Pères et mères dans la foi

La prière et la règle de prière


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Pages Alexandre Men


 


La foi, c’est-à-dire le lien vivant avec Dieu, n’est pas quelque chose d’invariable, que nous découvrons tout prêt à servir. Comme tout type de relation, elle possède sa propre dynamique, elle peut faiblir ou, au contraire croître et se renforcer. L’éclosion de la foi en l’homme est liée à sa volonté, à son intelligence, à sa sensibilité. Son développement est inséparable de trois principales voies d’approche de Dieu : les efforts dans l’ordre moral tournés vers le bien, la lutte contre les ennemis intérieurs de l’homme (ascèse), enfin la prière, à laquelle sont consacrées ces pages.

" Lançons-nous dans l’œuvre de la prière, dit saint Marc l’Ascète, et au fur et à mesure de nos progrès nous découvrirons que peuvent être donnés au croyant grâce à la prière non seulement l’espérance en Dieu, mais également une foi solide et un amour sans hypocrisie, une absence de rancune, un amour pour le frère, la sobriété, la patience, une intériorisation en profondeur, un affranchissement des tentations, les dons de la grâce, une confession au plus profond du cœur et des larmes ardentes. "

Ces paroles du saint montrent à l’évidence l’immense portée de la prière pour le chrétien et les multiples aspects de son existence qu’elle inclut. La prière relie notre esprit à la Source même de la vie. Elle ne saurait être remplacée ni par les spéculations théologiques ni par les seules œuvres de la charité. Les unes comme les autres sont vivifiées par la prière, qui garde notre foi loin des penchants à l’abstraction ou au moralisme.

Un antique adage dit : " La prière, labeur difficile. " celui qui n’a pas mené le combat contre les tentations pendant la prière le trouvera peut-être étrange ; mais celui qui aura fait ne serait-ce que les premiers pas dans la vie spirituelle sait la quantité d’obstacles qui se dressent devant quiconque cherche le don de la prière.

Dieu est ouvert à tous, mais trop souvent les rayons de sa force bienfaisante se heurtent aux persiennes impénétrables et aux portes closes de notre âme. Comment les ouvrir ? Comment nous préparer à rencontrer celui qui est au-delà de toute compréhension ?

Ces choses ont été évoquées par les saints et les ascètes, hommes d’une riche expérience spirituelle, qui jugeaient indispensable de partager avec leur prochain les découvertes faites sur la voie de l’" œuvre " de prière. Toutefois, leur héritage est trop immense et en outre les écrits des ascètes reflètent souvent des conditions de vie bien éloignées de celles qui sont les nôtres aujourd’hui. Trier dans ces écrits ce qui pourrait servir de guide concret pour l’homme contemporain, tel est le but de ce livre.

Il est destiné à ceux qui ont déjà franchi les premières étapes de la vie chrétienne et s’efforcent de l’approfondir. Ce " guide " suppose chez le lecteur une connaissance des Saintes Écritures et des premiers rudiments de la foi enseignée par l’Église, ainsi qu’une participation régulière aux offices et aux sacrements.

Sur la prière en général il existe une quantité non négligeable d’ouvrages admirables, destinés à nos contemporains, comme par exemple ceux du métropolite Antoine de Souroge [cf. L’école de prière (Seuil, 1972 et Prière vivante (Cerf, 1981)]. Nous envisagerons ici principalement le côté pratique de la prière, ce qui la favorise comme ce qui lui fait obstacle. Ce " guide " ne doit pas être considéré comme un livre à lire d’une seule traite. Il suppose une étude lente, attentive, avec mise en pratique des indications qu’il contient. Pour cela, il est écrit de manière dense et schématique, afin d’en faciliter l’acquisition et la mémorisation. Chacun d’entre nous passe par des moments où son être est involontairement soulevé par un élan de prière. Les ruptures tragiques de la vie, le frémissement de l’âme saisie dans un élan créateur ou dans un contact avec la beauté, tout cela peut éveiller la force qui nous élève vers Dieu dans la supplication, l’action de grâces, la joie. Mais nous parlerons ici avant tout de la prière systématique, qui entre dans la vie comme son accompagnatrice et son inspiratrice fidèle.

 La règle de prière

La règle de prière constitue la forme première et indispensable de l’adoration. On appelle ainsi la lecture quotidienne d’un nombre fixe de prières du matin et du soir. Ce rythme est nécessaire, sinon l’âme glisse facilement hors de la vie d’oraison, comme ballottée au gré des événements. Dans la prière même, comme dans toute action d’envergure difficile, les seules " inspiration ", " humeur " ou " improvisation " ne suffisent pas.

Lorsque quelqu’un contemple un tableau ou une icône, écoute de la musique ou de la poésie, il communie au monde intérieur de leur créateur ; de même la lecture des prières nous relie à ceux qui les ont composées : psalmistes et saints. Cela nous permet de nous établir dans un état spirituel apparenté à celui qui brûlait dans leur cœur. " Le Christ, dit le père A. Eltchaninoff, nous donne l’exemple de prières qu’il empruntait à d’autres prières. Ainsi les cris poussés sur la croix sont des citations de psaumes (Ps 22, 2 ; 31, 6). "

Il existe trois " règles " fondamentales :

1. La règle complète, destinée à ceux qui disposent de plus de temps libre que les autres ; elle est contenue dans les livres de prières complets destinés aux prêtres.

2. La règle courte, destinée à tout le monde. Le matin : " Roi céleste consolateur ", " Trisagion ", " Très Sainte Trinité ", " Notre Père ", " À mon réveil je te rends grâces ", " Ô Dieu, aie pitié de moi ", " Credo ", " Seigneur, purifie ", " Vers toi, Seigneur ", " Saint ange ", " Très Sainte Mère de Dieu ", commémoration des saints, prière pour les vivants et les morts. Le soir : " Roi céleste ", " Trisagion ", " Très Sainte Trinité ", " Notre Père ", " Seigneur, aie pitié de nous ", " Dieu éternel ", " Mère pleine de bonté ", " Ange du Christ ", " Que retentissent nos accents de victoire ", " Il est digne en vérité ". Ces prières se trouvent dans n’importe quel livre de prières.

3. La règle minimale de saint Séraphim : trois " Notre Père ", trois " Vierge Marie " et un " Credo ", pour ceux qui, certains jours, ou dans des cas de force majeure, sont trop exténués ou bien manquent de temps.

Laisser tomber la " règle " est dangereux. La fatigue et l’absence de concentration ne doivent pas nous troubler. Même si la " règle " est lue sans l’attention nécessaire, les mots de la prière, en pénétrant dans l’inconscient, y exercent leur action sanctifiante.

Préparation à la règle de prière

Il est bon de connaître par cœur les prières fondamentales pour les laisser pénétrer plus profondément dans le cœur, et pour pouvoir les répéter dans n’importe quelles circonstances. [...] " Efforce-toi, conseille saint Nicodème l’Hagiorite, de méditer et de ressentir les prières déposées en toi non à l’heure de la prière mais dans tes moments libres. Ce faisant, tu n’auras aucun mal, à l’heure de la prière, à reproduire en toi tout le contenu de la prière que tu es en train de lire. "

À l’heure où l’on va prier, il est très important de chasser de son cœur les offenses, les irritations, les amertumes. " Avant de prier, dit saint Tikhon de Zadonsk, il faut ne se fâcher, ne s’irriter contre personne, mais laisser de côté toutes les offenses pour que Dieu nous pardonne aussi à nous nos péchés. "

Si nous ne faisons pas d’efforts pour lutter contre le péché, pour servir le prochain, pour avoir la maîtrise de notre corps et de notre vie psychique, la prière échoue dans sa visée profonde : être le pivot intérieur de notre vie. La lecture, en particulier la lecture des Évangiles, joue un rôle non négligeable dans la formation de l’esprit d’oraison, tout comme les sacrements de la pénitence et de l’eucharistie.

La communion aux Saints Dons entraîne l’être tout entier dans le très précieux courant de la vie de grâce. Une communion peu fréquente nous cause un tort considérable, en nous privant de l’aide de la grâce. Dans le passé s’est introduit l’usage de la communion peu fréquente condamné par les saints Pères. " Certains disent même aujourd’hui que c’est un péché de communier souvent, écrivait l’évêque Théophane, d’autres disent qu’on ne peut se représenter à la communion à moins de six semaines d’intervalle. Bien d’autres erreurs peuvent avoir cours sur ce sujet. N’accordez point d’attention à ces propos, communiez aussi souvent qu’il sera nécessaire, sans vous laisser effleurer par le doute. Efforcez-vous seulement de vous préparer comme il convient et d’approcher avec crainte et tremblement, avec foi et contrition, ainsi qu’avec un sentiment de repentance. À ceux qui vous font des remontrances, répondez : Mais... mon père spirituel m’a donné l’autorisation de me présenter chaque fois à la communion. "

Temps et lieu

Dans les conditions de la vie moderne, avec ses multiples activités et son rythme accéléré, il n’est pas facile de consacrer à la prière un temps fixe. Toutefois mieux vaut lire les prières du matin avant toute autre activité. Au besoin on peut les dire en chemin au sortir de la maison. Il est parfois difficile de se concentrer tard le soir à cause de la fatigue ; pour cette raison, les maîtres de la prière recommandent de lire les prières du soir dans le temps libre avant le dîner ou même plus tôt.

Dans la mesure du possible, il est bon de s’isoler pendant la prière, debout devant l’icône. À la question de savoir s’il faut lire les prières avec toute la famille réunie ou chacun de son côté, il est impossible de donner une réponse valable pour tous. Cela dépend du caractère de chacun et des relations que l’on a avec les membres de la maisonnée. La prière commune est surtout recommandée les jours de fête, avant le repas, et dans d’autres circonstances similaires. La prière en famille est un autre aspect de la prière ecclésiale – " l’église domestique " – et, à cause de cela, elle ne peut se substituer à la prière individuelle, mais seulement la compléter.

Le début de la prière

Avant de commencer à prier, nous faisons le signe de croix et nous nous disposons, une fois débarrassés de tous les soucis quotidiens, à entrer dans l’esprit d’un dialogue avec Dieu. " Reste un moment en silence, jusqu’à ce que les sentiments s’apaisent, mets-toi dans la présence de Dieu jusqu’à en éprouver la conscience et le sentiment avec une crainte respectueuse, et instaure en ton cœur la foi vivante que Dieu t’entend et te voit " (tiré du Livre de prières, " Sur la position du corps pendant la prière ").

Le développement de la prière

Il est nécessaire pour le débutant de prononcer les prières à haute voix, ou à mi-voix. Cela aide à se concentrer. Si la lecture de la " règle " est soudain interrompue par un jaillissement de paroles spontanées, alors, comme dit saint Nicodème, " ne laisse pas échapper pareille occasion, mais arrête-toi ". Cette pensée se retrouve chez l’évêque Théophane : " Si un sentiment de prière impétueux vient faire obstacle à la lecture des oraisons, renonce à la lecture et donne toute liberté à ce sentiment. "

De nombreuses personnes pensent que la prière doit toujours faire naître une " douceur spirituelle ". Elles oublient qu’elle est un " labeur " difficile. " Ne cherche pas dans la prière une délectation, dit l’évêque Ignace Briantchaninov, celle-ci n’est pas le lot du pécheur. Le désir du pécheur de ressentir la délectation est déjà un leurre [...]. Ne cherche pas intempestivement des états spirituels élevés et de pieux enthousiasmes. " Remarquons que la recherche d’une délectation continuelle cache de l’égoïsme et une aspiration au confort spirituel. La difficulté à prier est souvent le signe de sa réelle efficacité.

La prière pour le prochain est indissociable de la règle d’oraison. Le fait de se tenir devant Dieu ne nous éloigne pas de nos proches, mais nous relie à eux par des liens encore plus intimes. À ce sujet le poète Alexei C. Tolstoï a écrit de fort belles choses : " Demander à Dieu avec foi qu’il écarte le malheur de ceux que l’on aime, ce n’est pas une œuvre stérile, comme l’affirment certains philosophes qui ne voient dans la prière qu’un moyen d’adorer Dieu, de lui parler et de sentir sa présence. Avant tout, la prière produit sur l’âme de celui pour qui vous priez une action forte et directe, de sorte que plus vous vous rapprochez de Dieu, plus vous devenez indépendant de votre corps, et de ce fait votre âme est moins comprimée par l’étendue et la matière qui la séparent de l’âme pour laquelle elle prie. Je suis quasi certain que deux personnes qui prieraient l’une pour l’autre au même moment avec une foi aussi forte, pourraient communiquer entre elles sans l’aide matérielle de quoi que ce soit et en dépit de la distance qui les sépare [...]. Comment savoir jusqu’à quel point les événements, dans la vie d’un être cher, sont prévus d’avance ? Et s’ils ont été soumis à toutes sortes d’influences, quelle influence plus forte pourrait-il y avoir que celle de l’âme qui s’approche de Dieu et brûle du désir de voir que tout concourt au bonheur de l’âme d’un ami ? "

Il ne convient pas de nous restreindre à prier pour nos proches et pour ceux que nous aimons. Prier pour ceux qui nous ont offensés introduit la paix dans l’âme, exerce une action sur eux, et notre prière se fait offrande.

Fin de la prière

Il est bon d’achever la prière en remerciant Dieu de nous avoir accordé ce contact avec lui, et en regrettant notre manque d’attention. " Ne te précipite pas de suite sur tes occupations habituelles, enseigne saint Nicodème, et ne pense jamais que, ta règle d’oraison une fois accomplie, tu es quitte avec Dieu ".

En nous adonnant à nos activités il faut penser à ce qu’il convient de dire, de faire, de voir au cours de la journée, et demander à Dieu sa bénédiction et sa force en vue de l’accomplissement de sa volonté. Il est parfois salutaire de garder au cœur d’une journée de travail une parole ou une prière brève, qui permettra de rencontrer le Seigneur dans les occupations quotidiennes. Nous devons également nous tourner vers Dieu en esprit avant d’entreprendre quoi que ce soit, et avant de nous mettre à table.

Extrait de : Alexandre Men, 
Manuel pratique de prière, Cerf, 1998.


PRIÈRE VÉSPÉRALE DU PÈRE ALEXANDRE MEN

Seigneur Jésus Christ, en cette heure vespérale, 
en cette ville, où s’est posée ta bénédiction
parmi toutes les souffrances, les péchés, les maux,
toi qui as souffert et a pris sur toi les plaies 
du genre humain à cause de ton amour pour nous, 
toi qui es venu ici-bas, sois avec nous.

Seigneur, tu as porté la Croix, apprends-nous 
à porter les souffrances et la prière de nos proches.

Seigneur Jésus Christ, Tu vois nos plaies 
et nos faiblesses. Rends-nous forts,
fais de nous des témoins fermes, forts, 
dignes de ton Évangile divin.

Seigneur Jésus Christ, accorde-nous en ces jours 
que tu nous as octroyés, de porter, comme un étendard, 
ta Croix. Seigneur Jésus Christ, aide-nous.

Nous te rendons grâces pour toutes les merveilles 
que tu nous donnes dans la nature, dans l’Église, 
dans le Sacrement, dans tes Saintes Écritures, 
dans les écrits des hommes inspirés par toi, 
dans ceux qui nous sont proches, que nous aimons, 
dans tout ce qui captive, nous émeut, nous étonne.

Nous te rendons grâces pour tout, Seigneur. 
Donne-nous d’être des porteurs authentiques 
de ton Nom. Amen.


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Dernière modification: 
Jeudi 21 juillet 2022