illumination de l'homme intérieur par la grâce divine et à la prise de conscience de l'habitation mystique en lui du Saint Esprit.

La pratique de cette prière est une tradition ancienne et vénérable de l'Église d'Orient. Elle est issue d'un courant spirituel qui remonte aux Pères du désert et dont l'enseignement des grands penseurs chrétiens du IIIe et du IVe siècle est l'expression théologique.

Mal ou peu connue en Occident, cette grande tradition mystique, en quelque sorte l'âme de la théologie orientale, a suscité pourtant des recherches et des travaux intéressants (2). Mais ces études, écrites par des spécialistes de la littérature patristique grecque ignorent généralement les formes les plus récentes qu'a revêtues la tradition antique au sein des églises slaves et grecques modernes, cette tradition vivante en dehors de laquelle les textes anciens demeurent souvent incompréhensibles, Ainsi que l'a écrit le Père Hausherr : « La question de l'hésychasme (3) ne présente pas seulement un intérêt historique - suffisant du reste à lui mériter l'attention des chercheurs en ce temps de renouveau des études ascétiques et mystiques - elle n'a pas perdu son actualité dans l'Orient orthodoxe. D'aucuns estiment même que, de toutes les questions dont l'étude s'impose à qui se préoccupe de l'avenir religieux grec ou slave, celle-ci est la plus importante (4). Nous ajouterons que la littérature ascétique et mystique russe, qui pourrait fournir des renseignements précieux sur la permanence et le renouveau de la pratique de la prière spirituelle, reste à peu près totalement inconnue de l'Occident.

Sachez que l'œuvre divine de la sainte prière spirituelle fut l'occupation constante de nos anciens pères théophores et que, semblable au soleil, elle a resplendi parmi les moines, aussi bien dans de nombreux ermitages que dans des monastères où l'on pratiquait la vie en communauté, au Mont Sinaï, chez les solitaires d'Égypte et du désert nitrique, à Jérusalem et dans les monastères situés aux environs de cette ville, bref dans tout l’Orient, à Constantinople, au Mont Athos, dans les îles de l'Archipel et enfin, en ces derniers temps, par la grâce du Christ, dans la Grande Russie.

C'est par ces paroles que débute le premier des Chapitres sur la prière spirituelle du grand starets russe du XVIIIe siècle, saint Païsi Velitchkovski (5). Ainsi au témoignage de l'un des plus zélés promoteurs de la « prière spirituelle »  dans le monachisme russe des temps modernes, la pratique de celle-ci remonte à la plus haute antiquité chrétienne et fait partie du patrimoine sacré de la tradition orthodoxe. Par leur œuvre littéraire, saint Païsi et ses disciples se proposaient d'ailleurs de faire connaître aux moines slaves les textes patristiques grecs se rapportant à la « Prière de Jésus »  et de prouver ainsi que ses partisans n'étaient pas des novateurs, mais renouaient au contraire avec une tradition antique et vénérable de l'Église. Tel était, en particulier, l'un des buts qu'ils poursuivaient en traduisant la fameuse Philocalie des Pères néptiques (6), qui fut, pendant la première moitié du XIXe siècle, avec la Bible et la Grande ménologie (Vie des saints) de saint Dimitri de Rostov, la nourriture spirituelle préférée des moines russes. L'école de Païsi ne faisait que continuer d'ailleurs l'œuvre amorcée au XVIe siècle par saint Nil Sorski, premier écrivain religieux russe chez lequel nous trouvons un exposé systématique de « l'œuvre spirituelle ». [...]

Il ne faut pas oublier cependant que la tradition de la Prière de Jésus est transmise avant tout par un enseignement oral direct. Un peu à l'écart des grands centres monastiques russes, mais toujours en relations intimes avec eux, se trouvait le plus souvent une poustinia, c'est-à-dire un ermitage, ou un skite, nom donné à un petit groupe de cellules isolées où vivent quelques moines sous la direction d'un « ancien ». Là, loin du bruit des pèlerins et de la vie commune du monastère, un ou plusieurs solitaires s'adonnaient à l'œuvre spirituelle. Seuls étaient admis quelques rares visiteurs laïcs et quelques jeunes moines ayant entendu l'« appel de la solitude ». Ils y recevaient des anciens l'initiation à la prière spirituelle, initiation toujours très personnelle, adaptée au tempérament et au degré de maturité spirituelle du disciple. Tous les starets russes, de Païsi Velitchkovski à Théophane le Reclus, ont toujours insisté sur la nécessité, pour ceux qui veulent s'engager dans la voie de la prière contemplative, d'avoir recours à un maître expérimenté et de suivre ses conseils dans un esprit de soumission totale. « Les saints Pères, dit le starets Païsi, appellent cette sainte prière un art. La raison en est, me semble-t-il, que de même qu'il est impossible à un homme de s'instruire lui-même dans un art sans recevoir les leçons d'un artiste averti, de même il est impossible de s'adonner à cette œuvre spirituelle sans un maître expérimenté »  (7). Il s'en suit que toute connaissance purement livresque et rationnelle de l'œuvre spirituelle, ne s'accompagnant pas d'une expérience vécue dans l'intimité d'un maître spirituel, reste schématique et inadéquate.

2. L'INVOCATION DU NOM

Nous avons déjà brièvement défini la « prière spirituelle »  comme une invocation du Nom de Jésus Christ accomplie par l'intelligence (ou l'esprit) dans le cœur. Il convient maintenant de préciser le sens de cette définition.

Elle affirme tout d'abord que le contenu objectif essentiel de l'oraison est le Nom de Jésus Christ. Le starets Païsi, au chapitre V de son opuscule (8), la décrit comme le fait de « porter constamment dans le cœur le très-doux Jésus et d'être enflammé par le rappel incessant de son Nom bien-aimé d'un ineffable amour pour lui »  (9). Il est frappant que cette définition établit un lien étroit entre le « Nom »  et la « Personne »  de Jésus Christ. Invoquer le Nom, c'est déjà le porter en soi. La puissance du Nom est celle du Christ lui-même. Le feu de sa grâce, se révélant dans le Nom du Seigneur, enflamme le cœur d'un amour ineffable et divin. Toute interprétation « psychologique »  et « nominaliste'' serait ici erronée. La Prière de Jésus n'est pas un exercice en vue de créer par une répétition mécanique une sorte de monoidéisme psychologique. Il s'agit non pas de remonter un mécanisme psychique, mais de libérer une spontanéité spirituelle, ce « cri du cœur »  que fait jaillir, comme une source d'eau vive, la présence du Seigneur, communiquée par la prononciation du Nom divin. Le Nom du Christ est donc ici certainement autre chose qu'un simple signe. II est un symbole si par ce terme on désigne ce qui est l'instrument d'une communion réelle avec l'objet signifié. Il révèle le Verbe divin et le représente, c'est-à-dire le rend présent d'une manière comparable à celle dont l'icône, dans l'Église orthodoxe, représente et actualise pour le croyant la puissance du Christ et de ses saints.

Ceci explique que pour les zélateurs de la « prière de Jésus », la prononciation de celle-ci soit d'une part un « moyen », d'autre part la « fin »  même de la vie spirituelle. Elle est un moyen parce que « les paroles sont un secours pour l'esprit faible qui n'aime pas à se fixer en un lieu et sur un seul objet ». Le grand mal dont souffre l'humanité déchue est le désordre intérieur, la dispersion des pensées et des sentiments, qui rendent l'homme incapable de fixer son esprit sur Dieu. La prière et, plus que toute autre, la Prière de Jésus tend à recréer l'unité spirituelle, et cela non seulement parce qu'elle « résume en quelques paroles très simples l'essence de la foi chrétienne », mais parce que le Nom du Christ communique à l'homme la force de la grâce divine, par laquelle il devient capable de chasser les puissances démoniaques dont la présence engendre le désordre et le mensonge. Appelant à son secours le Seigneur Jésus dans la lutte contre l'ennemi et contre les passions, l'orant est témoin de leur défaite au Nom terrible du Christ et reconnaît la puissance de Dieu et de son secours (10).

Mais si dans la lutte contre les forces du Mal dont l'œuvre est la désintégration spirituelle de l'homme, la Prière de Jésus est un moyen, un instrument, elle trouve aussi en elle-même sa propre fin. La réalité transcendante de Dieu se révélant et se communiquant dans le Nom de Jésus Christ, le but est de s'absorber dans la prononciation de celui-ci, de laisser le Nom, c'est-à-dire la Personne de Jésus, s’emparer de l'être tout entier et principalement du cœur, jusqu'à ce que son battement même devienne prière, glorification du Nom du Seigneur. Tant que la prière est mécanique et cérébrale, la fin n'est pas atteinte. Il faut que l'esprit se plonge en quelque sorte dans la prière, qu'elle prenne entièrement possession de lui afin que le rayonnement du Nom divin pénètre jusque dans les tréfonds de l'être et les éclaire. Tel est le sens des paroles mystérieuses des starets exhortant leurs disciples « à descendre du cerveau dans le cœur »  (11). Il n'est pas question ici d'un effort purement intellectuel d'assimilation du sens des paroles de la prière, s'accompagnant d'une certaine chaleur émotive. Le Nom de Jésus Christ contenu dans la prière « apporte »  en réalité avec lui la présence de Dieu. S'ouvrir à cette « présence réelle »  afin qu'elle pénètre les profondeurs les plus intimes de son esprit et les illumine, c'est en quoi consiste l'effort de l'orant.

Du point de vue subjectif, c'est-à-dire du point de vue de l'ascension de l'homme, les starets ont l'habitude de distinguer deux degrés dans « l'œuvre spirituelle ». (Sans doute en existe-t-il en réalité un nombre infini, mais cette première distinction est essentielle). Ainsi, selon le témoignage des « Anciens », y aurait-il pour ceux qui s'adonnent à « l'œuvre spirituelle »  une première période où prédomine le sentiment de l'effort personnel et douloureux : c'est la « prière active »  ou « laborieuse ». La seconde période est celle de la prière « spirituelle »  ou « charismatique », appelée aussi « spontanée »  (12) ou « contemplative ».

3. LA PRIÈRE ACTIVE

Affirmer qu'en cette phase de l'œuvre spirituelle prédomine, du moins en apparence, l'effort de la volonté humaine, ne signifie pas que la grâce en soit absente. Mais celle-ci n'y agit souvent qu'à l'insu de l'homme. Il peine à la sueur de son front, mais son labeur ne porte point de fruits. Sans doute est-ce sollicité par la grâce divine que l'homme décide de consacrer sa vie à Dieu et qu'il aspire au don de la prière spirituelle. Mais ce qui, pour commencer, lui échoit en partage, n'est qu’un labeur fastidieux, une lutte inégale contre les passions, les pensées mauvaises, l'ennui et la tristesse, lutte où il n'est que trop souvent vaincu et dont il sort exténué, découragé par la vision déprimante de son péché et de son impuissance. Est-ce le signe de la privation de la grâce divine ? Non. Car c'est là précisément que celle-ci voulait le conduire : « Le chemin vers la perfection est le chemin qui conduit à l'aveu de mon aveuglement, de ma pauvreté, de ma nudité et, indissolublement lié à la conscience de cet état, à la contrition spirituelle, au sentiment douloureux de notre impureté, autrement dit au repentir perpétuel »  (13).

Ainsi, au seuil de la voie qui conduit aux degrés suprêmes de la prière mystique, nous trouvons, selon l'enseignement des starets russes, l'approfondissement de la conscience de notre état de péché et de la contrition à cause de ce péché.

Est-ce à dire que, pour les zélateurs de la « prière spirituelle », la lutte active contre le mal et les œuvres ascétiques proprement dites comptent pour rien ? Nullement. La lutte contre les passions, les pensées vaines ou mauvaises caractérise précisément la première phase de l'œuvre spirituelle, celle de la « prière laborieuse ». Aussi l'ascétisme y a-t-il sa place bien définie (14). Sans doute vaut-il mieux, selon la parole des Pères, « tomber et se relever qu'être debout et ne point se repentir ». Mais d’autre part, il est dangereux spirituellement de s'adonner à la prière en état de péché grave. Malheur à celui qui se complaît dans une fausse quiétude, se rassurant à l'idée que nul ne peut vivre sans pécher volontairement ou involontairement. Il est salutaire à l'homme, au contraire, de lutter virilement contre le péché jusqu'à l'épuisement de ses forces. Après être tombé, il se relèvera implorant humblement le secours de la miséricorde du Christ. Travaillant et peinant, il sera réellement vivant et posera en soi le fondement de la vie nouvelle. Donc aucun quiétisme, aucune lâche passivité, mais en même temps, aucune confiance en soi ni en ses propres œuvres.

Théophane le Reclus a le plus clairement exprimé cette double et paradoxale exigence de l'œuvre spirituelle : « Peinez jusqu'à l'épuisement. Tendez vos forces jusqu'au dernier degré, mais l’œuvre même de votre salut, attendez-la du Seigneur seul... Le Seigneur désire toujours tout ce qui nous est salutaire et il est prêt nous le donner. Il attend seulement que nous-mêmes soyons prêts à, ou capables de recevoir ses dons. C'est pourquoi la question « Comment apprendre à me garder ? »  se change en celle-ci : « Comment être toujours prêt recevoir la force salutaire qui elle, est toujours prête à descendre du Seigneur sur nous ?.. »  Et voici la réponse à cette question. S'ouvrir à la grâce, c'est « se savoir vide, dépourvu de raison, sans force; c'est savoir que le Seigneur seul peut, veut et sait combler ce vide »  (15).

Ainsi l'effort moral et spirituel et les exploits ascétiques qui en sont les manifestations, ne sont féconds que s'ils conduisent à l'humilité, une humilité active, qui ne se complaît point dans le spectacle de la misère de l'homme, mais le ramène à son œuvre essentielle, celle qui est à la fois l'aveu de son impuissance et le signe de son espérance, la prière de tous les instants : « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheur ». Pour celui qui connaît sa misère, elle n'est plus en effet une « œuvre méritoire », agréable à Dieu, mais un cri du cœur, de désespoir et d'espoir, un besoin irrésistible et perpétuel d’appeler le Christ au secours de son impuissance dans la lutte contre les forces démoniaques et les inclinations mauvaises de son propre cœur, qui se font leurs complices.

L'esprit d'obéissance

Avant de parler de l'œuvre de la prière proprement dite, il nous faut mentionner encore une autre condition que doit remplir, selon l'enseignement des « Anciens », celui qui aspire à la prière spirituelle. Il s’agit de l'acquisition de l'esprit d'obéissance. L'obéissance dont il est question ici n'est pas l'obéissance hiérarchique aux supérieurs. C'est la soumission au « père spirituel », librement choisi et à qui le novice (16)s'est remis entièrement, corps et âme. « Celui qui veut faire l’apprentissage de l’œuvre divine doit, conformément aux Écritures, se soumettre à l'obéissance corps et âme, c'est-à-dire se remettre à un homme craignant Dieu, observant scrupuleusement les commandements divins et expérimenté dans l'œuvre spirituelle, en renonçant totalement à sa volonté et à son jugement propres »  (17). L'enseignement des starets russes rejoint ici la doctrine ascétique des hésychastes grecs (18). Mais plus peut-être que ceux-ci, il met l'accent sur le caractère libre et personnel de cet acte d'élection réciproque qu'implique la paternité spirituelle.

Quel est le but de cette obéissance ascétique ? Tout d'abord elle libère le novice de tout souci au sujet de son âme et de son corps et de tout attachement à un objet quelconque, le faisant parvenir ainsi à cette sérénité, à cette légèreté spirituelle qui sont la condition de la liberté véritable. Celui-là seul qui a renoncé à sa « volonté propre », c'est-à-dire à son individualité superficielle, esclave des éléments de ce monde, est capable de concentrer ses facultés sur la prière intérieure.

L'autre bienfait de l'obéissance est de préserver de la précipitation, qui, en faisant rechercher prématurément des états mystiques supérieurs, fait tomber sûrement celui qui en est victime dans les embûches du Séducteur. Une des causes essentielles d'échec dans l'œuvre de la prière est en effet « l'orgueil satanique de ceux qui veulent sonder, avant d'y être appelés, les mystères de la grâce ». Le seul remède efficace à cette impatience funeste est la soumission aux conseils sages d'un « ancien »  capable de discerner le degré de croissance spirituelle de celui qu'il guide et de le faire avancer pas à pas dans la voie de la prière contemplative.

La pratique de la prière

Nous avons parlé jusqu'ici de l'atmosphère spirituelle dans laquelle doit être entreprise l'œuvre de la prière. Quant à la prière elle-même, en apparence, elle semble ne présenter aucune difficulté. Il s'agit en effet de répéter des centaines, des milliers de fois : « Seigneur, Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur »  (19). Mais précisément, cette simplicité est la source de tentations multiples. Les âmes pures et frustres, tel le pèlerin des Récits, peuvent s'y complaire et feront des progrès rapides. Mais pour la plupart, elle est cause d'ennui et de découragement. La prière leur apparaît comme un labeur fastidieux et stérile auquel l'esprit sans cesse tend à se dérober.

Cependant, il ne s'agit nullement de créer par la répétition une habitude purement mécanique. Il y a chez les partisans de la Prière de Jésus, une réaction très vive contre le formalisme et le mécanisme, qui sont les deux écueils de la prière monastique. De même que la confiance excessive dans les œuvres extérieures, dans l'ascétisme et les mortifications, une importance exagérée accordée à la quantité dans l'œuvre de la prière est source de pharisaïsme et de vain contentement de soi. Contre ceux qui croient pouvoir se sauver par l'observation d'une règle de prière plus ou moins longue, « par le chant des psaumes et des tropaires », contre ceux qui, s'adonnant à l'œuvre spirituelle, accordent trop d'attention au nombre de prières à réciter, ils affirment que ce n'est pas la « quantité », mais la « qualité »  de la prière qui importe (20).

« Ne vous inquiéter pas du nombre des prières à réciter, écrit également Théophane le Reclus, que votre seul souci soit que la prière jaillisse de votre cœur, vivante comme une source d'eau vive. Chassez entièrement de votre esprit l'idée de la quantité »  (21). Cette exhortation peut paraître paradoxale, car, dans la pratique de la prière de Jésus, la répétition de la même imploration joue certainement un rôle essentiel. En réalité, celle-ci ne saurait à elle seule produire d'autre effet que purement psychologique et superficiel. La prière ne sera qu'un flux de paroles vaines, si elle ne s'accompagne de ce que le langage ascétique nomme « l'attention »  ou la « vigilance »  (nepsis en grec).

L'attention spirituelle

En quoi consiste cette attention spirituelle ? Il faut qu'à l'heure de la prière l'esprit « descende du cerveau dans le cœur »  et qu'il « garde le cœur ». Les commentateurs occidentaux ont souvent donné de ces expressions une interprétation étroite et superficielle. Se référant à la description d'une certaine technique psycho-physiologique, qu'on trouve dans plusieurs textes hésychastes et en particulier dans le fameux Méthode d'oraison hésychaste (22), au conseil donné de concentrer l'attention sur le lieu physique du cœur, en retenant quelque peu la respiration et en réglant le rythme de celle-ci sur celui de la prière, des auteurs sérieux ont parlé à propos de la « garde du cœur »  d'« omphaloscopie »  et ont vu dans celle-ci une des caractéristiques essentielles de l'oraison hésychaste.

Ils ont confondu, en réalité, une certaine technique extérieure dont l'efficacité est d'ailleurs discutée, même dans les milieux favorables à la prière de Jésus (23), avec l'effort spirituel qu'elle est censée soutenir. Sa véritable raison d'être, en effet, est d'amener l'orant à sentir, d'une manière en quelque sorte physique - l'autoperception que nous avons de nous-mêmes en tant qu'êtres physiques étant différente suivant la partie du corps sur laquelle se fixe l'attention (24) - que le centre de la personnalité se trouve, non pas dans le cerveau, point d'intersection des forces spirituelles de la personne avec le monde extérieur, le monde des choses « suprapersonnelles », mais dans le cœur, ou plutôt dans ces profondeurs mystérieuses de l'être dont le cœur physique est le symbole (25).

Le rôle de la technique est donc purement instrumental. C’est un instrument redoutable que le novice ne doit manier qu’en se plaçant sous la direction d’un maître sûr et expérimenté. Il ne s’agit ni d’exagérer son rôle, ni de le minimiser sous l’influence d’un certain pseudo-spiritualisme rationaliste qui n’a rien de chrétien. L’attention à la prière, condition de la « descente de l'intelligence dans le cœur », est en réalité une tension de l'être tout entier, repoussant tout ce qui pourrait le distraire de son œuvre essentielle, celle de la prière, une vigilance de l'esprit et du corps dans l'attente du Dieu vivant. Elle exige un effort continu et conscient de la volonté, entraînant avec elle, par des moyens appropriés, le corporéité lourde et récalcitrante. Elle comporte un double mouvement, l'un de refus, l'autre d'acquiescement : refus du monde d'une part (ce terme désigne ici non pas le monde physique en soi, mais « un errement de l'âme à l'extérieur, une trahison à sa propre nature »  (26) sous l'influence de la Puissance du Mal), acquiescement à la volonté de Dieu, se transformant en don et abandon à lui, d'autre part. L'esprit « attentif », « sobre »  (27), se fermant à l'extérieur qui le sollicite, se porte vers les abîmes intérieurs du cœur, seul lieu où, dans la lumière du Saint-Esprit, peut s'effectuer la rencontre entre la personne humaine et les Personnes divines. « Le Seigneur cherche un cœur rempli d'amour pour lui et pour le prochain - c'est là un trône sur lequel il aime s'asseoir et où il apparaît dans la plénitude de sa gloire, »  disait saint Séraphim de Sarov (28).

Pour mieux comprendre la nature de l'attention, il convient de préciser le sens des termes « cœur »  et « esprit »  (ou « intelligence ») dans le langage de la mystique de l'Église d'Orient. Le mot russe um, que nous traduisons par « esprit »  ou « intelligence », correspond au noûs grec. Il désigne non pas l'intellect au sens étroit et rationaliste du terme, mais l'ensemble des facultés cognitives et contemplatives, la lumière de la raison et de la conscience qui fait de l'homme un être personnel et libre (29). Les pères grecs, et avec eux les starets russes, identifient très souvent l'esprit avec l'image de Dieu en l'homme. En employant une terminologie plus moderne, nous pourrions l'appeler la conscience personnelle illuminant toutes les sphères de la vie humaine, elle-même conçue comme un écheveau complexe de rapports, avec divers ordres de réalités.

Quant au « cœur », il désigne dans la Tradition orientale le centre de l'être humain, « la racine des facultés actives, de l'intellect et de la volonté, le point d'où provient et vers lequel se converge toute la vie spirituelle »  (30). C'est la Source, obscure et profonde, d'où jaillit toute la vie psychique et spirituelle de l'homme et par laquelle celui-ci est proche et communique avec la Source même de la vie. Il en résulte que toute vie spirituelle qui ne touche pas le cœur n'est qu'illusion et mensonge, n'ayant aucune réalité ontologique, aucune racine dans l'Être, et que toute conversation réelle doit commencer par celle du cœur. En effet c'est à la source que, par le péché originel, la vie de l'homme est viciée et que la boue se mêle aux eaux limpides. Mais « lorsque la grâce s'empare des pâturages du cœur, elle règne sur toutes les parties de la nature, sur toutes les pensées. Car l'esprit et toutes les pensées se retrouvent dans le cœur »  (31).

Selon saint Ignace Brianchaninoff, « la nature spirituelle de l'homme est double. Ses deux pôles sont d'une part le « cœur », source des « sentiments », des « intuitions », par lesquels l'homme connaît Dieu directement sans la participation de la raison. D'autre part, la « tête »  (ou le cerveau), siège de la pensée claire de l'intelligence »  (32). L'intégrité de la personne humaine réside dans le rapport harmonieux de ces deux forces spirituelles. Sans la participation de l'intelligence, les intuitions du cœur restent des impulsions obscures. De même, sans le cœur, qui est le centre de toutes les activités et la racine profonde de sa propre vie, l'esprit-intelligence est impuissant.

Ontologiquement, la conséquence essentielle de la Chute pour l'homme est précisément cette désagrégation spirituelle par laquelle sa personnalité est privée de son centre et son intelligence se disperse dans le monde qui lui est extérieur. Le lieu de cet éparpillement de la personnalité dans le monde des choses, c'est la tête, le cerveau, où les pensées « tourbillonnent comme des flocons de neige ou des essaims de moucherons en été »  (33). Par le cerveau, l'esprit connaît un monde qui est extérieur en même temps qu'il perd le contact des mondes spirituels dont le cœur aveugle et impuissant pressent cependant obscurément la réalité. Pour reconstruire la personne dans la grâce, il faut donc retrouver un rapport harmonieux entre l'intelligence et le cœur.

Le silence de l'âme

Le retour conscient et volontaire de l'esprit-intelligence vers les abîmes intérieurs du cœur exige, à sa limite, la rupture totale avec le monde. Celui qui veut s'adonner à l'œuvre spirituelle doit écarter toute perception extérieure, « se détacher de tous les objets visibles... (et fermer) les yeux de chair »  (34). Étant devenu aveugle au monde, il doit devenir aussi « sourd et muet »  (35) par le renoncement, du moins provisoire, à toute conversation humaine.

Mais le silence extérieur n'est que la préparation et le signe d'une silence de l'âme infiniment plus profond. Car ce ne sont pas les perceptions sensibles seules et les paroles articulées qui doivent être chassées, mais tout désir, toute pensée, toute image, aussi sainte soit-elle, tout ce qui attirerait l'esprit « à l'extérieur », hors de ce lieu du cœur où il ne connaît que sa misère et le Nom qui le sauve. De ce silence du dépouillement total, saint Séraphim de Sarov a dit qu'il est « une croix sur laquelle l'homme se crucifie avec toutes ses passions et ses concupiscences », qu'il est « passion soufferte avec le Christ », mais aussi « mystère du siècle à venir »  (36). En effet, c'est en lui que l'esprit a accès au sanctuaire mystique du cœur où il trouvera son Dieu.

Telle est la voie de la « prière laborieuse », voie étroite et douloureuse. Âpreté, nudité d'un désert spirituel où le voyageur doit volontairement fermer les yeux à tout mirage consolateur. Car il lui faut rejeter non seulement toutes les images terrestres, mais celles mêmes qui semblent d'origine divine, les « visions », les « voix », les « douceurs »  en apparence célestes, mais qui ne sont souvent que le fruit d'un psychisme détraqué par la concupiscence, les mortifications excessives ou le désir impatient de devancer l'heure de la grâce en cherchant de pseudo-satisfactions dans le rêve et l'imagination. Aussi la sagesse exige-t-elle, surtout au début de l'œuvre spirituelle, de ne rien se représenter du tout, même les images de Dieu que nous proposent les Saintes Écritures, sur lesquelles il peut être utile de méditer à d'autres moments, doivent être rejetées à l'heure de l'oraison. C'est là le jeûne véritable, la sainte « sobriété »  de ceux dont l'âme se nourrit uniquement de prière et de foi. La prière en effet est l'œuvre, non pas de l'imagination, mais de la foi.

La règle la plus simple concernant la prière est de ne rien se représenter, ayant concentré l'esprit dans le cœur, de demeurer dans la conviction que Dieu est proche, qu'il voit et qu'il écoute ; de se prosterner devant celui qui est terrible dans sa grandeur et proche dans sa condescendance envers nous... Il faut s'efforcer de prier sans images de Dieu. « Demeure dans le cœur avec la foi que Dieu est là, mais, comment il est, ne te le représente pas »   (Théophane le Reclus) (37).

Ainsi, si la voie spirituelle de l'orant passe par le désert, il ne marche cependant point dans les ténèbres. La lumière, pure et toute immatérielle qui le guide, c'est la foi, éclairant la seule image où l'esprit trouve un point d'appui, le Nom bien-aimé de Jésus Christ. L'attention à la prière est en vérité une attente dans la foi.

En effet, même parvenu au degré suprême de la concentration de ses forces psychiques et spirituelles, l'homme n'est pas capable de recréer en soi l'unité perdue de l'esprit et du cœur. Il peut seulement faire en son âme ce silence et ce vide qui sont le signe et d'une tension extrême et d'un abandon total, le signe de l'attente, dans l'espérance et la foi, du don du Saint-Esprit.

4. LA PRIÈRE SPIRITUELLE

« L'attention et la contrition sont comme le parvis du sanctuaire », écrit Ignace Braintchaninov (38), ou encore comme ces portiques de la piscine de Béthesda où sont rassemblés les malades dans l'attente de l'ange qui, en agitant l'eau, les guérira (Jn 5, 2-4). « Mais le Seigneur seul, à l'heure qu'il connaît, accorde la guérison et l'entrée dans le sanctuaire selon son ineffable et incompréhensible bienveillance. »  Ici nous dépassons le plan de la prière « laborieuse »  pour toucher au mystère de la prière « spirituelle »  ou « charismatique ».

Les starets russes sont extrêmement discrets en ce qui concerne les degrés supérieurs de l'œuvre spirituelle. Ne s'agit-il pas en effet de mystères que ne peut traduire d'une manière adéquate notre langage humain ? N'est-il pas inutile, voire dangereux, de parler de réalités spirituelles à ceux dont l'entendement, encore plongé dans le monde matériel et psychique, n'est pas apte à les comprendre ? « Il ne faut ouvrir son cœur sans nécessité, conseille saint Séraphim de Sarov, parmi mille tu n'en trouveras pas un qui soit capable de garder ton secret. »  C'est moins par eux-mêmes que par les témoignages de quelques amis, de ceux qui furent « les compagnons des mystères divins », que nous entrevoyons quelque chose des grâces mystiques qui illuminent la vie d'un Séraphim de Sarov ou des starets d'Optino. Plus intellectuels, mieux au courant de la pensée occidentale que les premiers, Théophane le Reclus et Ignace Brianchaninov sont à peine plus loquaces.

Le premier fruit de l'oraison, le premier signe sensible du don de la grâce, annonçant une transformation de la nature même de la prière, c'est, au témoignage de tous les maîtres de l'œuvre spirituelle, le jaillissement des larmes du repentir. L'effort de la prière, par laquelle l'orant, sans se lasser, confesse à la fois sa misère et sa foi en Jésus Christ, est comparable au travail d'une foreuse. Sous les couches superficielles, pétrifiées et stériles de la vie psychologique, il va chercher la source d'eau vive du repentir sincère. Mais celui-ci manifeste déjà l'action de la grâce en l'homme. Les larmes, non point celles du désespoir ou de l'orgueil blessé, mais les larmes salutaires du repentir, sont le signe de cet ébranlement des couches profondes de l'être, où sont engloutis comme par une lame de fond l'orgueil et la confiance en soi de l'homme naturel. C'est là cet attendrissement, au sens propre du terme, où la dureté du cœur fond au toucher de la grâce divine.

« Dans le cœur de celui qui verse des larmes d'attendrissement resplendissent les rayons du Soleil de Justice, Christ-Dieu »  (Séraphim de Sarov).

Dans l'âme préparée à le recevoir par le labeur de la prière, par la descente de l'intelligence dans le cœur où elle découvre et les signes de son origine divine et ceux de sa déchéance, dans l'âme déjà purifiée par les larmes du repentir, l'Esprit-Saint peut accomplir son œuvre.

D'abord la grâce montre à l'homme son péché, elle le fait surgir devant lui et, plaçant constamment sous ses yeux ce terrible péché, elle l'amène à se juger lui-même. Elle lui révèle notre chute, cet affreux, profond et sombre abîme de perdition où est tombée notre race par la participation au péché d'Adam. Puis, peu à peu, elle accorde une profonde attention et l'attendrissement du cœur au moment de la prière. Ayant ainsi préparé le vase, d'une manière soudaine, inattendue, immatérielle, elle touche les parties séparées, et celles-ci se réunissent. Qui a touché ? Je ne puis l'expliquer. Je n'ai rien vu, rien entendu, mais je me suis vu changé, soudain je me suis senti tel par l'effort d'un pouvoir tout-puissant. Le Créateur a agi pour la « restauration »  comme il a agi pour la création. Quand ses mains ont touché mon être, l'intelligence, le cœur et le corps se sont réunis pour constituer une unité totale. Puis ils se sont immergés en Dieu et demeurent là tant que les soutient la main invisible, insaisissable et toute-puissante (Théophane le Reclus) (39).

Ainsi le don premier et essentiel de la grâce (don positif dont le repentir sincère est en quelque sorte l'aspect négatif) est le rétablissement de la nature spirituelle de l'homme en son intégrité originelle. L'intelligence et le cœur, ces deux pôles de la vie intérieure, redeviennent une unité harmonieuse dans laquelle les deux tendances opposées se fondent symphoniquement pour construire la personne dans la grâce.

Remarquons que ce qui est décrit ici n'est pas un ravissement, une extase passagère ou du moins ne l'est pas essentiellement. Sans doute l'âme ne reste-t-elle « immergée en Dieu »  que « tant que l'y soutient la main toute-puissante »  et il ne s'agit là, du point de vue de notre comptabilité humaine, que de quelques instants. Mais après l'extase, l'effet de la grâce divine demeure. C'est une transfiguration ontologique profonde qui s'accomplit : un homme nouveau naît, en qui surgissent des facultés, des puissances, des visions nouvelles. En lui, le désordre ancien fait place à un ordre nouveau, dominé par la conscience de la présence de Dieu. Celle-ci revêt une évidence en certains points comparable, mais infiniment supérieure, à celle d'une axiome mathématique.

La conséquence a plus remarquable de cette union du cœur et de l'intelligence est la transformation radicale du caractère même de la prière. Si celle-ci était jusqu'alors une œuvre laborieuse et parfois pénible, elle jaillit maintenant spontanément, sans effort, réchauffant le cœur et le remplissant de lumière, de paix et de joie. Alors que l'extase est un don rare, accordé seulement à quelques-uns, ce changement de la nature de la prière est le signe le plus habituel, le plus infaillible de l'action de la grâce pour ceux qui s'adonnent à l'œuvre spirituelle. Voici comment le pèlerin des Récits décrit cette transformation :

Un matin de bonne heure, je fus comme réveillé par la Prière. Je commençai à dire mes oraisons du matin, mais ma langue s'y embarrassait et je n'avais d'autre désir que de réciter la Prière de Jésus. Dés que je m'y fus mis, je devins tout heureux, mes lèvres remuaient d'elles-mêmes et sans effort. Je passai toute la journée dans la joie. J'étais comme retranché de tout et me sentais dans un autre monde...

Je passai tout l'été à réciter sans cesse la Prière de Jésus et je fus tout à fait tranquille. Durant mon sommeil, je rêvais parfois que je récitais la Prière. Et pendant la journée, lorsqu'il m'arrivait de rencontrer des gens, ils me semblaient aussi aimables que s'ils avaient été de ma famille. Mais je ne restais pas avec eux. Les pensées s'étaient apaisées et je ne vivais qu'avec la prière ; je commençais à incliner mon esprit à l'écouter et parfois mon cœur ressentait de lui-même comme une chaleur et une grande joie...

Voilà comment je vais maintenant, disant sans cesse la Prière de Jésus, qui m'est plus chère et plus douce que tout au monde. Parfois, je fais plus de soixante-dix verstes en un jour et je ne sens pas que je vais ; je sens seulement que je dis la Prière. Quand un froid violent me saisit, je récite la Prière avec plus d'attention et bientôt je suis tout réchauffé. Si la faim devient trop forte, j'invoque plus souvent le Nom de Jésus Christ et je ne me rappelle plus avoir eu faim. Si je me sens malade et que mon dos ou mes jambes me fassent mal, je me concentre dans la Prière et je ne sens plus la douleur. Lorsque quelqu'un m'offense, je ne pense qu'à la bienfaisante Prière de Jésus ; aussitôt, colère ou peine disparaissent et j'oublie tout. Je suis devenu tout simple. Je n'ai souci de rien, rien ne m'occupe, rien de ce qui est extérieur ne me retient, je voudrais être toujours dans la solitude ; par habitude, je n'ai qu'un seul besoin : réciter sans cesse la Prière et, quand je le fais, je deviens tout gai. Dieu sait ce qui se fait en moi (40).

Le témoignage de l'humble pèlerin rejoint celui des maîtres de l'œuvre spirituelle (41).

C'est saint Séraphim de Sarov qui a donné sans doute de cette expérience l'expression la plus concise et la plus parfaite : « Lorsque le Seigneur réchauffe ton cœur par la chaleur de sa grâce et qu'il te rétablit dans l'unité de ton esprit [mot à mot : « quand il te réunit en un seul esprit »], alors cette prière ininterrompue jaillit en toi. Elle demeurera toujours avec toi, tu t'en délecteras et elle te nourrira »  (42).

Les fruits de la prière ininterrompue sont la chaleur spirituelle, la sérénité, le détachement du monde et surtout la charité envers Dieu. « Ceux qui désirent être unis par la charité au Très-doux Jésus, écrit le starets Païsi, méprisant toutes les beautés de ce monde, toutes les douceurs et même le repos corporel, ne veulent posséder rien d'autre que l'activité paradisiaque de l'esprit s'adonnant à cette prière ininterrompue »  (43). Enflammant le cœur de charité envers Dieu, la Prière de Jésus apparaît ainsi elle-même comme le fruit de cette Charité divine, touchant le cœur et l'esprit de l'homme et les ressuscitant à une vie nouvelle. « Le feu spirituel du cœur est la charité envers Dieu ; il s'enflamme lorsque Dieu touche le cœur, car il est entièrement Amour et à son contact le cœur s'enflamme d'amour pour lui. »

Dans cette vie nouvelle, toute possibilité de tentation et de chute n'est pas encore écartée. Mais à celui que la grâce a visité, une lucidité spirituelle est accordée, qui lui permet de combattre efficacement ses ennemis intérieurs. Jusqu'ici il était plongé dans les ténèbres et comme un homme qui, attaqué dans la nuit, frappe à l'aveuglette des ennemis invisibles. Maintenant l'intuition constante de la présence de Dieu est comme un chandelier placé au centre de la conscience, illuminant jusqu'à ses moindres recoins.

L'état de grâce apparaît ainsi non comme un état de passivité et de repos, mais comme une activité féconde de purification s'accomplissant dans la joie, bien que la fidélité à la grâce puisse exiger encore, saint Théophane le Reclus insiste sur ce point, des sacrifices douloureux.

Un trait propre aux maîtres russes de la prière spirituelle se révèle moins dans leur doctrine que dans leur attitude pratique. La prière ininterrompue dont la douceur emplit le cœur de paix et de joie, loin de les séparer des hommes, finalement les en rapproche. En effet, si pendant la phase initiale, le silence absolu et l'éloignement étaient pour eux la condition même de tout progrès spirituel, un moment vient où, sentant la prière fortement enracinée dans leur cœur, le retour vers les hommes leur apparaît avec la nécessité d'une obéissance à la volonté divine.

Saint Séraphim de Sarov, les starets d’Optino, accueillent des milliers de pèlerins ; ils reçoivent d’innombrables lettres et y répondent. Si chez saint Nil Sorsky, au XVIe siècle, cette activité de cure d’âme a encore le caractère d’un sacrifice volontaire inspiré par l’amour fraternel, elle est chez les starets du XIXe siècle comme l’épanouissement de leur vocation spirituelle. Au milieu de la foule, la prière mystique continue à résonner dans leur cœur, intimement unie à son battement, constituant comme la trame de leur vie intérieure, mais ne les empêchant pas de prendre part à la vie des hommes.

Ils arrivent ainsi à envisager la possibilité de la prière spirituelle pour tous les chrétiens. Païsi Velitchkovski déjà avait admis que la pratique de la prière de Jésus peut être recommandée aux laïcs. Cependant, dans le cercle du starets moldave, la « prière spirituelle »  fait essentiellement figure de méthode d'oraison monastique. Elle est liée, pour Païsi et ses amis, à la renaissance du monachisme dans les pays slaves. Dans leurs écrits, par leurs préceptes et leurs conseils, ils s'adressent surtout aux moines, à qui seuls seraient accessibles les degrés les plus élevés de la prière contemplative.

Telle n'est pas exactement l'attitude des starets du XIXe siècle. Sans doute la vie monastique leur apparaît-elle aussi comme la voie par excellence qui mène à l'union avec Dieu. Mais leur expérience profonde d'une prière dont la flamme, loin de s'éteindre au contact du monde, se nourrit d'une activité charitable qui les rapproche des hommes, leur inspire une conception nouvelle de l'œuvre spirituelle. Celle-ci, même dans les formes les plus mystiques, ne serait pas incompatible avec la vie dans le monde et une certaine activité culturelle. Saint Séraphim de Sarov élabore une règle de prière pour les laïcs (44). Faisant participer un laïc, Nicolas Motovilov, à une de ses illuminations les plus extraordinaires, il donne comme la démonstration de la possibilité pour tous de recevoir par la prière le don du Saint-Esprit (45). Théophane le Reclus affirme de même que la prière spirituelle n'exclut pas toute activité, mais seulement celles qui sont mauvaises ou vaines : « Il est faux, écrit-il, de penser que pour accomplir la prière spirituelle il faut être assis dans un lieu secret pour y contempler Dieu. Il n'est nécessaire pour prier de se cacher ailleurs que dans son cœur et, se fixant là, de voir le Seigneur assis à notre droite, comme le fit David »  (46).

Sans doute l'œuvre spirituelle exige-t-elle la concentration intérieure et, partant, une certaine solitude. Mais si la solitude complète est impossible dans le monde, chacun ne peut-il trouver des « heures de solitude »  durant lesquelles il fortifiera et vivifiera en soi la Prière de Jésus jusqu'à ce que, s'enracinant dans son cœur, elle l'accompagne même au milieu du flux bruyant de la vie du monde ?

Ainsi, au témoignage des maîtres les plus récents de la mystique orthodoxe, la prière ininterrompue à Jésus peut et doit devenir l'atmosphère spirituelle de toute vie chrétienne. Mais ceci ne les amène nullement à minimiser le caractère mystique et extatique des états en lesquels, à sa limite, s'achève l'œuvre spirituelle de l'orant.

Nous avons parlé déjà de la discrétion de la plupart des mystiques orthodoxes, de cette sorte de pudeur spirituelle qui les retient de parler des grâces les plus grandes qu'ils ont reçues. Nous avons néanmoins des témoignages très précis sur leur expérience mystique, en particulier sur celle de saint Séraphim de Sarov. Ce dernier, parlant des degrés les plus élevés de la prière contemplative, s'exprime ainsi : « Lorsque l'intelligence et le cœur sont unis dans la prière et que l'âme n'est troublée par rien, alors le cœur s'emplit de chaleur spirituelle, et la lumière du Christ inonde de paix et de joie tout l'homme intérieur »  (47).

La lumière du Christ dont parle le saint n'est ni sensible, ni intellectuelle, mais spirituelle, illuminant les tréfonds du cœur. Néanmoins, ainsi que nous le verrons, elle peut devenir visible aux yeux charnels de ceux à qui est donnée la grâce insigne de la contempler (48). C'est la Lumière de la Vie que ne connaissent que ceux qui vivent en elle et sont éclairés par elle. Expérience d'une simplicité enfantine, ainsi que l'affirme avec force saint Séraphim, et cependant ineffable. Mais l'enfant (in-fans) n'est-il pas précisément l'être qui ne peut parler, et le miracle de l'esprit la naissance à cette nouvelle et inexprimable enfance (Cf. Jn 3, 5-7)  ?

Don du Saint-Esprit, ravissement de l'esprit humain dans le rayonnement de la Gloire de Dieu incréée, telle est la révélation finale de l 'œuvre spirituelle. Ici la prière se dépasse elle-même. Si, selon les paroles de saint Séraphim, « par la prière nous devenons capables de converser avec le Dieu vivifiant », toute prière cependant cesse au moment où Dieu descend en nous par sa grâce. « Visité par lui, il faut s'arrêter de prier. En effet, à quoi bon l'implorer : 'Viens, fais ta demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui es bonté' (Tropaire orthodoxe récité au début des offices), quand il est déjà venu, en réponse à nos humbles et aimantes sollicitations ? »  (49) [...]

Nous entrevoyons ainsi la fin de la prière mystique : la transfiguration de l’homme tout entier, dans l’unité de son esprit et de son corps, par la Lumière divine, Lumière du Christ et du Saint Esprit, rayonnement glorieux de la Sainte Trinité. Il faut noter que dans les expériences décrites ici, l’esprit de l’homme, tout en ayant conscience de participer à la Vie divine, cependant ne perd pas la conscience personnelle, ne s’anéantit pas, mais acquiert au contraire une lucidité surnaturelle. Par le mystère insondable du don de la grâce, la nature humaine est changée. Les ténèbres de la matière se dissipent et, vaincues, deviennent translucides à l’Esprit. L’homme est rendu capable de voir la Gloire de Dieu.

Mais ce n’est là que le terme terrestre de la prière, les prémices des illuminations du siècle à venir. La fin de la prière mystique annonce en vérité la fin des temps : l'affranchissement de la Création tout entière de « l'esclavage de la corruption pour avoir part à la glorieuse liberté des enfants de Dieu »  (Rm 8, 27) !

C'est vers la Lumière sans déclin du Jour éternel, mais dont l'aube se lève dès maintenant pour ceux qui savent en reconnaître les signes, que nous oriente finalement le témoignage des orants de la Prière de Jésus.

5. UNE PRIÈRE POUR NOTRE TEMPS

Appelée également « œuvre spirituelle », la Prière de Jésus se trouve au cœur de la tradition ascétique et mystique du monachisme contemplatif orthodoxe. Ses racines plongent dans la plus haute antiquité chrétienne, en particulier dans la spiritualité des Pères du désert. Il serait inexact cependant de n'y voir qu'une relique vénérable d'une époque révolue, de plus teintée, pour l'homme occidental, d'un certain exotisme. Méthode d'oraison simple et souple, la Prière de Jésus reste actuelle. Elle a pu être adoptée par des hommes et des femmes modernes, s'adapter à leur mentalité et leur mode d'existence. Rayonnant au-delà des cadres institutionnels du monachisme, elle a aidé des laïcs vivant dans le monde à unifier leur vie selon l'Esprit de Jésus Christ.

Historiquement, la pratique de la prière de Jésus est née de la rencontre de deux courants spirituels distincts : d'une part le culte biblique (et même plus largement sémitique) pour les Noms de Dieu, d'autre part la pratique de l'oraison dite « jaculatoire »  dans les milieux monastiques du désert.

Se dégageant des croyances plus au moins magiques, apparaît, en effet, dans la Bible, l'idée que le Nom divin est révélation, manifestation dynamique de la Personne du Dieu transcendant. De nombreux textes de l'Ancien Testament seraient à citer à ce sujet. Dans les psaumes en particulier, le Nom divin apparaît comme un refuge, une puissance auxiliatrice. Mais il faut surtout rappeler les références multiples au Nom de Jésus dans le Nouveau Testament où une diversité de formules dont la traduction française « au Nom de Jésus », tout comme le latin in nomine..., sont impuissantes à rendre la riche complexité et le dynamisme. Trois textes sont capitaux : Jean 16, 23-24, Actes 4, 12, et Philippiens 2, 9-10.

Quant à l'oraison jaculatoire, saint Augustin, à qui l'on doit sa description, l'a rencontrée dès le IVe siècle chez les moines du désert égyptien, sous forme de prières fréquentes mais très brèves et comme « rapidement lancées »  (quodammodo jaculatas). La formule employée pour les invocations était le Kyrie eleison ou un verset du Psautier. Mais un jour viendra où le Nom de Jésus sera associé à l'oraison jaculatoire. Cette rencontre, cette fusion entre le Nom et l'aspiration sera l'œuvre d'une école mystique désignée sous le terme mystique d'hésychasme. Mouvement qui s'étend sur de longs siècles (du Ve au XVIIIe siècle et, dans une certaine mesure, jusqu'à nos jours), l'hésychasme a connu une évolution, des tendances et des expressions diverses. Ce qui le constitue cependant dans sa continuité, c'est la quête d'une technique contemplative destinée à unifier et à pacifier l'homme intérieur, en Christ, par la grâce de l'Esprit Saint.

Après une certaine éclipse au XVIIe siècle, la Prière de Jésus connaît assez paradoxalement une renaissance au « siècle des lumières »  de la Raison. À la fois signe et instrument de ce renouveau, la publication en 1782 de la Philocalie (c'est-à-dire Amour de la beauté) des Pères néptiques, ouvre une période de diffusion de la Prière de Jésus dans les différents pays orthodoxes et dans les milieux les plus variés en dehors du cadre monastique originel. Traduit en russe sous le titre de Dobrotolioubé, ce livre a influé sur le peuple russe plus encore que la Philocalie sur les milieux grecs. C'est dans le Dobrotolioubé que non seulement les moines, mais les simples gens des villages, des hommes et des femmes de tous milieux, se sont familiarisés avec les Pères, avec l'esprit et les méthodes de la prière contemplative.

Après la tourmente de la Révolution de 1917, l'émigration russe qui s'installe difficilement en Europe et en Amérique, connaît, elle aussi, un printemps philocalique discret. Par son intermédiaire, la Prière de Jésus pénétrera dans certains milieux chrétiens occidentaux, catholiques, protestants et surtout anglicans.

Pratiquée aussi bien par l'ouvrier travaillant à l'usine ou au fond des mines que par tel professeur de théologie, elle se dépouille, dans ce contexte historique nouveau, de conceptualisations héritées du passé pour retrouver sa spontanéité et sa simplicité originelles. Ainsi se révèle-t-elle en ce qu'elle a toujours été essentiellement : non pas croyance en la vertu magique d'une formule, mais attention à la Présence de Dieu dont le Nom divin est le sacrement ; non pas aliénation dans un mécanisme obsessionnel mais art spirituel qui, en ramenant l'intelligence du monde des phénomènes vers les profondeurs du cœur, c'est-à-dire de la personne, prépare ce cœur à recevoir le pardon, la paix, l'illumination ; non pas abolition de la pensée et de la conscience personnelles mais rencontre communiante, lucide, avec la personne divino-humaine de Jésus. Tout en exigeant le silence et une certaine retraite, au moins intérieure, du monde, la Prière de Jésus est aussi instrument d'offrande et de transfiguration de toute la création. À la spiritualité monastique traditionnelle, elle parvient ainsi à intégrer l'un des thèmes essentiels de la philosophie religieuse russe moderne : la vision d'un monde transfiguré en espérance.

C'est un auteur laïc, Nadejda Gorodetzky, qui a peut-être parlé avec le plus de justesse et de sobriété de l'usage pratique de la Prière de Jésus, tel que peut l'expérimenter un chrétien d'aujourd'hui, vivant dans le monde, et de l'inspiration qu'il peut y trouver :

La Prière de Jésus est si simple qu'il n'est pas nécessaire de l'apprendre pour s'en souvenir... Beaucoup vaquent à leur travail habituel en répétant cette prière. Ni le travail de ménage, ni le travail des champs, ni le travail de l'usine ne sont incompatibles avec elle... Il est aussi possible, quoique plus difficile, de joindre à cette prière continue des occupations intellectuelles. Elle préserve de beaucoup de pensées et de paroles vaines ou peu charitables. Elle sanctifie le labeur et les rapports quotidiens... Après un certain temps, les mots de l'invocation semblent d'eux-mêmes venir aux lèvres. Ils introduisent de plus en plus dans la pratique de la présence de Dieu... Les mots semblent graduellement s'évanouir. Une veille silencieuse qu'accompagne une paix profonde du cœur et de l'esprit, se manifeste à travers le tumulte de la vie de tous les jours... Le Nom de Jésus peut devenir une clé mystique qui ouvre le monde, un instrument d'offrande secrète de chaque chose et de chaque personne, une apposition du sceau divin sur le monde. Peut-être serait-ce ici le lieu de parler du sacerdoce de tous les croyants. En union avec notre Grand-Prêtre, nous implorons l'Esprit : Fais de ma prière un sacrement (50).

En conclusion, nous aimerions souligner la portée œcuménique de la Prière de Jésus. Ainsi que l'écrit le Moine de l'Église d'Orient, « l'invocation du Nom de Jésus fut, aux origines, commune à tous : elle demeure acceptable à tous, accessible à tous »  (51), à tous ceux qui ont été baptisés en Christ. Elle peut ainsi unir très réellement des chrétiens encore douloureusement divisés sur d'autres plans institutionnels ou sacramentels. En conduisant à l'approfondissement de la relation du croyant à la personne divino-humaine du Fils de l'Homme, la Prière de Jésus nous introduit aussi en cette communauté des personnes in Christo per Spiritum Sanctum que les Pères nommaient la communion des saints.

Première publication dans la revue Dieu Vivant, no. 8, Éditions du Seuil, 1947.
De larges extraits ont parus dans Orthodoxie et tradition française :
Dogmes, spiritualité, histoire
. Éditions Énotikon, 1957.
Re-édité en entier dans La douloureuse joie : Aperçus sur la prière personnelle
de l'Orient chrétien
. Éditions de l'Abbaye de Bellefontaine, 1981.
Reproduit avec l'aimable autorisation de Mme Élisabeth Behr-Sigel.
Les Pages Orthodoxes La Transfiguration a fourni les intertitres et a mis à jour les références.

RÉFÉRENCES

1. Le starets Païsi, grand promoteur de la prière de Jésus dans les milieux monastiques slaves et roumains, la désigne par ces termes : Jesusowaja molitwa, umom w serce sowerchennaja, ce qui veut dire : « Prière de Jésus, accomplie par l'intelligence dans le cœur. »
2. Cf. entre autres I. Hausherr : La méthode d'oraison hésychaste, Orientalia christiana, IX, 2, Rome, 1927, et M. Viller, La spiritualité des premiers siècles chrétiens, Bloud et Gay, Paris, 1930.
3. Terme par lequel on désigne volontiers la pratique de la prière de Jésus, en particulier sous la forme qu’elle prit aux XIVe et XVe siècles chez les hésychastes (solitaires) du Mont Athos.
4. Hausherr, La méthode d'oraison hésychaste.
5. Ces Chapitres sont reproduits dans les Entretiens sur la Prière de Jésus (Besedi o militwe Jesuwoj), œuvre très importante pour la compréhension de la « prière spirituelle »  en Russie, publiée par les soins du monastère de Valaam (Serdobol, 1938), p. 270 et suivantes.
6. Depuis la première publication de cet article en 1948, les Éditions de l'Abbaye de Bellefontaine ont publié La philocalie des Pères néptiques en 11 volumes entre 1979 et 1991. Les Éditions Desclée de Brouwer et Jean-Claude Lattès ont repris le texte entier en deux volumes en 1995, avec une introduction d'Olivier Clément. Des extraits ont été traduits et présentés par Jean Gouillard dans La petite philocalie de la prière du cœur, Seuil (Points/Sagesses, 20), 1979.
7. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 294.
8. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 299.
9. La vénération du Nom de Jésus est aussi ancienne que l'Église chrétienne. Elle plonge ses racines dans la piété des fidèles de l'Ancienne Alliance pour le Nom de Yahvé. Elle a trouvé son expression parfaite dans les paroles de Saint Paul : « Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au Nom de Jésus, tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et sous la terre et que toute langue confesse que Jésus Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu son Père »  (Ph 2, 9-11).
10. Starets Rasik, cité par C. Cetwerikow dans son livre Païsi Velitchkovski, p. 90.
11. ''Il convient de descendre du cerveau dans le cœur. Pour le moment il n'y a chez vous que des réflexions toutes cérébrales sur Dieu, mais Dieu lui-même reste à l'extérieur. »  Théophane le Reclus, Entretiens, Moscou, 1898, p. 58. Le livre de l'higoumène Chariton de Valamo, L'art de la prière : Anthologie de textes spirituels sur la prière du cœur (Éditions de Bellefontaine, 1976), contient de généreuses citations des écrits de Théophane le Reclus.
12. Nous traduisons par « spontané »  le terme russe samodwiznaia qui veut dire exactement : « Qui se meut soi-même », mais qu'on aurait tort de traduire dans ce contexte par « automatique ». Il désigne ici un jaillissement sans effort, par opposition à ce qui est le fruit d'un effort de volonté pénible.
13. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 395.
14. Il y a néanmoins chez tous les maîtres russes de la « prière spirituelle », bien qu’ils fussent pour la plupart de grands ascètes, une certaine méfiance de l'ascétisme purement extérieur. Ainsi Théophane le Reclus écrira : « Prêtez le moins d'attention possible aux exploits extérieurs d'ascétisme. Sans doute sont-ils nécessaires. Mais il ne sont que l'échafaudage et non l'édifice. L'édifice est dans le cœur. Portez votre attention tout entière sur l'œuvre cordiale. »
15. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 383. Ailleurs Théophane écrit : « Attacher son espoir ne fut-ce que par un seul cheveu à quelque œuvre personnelle, c'est déjà se détourner du droit chemin. Si vous vous retirez dans la solitude avec la pensée que grâce à vos métanies, à la récitation des prières, aux veilles nocturnes, tout sera changé, le Seigneur, à dessein, ne vous accordera pas la grâce promise jusqu'à ce que se soit évaporé tout espoir en vos propres œuvres, bien que sans elles vous ne puissiez rien recevoir. »  (Entretiens, p. 379.)
16. Nous donnons ici à ce terme un sens général et non pas spécifiquement monastique.
17. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 295. Le starets Païsi admet cependant qu'à défaut d'un bon père spirituel, l'Écriture sainte peut servir de guide.
18. Cf. Hausherr, La méthode d'oraison hésychaste, p. 157.
19. Voici le conseil donné par le starets à l'auteur des Récits d'un pèlerin russe : « Tu dois accepter ce commandement avec confiance et réciter autant que tu le peux la Prière de Jésus. Voici un rosaire avec lequel tu pourras faire au début trois mille oraisons par jour. Debout, assis, couché ou marchant, dis sans cesse : Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi ! doucement et sans hâte. Et récite exactement trois mille oraisons par jour sans en ajouter ou en retrancher aucune. C'est ainsi que tu parviendras à l'activité perpétuelle du cœur. »  Jean Laloy, trad., Récits d'un pèlerin russe, Baconnière/Seuil (Points/Sagesses, 14), 1978, pp. 33-34. Il faut remarquer l'importance donnée à l'obéissance stricte au starets. La recommandation de répéter la Prière trois mille fois n'a pas d'autre sens.
20. C. Cetwerikow, Païsi Velitchkovski, T. II, pp. 89-90.
21. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 359.
22. Hausherr, La méthode d'oraison hésychaste, p. 102 et suivantes.
23. Le starets Païsi, dans ses Chapitres sur la prière, se contente de reproduire sans commentaire le texte de la Méthode attribué sans doute faussement à Syméon le Nouveau Théologien. Théophane le Reclus a une attitude plus critique (Cf. Entretiens, pp. 327, 328, 339, 340). Il parle de la technique comme d'un refuge pour ceux qui sont « durcis dans un formalisme extérieur ». Cependant il admet que, par suite de l'union de l'âme et du corps, les attitudes corporelles ont une influence sur l'attention de l'esprit.
24. Cf. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 79.
25. Cf. Païsi Velitchkovski, Entretiens, p. 59.
26. Cf. Vladimir Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Église d'Orient, Cerf, 1990, p.197.
27. Le terme « sobriété »  (nepsis en grec) est caractéristique d'une mystique qui exclut toute griserie, toute exaltation purement psychologique, toute volupté et toute image humaine.
28. Irina Goraïnoff, Séraphim de Sarov,Desclée de Brouwer/Abbaye de Bellefontaine, 1979. Entretien avec Motovilov, p. 181.
29. Cf. Lossky, p. 198.
30. Lossky, p. 197.
31. Saint Macaire, Homélies spirituelles, XV, 32. P.G., 34, 597B.
32. Ignace Brianchaninoff, Entretiens, p. 59 et suivantes.
33. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 58.
34. Séraphim de Sarov, Instructions spirituelles, p. 201.
35. Séraphim de Sarov, Sa vie, p. 47.
36. Séraphim de Sarov, Sa vie, p. 47.
37. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 70.
38. Ignace Briantchaninov, Entretiens, p. 419.

39. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 97.
40. Récits d'un pèlerin russe, pp. 36-40.
41. Cf. par exemple Théophane le Reclus, Entretiens, p. 391.
42. Cf. aussi Théophane le Reclus, Entretiens, p. 421.
43. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 299.
44. Séraphim de Sarov, Instructions spirituelles, pp. 212-214.
45. Cf. Saint Séraphim de Sarov, Entretien avec Motovilov, p. 176 et suivantes.
46. Théophane le Reclus, Entretiens, p. 349.
47. Séraphim de Sarov, Instructions spirituelles, p. 201.
48. « Dans mon cœur, en pensée seulement, j'ai prié : Seigneur, rend-le digne de voir clairement, avec les yeux de la chair, la descente de l'Esprit-Saint, comme à tes serviteurs élus lorsque tu daignas leur apparaître dans la magnificence de ta gloire ! »  Séraphim de Sarov, Entretien avec Motovilov, p. 177.
49. Saint Séraphim de Sarov, Entretien avec Motovilov, p. 162.
50. Nadejda Gorodetzky, « The Prayer of Jesus », Blackfriars (Revue des Dominicains anglais), XXIII, 1942, p. 76.
51. Un Moine de l'Église d'Orient, La prière de Jésus, Chevetogne/Seuil (Livre de Vie, 122), 1963, p. 70.

Prière de Jésus - Prière du Cœur

 

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Samedi 23 juillet 2022