Vie spirituelle

Moi aussi, je suis pécheur

Saint Jean Baptiste PAGES MÉTANOÏA : Produis, ô mon âme, les dignes fruits du repentir

 


« Moi aussi, je suis pécheur »

 

par Paul Ladouceur

Icône de Saint Jean Baptiste, Ange du désert


 


bal-rge.gif (916 octets)Mon péché, moi, je le connais, 
ma faute est devant moi sans relâche ; 
contre toi, toi seul, j'ai péché, 
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait
.
(Psaume 50, 5-6)

bal-rge.gif (916 octets) Bénis le Seigneur, ô mon âme, 
et n'oublie aucun de ses bienfaits. 
Lui qui pardonne toutes tes offenses, 
qui te guérit de toute maladie. 
Lui qui rachète à la fosse ta vie, 
qui te couronne d'amour et de tendresse
.
(Psaume 102, 2-4)

bal-rge.gif (916 octets) Quiconque commet le péché est esclave du péché. (Jean 8,34)

bal-rge.gif (916 octets) Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. 
(Saint Paul, 1 Timothée 1, 15)

bal-rge.gif (916 octets) L'un des frères ayant péché, le prêtre lui enjoignit de quitter la communauté. Alors l'Abbé Bassarion se leva et partit avec lui en disant: "Moi aussi, je suis un pécheur !" (Abba, dis-moi une parole, #326).

bal-rge.gif (916 octets) On disait d'Abba Sisoès que, lorsqu'il fut près de mourir, les Pères étant assis auprès de lui, son visage brilla comme le soleil... Il dit: "Voici que des anges viennent me prendre, et je supplie qu'on me laisse faire un peu pénitence." Les anciens lui dirent : "Tu n'as pas besoin de faire pénitence, Père." Mais il leur dit : "En vérité, je n'ai pas conscience d'avoir commencé." (Abba, dis-moi une parole, #375).

bal-rge.gif (916 octets) Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. (Prière de Jésus)

bal-rge.gif (916 octets) "Je suis en pécheur endurci, et pourtant j'ai vu le grand amour et la miséricorde du Seigneur à mon égard." Saint Silouane l'Athonite dans sa vieillesse (Starets Silouane : Moine du Mont-Athos p. 255).

bal-rge.gif (916 octets) "Le péché est avant tout un phénomène spirituel, métaphysique. Les racines du péché se trouvent dans la profondeur mystique de la nature spirituelle de l'homme. L'essence du péché n'est pas la transgression d'une norme éthique, mais un éloignement de la vie éternelle et divine pour laquelle l'homme est créé et à laquelle il est naturellement - c'est-à-dire conformément à sa nature - appelé.

Le péché s'accomplit avant tout dans la mystérieuse profondeur de l'esprit humain, mais ses conséquences affectent l'homme tout entier. Une fois accompli, le péché se répercute sur l'état psychique et physique de l'homme qui l'a commis; il se reflète dans son apparence extérieure et influe sur sa destinée personnelle; il déborde inévitablement les limites de la vie individuelle du pécheur, pour alourdir le poids du mal qui pèse sur la vie de toute l'humanité et, par conséquent, il affecte la destinée du monde entier."

Archimandrite Sophrony, Starets Silouane : Moine du Mont-Athos. Éd. Présence, Sisteron, 1973. p. 33.

 


Le "péché" est un sujet peu populaire, démodé : le mot lui-même suggère des images moyenâgeuses des punitions des damnés aux enfers ; il soulève des idées de culpabilité; il s’apparente à la moralité pieuse associée aux prédicateurs et à la confession que le monde contemporain perçoit facilement comme étant complètement dépassés. Cependant, la reconnaissance du "péché" dans son sens le plus large, et la reconnaissance, avec saint Paul, abba Bessarion, abba Sisoès, saint Silouane et tous les saints, que "Moi aussi, je suis un pécheur", est un étape essentiel de la vie spirituelle. Non seulement c’est un premier pas essentiel, mais la reconnaissance de mon état de pécheur doit accompagnée chaque pas de ma vie spirituelle. Si saint Paul peut dire, vers la fin de sa vie, après beaucoup d’années d’enseignement de l’Évangile du Christ, face aux dangers, à l’harcèlement, à l’emprisonnement et à l’exécution immanente, qu’il est le premier des pécheurs (1 Tm 1,15), qui suis-je moi-même ?

Qu’est-ce que le péché  ? Le mot "péché" vient du latin peccatum, " faute ", et selon le Petit Larousse, le péché est la "transgression consciente et volontaire de la loi divine". Dans un premier temps, le péché peut être considéré comme un acte que j’accomplis qui est contraire à la loi divine. Ceci est reflété, dans la tradition judéo-chrétienne, en particulier par les dix commandements de l’Ancien Testament (Ex 20,1-17) : je vole, donc j’ai péché, donc je suis un pécheur ; je mens, donc j’ai péché, donc je suis un pécheur ; je commets l’adultère, donc j’ai péché, donc je suis un pécheur. Ceci constituent les actes spécifiques qui sont identifiés comme étant des péchés parce qu’ils sont contre les commandements de Dieu tels que donnés à Moïse. Les dix commandements sont une base morale nécessaire à toute vie spirituelle, mais pour le chrétien ils doivent être compris et complétés par l’enseignement du Christ.

Dans le Nouveau Testament, Jésus va plus loin que le décalogue de l’Ancien Testament : non seulement l’adultère est un péché, mais même le désir de commettre l’adultère est un péché : Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle, dans son coeur (Mt 5,28). Je pèche dans mon coeur sans même agir à l’extérieur, car penser le péché, consentir intérieurement au péché, est déjà le péché. Que c’est difficile ce que Jésus attend de moi ! Mais je sais dans mon coeur que je fais le mal lorsque je regarde une femme en souhaitant avoir une relation sexuelle avec elle - ma pensée est une énergie puissante qui m’influence personnellement, mais aussi la femme et même, en quelque sorte, l’univers entier.

Mais Jésus a également enseigné, en réponse aux pharisiens qui lui demandaient quel était le plus grand commandement, que l’amour est le plus grand commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit... tu aimeras ton prochain comme toi-même (Mt 22,37-39). L’amour est le plus grand commandement parce que Dieu est Amour (1 Jn 4,8). Dieu m’a créé à son image et selon sa ressemblance (Gn 1,26), et c’est en aimant que j’accomplis ma destinée, ma nature essentielle, ma raison d’être, que je peux m’approcher de la ressemblance à mon Créateur. Quel est le rapport entre l’amour et le péché  ? Le péché est ce qui m’éloigne de Dieu, qui me sépare de Dieu, qui ternit l’image divine qui est mon héritage. Par le péché je m’éloigne de Dieu, je nie son amour, je lui dit que je ne l’aime pas, que je n’aime pas mon prochain, que je préfère d’autres créatures à Dieu, que je me préfère à Dieu. Voilà le vrai sens spirituel du péché : le péché est ce qui me sépare de Dieu. Quand je cesse d’aimer, je pèche. Non seulement le vol, le mensonge, l’adultère, ou même le désir ou la volonté de voler, de mentir, de commettre l’adultère, mais tout ce qui me sépare de Dieu : voilà mon péché.

Dans ce sens, mon péché est mon désir, mon attachement, à tout ce qui n’est pas Dieu : je suis honnête, mais je désire l’argent, je suis attaché à l’argent, je désire et je suis attaché à ce que l’argent peut me procurer. C’est ce désir, cet attachement qui m’empêche de réaliser Dieu, d’aimer Dieu au-dessus de toutes choses : voilà mon péché. Toutes les grandes traditions spirituelles enseignent le nécessité de se libérer des désirs et des attachements pour pouvoir atteindre aux buts spirituels de la vie.

Sur le chemin spirituel, les désirs et les attachements qui nous éloignent de Dieu deviennent de plus en plus raffinés et subtils, plus difficiles à discerner : cependant ils sont là. Sainte Thérèse d’Avila, après son entrée au couvent, se réjouissait des visites des ses amies, qui lui parlaient des événements et de la vie sociale à l’extérieur - sûrement, l’on croirait, un plaisir innocent pour quelqu’un qui a renoncé à la "vie du monde" afin de se dévouer à Dieu. Mais elle a pris conscience que son attachent à ce plaisir innocent était un obstacle à sa vie spirituelle : un "péché" qui nuisait à sa consécration totale à Dieu et elle a renoncé à ces visites. Le Père Alphonse du Centre de Rencontres spirituelles (Lorraine, France) raconte l’histoire d’un Jésuite qui participait à un atelier au Centre. Invité par le père Alphonse à identifier les attachements qui nous coupent de Dieu, au début il ne pouvait identifier aucun attachement "matériel" de ce genre. Puis, comme sainte Thérèse, il s’est rendu compte qu’il était attaché à un "petit plaisir" considéré normalement comme innocent : il aimait fumer la pipe et il était "attaché" à sa pipe. Il a demandé au père Alphonse de prendre sa pipe.

À un autre niveau, l’attachement aux choses "spirituelles" peuvent également devenir des obstacles à la vie spirituelle, car il s’agit de créatures, dons de Dieu, et non pas de Dieu lui-même ; elles sont accordées gracieusement et elles peuvent être reprises aussi librement. Ma " pratique " spirituelle, et les " objets " qui y sont associés, peuvent devenir aussi des objets d’attachement, de même que d’autres objets et plaisirs matériels : mes icônes, ma place de prière, mes livres spirituels... Il s’agit d’aides, qui peuvent être utiles pour me diriger vers Dieu, mais ce ne sont pas les buts de la vie spirituelle : Dieu est le seul but de la vie spirituelle.

Comment saint Paul est-il le premier des pécheurs ? Je comprend cette expression comme une invitation, non pas à me comparer aux autres et à trouver que je suis le "premier" - sûrement une fausse humilité - mais plutôt comme une invitation à ne pas me comparer aux autres et à me placer seul devant Dieu. Et me voir comme Dieu me voit : un pécheur qui a besoin de son pardon et de son amour. Devant Dieu, la nature de mes péchés est moins important que le fait que je reconnais mes péchés, que je suis pécheur. C’est ainsi je suis le "premier" des pécheurs, de même que saint Paul, de même que chacun l’est. Il n’y a pas de "concours" pour le "trophée" du péché, mais je suis seul et nu devant mon Dieu. À Dieu appartient le jugement ; le seul pécheur que je connaisse c’est moi-même.

La reconnaissance de mon péché, en actes, en désirs, en attachements, physique, matériel, psychologique ou même spirituel, est le geste essentiel qui mène à l’humilité ; c’est une reconnaissance que je suis loin d’être la personne que Dieu souhaite que je sois, une reconnaissance de l’abîme qui me sépare de Dieu - et en même temps une reconnaissance de la bonté, de la miséricorde et de la gloire de Dieu. La "crainte de Dieu" est une autre expression "démodée". Mais la "crainte de Dieu" est justement un appel à l’humilité, à la reconnaissance de ce que je suis, de ce que je ne suis pas, devant le trône de mon Créateur et mon Dieu. La crainte de Dieu doit être également la crainte de perdre la grâce divine, non pas la crainte d’une punition quelconque.

Même si je suis sur le chemin spirituel, même si je reçois des grandes grâces du Seigneur, je suis toujours pécheur. L’attitude d’Abba Bessarion, "Moi aussi je suis un pécheur", doit être mienne, doit être celle de toute personne sur la voie spirituelle, du début jusqu’à la fin. Abba Sisoès, un autre père du désert, au moment de sa mort, dit aux frères qui l’entouraient qu’il voulait faire pénitence: il ne s’était pas suffisamment converti ; il n’aimait pas assez ; il était lui aussi un pécheur, même au moment de sa mort.

Qui suis-je pour penser que je ne suis pas un pécheur ? Je dois surpasser l’idée que le péché est cet acte-ci ou celui-là et reconnaître que je suis "dans le péché" chaque instant où je suis pas entièrement avec Dieu, chaque instant où je n’accomplis pas l’amour que Dieu a pour moi et que je dois lui rendre en tant que mon Créateur et mon grand amour. Si j’aime Dieu, alors j’aime mon prochain, ainsi que moi-même. Si j’aime Dieu, tout le reste s’ensuit : je ferai ce qui est juste aux yeux de Dieu parce que c’est le commandement de l’amour qui me guide. L’exigence morale découle de la vérité essentielle de l’amour, de la vie de l’esprit. Le mensonge, le vol, l’adultère me séparent de Dieu : j’agis de telle ou telle façon parce que Dieu m’aime et la seule façon que j’ai de rendre l’amour à Dieu est de me dévouer à lui en toutes choses.

La reconnaissance de mon péché, dans toutes ses formes (actes, paroles, attachements, désirs) ouvre la porte au mystère de la miséricorde divine, au pardon divin et à la Rédemption dans le Christ. Le message central de toute la Bible et en particulier du Nouveau Testament est l’amour de Dieu, qui nous pardonne nos péchés par l’entremise du Christ Jésus : Dieu a manifesté son amour pour nous en envoyant son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui... C’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés (1 Jn 4,9-10). Combien de fois Jésus dit-il : Tes péchés sont pardonnés (voir, par exemple : Mt 9,2 ; Lc 7,48) ? Au pardon des péchés il faut ajouter ce que Dieu attend de moi : Va, et désormais ne pèche plus. (Jn 8,11). Le Psaume 102, un des plus beaux, décrit justement ce Dieu qui est Amour et Pardon :

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
et que tout ce qui est en moi bénisse son saint Nom.
Bénis le Seigneur, ô mon âme, 
et n'oublie aucun de ses bienfaits.
Lui qui pardonne toutes tes offenses, 
qui te guérit de toute maladie
lui qui sauve ta vie de la fosse, 
qui te couronne d’amour et de tendresse
lui qui rassasie de biens tes années 
et renouvelle ta jeunesse comme celle de l’aigle.
(Ps 102, 2-5)

Jésus est né pour le salut du monde, pour porter le pardon divin à tous, et il descend aux enfers pour libérer les pécheurs. Dans les mots d’Abuna Paul (Monastère du Buisson Ardent, France) : "Le Christ est plus bas que le plus bas, afin de prendre le pécheur dans ses bras". Une des grandes icônes est justement celle de la "Descente aux Enfers", l’icône principale de la Résurrection. Sur cette icône, Jésus est présenté aux enfers après la crucifixion ; il saisit Adam par la main, un Adam agenouillé, attendant le pardon et la délivrance, alors qu’Ève attend de l’autre coté du Christ, étendant ses mains en supplication (dans certaines versions de cette icône, le Christ saisit Adam d’une main et Ève de l’autre). Quelle puissante image de pardon, de rédemption et de salut ! Car je suis Adam, nous sommes tous cet Adam pour qui le Christ est descendu jusque dans notre enfer personnel afin de nous libérer, de nous prendre avec lui. Comment puis-je accompagner le Christ dans son Royaume si je ne reconnais pas mon péché ? Dieu respecte la liberté qu’il nous a donnée : je dois demander le pardon ; il n’est pas accordé autrement. La demande du pardon nous ouvre la porte de la Rédemption et permet ainsi à la grâce rédemptrice du Christ d’emplir l’âme.

 


Seigneur mon Dieu,

moi aussi je suis un pécheur, le premier parmi les pécheurs, nu devant toi, mon Créateur et saint Amant de mon âme. Que suis-je devant toi ? Combien de fois chaque jour je t’oublie, je ne pense qu’à moi-même, je choisis des créatures avant toi ? Je suis impur pour me présenter devant toi, mon âme est souillée de désirs et d’attachements mondains, de craintes et de haines. Combien de fois je désire garder les créatures pour moi-même, je néglige de te rendre l’amour que tu me dispenses à chaque instant de mon existence.

Et pourtant j’implore constamment ta miséricorde ; ne regarde pas mes péchés, mes manquements, mais jette plutôt ton regard sur l’aspiration profonde de mon esprit, qui souhaite retourner à toi, et accomplir dans chaque pensée, chaque mot, chaque geste, ce que tu attends de moi, et ce que je reconnais, par les grâces que tu m’as déjà données, d’être mon but, ma vocation et la raison de mon existence.

Jésus Christ, ton Fils, est venu dans ce monde afin de me libérer de mes péchés, et c’est en son Nom que je prie encore et encore, que ses souffrances et sa mort n’aient pas été vaines, mais que j’entre dans ta Vérité, ta Lumière et ton Amour, et que je parvienne à la vie éternelle pour laquelle tu m’as créé. À ce moment, me tenant devant toi, mes pensées et mes souhaits s’étendent à tous mes frères et soeurs qui souffrent sur cette terre.

Le Christ est venu pour nous tous. Je prie surtout pour ceux et celles qui t’ignorent, qui t’oublient, qui ne te connaissent pas, qui craignent de te connaître, qui sont les plus éloignés de toi. Je suis un avec eux. Que nous venions tous à toi. Prend nous tous dans la Vie de ton Esprit Saint à laquelle nous sommes tous appelés.

Par les prières de notre Souveraine, la Très Sainte Mère de Dieu, et de tous les saints. Amen.


 Introduction aux Pages Métanoïa

 


Dernière modification: 
Mercredi 20 juillet 2022